L’Ukraine et l’Holodomor, la grande faim.
Son 70° anniversaire
Le voyage récent du
cardinal Kasper à Moscou pour visiter l’Eglise orthodoxe de Moscou a attiré l’attention de beaucoup
sur l’Eglise catholique ukrainienne. Nous avons
publié, dans notre dossier ouvert sur « l’Eglise
d’Ukraine « la toute récente » interview du Cardinal Husar,
archevêque majeur de Lviv des Ukrainiens, donné au
journal « La France Catholique ».
Nous versons à notre dossier
pour mieux faire connaître, à nos
lecteurs, ce peuple et son histoire, le
message que le Pape Jean-Paul II adressa le 23 novembre 2003 au cardinal et à
son peuple à l’occasion du 70 anniversaire de l’Holodomor,
la « grande faim ».
Et tout d’abord
qu’est-ce que l’ « holodomor ». En un
mot.
En 1933, des millions
de personnes en Ukraine furent victimes
de la famine que provoqua Staline et le régime communiste.
Voilà comment l’OR du 6 janvier 2004 le présentait :
« Holodomor, « la grande faim » : c’est ainsi
qu’on appelle en Ukraine la terrible
famine organisée par Staline contre les habitants de ce pays entre 1932 et
1933, qui a provoqué la mort de millions de personnes. Il est difficile
d’évaluer avec précision le nombre de victimes, notamment à cause du grand soin
avec lequel les organisateurs de cette tragédie ont fait disparaître les
documents qui en témoignent : mais il est certain qu’il s’agit de millions
de personnes. Le régime soviétique avait décrété la réquisition de toute la
production agricole et des denrées alimentaires pour plier un pays agricole à
la politique de la collectivisation forcée. Des villages entiers
disparurent ; les rues de villes étaient hantées par des figures
fantomatiques, par les personnes devenues des ombres émaciées et affaiblies.
Une nation qui, comme l’a rappelé le Pape au cours de son voyage en Ukraine en
2001, était le grenier de l’Europe, se retrouva ne plus pouvoir donner à manger
à ses fils.
Un diplomate
italien de passage sur ces terres en
1933 écrivait : « la faim continue à faire de tels ravages parmi la
population qu’il est tout à fait inexplicable que le monde puisse demeurer
indifférent face à une telle catastrophe. Dès mars 1933, Pie XI, en évoquant la terrible crise dans
cette région, dénonçait les « idéologies catastrophiques et
assassines » instruments d’oppression entre les mains de responsables
politiques dont les comportements « récents, et même extrêmement récents,
démontrent que ceux-ci sont capables et résolus à les traduire dans les faits »
contre le peuple qu’ils tiennent sous leur joug. » (OR 6 jan.2004 p.5)
Nous publions le
message que Jean-Paul II a adressé aux cardinaux Lubomyr
Husar, Archevêque majeur de Lviv
des Ukrainiens, et Marian Jaworski, Archevêque de Lviv des Latins voulant s’unir à tous ceux qui, en Ukraine,
commémorent les victimes de cette tragédie.
« A mes vénérés
frères Lubomyr Card. Husar, archevêque majeur de Lviv
des Ukrainiens et Marian Card. Jaworski,
Arvevêque de Lviv des
Latins
1.Se souvenir des
événements dramatiques vécus par un peuple est non seulement un devoir en
soi-même, mais se révèle également plus que jamais utile pour susciter chez les
nouvelles générations l’engagement à se faire, en toute circonstance, des
sentinelles vigilantes du respect de la dignité de tout homme. La prière de
suffrage qui naît de cet événement constitue par ailleurs pour les croyants, un
baume qui adoucit la douleur et une supplication efficace au Dieu des vivants,
pour qu’il offre le repos éternel à tous ceux qui ont été injustement privés du
bien de l’existence. Le devoir de mémoire vis-à-vis du passé revêt, enfin, une
valeur qui dépasse les frontières d’une nation, en touchant les autres peuples
qui ont été victimes d’événements tout aussi tragiques et qui peuvent puiser un
réconfort à ce partage.
Tels sont les
sentiments que le 70e anniversaire des tristes événements de l’Holodomor inspirent à mon âme : des millions de
personnes ont subi une mort atroce à cause des sombres mesures d’une idéologie
qui, tout au long du XXe siècle, a été source de
souffrances et de deuils dans de nombreuses régions du monde. C’est pour cette
raison, vénérés Frères que je souhaite être présent en esprit aux célébrations
qui se tiendront en souvenir des innombrables victimes de la grande famine provoquée
en Ukraine sous le régime communiste. Il s’agit d’un dessein inhumain, mis en
œuvre avec une froide détermination par les détenteurs du pouvoir à cette
époque.
2. Dans la ré-évocation de ces tristes événements, je vous demande,
vénérés Frères, de vous faire les interprètes de ma pensée solidaire et de ma
prière auprès des autorités de ce pays et auprès de vos concitoyens qui me sont
particulièrement chers. Les célébrations prévues, destinées à renforcer le
juste amour pour la patrie dans le souvenir du sacrifice de ses fils, ne sont
pas tournées contre les autres nations, mais entendent raviver dans le cœur de
chacun le sens de la dignité de toute personne, quel que soit le peuple auquel
elles appartient.
Me reviennent à
l’esprit les paroles de mon prédécesseur
le Pape Pie XI, de vénéré mémoire, qui, en évoquant les politiques des membres
du gouvernement soviétique de l’époque, distinguait nettement entre gouvernants
et gouvernés et, tout en disculpant ces derniers dénonçait ouvertement les
responsables du système « qui méconnaissent la véritable origine de la
nature et de la fin de l’Etat, nient les droits de la
personne humaine, nient sa dignité et sa libertés ». (Divini
Redemptoris).
Comment ne pas penser,
à ce sujet, à la destruction de si nombreuses familles, à la douleur des
innombrables orphelins, au bouleversement de toute la société ? Tout en me
sentant proche de tous ceux qui ont souffert des conséquences de ce terrible
drame de 1933, je souhaite réaffirmer la nécessité de défendre la mémoire de
ces événements, pour pouvoir répéter ensemble, encore une fois : jamais
plus ! La conscience des aberrations passées se traduit en un constant
encouragement à construire un avenir davantage à la mesure de l’homme,
s’opposant à toute idéologie qui profane la vie, la dignité, les justes
aspirations de la personne.
3. L’expérience de
cette tragédie doit aujourd’hui guider la manière de voir et d’œuvrer du peuple
ukrainien vers des perspectives de concorde et de coopération. Malheureusement,
l’idéologie communiste a contribué à approfondir les divisions jusque dans le
cadre de la vie sociale et religieuse.
Il faut s’engager à une pacification sincère et effective : c’est de cette
manière que peuvent être honorés de manière appropriée les victimes appartenant
à toute la famille ukrainienne.
Le sentiment du suffrage chrétien pour tous ceux qui sont morts à cause d’un
projet meurtrier insensé doit être accompagné de la volonté d’édifier une
société où le bien commun, la loi naturelle, la justice pour tous et le droit
des gens soient des guides constants pour un renouveau efficace des cœurs et
des esprits de ceux qui s’honorent d’appartenir au peuple ukrainien. Ainsi, la
mémoire des événements passés deviendra-t-elle une source d’inspiration pour la
génération présente et les générations futures.
4. Au cours de
l’inoubliable voyage accompli dans votre pays il
y a deux ans, évoquant
la sombre période vécue par l’Ukraine soixante-dix ans plus tôt, je rappelais
« les terribles années de la dictature soviétique et la terrible famine du
débuts des années trente, lorsque votre pays, « grenier de
l’Europe », ne réussit plus à nourrir ses enfants, qui moururent par
millions ». Il faut espérer que, avec l’aide de la grâce de Dieu, les
leçons de l’histoire aident à trouver des raisons solides pour s’entendre, en
vue d’une coopération constructive, dans le but d’édifier ensemble un pays qui
se développe de manière harmonieuse et pacifique à tous les niveaux. Atteindre
ce noble objectif dépend en premier lieu des Ukrainiens, auxquels est confiée
la défense de l’héritage chrétien oriental et occidental, et la responsabilité
de savoir le conduire à une synthèse originale de culture et de
civilisation.C’est là que réside la contribution spécifique que l’Ukraine est
appelée à offrir à l’édification de la « maison commune
européenne » dans laquelle chaque peuple puisse trouver un accueil qui lui
convienne dans le respect des valeurs de sa propre identité.
5. Vénérés frères, en
cette circonstance si solennelle, comment ne pas retourner par l’esprit à
l’ensemencement évangélique opéré par les saints Cyrille et Méthode ?
Comment ne pas repenser avec gratitude au témoignage de saint Vladimir et de sa
mère Sainte Olga, par l’intermédiaire desquels Dieu offrit à votre peuple la grâce
du Baptême de la vie nouvelle dans le Christ ? Le cœur illuminé par l’Evangile, l’on peut mieux comprendre comment on doit aimer
sa patrie pour contribuer efficacement à son progrès sur le chemin de la
culture et de la civilisation. L’appartenance à une lignée doit s’accompagner
de l’engagement à répondre de manière
généreuse et gratuite aux dons reçus en héritage des générations précédentes,
afin d’édifier une société ouverte à la
rencontre d’autres peuples et d’autres traditions.
Tout en souhaitant que
le peuple ukrainien sache jeter sur les événements de l’histoire un regard
réconcilié, je confie tous ceux qui souffrent encore des conséquences de ces
tristes événements au réconfort qu’apporte la Toute-Sainte,
la Mère de Dieu. Je confirme ces sentiments par une Bénédiction apostolique
particulière, que je vous accorde,
vénérés frères, ainsi qu’à tous ceux qui sont confiés à vos soins pastoraux, en
invoquant sur tous d’abondantes effusions de
faveurs célestes. Du Vatican, le 23 novembre 2003 solennité de Notre
Seigneur Jésus-Christ, Roi de l’Univers. »