Homélie
du 4° dimanche de Carême
« Frères, il est
écrit qu’Abraham eut deus fils, l’un de l’esclave,
l’autre de la femme libre. Or celui de l’esclave naquit
selon la chair, mais celui de la femme libre, en vertu de la promesse.
Ces faits ont un sens allégorique : ce sont les deux Alliances.
» (Gal 4 22).
Cette semaine, notre méditation
dominicale portera sur cette phrase et plus spécialement
sur les « deux alliances », sur leur « sens
allégorique ».
Il y a deux alliances, l’Ancienne
et la Nouvelle.
L’Ancien Testament avec Moïse et la Loi.
Le Nouveau Testament avec le Christ et la grâce, l’Eglise,
la « Jérusalem céleste ».
L’une enfante pour la servitude, l’esclavage, la Loi,
incapable de donner la grâce et la liberté des «
enfants de Dieu ».
L’autre enfante pour la liberté, pour la libération
de la servitude.
Et cette liberté, c’est le Christ qui nous l’a
donnée « selon la promesse », selon la volonté
de Dieu, selon sa volonté salvifique de « tout récapituler
dans le Christ ».
Si l’Ancienne Alliance est
radicalement différente de la Nouvelle Alliance, dans ses
fruits et ses conséquences…
Si, historiquement conçues, elles n’ont pas donné
les mêmes fruits,
d’un côté, l’esclavage, la servitude
maintenue,
de l’autre, la liberté donné, les liens de
l’esclavage rompus…
Ces deux alliances, toutefois, sont complémentaires,
en ce sens que l’une annonce l’autre,
que l’une prépare l’autre,
que l’une préfigure l’autre,
que l’une donne l’intelligence de l’autre et
que l’autre réalise ce qui fut annoncé par
la première : elle réalise les figures de la première.
La première permet ainsi d’avoir quelque intelligence
de l’autre. Celle du Sinaï donne l’intelligence
de l’autre, de la Nouvelle Alliance, scellée dans
le sang du Christ.
La libération du peuple juif de la terre d’Egypte
fut réalisée par le sang de l’agneau pascal
mis sur les montants des portes des maisons juives, l’ange
« exterminateur » les évitant à la seule
vue du sang… Et ce sang de l’Agneau qui donne toute
liberté au peuple hébreu, symbolise, prépare,
annonce la libération acquise par le Sang du Nouvel Agneau,
Le Christ.
Le Christ-Jésus libère le peule qui croit en Lui,
comme l’Agneau Pascal protégea les enfants d’Israël
de toute extermination. L’Agneau Pascal, historiquement
conçu, est le symbole, l’image du Mystère
de la Pâque qui vient, de la Pâque de Seigneur qui
est, par la mort de l’Agneau, la libération du peuple.
Ainsi temporaire est la figure, l’agneau pascal.
Eternelle, la réalité, le mystère de la Pâque.
Et c’est ainsi que, de l’immolation de l’Agneau
Pascal, on aboutit à l’immolation de l’Agneau
Pascal, le vrai, l’éternel, l’incorruptible,
le définitif, Jésus-Christ, symbolisé dans
le temps, au temps de Moïse et de son alliance.
Jéus-Christ, en vue de qui tout arriva dans l’Ancienne
Alliance.
De sorte que l’on peut dire que l’Ancien est devenu
le Nouveau. L’Agneau Pascal d’ Exode, chapitre 12,
est devenu le véritable Agneau Pascal, celui présenté
par Saint Jean Baptiste à ses disciples : « le lendemain,
Jean vit Jésus qui venait vers lui, et il dit : «
Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché
du monde » (Jn 1 29).
La manducation de la Manne est devenue la manducation de l’Eucharistie
qu’elle annonçait. La figure est devenu Vérité.
L’ Agneau est devenu le Fils , le vrai Fils de Dieu, celui
que Saint Jean Baptiste, encore, montra à ses propres disciples.
« Et moi, j’ai vu et j’ai rendu témoignage
que celui-là est le Fils de Dieu… Les deux disciples
l’entendirent parler et ils suivirent Jésus »
(Jn 1 34, 37)
Ainsi, aujourd’hui, dans
cette messe, dans cette Epître, dans cet Evangile, dans
la lecture même du Bréviaire, on commence le récit
de la sortie du peuple hébreu de la dure captivité
des Egyptiens, avec le récit de l’Agneau Pascal,
la traversée de la Mer Rouge, la manducation de la Manne
dans le désert.
L’Eglise ainsi veut nous
donner l’intelligence de la « promesse de Dieu »
- de son Alliance - qui se réalisera, définitivement,
au Golgotha par l’immolation de l’Agneau Pascal, le
véritable Agneau, la véritable libération
du démon…Mais qui fut préfiguré dans
l’Ancien Testament, dans l’histoire du peuple hébreux
et de sa libération de l’Egypte et dans la manducation
de la Manne.
Ayez l’intelligence des
choses de Dieu !
Nous nous y aiderons en citant des passages de la belle homélie
« sur la Pâque » de Meliton de Sardes, évêque
de Sardes, au tout premier siècle de l’Eglise, connu
de Polycarpe qui le site.
Dès le début de
son homélie, Meliton pose le fait des deux alliances et
en montre , comme l’affirme Saint Paul, dans notre Epître
de ce jour, le sens « allégorique ». Que l’une
est la figure de l’autre.
« Le texte de l’Ecriture
sur l’exode hébreu a été lu et les
paroles du mystère viennent d’être expliquées
: comment l’agneau est immolé et comment le peuple
est sauvé. Comprenez donc, bien aimés !
C’est ainsi qu’est
nouveau et ancien,
éternel et temporaire,
corruptible et incorruptible,
mortel et immortel le mystère de la Pâque ;
ancien selon la Loi,
mais nouveau selon le Logos ;
temporaire par la figure, éternel par la grâce ;
corruptible par l’immolation de l’agneau, incorruptible
par la vie du Seigneur…
Ancienne est la loi, mais nouveau le Logos ;
temporaire la figure, éternelle la grâce ;
corruptible l’agneau, incorruptible le Seigneur ;
immolé comme agneau, ressuscité comme Dieu.
Car « tel un agneau il fut emmené pour être
immolé »,
et pourtant il n’était pas un agneau ;
et tel un agneau sans voix, et pourtant il n’était
pas un agneau.
En effet la figure est passée
et la vérité a été trouvée
(réalisée). Car à la place de l’agneau
c’est Dieu qui est venu
et à la place de l’agneau un homme et dans l’homme
le Christ qui contient tout.
Ainsi donc l’immolation
de l’agneau et le rite de la Pâque et la lettre de
la Loi ont abouti au Christ Jésus en vue de qui tout arriva
dans la Loi ancienne…
Tel est Jésus, le Christ, « à lui la gloire
dans les siècles. Amen Tel est le mystère de la
Pâque ».
Méliton en arrive ainsi
à poser d’abord le récit de la libération
du peuple hébreu de la terre d’Egypte, selon le texte
d’Exode, chapitre 12 3-28.
Il le présente ainsi :
« Je vais expliquer par le détails les paroles de
l’Ecriture ; comment Dieu donne des ordres à Moïse
en Egypte, lorsqu’il veut d’une part lier Pharaon
sous le fouet, d’autre part délivrer Israël
du fouet par la main de Moïse.
En effet, « voici, dit-il,
tu prendras un agneau sans défaut et sans tache et vers
le soir, tu l’immoleras avec les fils d’Israël,
et c’est de nuit que vous le mangerez en hâte et vous
ne briserez aucun de ses os. Tu feras ainsi, est-il écrit
: En une seule nuit vous le mangerez par famille et en tribu,
vos reins ceints et les bâtons dans vos mains. Car ceci
est la Pâque du Seigneur, un mémorial éternel
pour les fils d’Israël. Prenez du sang de l’Agneau,
oignez les portes extérieures de vos maisons en mettant
sur les montants d’entrée le signe du sang pour intimider
l’ange. Car voici, je frapperai l’Egypte, et en une
seule nuit, elle sera privée d’enfant, de bétail
jusqu’à l’homme. »
Alors Moïse, ayant égorgé l’agneau et
accompli de nuit le mystère avec les fils d’Israël,
marqua les portes des maisons pour protéger le peuple et
pour intimider l’ange.
Quand donc l’agneau est
égorgé
et la Pâque mangée
et le mystère accompli
et le peuple réjoui
et Israël marqué,
alors arrive l’ange pour frapper l’Egypte,
celle qui était ni initiée au mystère,
ni participante à la Pâque,
ni marqué par le sang,
ni protégée par l’Esprit,
l’ennemie, l’incroyante,
en une seule nuit l’ayant frappée, il la priva de
ses enfants.
Car l’ange, ayant fait le tour d’Israël et l’ayant
vu marqué du sang de l’agneau, se dirigea contre
l’Egypte et dompta, par le deuil, Pharaon à la nuque
dure, après l’avoir entouré non d’un
vêtement sombre ou d’un manteau en lambeaux, mais
de toute l’Egypte totalement déchirée, pleurant
ses premiers-nés »
Une fois le récit historique
de l’Ancien Testament bien décrit, Meliton de Sardes
en donne le sens allégorique :
« Israël était protégé par l’immolation
de l’agneau
et en même temps, illuminé par le sang versé
;
et la mort de l’agneau se trouvait être un rempart
pour le peuple.
O mystère étrange et inexplicable !
L’immolation de l’Agneau se trouve être le salut
d’Israël
et la mort de l’Agneau devint la vie du peuple et le sang
intimida l’ange.
Dis-moi, Ô ange, ce qui
t’a intimidé :
l’immolation de l’agneau ou la vie du Seigneur ?
La mort de l’Agneau ou la préfiguration du Seigneur
?
Le sang de l’agneau ou l’Esprit du Seigneur ?
Il est clair que tu as été intimidé parce
que tu as vu le mystère du Seigneur s’accomplissant
dans l’agneau,
la vie du Seigneur dans l’immolation de l’agneau,
la préfiguration du Seigneur dans la mort de l’agneau.
C’est pourquoi tu ne frappas pas Israël, mais tu privas
l’Egypte seule de ses enfants.
Quelle est ce mystère inattendu
:
l’Egypte frappée pour sa perte,
Israël protégé pour son salut ?
Ecoutez quelle est la puissance du mystère… »
« En effet, le salut du
Seigneur et la vérité ont été préfigurés
dans le peuple d’Israël
et les prescriptions de l’Evangile ont été
proclamées à l’avance par la loi.
Le peuple était donc comme l’esquisse d’un
plan,
et la Loi comme la lettre d’une parabole ;
mais l’Evangile est l’explication de la Loi et son
accomplissement
et l’Eglise le lieu de sa réalisation.
Le modèle était donc précieux avant la réalité
et la parabole admirable avant l’interprétation.
Autrement dit : le peuple avait son prix avant que l’Eglise
ne fût édifiée
et la Loi était admirable avant que l’Evangile ne
fût mis en lumière.
Mais lorsque l’Eglise fut
édifiée
et l’Evangile mis en avant,
la figure fut rendue vaine, ayant transmis sa puissance à
la réalité ;
et la Loi prit fin, ayant transmis sa puissance à l’Evangile.
De même que la figure est rendue vaine lorqu’elle
a transmis son image à ce qui existe vraiment et que la
parabole est rendue vaine
lorsqu’elle est éclairée par l’interprétation,
ainsi aussi la Loi fut terminée lorsque l’Evangile
fut mis en lumière,
et le peuple d’Israël perdit sa raison d’être
lorsque l’Eglise fut érigée,
et la figure fut abolie lorsque le Seigneur fut manifesté,
et aujourd’hui ce qui jadis était précieux
est devenu sans valeur après que fut manifesté ce
qui est précieux par nature.
Car jadis précieuse était l’immolation de
l’agneau
et désormais sans valeur à cause de la vie du Seigneur
;
précieuse la mort de l’agneau
et désormais sans valeur à cause du salut du Seigneur
;
précieux le sang de l’agneau
et désormais sans valeur à cause de l’Esprit
du Seigneur ;
précieux l’agneau muet
et désormais sans valeur à cause du Fils irréprochable
;
précieux le temps d’en bas
et désormais sans valeur à cause du Christ d’en
haut ;
précieuse la Jérusalem d’en bas
et désormais sans valeur à cause de la Jérusalem
d’en haut ;
précieux l’héritage étroit,
et désormais sans valeur à cause de la grâce
répandue au large.
Car ce n’est ni en un seul lieu, ni en un court lambeau
de terre que la gloire de Dieu a été établie,
mais c’est jusqu’aux confins de la terre que la grâce
a été répandue et c’est là que
le Dieu tout puissant a établi sa tente, par Jésus-Christ
à qui est la gloire dans tous les siècles. Amen
».
Voilà, ce qui, dans un
véritable esprit œcuménique, devrait être
dit au peuple hébreu, aujourd’hui en Terre Sainte.
Voilà la « lettre » qui aurait du être
mis par le Pape dans la fente des pierres du Temple de Jérusalem
détruit. Ce serait le vrai langage catholique…Ce
discours de Meliton de Sardes sera peut-être lu par le Cardinal
Kasper. Je prie pour qu’il en soit ainsi. Alors l’Eglise
retrouvera sans nul doute son zèle missionnaire…
Et Meliton de Sardes insiste,
en fin de discours, sur la réalisation des préfigurations
:
« C’est lui qui arriva
des cieux sur la terre pour celui qui souffrait,
se revêtit de celui-ci même par le sein d’une
vierge d’où il sortit homme.
Il prit sur lui les souffrances de celui qui souffrait, par le
corps capable de souffrir,
détruisit les souffrances de la chair
et tua, par son esprit qui ne peut mourir, la mort homicide.
C’est lui qui pour avoir été amené
comme un agneau
et immolé comme un agneau
nous délivra du service du monde comme de la terre d’Egypte,
nous délia des liens de l’esclavage du démon
comme de la main de Pharaon
et marqua nos âmes de son propre Esprit comme d’un
sceau
et les membres de notre corps de son propre sang.
C’est lui qui couvrit la mort de honte et qui mit le démon
dans le deuil comme Moïse Pharaon.
C’est lui qui frappa l’iniquité et qui priva
l’injustice de postérité comme Moïse
l’Egypte. C’est lui qui nous arracha de l’esclavage
pour la liberté,
des ténèbres pour la lumière,
de la mort pour la vie,
de la tyrannie pour une royauté éternelle.
Lui qui fit de nous un sacerdoce nouveau et un peuple élu,
éternel.
C’est lui qui est la Pâque de notre salut.
C’est lui qui supporte beaucoup en un grand nombre ;
c’est lui qui fut en Abel tué,
en Israël lié,
en Jacob mercenaire,
en Joseph vendu,
en Moïse exposé,
en l’agneau immolé,
en David persécuté,
dans les prophètes déshonorés.
C’est lui qui en une vierge fut incarné,
qui sur le bois fut suspendu,
qui en terre fut enseveli,
qui d’entre les morts fut ressuscité,
qui vers les hauteurs des cieux fut élevé.
C’est lui l’agneau sans voix,
c’est lui l’agneau égorgé,
c’est lui né de Marie la bonne agnelle,
c’est lui pris du troupeau et à l’immolation
traîné
et le soir tué
et de nuit enseveli
qui sur le bois ne fut pas broyé,
en terre ne fut pas corrompu,
ressuscité des morts et ressuscita l’homme du fond
du tombeau ».
Et Meliton termine son homélie
sur la Pâque, on peut facilement le comprendre, par un hymne
à la gloire du Christ, l’Agneau de Dieu, Fils de
Dieu
« Venez donc, toutes les
familles des hommes pétries avec les péchés,
et recevez la rémission des péchés.
Car c’est moi qui suis votre rémission,
moi la Pâque du salut,
moi l’agneau immolé pour vous,
moi votre rançon,
moi votre vie,
moi votre résurrection,
moi votre lumière,
moi votre salut,
moi votre roi.
C’est moi qui vous conduis vers les hauteurs des cieux ;
c’est moi qui vous ressusciterai ;
c’est moi qui vous montrerai le Père qui est dès
les siècles,
c’est moi qui vous ressusciterai par ma main droite.
Tel est celui qui fit le ciel
et la terre…
C’est lui « l’alpha et l’oméga
»,
c’est lui le commencement et la fin.. .
c’est lui le Christ ;
c’est lui le roi c’est lui Jésus ;
lui le stratège.
Lui le Seigneur ;
Lui qui ressuscita des morts,
Lui qui est assis à la droite du Père.
Il porte le Père et il est porté par le Père
; « à la lui la gloire et la puissance dans les siècles.
Amen ».
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Nul n’ignore aujourd’hui
l’existence du film de Mel Gibson : « la Passion du Christ
». Ceux qui ont voulu s’y opposer, se sont « loupés
». Ils n’avaient peut-être pas mesuré, à
sa juste valeur, la « pugnacité » de Gibson et de
son équipe. La foi est bien capable de soulever des montagnes.
De fait, son film fait, aujourd’hui,
l’objet de nombreuses conversations. Il est à la une de
tous les journaux. Les télévisons y consacrent de nombreuses
émissions. Il devient ainsi un fait de société.
Mes amis du Canada l’ont vu. Ils me l’ont écrit.
« J’au vu le film de Mel Gibson. (Comme si c’était
son unique) C’est vraiment à ne pas manquer et cela malgré
des scènes difficiles à regarder. Les scènes avec
la Très Sainte Vierge sont les plus belles. Ce film est vraiment
catholique ».
Et dans ce sens, je dois dire avoir
beaucoup apprécié l’article de Michel DE Jaeghere
dans le Figaro. Il réfute, avec une belle théologie catholique,
lui aussi, toutes les critiques soulevées contre ce film. Ni
antisémitisme. Ni scène de violence « sadique ».
Rien de tout cela. Mais un vrai film catholique, fidèle à
la Révélation, aux récits évangéliques.
Je vous conseille vivement de lire cet article.
M’est avis également que
« la Passion du Christ » sera diffusée dans sa totalité,
le 22 mars à la Mutualité, lors de la conférence
de Mgr Fellay. La présentation de la conférence le laisse
entendre. C’est trop minuté pour l’annonce d’une
simple conférence. Elle n’est qu’un prétexte.
Mel Gibson l’a donné au séminaire de Winona, aux
USA. Le directeur a loué une salle pour le présenter aux
séminaristes. Allez donc le voir.
Ce film raconte la Passion de Notre
Seigneur. Les 12 dernières heures du Christ. Ce film est historique.
Il est émouvant, nous dit-on. C’est très bien.
Mais il ne faudrait pas ne voir que
cela. Il faudrait aussi le voir avec une vue « théologale
» pour le goûter dans sa plénitude.
Pour cela, il faut se souvenir que Notre
Seigneur désira la Croix autant qu’il désira notre
salut. Il épousa totalement, absolument la volonté de
son Père. « Ma nourriture est de faire la volonté
de mon Père ». Et cette Volonté très Sainte
voulait le salut du genre humain, c’est-à-dire la rémission
du péché originel et des péchés personnels,
par le bois de la Croix. Dès lors, la piété populaire
a raison de chanter, le Vendredi Saint, son « O Crux, spes unica
». Dès lors il faut dire que, ayant reçu la plénitude
de grâce, pour le parfait accomplissement de sa mission rédemptrice,
cette même grâce causa en l’âme de Notre Seigneur
un ardent désir de la Croix. Voilà ce que je voudrais
rappeler.
Je m’inspirerais de la pensée
du Père Garrigou-Lagrange dans son livre : « l’amour
de Dieu et la Croix de Jésus » pour bien « planter
» le mystère de la Rédemption dans votre coeur.
Mais j’invoquerais, aussi et surtout, la théologie du Père
Louis Chardon, un dominicain du 16 siècle qui nous a laissé
une œuvre merveilleuse, intitulée« La Croix de Jésus
». Je vous donnerai quelques morceaux choisis de toute beauté,
dans son édition originale bien meilleure que la suivante. Il
se trouve qu’ elle est en ma possession.
1) Le Père Garrigou-Lagrange
Et tout d’abord rappelons, avec le Père Garrigou-Lagrange,
la plus belle des vérités dans le mystère de la
Rédemption : « La plénitude de grâce causa
en Notre Seigneur un ardent désir de la Croix pour l’accomplissement
parfait de sa mission rédemptrice. » Donnons-en d’abord
la justification théologique. Nous en donnerons ensuite les fondements
scripturaires.
A : La justification théologique.
« Dès l’instant de
sa création et de son union au corps formé dans le sein
virginal de Marie, la sainte âme de Jésus a reçu
une plénitude de grâce créée proportionnée
à son union personnelle au Verbe. Plus en effet on est près
de Dieu, plus on reçoit de lui lumière et vie, comme plus
on se rapproche d’un foyer lumineux, plus on est éclairé…
On ne saurait donc concevoir d’union plus intime que celle de
l’humanité du Sauveur avec la personnalité du Verbe
qui est le principe radical de toutes les opérations humaines
du Christ. En lui, c’est le Verbe de Dieu qui connaît par
l’intelligence humaine, qui veut par la volonté humaine,
qui parle, qui souffre et qui meurt pour nous…Ainsi la sainte
âme de Jésus a reçu une plénitude absolue
de grâce créée proportionnée à la
dignité du Verbe fait chair et proportionnée aussi à
la mission universelle de Sauveur de l’humanité. L’âme
du Sauveur, déjà sanctifiée par l’union personnelle
au Verbe, a dû recevoir une plénitude intensive et extensive
de grâce telle qu’elle puisse rayonner sur toute l’humanité
et vivifier toutes les générations humaines. C’est
ainsi que Jésus a été constitué tête
(Roi) de l’Eglise, et c’est pourquoi il est dit dans l’Evangile
de Saint Jean : « C’est de sa plénitude que nous
avons tous reçu ». (Jn 1 16) Or la grâce spéciale,
que reçoivent les grands serviteurs de Dieu, les incline avant
tout à l’accomplissement de leur mission ; et comme Jésus
a reçu la mission de Rédempteur universel, de Prêtre
et de Victime, la plénitude de grâce causa, dès
le premier instant, en son âme sans aucun doute un ardent désir
de la Croix. Comme le dit Saint Thomas : « Dieu le Père
livra son Fils à la passion, dès qu’il lui inspira,
en lui donnant la charité, la volonté de souffrir pour
nous ». (III 47 3) » ( p.208-211)
B : les fondements scripturaires.
Cette grande inspiration du sacrifice
de la Croix, ce n’est pas seulement la théologie qui l’affirme,
mais très au-dessus d’elle, c’est la Révélation
divine par la bouche même du Sauveur.
« Saint Paul a écrit dans
l’Epître aux Hébreux : « Le Christ dit en entrant
dans le monde : Vous n’avez voulu ni sacrifice ni oblation (du
sang des taureaux et des boucs), mais vous m’avez formé
un corps…Me voici, je viens, Ô mon Dieu, pour faire votre
volonté. » ( Hb 10 7)
Cet acte d’oblation de lui-même, NSJC l’a incessamment
renouvelé au cours de sa vie ; c’est ainsi qu’il
marchait vers le but de sa mission rédemptrice. C’est ce
même acte qu’il exprime à nouveau à Gethsémani,
en disant : « Mon Père, s’il est possible, que ce
calice s’éloigne de moi ! Cependant que votre volonté
soit faite et non la mienne » (Mt 26 39, 42) Il y a ici l’angoisse
de la Croix toute proche et le désir efficace d’être
pleinement fidèle à la mission de prêtre et de victime,
et c’est ce désir qui l’emporte pour se réaliser
dans le « consummatum est ». Cette soif ardente de notre
salut a été comme l’âme de l’apostolat
de Notre Seigneur.
Des modernistes ont prétendu
que l’idée de sacrifice de la Croix était une invention
de saint Paul et qu’elle était étrangère
à la prédication de Jésus. Mais c’est à
chaque instant qu’elle fut affirmée par lui, non seulement
sous la forme où elle nous est rapportée par Saint Jean,
mais sous les formes variées conservées dans les trois
premiers évangiles. Il suffit de lire les saints évangiles…
C’est ce qui fait dire à Saint Jean : « nous avons
connu l’amour de Dieu, en ce qu’il a donné sa vie
pour nous » (I Jn 3 16) On peut donc dire que la Croix et toutes
ses circonstances douloureuses étaient ainsi comprises dans le
décret de la Rédemption, consommation de l’œuvre
du Christ et de sa destinée de Prêtre et de Victime. La
sainte âme de Jésus, du fait qu’elle a été
personnellement unie au Verbe et constituée tête de l’Eglise,
a contracté l’obligation de satisfaire pour l’humanité.
La tête doit réparer le désordre auquel les membres
se sont livrés. La plénitude de grâce, disposant
Jésus au parfait accomplissement de sa mission, est donc en lui
comme un poids qui l’incline vers la Croix (amor meus, pondus
meum) et la lui fait ardemment désirer pour notre salut. »
( p 214-216)
2 ) La pensée de Louis Chardon
Louis Chardon a magistralement mis en lumière ce point de doctrine,
en montrant que la grâce du Christ est le principe de deux forces,
de deux poids, qui le tirent, pour ainsi parler, en sens inverse.
Il en pose d’abord l’affirmation : « Que la plénitude
de la Grâce, propre à Jésus comme chef de son corps
mystique, cause en son âme une inclination vers la croix ».
Il justifie théologiquement cette
proposition.C’est son chapitre 5 du premier entretien de son livre
: « La croix de Jésus ».
Il l’illustre merveilleusement ensuite par des commentaires évangéliques.
Nous avons plusieurs chapitres. Je donnerais aujourd’hui le chapitre
6, réservant les autres pour les semaines qui viennent. Je connais
peu d’exposée aussi beau, écrit aussi joliment.
Voyez vous-même.
A : La justification théologique.
« Que la plénitude de la Grâce, propre à Jésus
comme chef de son corps mystique, cause en son âme une inclination
vers la croix ».
« …Il est manifeste que
la plénitude de la grâce, en l’âme adorable
de Jésus-Christ produit deux effets bien contraires. En tant
qu’elle ne peut plus s’accroître et est proportionnée
à l’infinité de la personne à la quelle la
nature humaine est unie, elle rend son sujet plein de gloire, l’affranchissant
de la condition de voyageur, pour l’élever à l’état
heureux de compréhenseur (C’est la vision bienheureuse)
; mais, en tant qu’elle l’établit Chef des hommes,
elle est pour lui un principe de souffrance et de douleur. Et puisque
la grâce dispose au ministère auquel on est appelé,
il faut conclure que, dans l’âme sainte de Jésus,
elle faisait comme un poids, l’inclinant vers la fin pour laquelle
il était venu en ce monde, afin qu’ilse rendit fidèle
à l’office dont il s’était chargé :
de laver les péchés, par ses souffrances et par sa mort
sur la croix. (Hb 10 1 : « Purgationem peccatorum faciens »)
Voilà pourquoi si, d’une part, cette grâce produit
en Jésus un gloire qui s’épanche en la partie supérieure
de son âme, elle suspend, en même temps, cette gloire en
la partie inférieure. Si elle lui est principe de communication,
elle lui est source de privation ; si elle ouvre, en son sein, une source
inépuisable de consolations, elle y devient aussi, tandis qu’il
converse visiblement parmi les hommes une fontaine intarissable de toutes
sortes de désolations.. Elle est pour son âme à
la fois un sujet de ravissement et une occasion d’abaissement,
de gain et de perte, de présence et d’absence ; et si,
d’une manière, elle la détermine et l’applique
à la vision de l’Essence divine, d’une autre façon,
c’est-à-dire par son poids qui l’incline vers la
Croix, elle la contraint à une rigoureuse interdiction de cette
bienheureuse jouissance, par la séparation des rejaillissements
de la gloire. Et, pendant trente trois ans la partie inférieure
a souffert cette douloureuse privation !
O grâce d’union et de séparation, de consolation
et d’affliction ! Grâce qui tient liés, ensemble
et tout à la fois, deux excès : l’un de bonheur
et l’autre de malheur et donne le démenti à cette
maxime de la sagesse humaine : que deux contraires sont incompatibles,
en même temps, dans un même sujet !Ici, dans une même
âme, indivisible en sa substance, l’abîme des richesses
se trouve uni avec le vide de l’extrême pauvreté,
sans que l’incompatibilité de l’un détruise
son contraire ; le dénuement et la possession se rencontrent
; la joie et la tristesse, sans se mêler, sans se nuire et sans
se confondre, produisent tous leurs effets.
Il semblait autrefois à Rébecca que les deux enfants qu’elle
portait en son sein, se faiaient la guerre ; et que, venant aux mains,
ils luttaient l’un contre l’autre, avant qu’ils fussent
nés ( Gen 22 45). La grâce produit, dans le sein qui lui
est natrurel, c’est-à-dire en l’âme de Jésus,
deux combattants dans un champ clos. L’un est la gloire, selon
toute l’étendue, toute l’énergie et toute
la vertu de sa perfection : ce qui signifie la gloire en sa plénitude,
non seulement quant à la perfection du sujet qui la reçoit,
mais aussi quant à la perfection de sa propre forme. L’autre
est ce poids bers les souffrances, cette disposition qui formait en
son esprit une pente et une inclin ation à mourir. Le premier
combattant, comme le plus généreux ( aussi est-il le Fils
ainé de la grâce), s’empare de la meilleure portion
qui est la partie supérieure de l’âme ; le second
se retranche en la partie inférieure ; il s’y fortifie
avec obstinatioin et empêxhe les effets de la gloire de se déverser
sur les puissances de la vie animale et sensible. Tandis <que ceui-là
exerce son bienheureux empire, sur les facultés qu’il fait
jouir, avec autant de douceur que de nécessité, de toutes
les voulptés que mérite le Fils unique de Dieu, le dernier
commande comme un tyran dans la citadelle où il règne
et reduit l’âme sainte de Jésus à l’esclavage
le plus rigoureux et le plus déplorable qui puisse être
imaginé. Il ne peut permettre que le moindre épanchement
de gloire, que laplus lég_re communication des bienheureuses
douceurs qui sont comme une source admirable en la partie supérieure,
rafraichisse et console l’autre partie, dans les tristesses qu’il
lui fait souffrir incessamment.
Cette cruelle disposition cède, un jour, sur la montagne du Thabor,
devant une disposition remplie de bonté pour les hommes. Afin
de les faire enfants adoptifs de la gloire, l’éclat de
cette gloire devait resplendir sur le corps naturel du Fils de Dieu.
Cette inclination ne veut , pourtant, rien relâcher de sa rigueur
;et c’est au milieu des divines clartés, qui brillent dans
le mystère de la Transfiguration, qu’elle apparaît
avec plus d’obstination. Là, elle domine et se montre victorieuse
et triomphante. La langue est le fidèle interprète des
passions de l’esprit ; or, Jésus, divinement transfiguré,
ne s’entretient point avec Moïse et Elie de la spledeur de
son corps ni des bienheureuse voluptés de son âme. Il parlait
avec eux, à ce moment, de l’excès qu’il devait
accomplir en Jérusalem (Lc 9 31).. Il parlait donc, non de l’excès
de sa Béatitude, mais de l’excès de ses souffrances
; et au lieu d’abîmer sa pensée dans les torrents
des joies divines, il la laissait se plonger dans la plénitude
des plus rigoureux effets de la justice de son Père ».
B :Les fondements scripturaires.
Louis Chardon développe les fondements
scripturaires de sa thèse dans plusieurs chapitres, et immédiatement
dans le chapitre 6.
Son titre : « Que son inclination
à la Croix fait, en l’âme de Jésus, un effort
sur le poids de sa gloire » ;
« C’est avec admiration que je contemple la force et la
douceur de l’amour de Jésus pour le premier de ses Apôtres
lorsque, après avoir juré au Maître qui venait de
se donner à lui, une fidélité inébranlable,
celui-ci ne laisse point pourtant, de le renier lâchement (Mt
26 74 : Tunc coepit detestare et jurare quia non novisset hominem ».)
Voici Jésus : il est debout devant le Prince des Prêtres,
environné de ses ennemis qui l’accuse de l’impiété
la plus noire : du crime de lèse-Majesté divine et humaine,
d’affectation de la Divinité et d’usurpation de la
monarchie de la terre. On flétrit, par des soufflets ses joues
adorables ; on couvre d’horribles crachats la beauté de
son visage ; on l’accable de coups ; on le poursuit d’insultes
; on l’étourdit de cris de violence qui réclament
sa mort ; il est pressé, en un mot, d’angoisses de toutes
sortes.
Hélas ! mon Maître, quel sentiments, à cette heure,
agitent votre cœur ? Quelles pensées occupent votre esprit
? Vers quel objet se porte votre amour ? Sans doute vous méditez
les moyens de votre défense, et vous étudiez les justifications,
que vous pouvez opposer aux calomnies ourdies contre vous, par l’envie
et la rage de vos persécuteurs. Vous avez trop d’affaires
personnelles pour ne point réserver toute votre attention à
vous-même ; et l’intérêt de votre propre salut
vous dispense d’être en souci pour celui de votre Disciple.
Et purtant , bon Maître ! votre amour, passe outre à tout
cet appareil, à toutes les menaces qui vous environnent, et vous
n’avez pour ainsi dire de cœur, de vue, de vie, de présence,
que pour ce malheureux Apôtre. Vous abandonnez tout le soin que
vous devriez apporter à votre conservation, pour ne vous occuper
que de procurer son Bien. Pourtant il était coupable envers vous,
presque à l’égal de Judas ; et, comme lui, il aurait
encouru l’éternelle damnation, si vous ne l’eussiez
prévenu par un regard de miséricorde (Lc 22 61 : Conversus
Dominus respexit Petrum ».), témoin irrécusable
que votre esprit a plus de transport vers l’objet qu’il
aime que de vie dans le sujet qu’il anime.
Mais, spectacle plus merveilleux encore ! Voici Jésus au milieu
de la gloire éclatante du Thabor. Il est abîmé dans
l’Essence divine et absorbé en plénitude du bonheur
éternel, qui verse, en toute ses facultés, tant inférieures
que supérieures, comme un torrent de joies infinies. Le voici,
le Fils unique de l’Eternel ! reconnu pour tel, par une protestation
ineffable du Père céleste. Au lieu d’arrêter
sa pensée sur tant de biens, dont le reflet glorieux atteint
jusqu’à ses vêtements, on dirait qu’il l’en
éloigne. Il n’envisage que les supplices qui l’attendent
: les fouets, les épines, les clous et la mort honteuse et cruelle
de la Croix…Il fait un effort, non sur des dons et des consolations
ordinaires ; non sur des joies semblables à celles que, tous
les jours, éprouvent des âmes, rendues éminentes
dans les exercices d’un fervent amour ; mais sur des douceurs
émanées de la gloire essentielle et en rapport avec la
plénitude de sa perfection créée ! Et, à
travers tant de lumières béatifiques, au milieu de tant
d’ardeurs et de flammes suréminentes, au sein des voluptés
les plus divines, il regarde la Croix…Il soupire après
les horreurs de sa Passion…Les rassasiements de la gloire éternelle
ne peuvent étancher la soif qu’il a de souffrir…Il
oblige Moïse et Elie à l’entretenir de l’excès
qu’il doit accomplir à Jérusalem…Tout ce qui
est en lui semble devoir conspirer à la fin de son ministère,
même sa gloire essentielle, même sa personne divine, à
laquelle la nature humaine n’a été unie que pour
la fin de cette union : la réparation de l’homme.
C’est ici que je commence à concevoir les sentiments du
grand Apôtre, lorsqu’il dit que Jésus a fait choix
des tourments de la Croix, méprisant l’ignominie qui y
était attchée, bien que le joie béatifique lui
ait été offerte (Hb 12 2). Deux excès sont devant
son esprit : l’un de gloire, l’autre de confusion ; un comble
de vie bienheureuse, et un comble de mort honteuse ; une extrémité
de bonheur, et une extrémité de malheur. La condition
de vie heureuse est présente ; celle de douleur et d’opprobre
est absente. Et, néanmoins, le poids que la grâce fait
en son âme, pour le porter à payer le prix denotre rançon,
arr^te les effets du premier excès. Ce poids ne se contente point
de bannir tout motif de joie et de satisfaction de la partie où
il s’est fait comme tyran, et d’y appeler, au contraire,
tout ce qui est capable de produire des douleurs épouvantables
; il veut encore que le poids éternel de la gloire, avec la perfection
de sa toute-puissante efficacité, demeur suspendu, quant à
la production dee ses effets et de ses épanchements déiformes
sur la partie inférieure.
Lors même que, comme en passant, par un certain rejaillissement
ménagé par l’adorable Providence, cette partie inférieure
a été faite participante de la gloire, dans le mystère
de la Transfiguration, ce poids de la gloire n’a pas perdu sa
force et son action n’a pas été émoussée.
Non ; car au milieu de joies qui surpassent l’intelligence de
la créature, il obtient que le cœur, l’amour, l’esprit
et l’attention de Jésus soient moins sur le Thabor que
sur le Calvaire.
Etrange poids, qui ne peut être infléchi par les épanchements
de la gloir éternelle ! Hautaine disposition qui ne veut pas
céder à des charmes auxquels la divinité même
n’ose résister ! Farouche inclination qui refuse de se
rendre à des beautés toutes puissantes !Elle s’obstine
contre les douceurs du Paradis ; elle dédaigne les caresses du
Ciel ; et les plus larges profusions du souverain Bien ne font que la
fortifier dans son dessein de résistance, malgré les flammes
bienheureuses qui l’environnent. Elle ne veut pas se rendre, là
où il y a autant d’honneur que de nécessité
à se laisser aller.
Car, voici ce qui est surprenant : les croix sont continuelles en l’âme
de Jésus ; elles ne sont mélangées d’aucune
consolation, en la partie inférieure ; et si la gloire s’y
déverse, comme en passant, elle n’y est point sans la pensée
et les entretiens de la Croix…Si l’inclination de la grâce
dans l’âme de Jésus souffre, pour bien peu de temps,
un effort de rejaillissement de la gloire sur la partie accablée
de douleurs, elle semble imiter les plus sages généraux
d’armées qui, laissant prendre à leurs ennemis quelques
avantages, le attirent ainsi au combat et remportent sur eux des victoires
qu’ils eussent désespéré d’obtenir
autrement. Elle feint donc d’être vaincue, en faisant place,
pour quelques moments, à la véhémence des épanchements
de la gloire. Mais hélas ! O Maître divin ! Que vos consolations
sont courtes et que vos peines sont longues ! Faut-il que vos joies
trouvent leur tombeau dans leur naissance ! La brièveté
de vos bienheureuses douceurs est plutôt accompagnée que
suivie de l’accroissement de nouvelles tristesses qui ajoutées
aux anciennes, vous affligent sans pitié. Vous payez ces joies
passagères par des amertumes plus sensibles que celles que vous
avez éprouvées pendant plus de trente années. La
privation d’un bien est plus cruelle, en effet, quand on l’a
goûté, que lorsque l’on n’en a jamais joui.
Aussi devons nous confesser que, après la Transfiguration, quand
la partie inférieure eut savouré des ravissements qu’elle
n’avait point encore connus, l’ennui de vivre formait, en
l’ame de Jésus, une langueur continuelle. Auparavant, la
partie sensible était déjà comme accablée
par la privation de tant d’heureuses joies auxquelles elle avait
droit. Elle souffrait de la conscience d’en être sevrée
par suite d’un dessein de la Providence surnaturelle qui nous
para^trait sévère, si nous avions l’audace de le
juger, et si nous ne savions qu’il préparait l’exécution
du décret de la Prédestination des hommes. Combien extrêmes
ne furent donc pas les souffrances de l’âme de Jésus,
à partir du moment où elle eut fait l’expérience
de ce bonheur auquel ne saurait être comparée aucune des
autres libéralités du Souverain Bien !
Représentons-nous un homme possédé par le sentiment
d’un violent amour. Les divertissements qu’on lui ménage,
les distractions qu’on lui offre, les emplois auxquels on l’applique,
tous les objets qu’on lui présente en dehors de celui qui
s’est rendu maître de son esprit, ne servent qu’à
accroître sa peine.Vous croyez, peut être, changer le cours
de ses pensées, ramener le calme dans son âme par le charme
de la musique et par d’agréables entretiens ; lui faire
oublier son mal dans les délices de la bonne chère, ou
dans la diversion des jeux ; par l’espérance de la fortune,
ou par la promesse des dignités et du commandement ? Tant qu’il
n’aura point obtenu ce que l’ardeur de sa passion lui fait
souhaiter, il s’estimera misérable au milieu de l’abondance,
et méprisé dans les honneurs ; il se persuadera que l’autorité
le rend esclave ; il se croira faible dans la puyiussance ; il sera
affamé dans les festins ; et, quoique le bonheur lui prodigue
ses plus grandes douceurs, il affirmera, pourtant, qu’il est le
plus malheureux des hommes. Toutes les grandeurs de la terre, au lieu
de contribuer à étouffer le feu de son amour, serviront
plutôt à l’attsier. Il estera désespéré
de ne pouvoir atteindre ce qu’il désire.
Bien qu’il ne convienne pas beaucoup d’employer une telle
comparaison dans un sujet si saint ; n’est-ce pas le tableau que
nous présente l’inclination produite par la grâce
en l’âme azdorable de Jésus ? L’amour qu’il
avait pour la croix, pendant qu’il a vécu parmi nous, mortel
sur la terre, avait pleinement possédé son cœur et
dominé son esprit. Il estimait d’autres richesses, d’autre
gloire et d’auttres grandeurs que celles qu’il désirait
puiser dans le sein de la Croix. Il y tourne toutes ses affections.
Les torrents même que la gloire éternelle verse dans son
âme sainte, dont elle enveloppe ses puissances, n’emporteront
point cette inclination. L’amour béatifique ne gagnera
rien sur l’amour de la croix. Jésus vérifiera ainsi
ces paroles du Cantique : « les courants impétueux des
délices de Dieu n’ont pu éteindre les ardeurs des
feux de sa charité, et les fleuves des eaux vives de la gloire
n’on tpu dominer l’ardente inclination qu’il avait
pour la souffrance » (Cant 8 1). Dès lors, il es facile
de le conjecturer, ce poids n’a jamais pu être diminué
par aucun autre motif de joie : soit intérieure soit extérioeure
; soit naturelle soit surnaturelle ; soit humain, soit angélique
soit divin ; comme nous le verrons de plus en plus au cours de cet entretien.
Il ne faut donc point être étonné si, en toute circonstance
: dans les honneurs ; au milieu des acclamations, provoquées
par la reconnaissance ; dans le diversité des lieux, du temps,
des occupations ; au sein des assemblées de tout genre, qui on
formé comme le milieu de sa vie merveilleuse sur la terre, on
remarque, partout et toujours, les effets de la force de cette disposition
en son âme et l’empiure qu’elle exerçait sur
ses puissances.
Saint Luc nous fournit la conclusion de ce chapitre, lorsqu’il
raconte, touchant ceci, une singularité toout à fait digne
de remarque. Jésus était assiégé par une
grande multitude ; par un tel concours de personnes de tout âge
et de toute condition, qu’elles se foulaient aux pieds les uns
les autres (Lc 12 1). Il apralit longuement à tout ce peuple
; il lui faisait entendre des vrités de la plus haute importance.
Tou à coup, interrompant le cours de ses pensées, il s’écrie
qu’il doit être baptisé du baptême de son sang
; mais que , hélas ! son heure n’est pas encore venue,
et qu’il souffre violemment du délai imposé à
son martyre (Lc 12 50) C’était comme un retour qu’il
faisait sur lui-même, après avoir dit qu’il était
venu apporter le feu divin sur la terre, et qu’il souhaitait que
les cœurs en fussent embrasés.Puis il revient à la
suite de l’entretien qu’il ;avait commencé. Le passage
de ce discours mérite d’être lu dans l’Evangile.
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