Le « Vexilla Regis »

 

 

La fête de l’exaltation de la Sainte Croix que nous avons célébrée ce dimanche 14 septembre, nous rappelle le mystère de la Rédemption.  Méditons ce mystère en suivant l’hymne du « Vexilla Regis » que l’Église met sur les lèvres des prêtres, dans le chant des Vêpres de cette fête.

 

Souvenons-nous, tout d’abord, des belles paroles de Saint Paul aux Galates qui servent d’introït à la messe de la fête de l’exaltation de la Sainte Croix.  Saint Paul nous donne le sens profond de ce mystère de la Rédemption : « Pour nous, toute notre gloire est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ en qui est notre salut, notre vie et notre résurrection - in quo est salus,vita et resurrectio - par qui nous avons été sauvés et libérés – per quem salvati et liberati sumus ».(Gal 6,14)

 

Voilà, tout est dit.  Notre salut s’est opéré par la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par cet acte sacrificiel sur le bois de la Croix.  Notre salut, notre vie, notre rédemption en dépendent.  Aussi notre gloire se trouve exclusivement en elle.  Nullement en nos mérites.  Ce sacrifice, offert sur l’autel de la Croix, par Notre-Seigneur Jésus-Christ est cet acte sauveur, parce que théandrique, divin et humain tout à la fois.  En lui, grâce à lui, s’opère la rémission des pêchés.  C’est exprimé dans la formule même de la consécration du vin au Sang du Christ : « Ceci est le calice de mon sang….qui sera versé pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés ».

 

Voilà pourquoi il nous faut adorer ce Seigneur et Maître.

 

En Lui et en sa Croix, est toute espérance, l’espérance de la vie éternelle.  En Lui et en elle, est la gloire.  La gloire de l’Éternité.

 

En Lui et en elle est notre salut, notre libération de l’esclavage de Satan parce qu’en elle et en Lui est la rémission de nos péchés.

 

Quel merveilleux mystère !

 

Pénétrons-le, un peu, en méditant le « Vexilla Regis » qu’il faudrait faire apprendre par cœur aux mémoires encore fraîches de nos enfants.

 

« Les étendards du Roi s’avancent

« C’est le mystère de la Croix »

 

« Vexilla  Regis prodeunt

« Fulget Crucis Mysterium »

 

Il vaudrait mieux donner au verbe « fulgere » son propre sens et traduire par « brille le mystère de la Croix ».  Le verbe « fulgere » est un verbe plein de force.  Il signifie : « lancer des éclairs, briller, éclater.  Il connote l’idée d’action foudroyante, éclatante.  Nous traduirons « Les étendards du Roi s’avancent.  Brille le mystère de la Croix ».

 

La Croix est l’étendard de Notre-Seigneur, le Rédempteur.  Elle est un symbole éclatant, symbole où brille la Victoire du Christ sur le Démon.  Elle sera présente au retour en gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ où éclatera définitivement sa Seigneurie sur toutes choses, sur tous vivants.  Elle est donc la « fierté » du Seigneur.  Elle a présidé à sa Victoire.  Elle est sa gloire.  Il tient à cette croix lumineuse comme Sainte Jeanne d’Arc à son étendard.  « Il fut à la peine, dira-t-elle, il est bien légitime qu’il soit à l’honneur ».  Ainsi de la Croix de Notre-Seigneur.  Elle fut à la peine.  Elle sera à l’honneur.  «  Les étendards du Roi s’avancent.  Brille le Mystère de la Croix ».

 

« Brille le Mystère de la Croix où la Vie a subi la Mort

« Produisant par la mort la vie »

« Qua Vita mortem pertulit

« Et morta vitam protulit »

Voilà exprimé le mystère de la foi, la raison de notre attachement à la Croix.  Tout le mystère de la Croix est dans cette opposition entre la vie et la mort.  Elle nous apporte la vie.  Dès lors, elle est la raison de notre espérance eschatologique.

 

« La vie a subi la mort ». «  Pertulit » de « perfero », verbe qui veut dire : « porter jusqu’au bout », « soutenir jusqu’à la fin ».  La Vie, i.e. Notre-Seigneur, a enduré, a supporté jusqu’à la fin, jusqu’au bout de la souffrance, la mort.  C’est le « usque ad finem » de Saint Jean.  « Avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, après avoir aimé les siens qui étaient dans ce monde, les aima jusqu’à la fin »(Jn 13,1).

 

« Qua Vita mortem pertulit »

 

La Vie ! Mais c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même.  Il s’est défini ainsi.  « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie ».  Il est la Vie.  Il est le principe.  Le principe de tout être.  Rien de ce qui est, n’est sans lui.  Saint Jean le proclame : « En Lui, était la Vie et la Vie était la lumière du monde ».

 

« Toutes choses ont été faites par Lui et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui ».

 

Et parce que la Vie n’a pas été reçue : « Il est venu dans son héritage et les siens ne l’ont pas reçu ».  Il a subi la mort.  « Pertulit mortem ».  Il a été jusque là.

 

Alors, je me souviens, dans la Foi, de ce crucifiement, de cette manifestation d’amour.  « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime ».  Et dès lors, ce crucifiement est pour moi, comme l’écrit Saint Bernard « un aiguillon d’amour » dont je sens la morsure.  Je suis blessé d’amour dira le Cantique des Cantiques.

 

« Je vois le Roi Salomon, dira encore Saint Bernard, avec le diadème dont sa mère l’a couronné.  Je vois le Fils unique du Père portant sa croix.  Je vois le Dieu de Majesté couvert de plaies et souillé de crachats, l’auteur de la vie et de la gloire, cloué au bois, percé d’un coup de lance, saturé d’opprobres et qui donne enfin pour ses amis son âme tant aimée.  Je vois tout cela et le glaive de l’amour me transperce le cœur…Je vois morte la Vie ».  (Traité de l’amour de Dieu. St Bernard).  « Qua Vita mortem pertulit ».

 

Mais par cette mort, je vois refleurir la vie.  « Et morte vitam protulit ».  Par cette obéissance du Fils parfait, par le don de tout lui-même, je vois apaisée, satisfaite la justice du Père.  La faute originelle n’est plus.  La peine éternelle n’est plus à craindre.  Notre-Seigneur, en sa Croix, a fait assez, a fait même surabondamment.  Son acte d’amour, son acte de justice et de miséricorde, son acte d’obéissance « usque ad crucem », parce que théandrique, a fait plus qu’assez.  Il a surabondamment racheté la malice du péché originel.  Son offrande sur la croix est le rachat, le salaire du rachat, « la somme versée » de la libération de la victime tombée, jadis, en le péché d’Adam, dans les griffes de Satan, dans l’esclavage et la mort.  Un acte d’une malice infinie, le péché, parce que s’adressant à Dieu, aversio a Deo, Majesté infinie, a été compensé surabondamment par l’acte du Christ Seigneur, en sa Passion.  Acte théandrique.  Acte divin et humain tout à la fois et donc acte d’une bonté infinie, puisque tous les actes se rapportent à la personne et qu’ici, la personne est Dieu.

 

Cet acte théandrique est dès lors notre libération, notre délivrance, notre vie, notre réconciliation d’avec Dieu.  Adam fut au principe de notre mort, de notre déchéance, de notre esclavage.  Notre-Seigneur, le Nouvel Adam, est au principe de notre délivrance, de notre libération, de notre liberté.  Cet acte théandrique du Christ est tout le mystère rédempteur.  Alors, avec Saint Bernard, je peux dire en contemplant la Croix : « Je vois enfin morte la mort et l’auteur de la mort traîné derrière le char du triomphateur.  Je vois la captivité captive »  (Traité de l’amour de Dieu).  C’est ce que dit, sous mode poétique, le Vexilla regis : « Qua Vita mortem pertulit et morte vitam protulit »  Et Saint Bernard de commenter : « Et de la croix, a refleuri, de nouveau, la vie…a jailli de nouveau la vie ».  « Je m’aperçois que la terre, qui sous l’antique malédiction ne produisait plus que ronces et chardons…la mort…, refleurit, sous l’effet d’une nouvelle bénédiction qui la rajeunit ».  Et encore Saint Bernard de dire au sujet du Christ, mort crucifié et ressuscité : «  Sa chair, semée dans la mort, a refleuri dans la résurrection et son parfum, répandu sur les champs de notre vallée de larmes, a fait reverdir les déserts, se réchauffer les plantes gelées, revivre tout ce qui était mort ».  « Et morte vitam protulit ».  Car le Christ, vraiment, est mort pour expier, pour nous, à notre place, nos péchés.  C’est le dogme de la Rédemption que le prophète Isaïe exprime si bien dans le poème du Serviteur souffrant : « Vraiment c’était nos maladies qu’il portait et nos douleurs dont il s’était chargé…  Lui a été transpercé à cause de nos péchés, broyé à cause de nos iniquités.  Le châtiment qui nous donne la paix a été sur lui et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris….  Yahweh a fait tomber sur lui l’iniquité de nous tous…  Mais quand son âme aura offert le sacrifice expiatoire, il verra une postérité (la vie), il prolongera ses jours… »(Is.53)

 

Et dès lors, je peux comprendre cette belle strophe du Vexilla Regis :

 

« Beata (crux) cuius brachiis

« Croix bienheureuse dont les bras

ont soutenu le prix du monde

« pretium pependit saeculi »

« pretium » : la rançon pour la libération du monde, esclave de Satan

 

« Et statera facta corporis

« Balance où fut pesé le corps

« Tulitque praedam tartari

« Qui ravit à l’enfer sa proie »

 

Merveilleuse compréhension.  Merveilleuse contemplation de la Croix et de sa signification.  Contemplation originale de la Croix, balance de justice.  Balance où se manisfesta la justice, où se manifesta la miséricorde.

 

Et s’il en est ainsi du mystère, on comprendra alors l’exclamation de la strophe suivante, chantée surtout lors du Triduum pascal : « O crux, ave, spes unica » « O Croix, salut, unique espérance ».  Unique espérance du salut, « Car tu as lavé (ou anéanti) les péchés des coupables », « dele crimina ».  Le verbe « delere » veut dire : effacer, détruire, ruiner, anéantir, exterminer ».

Seule espérance car tu es la seule source de salut.  « Te, fons salutis ».  Parce que tu portas, parce que sur toi fut pendue la seule victime capable, parce qu’à la fois humaine et divine, d’expier nos péchés, de réparer l’offense infinie du péché originel.  « Ceci est le calice de mon sang…qui sera versé pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés ».

 

Alors doit jaillir de nos cœurs ce cri d’action de grâce, de louange et d’amour : « Te fons salutis, Trinitas collaudet omnis spiritus ».  O Croix, source de salut, que tout esprit, toute créature, O Trinité Sainte, vous rende gloire, vous loue. « Collaudare ».  Notons le choix de ce verbe : «  Col-laudare », pour cum-laudare.  Cette gloire, cette louange doit être un acte, un chant collectif, de tous.  Il n’est pas question que le « gloria » qui est une hymne à l’honneur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de La Trinité sainte, soit l’acte d’un seul.  Du seul prêtre.  « Omis spiritus collaudat Deitatem » parce qu’elle est source de salut et d’espérance.   «  Fons salutis ».

 

« Par la Croix vous nous fîtes vaincre.  Donnez-nous aussi la couronne »

« Quibus Crucis victoriam »

« Largiris, adde praemium »

 

Ainsi, devant la Croix de Notre-Seigneur, je ne peux qu’exprimer cette prière de Saint Bernard : « Je t’aimerai, Seigneur, toi qui es ma force, mon appui, mon refuge, mon libérateur et tout ce qui peut se dire de désirable et d’adorable.  Mon Dieu, mon secours, je t’aimerai pour tes dons, et à ma mesure, qui sera certes bien au-dessous de la juste mesure, mais non pas inférieure à mon pouvoir d’aimer.  Car bien que je ne puisse donner autant que je dois, je ne saurais aller au-delà de mon pouvoir.  Sans doute serai-je capable d’aimer davantage lorsque tu daigneras m’apporter plus d’amour, et pourtant je n’aimerai jamais à proportion de ce que tu mérites.  Tes yeux ont vu mon imperfection, mais dans ton livre seront inscrits ceux qui font tout ce qu’ils peuvent, même s’ils ne peuvent faire tout ce qu’ils doivent. »  ( Traité de l’amour de Dieu).