Jean-paul II  - poète

 

« Triptyque romain – méditations »

 

C’est le nouveau recueil de poésies du Pape.

Il a été présenté dans la matinée du jeudi 6 mars 2003, à la salle de presse du Saint Siège.

Le Cardinal Ratzinger, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, a prononcé le discours de présentation. M Giovanni Reale a ensuite proposé un commentaire critique des textes.

Au cours de la présentation, le comédien N Gazzolo a lu plusieurs poésies du Pape.

Participaient à la présentation leurs Eminences les cardinaux Martinez Somalo, Tomko, Poggi, Poupard, Castrillon Hoyos, Saraiva Martin.

 

En soulignant la portée de l’événement, le Directeur de la salle de presse a rappelé que le Saint Père a donné leur forme définitive à ses textes peu avant Noël de l’année 2002.

 

Le volume a été présenté à Cracovie, en concomitance avec Rome, puisque l’ouvrage original est écrit en polonais.

Il  sera prochainement traduit en français.

 

Nous publions le discours de présentation du cardinal Ratzinger.

 

Le premier panneau du triptyque romain du Pape reflète l’expérience de la création, de sa beauté, de son dynamisme. On y voit l’image des collines boisées, ainsi que, plus forte encore, l’image des eaux qui courent vers les vallées, de la cascade argentée du torrent, qui s’écoule, en un flot régulier, de la montagne. A ce sujet, me sont revenues à l’esprit certaines phrases écrites par Karol Wojtyla en 1976, quand il prêcha les exercices spirituels pour Paul VI et la curie.

Il parle d’un physicien avec lequel il avait longuement discuté et qui, à la fin, lui avait dit : « du point de vue de ma science et de sa méthode, je suis athée… ». Toute-fois, dans une lettre, le même homme lui écrivit par la suite : « chaque fois que je me trouve face à la majesté de la nature, des montagnes, je sens qu’Il existe ». Il s’agit de deux manières diverses de percevoir la nature ! Bien sur, le premier panneau du triptyque s’arrête presque avec timidité sur le seuil.

Le Pape ne parle pas encore directement de Dieu. Mais il prie comme l’on prie un Dieu encore ignoré : « Permets-moi de mouiller mes lèvres à l’eau de la source, de ressentir la fraîcheur – la fraîcheur vivifiante ». Par ces mots, il cherche la source et trouve une indication « si tu veux trouver la source, tu dois poursuivre vers l’amont, à contre courant ».

Dans le premier vers de la méditation, il disait : « Du cœur du bois, il descend » ; le bois et les eaux avaient indiqué le mouvement de la descente. La recherche de la source oblige toutefois maintenant à monter, à marcher à contre-courant.

 

Il me semble que c’est précisément la clé des deux panneaux suivants du tryptique. Ceux-ci, en effet, nous guident dans l’ascension « à contre-courant ». Le pèlerinage spirituel accompli dans ce texte mène au «  commencement ».

A l’arrivée,  la véritable surprise est que le «  début » révèle aussi « la fin ».

Celui qui connaît l’origine, voit également  le lieu et la raison de tout le mouvement de l’être, qui est un devenir et précisément ainsi un mouvement qui perdure : « tout perdure en devenant perpétuellement ».

Le nom de la source  que le pèlerin découvre est , avant tout, Verbe, selon les premiers mots de la bible, qui sont « Dieu dit », que Jean a repris dans son Evangile en les reformulant de manière définitive : « Au  commencement était le  Verbe ». Toutefois, le véritable mot-clé qui résume le pèlerinage du deuxième panneau du Triptyque n’est pas « Verbe », mais vision et voir. Le verbe a un visage. Le Verbe, - la source – est une vision. La création, l’univers procède d’une vision.  Et l’homme naît d’une vision. Ce mot clé conduit donc le Pape en méditation à Michelange, aux fresques de la chapelle Sixtine, qui lui sont devenues si chères.

Dans les images du monde, Michelange a distingué la vision de Dieu ; il a pour ainsi dire, vu le regard du créateur de Dieu et, à travers ce regard, il a reporté sur les murs, au moyen de fresques audacieuses, la vision originale dont dérive toute la réalité.

En Michelange, qui nous aide à redécouvrir la vision de Dieu dans les images du monde , semble se réaliser de manière exemplaire ce auquel nous sommes tous destinés.

D’Adam et Eve, qui représentent l’être humain en général, le Pape dit : « Eux aussi sont devenus des participants de cette vision… ».Tout homme est appelé à « retrouver cette vision à nouveau ». Le chemin qui conduit à la source est un chemin pour devenir voyants :pour apprendre de Dieu à voir.

Alors apparaissent le commencement et la fin. Alors l’homme devient juste.

 

Commencement et fin – probablement, pou le Pape, qui est en pèlerinage vers l’intériorité et vers l’élévation, la relation qui existe entre eux apparaît clairement et précisément dans la Chapelle Sixtine, où Michelange nous a offert les images du commencement et de la fin – la vision de la création et de la peinture impressionnante du Jugement Dernier. La contemplation du Jugement universel dans l’épilogue du deuxième panneau, est peut être la partie du Triptyque qui touche le plus le lecteur. Du regard intérieur du Pape, apparaît de nouveau le souvenir des Conclaves d’Août et d’octobre 1978. Comme j’étais moi aussi présent, je sais combien nous étions exposés à ces images aux heurs de grandes décisions, combien celles-ci nous interpellaient ; combien elles insinuaient dans nos âmes la grandeur de la responsabilité. Le Pape parle aux Cardinaux du futur Conclave « après ma mort » et leur dit que la vision de Michelange doit leur parler. Le mot Con-clave l’invite à penser aux clefs laissées par Pierre.

Mettre ces clefs entre les justes mains : telle est l’immense responsabilité de ces journées. Ainsi se souvient-on des paroles de Jésus, le « malheur ! » qu’il a adressé aux docteurs de la loi « vous avez enlevé les clefs de la science » (Lc 11,52). Ne pas enlever la clef, mais l’utiliser pour pour ouvrir  afin que l’on puisse entrer par la porte : telle est l’exhortation de Michelange.

                     Mais retournons au centre véritable du deuxième panneau, c’est à dire le regard à l’ »origine ». Qu’y voit l’homme ?

Dans l’œuvre de Michelange, le Créateur apparaît « sous les traits d’un être humain » : l’image et la ressemblance de l’homme avec Dieu est renversée de façon à pouvoir en déduire l’humanité de Dieu, qui rend possible la représentation du Créateur. Toutefois, le regard que le Christ nous a ouvert va bien au-delà et montre, de manière renversée, en partant du Créateur, des origines, que l’homme est en réalité. Le Créateur, - l’origine- n’est pas simplement, comme il pourrait apparaître dans la peinture de Michelange, « le Tout-puissant Vieillard ». Il est au contraire « Communion de personnes… un don réciproque – l’homme est destiné à cela - ; s’il arrive à trouver la voie pour parvenir à cela, alors il reflète l’essence de Dieu et ainsi se relève al relation entre le commencement et la fin.

 

           L’arc immense, qui est la véritable vision du Trypique romain, se relève clairement dans le troisième panneau, l’ascension d’Abraham et d’Isaac sur le mont Moriyya, la montagne du sacrifice, du don sans réserve.

L’Ascension est la phrase ultime et décisive du chemin d’Abraham, commencé avec le départ loin de sa patrie, Ur des Chaldéens ; il s’agit de la phrase fondamentale de l’ascension vers le sommet, à contre-courant, vers la source qui est aussi le but. Dans le dialogue inépuisable entre père et fils, fait de peu de mots et du partage commun, en silence,du mystère de ces paroles, se reflètent toutes les questions de l’histoire, leur souffrance, leurs peurs et leurs espérances. Il apparaît à la fin que ce dialogue entre père et fils, entre Abraham et Isaac, est le dialogue en Dieu lui même, le dialogue entre le Père éternel et son fils, le Verbe, et que ce dialogue éternel représente en même temps également la réponse à notre dialogue humain inachevé.

En effet, à la fin, a lieu le salut d’Isaac, l’agneau – signe mystérieux du Fils, qui devient Agneau  et victime sacrificielle, en nous dévoilant ainsi le vrai visage de Dieu : ce Dieu qui se donne lui même à nous, qui est tout entier, don et amour, jusqu’à la dernière extrémité, jusqu’à la fin (cf. Jn 13, 1). Ainsi, précisément, en ce très concret événement de l’histoire, qui semble tellement nous éloigner des larges vues de la création du premier panneau de Tryptique, apparaît avec évidence, le début et la fin de tout, le lien entre la descente et l’ascension, entre source, chemin et but. Le Dieu qui se donne à nous, qui est en même temps début, chemin et but, devient reconnaissable. Ce Dieu transparaît dans la création et dans l’histoire. Il nous cherche dans nos souffrances et dans nos interrogations. Il nous montre ce que signifie être des hommes : se donner dans l’amour, ce qui nous rend semblables à Dieu. Au travers le chemin du Fils sur la montagne du sacrifice se relève « le mystère caché du début du monde ». L’amour qui a donné le mystère original, et en aimant nous aussi, nous comprenons le message de la créations, nous trouvons le chemin. (O R 11 mars 2003)