ITEM
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Un regard sur l’actualité politique et
religieuse
Au 11 janvier
2006
N°74
Benoît XVI s’est adressé, le 22 décembre 2006, aux membres de
Après avoir fait une belle méditation sur les années de souffrance que
supporta saintement Jean Paul II, après avoir fait une jolie allusion aux JMJ
de Cologne ainsi qu’au récent synode des Evêques, consacré à
C’est là, en vérité, une question
capitale…peut-être même « la » question capitale pour le monde
catholique et sa paix…
M’est avis que ce texte fera date dans l’histoire de l’Eglise.
Il faut le lire, le bien lire…Vous le trouverez dans LNDC
n° 35.
L’importance de ce texte n’a échappé à personne.
Beaucoup en ont fait une analyse dans la presse. J’ai lu et apprécié
l’analyse de Denis Sureau dans L’Homme
Nouveau du samedi 7 janvier, sous le titre : « Le Concile et son
esprit ». Son analyse est plutôt une
analyse « littérale». Je le propose à
votre lecture avec l’aimable autorisation de la rédaction. (Voir C)
Mais je retiendrai surtout l’analyse de Jean Madiran, dans Présent. Il nous a donné trois textes dans les numéros du
jeudi, vendredi, samedi, de la semaine dernière, les 5, 6 et 7 janvier 2006. Il faut les lire.
Ils sont très éclairants. Ils ne concernent que la première idée exposée par le
pape, son analyse sur « l’esprit du Concile » ou la première
interprétation que certains ont voulu imposer à l’Eglise, interprétation que le
pape appelle : « une
herméneutique de la discontinuité et de la rupture ».
A-Une remarque
Avant de vous donner à lire ces articles, je ferai remarquer ceci :
C’est, me semble-t-il, « cet esprit du Concile » - qui se trouve
bien évidemment aussi exprimé dans
les textes du Concile - que Mgr Lefebvre a surtout critiqué et qu’il a en
vue dans sa fameuse déclaration
du 21 novembre 1974 : « Oui à l’Eglise éternelle, non
à l’Eglise moderniste » et à ses réformes en rupture de ban avec
On est content de voir aujourd’hui le pape s’exprimer sur ce sujet.
Comme le pape, Mgr Lefebvre craignait que cet « esprit »
finisse par entraîner tout l’Eglise vers la rupture d’avec sa Tradition.
Le pape le dit lui-même aujourd’hui : « L'herméneutique de la discontinuité risque de finir par une
rupture entre Eglise préconciliaire et Eglise post-conciliaire ». Les
textes « conciliaires » ne seraient, dit-il, que des « compromis » acceptés de guerre lasse et à contre cœur, par les
« progressistes » en raison de la pugnacité des opposants…Aussi ne
faudrait-il pas craindre d’aller maintenant de l’avant, de dépasser même les
textes par fidélité à l’ « esprit » du Concile…
Le pape s’oppose fortement à cette tendance qui a fait tant de mal…Dans
cet esprit, le Concile aurait été comme « une assemblée
constituante » qui, éventuellement, se dresserait contre la vraie « constitution »
de l’Eglise voulue par son fondateur, Notre Seigneur Jésus-Christ. Le pape dénonce fortement cela, comme il
dénonça, dans son livre : « Les principes de la théologie
catholique », en 1982, dans son dernier chapitre, le document
« Gaudium et spes », l’ultime document du Concile, le fameux schéma
13, qu’il présente comme « un contre syllabus ». Sur ce sujet, Denis
Sureau a fait, dans L’Homme nouveau, une
jolie analyse qu’il est bon de relire à l’occasion de ces considérations
de Benoît XVI sur le Concile. (Voir document E)
B- Le texte du pape du
22 décembre 2005
Voici le passage où le pape fustige « l’esprit du Concile ». Il
en donne les raisons. Ce passage est fondamental.
Il faut le retenir.
« L'herméneutique de la discontinuité risque de finir
par une rupture entre Eglise préconciliaire et Eglise post-conciliaire. Celle-ci affirme que les textes
du Concile comme tels ne seraient pas encore la véritable expression de
l'esprit du Concile. Ils seraient le résultat de compromis dans lesquels, pour
atteindre l'unanimité, on a dû encore emporter avec soi et reconfirmer beaucoup
de vieilles choses désormais inutiles. Ce n'est cependant pas dans ces
compromis que se révélerait le véritable esprit du Concile, mais en revanche
dans les élans vers la nouveauté qui apparaissent derrière les textes: seuls
ceux-ci représenteraient le véritable esprit du Concile, et c'est à partir de
ces textes et conformément à ces textes qu'il faudrait aller de l'avant.
Précisément parce que les textes ne refléteraient que de manière imparfaite le
véritable esprit du Concile et sa nouveauté, il serait nécessaire d'aller
courageusement au-delà des textes, en laissant place à la nouveauté dans
laquelle s'exprimerait l'intention la plus profonde, bien qu'encore
indistincte, du Concile. En un mot: il faudrait non pas suivre les textes du
Concile, mais son esprit.
Il reste ainsi évidemment une
grande marge pour se demander comment on définit alors cet esprit et en
conséquence, on laisse la place à n’importe quelle fantaisie. Mais de
cette façon on interprète mal, à la racine, la nature d'un Concile en tant que tel.
Il est ainsi considéré comme une sorte de Constituante, qui élimine une
vieille constitution et en crée une nouvelle. Mais
C-Le commentaire de
denis Sureau de l’Homme Nouveau.
Le Concile et son esprit
Denis
Sureau
« Benoît
XVI est décidément un pape surprenant. C’est en recevant le 22 décembre
L’axe prioritaire du Pape
Plus
encore, le Pape avait étonné son monde par la sobriété de ses propos le 8
décembre, jour anniversaire de la clôture de Vatican II. Alors que les
vaticanistes s’attendaient à un éloge appuyé du Concile, Benoît XVI avait donné
la priorité à Marie, Mère de l’Église, et plus encore à une profonde méditation
sur le péché originel, présenté comme procédant d’une volonté d’autonomie de
l’homme dressé contre Dieu : « Plus que l’amour il mise sur le pouvoir, avec
lequel il veut prendre en main de manière autonome sa propre vie ». Là où
d’autres exaltent de façon équivoque l’autonomie des réalités terrestres,
Benoît XVI rappelle que l’homme n’est libre que lorsqu’il vit selon la volonté
et la vérité de Dieu. L’optimisme des années soixante que le théologien
Ratzinger repérait jadis en arrière-plan de certains développements de Gaudium
et spes, est décidément bien dépassé.
Il
fallut cependant attendre la cérémonie des vœux de Noël pour connaître plus
précisément l’analyse du successeur de Pierre. C’est ce moment qu’il a choisi,
devant les princes de l’Église, pour revenir sur Vatican II. Non pour une
commémoration lyrique de l’évènement conciliaire mais pour réaffirmer l’axe
prioritaire de son pontificat, énoncé au lendemain de son élection : « La mise
en œuvre du concile Vatican II en continuité fidèle avec la tradition
bimillénaire de l’Église. » Ce 22 décembre, il a développé ce qu’il considère
comme « une juste interprétation » de Vatican II contre les mythes dévastateurs
de « l’esprit du Concile » et de « l’ouverture au monde ». Il est désormais
clair que le Saint-Père va s’attacher, avec son intelligence théologique et
spirituelle lumineuse, à corriger les ambiguïtés contenues dans et autour du
Concile.
Comme
l’écrit notre confrère Jean-Marie Guénois, « Benoît XVI a voulu remettre des
pendules à l’heure à propos du concile Vatican II. Ses propos vont faire
grincer plus d’un rouage dans l’Église » (
Une juste interprétation
Qu’a
dit Benoît XVI le 22 décembre ? Tout part d’un constat réaliste : « Personne ne
peut nier que, dans de vastes parties de l’Église, la réception du Concile
s’est déroulée de manière plutôt difficile. » Il s’interroge : « Qu’est ce qui,
dans la réception du Concile, a été bon, insuffisant ou erroné ? » Et il répond
en décrivant le conflit entre deux « herméneutiques », c’est-à-dire deux
interprétations, deux clés de lecture et d’application. L’une est source de
confusion et l’autre, plus discrètement, a porté des fruits. La première est
celle de la « discontinuité et de la rupture » : elle considère que le Concile
est une (heureuse) rupture dans la marche de l’Église. Elle a la sympathie des
médias et d’une partie des théologiens. L’autre est celle de la « réforme »
conçue comme « renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Église que le
Seigneur nous a donné ».
«
L’herméneutique de la discontinuité risque de conduire à une rupture entre
l’Église préconcilaire et l’Église postconciliaire. » Pour ses défenseurs, il
convient de s’attacher moins aux textes conciliaires (timorés selon certains,
car résultant de compromis) qu’à l’élan de nouveauté qui les sous-tend : le
fameux « esprit du Concile » : « parce que les textes ne refléteraient que de
manière imparfaite le véritable esprit du Concile et sa nouveauté, il serait
nécessaire d’aller courageusement au-delà des textes, en laissant place à la
nouveauté dans laquelle s’exprimerait l’intention la plus profonde, bien
qu’encore indistincte, du Concile. En un mot : il faudrait non pas suivre les
textes du Concile, mais son esprit. Il reste ainsi évidemment une grande marge
pour se demander comment on définit alors cet esprit et en conséquence, on
laisse la place à n’importe quelle fantaisie. »
À
cela s’oppose « l’herméneutique de la réforme » telle que l’a présentée Jean
XXIII lorsqu’il précisait que le Concile « entend transmettre la doctrine pure
et intégrale, sans atténuations ni déformations », ajoutant qu’il est «
nécessaire que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être fidèlement
respectée, soit approfondie et présentée selon les exigences contemporaines ».
Ce programme, observe le Saint-Père, « était très exigeant, comme l’est la
synthèse de fidélité et de dynamique ». Le Saint-Père souligne alors que «
partout cette interprétation a guidé la réception du Concile, une nouvelle
croissance et la maturation de nouveaux fruits. » Mais – et ce propos fera
hurler les imprudents novateurs d’hier – la bonne semence « se développe
lentement ». Ce qui est une autre façon d’affirmer que ce qui a immédiatement
suivi le Concile n’était pas nécessairement son fruit attendu.
Le
grand enjeu de Vatican II a été de déterminer une nouvelle forme de rapport
entre l’Église et la modernité. Dès les débuts du monde moderne, avec le procès
de Galilée, les difficultés n’ont pas manqué. Le Pape évoque ainsi
En vue du renouveau
Benoît
XVI identifie « trois cercles de questions qui attendaient aujourd’hui une
réponse » : définir sous des modes nouveaux le rapport entre la foi et la
science, l’Église et l’État moderne (problème lié à la liberté religieuse),
mais aussi entre l’Église et la foi d’Israël. Par rapport à tous ces domaines,
l’important est de maintenir la continuité des principes permanents tout en
appliquant de façon différenciée aux circonstances historiques, aux situations
concrètes. « Et c’est justement l’ensemble discontinuité/continuité à divers
niveaux qui est la nature même de la réforme authentique ». Et d’illustrer son
propos au sujet de la liberté religieuse. Il ne faut pas la comprendre comme «
l’expression de l’incapacité de l’homme à trouver la vérité » et par conséquent
comme la « canonisation du relativisme » mais plutôt comme la reconnaissance de
la capacité pour l’homme de connaître la vérité de Dieu, vérité qui ne peut
être imposée de l’extérieur. Dans cette perspective, « en reconnaissant et
faisant sien par le décret sur la liberté religieuse un principe essentiel de
la société moderne, l’Église se réappropriait son héritage le plus ancien ».
Ainsi l’Église des martyrs « priait naturellement, et par devoir, pour les
empereurs et les détenteurs de pouvoir… mais elle refusait de les adorer,
s’opposant ainsi clairement à la religion de l’État ». Et Benoît XVI d’ajouter
: « Une Église missionnaire qui sait qu’elle doit annoncer son message à tous
les peuples, doit s’engager en vue de la liberté de la foi. »
Toutefois,
le Pape, en bon augustinien qui sait la puissance du mal, ne rêve pas d’une
réconciliation de l’Église et du monde. Avant comme après le Concile, l’Église
une, sainte, catholique et apostolique poursuit « son pèlerinage à travers les
persécutions du monde et les consolations de Dieu ». Vatican II n’a pas
supprimé les tensions. Il est temps d’en finir avec le mythe inconsistant et
fourre-tout de l’ouverture au monde censée donner naissance à une ère de paix.
« Ceux qui pensaient que ‘l’ouverture au monde’ ainsi réalisée aurait tout
transformé en pure harmonie, avaient sous-évalué les tensions internes comme
les contradictions mêmes de la modernité ». L’Église demeure un signe de
contradiction. « Il ne pouvait pas être dans l’intention du Concile d’abolir
cette contradiction de l’Évangile face aux dangers et aux erreurs de l’homme.
Par contre, il était de sa volonté d’écarter les positions erronées ou
superflues dans la présentation au monde de l’exigence évangélique dans toute
sa grandeur et pureté. Le pas accompli par le Concile vers le monde moderne,
qui a été présenté de façon assez imprécise comme une ‘ouverture au monde’,
relève en définitive du problème constant du rapport entre foi et raison, qui
se présente toujours sous de nouvelles formes. »
Le
Pape concluait son discours du 22 décembre : « Ainsi pouvons-nous aujourd’hui
regarder Vatican II avec gratitude. Et si nous le lisons et le recevons guidés
par une juste herméneutique, il pourra être et devenir toujours plus une grande
force pour le nécessaire renouveau de l’Église ».
D-Les Commentaires de
Jean Madiran.
1-Premier texte
« Benoît XVI libère
Il récuse le
soi-disant « esprit du Concile »
cause depuis 40 ans
des censures et interdits
Le très ample discours
de Benoît XVI à
_ Benoît XVI est parfaitement explicite dans sa
désignation de ce qu’il
met en cause, discute, récuse :
c’est l’esprit qui, sous le nom d’«
esprit du Concile », a dominé la
vie de l’Eglise depuis quarante ans, et qui a multiplié interdits et censures à l’encontre des
expressions légitimes de la foi bimillénaire de l’Eglise.
_ Ce soi-disant « esprit du Concile » imposait
une « discontinuité », et
finalement une rupture entre une
« Eglise préconciliaire » et une « Eglise post-conciliaire ». En France peut-être davantage qu’ailleurs, nous avons subi cette rupture. Nous l’avons vécue. Nous y avons été réfractaires. Brusquement,
tout ce qui était antérieur au Concile était disqualifié et interdit dans les
diocèses : par exemple, tous les catéchismes. Interdits et jamais remplacés. La
suppression du petit catéchisme catholique a été radicale. La messe traditionnelle
fut également interdite. Interdites aussi, la version et l’interprétation
traditionnelles de l’Ecriture sainte. Un tel esprit a « engendré la
confusion », déclare Benoît
XVI, et la contestation qu’il en fait porte « à la racine ». Le prétendu
esprit du Concile a considéré Vatican II comme une sorte d’assemblée
constituante démocratique qui « élimine une vieille constitution [de
l’Eglise] et en crée une nouvelle ». Impossible d’admettre cela,
dit Benoît XVI : « Les Pères [du Concile] n’avaient pas un tel mandat
et personne ne le leur avait
donné. » Il dit aussi pourquoi : « Personne, du reste, ne pouvait le
donner, car la constitution essentielle de l’Eglise vient du Seigneur. »
Le soi-disant esprit du Concile, esprit de
rupture avec ce qui est antérieur à Vatican II, « a pu compter, observe
Benoît XVI, sur la sympathie des mass media et également d’une
partie de la théologie moderne ». C’est une litote : mais elle
suffit pour évoquer la prépotence administrative et médiatique que nous a fait
subir pendant quarante années un parti politico- religieux implanté à
l’intérieur de l’Eglise.
_ Vatican II, pour l’« esprit du Concile », a
été « le » concile, l’unique,
qui disqualifiait jusqu’aux conciles antérieurs.
Un exemple entre mille, et que je ne vais pas chercher dans un Témoignage chrétien ou chez un Mgr Gaillot. C’est l’exemple du
dominicain Jérôme Hamer,
archevêque (titulaire) et
surtout « secrétaire de
Douze ans après la clôture
de Vatican II, il le faisait dans
Eh bien, « pour être sûr
», disait- il, d’exposer exactement la pensée de l’Eglise » sur
l’eucharistie, il se référait uniquement à Vatican II, comme si n’avait jamais existé
le concile de Trente, justement le concile qui, sur l’eucharistie, a défini des
dogmes infaillibles.
Tel était à tous les
niveaux l’« esprit du Concile » que Benoît XVI vient de récuser.
_ Ce qui va changer dans notre attitude, c’est
que nous ne serons plus
dans une situation insurrectionnelle
: l’insurrection annoncée en 1966 (cf. Histoire du catéchisme,
p. 59) et devenue permanente depuis 1967 était légitime contre la domination
d’un « esprit du concile » aujourd’hui détrôné. Elle apparaissait illicite.
C’est maintenant l’«
esprit du concile » qui est frappé d’illicéité.
Dans cette situation nouvelle nous ne trouvons pas un triomphe
(que d’ailleurs nous ne recherchons pas pour nos personnes), nous trouvons une
liberté enfin reconnue. Et l’usage que désormais nous pouvons en faire va commencer.
JEAN
MADIRAN
2- Deuxième texte.
« Benoît XVI libère
Un exemple troublant :
le latin liturgique
Dans sa description
critique du soi-disant et funeste « esprit du Concile », Benoît XVI, parmi
d’autres traits caractéristiques, indique les « élans vers la nouveauté »,
pour toujours « aller de l’avant », et ainsi « on ouvre la
porte à toutes les fantaisies ». On peut en trouver une illustration particulièrement
manifeste dans ce que j’avais appelé à l’époque l’exemple du latin.
L’article 36 de la
constitution conciliaire sur la liturgie ordonnait : « L’usage de la
langue latine devra être conservé dans les rites latins.» Toutefois
il concédait : « On pourra faire une plus large place à la
langue du pays. »
Le prétendu « esprit du
Concile » que stigmatise Benoît XVI inversa immédiatement le « devra » et le « pourra », l’obligation et la concession.
C’est la langue du pays qui fut tenue pour désormais obligatoire, au nom du
Concile. Le latin devenait simplement concédé, et encore, à peine, presque
jamais. Le 12 novembre 1969, avec une brutalité sans précédent en matière liturgique,
une ordonnance de l’assemblée plénière de l’épiscopat français imposait de célébrer
la nouvelle messe uniquement en traduction française à partir du 1er janvier
Mais ce n’est pas tout.
Le pape Paul VI, dès son
allocution du 7 mars 1965, c’est-à-dire quatre ans avant la nouvelle messe, avait
déclaré : « C’est un sacrifice que
l’Eglise accomplit en renonçant au latin. »
Plus tard, le 26 novembre
1969, saluant l’apparition de la messe nouvelle, Paul VI précisait : « Ce n’est plus le latin, mais la langue
courante, qui sera la langue principale de la messe. » Pour le décider en
un sens aussi directement contraire à la constitution conciliaire, Paul VI ne
faisait rien d’autre qu’utiliser un pouvoir qui à coup sûr était le sien : d’un
concile qui avait nettement déclaré ne rien vouloir fixer qui soit infaillible
ou irréformable, le Pape a évidemment le droit de contredire, d’annuler ou de
corriger les dispositions. Seul l’« esprit du Concile » aurait pu mal supporter
un tel exercice du pouvoir pontifical. On arrangea donc les choses en
présentant la suppression radicale du latin liturgique comme « voulue par le
Concile ». C’est semblablement « au nom du Concile » que l’« esprit du Concile
» fit disparaître du langage ecclésiastique et catéchétique non seulement les
termes, mais aussi les notions de transsubstantiation, de consubstantialité, de
saint sacrifice de la messe. On conserva les termes de « nature » et de «
personne », mais en déclarant que la notion devait en être profondément modifiée,
comme celle du salut apporté par Jésus-Christ. Les affirmations officielles les
plus
scandaleuses de l’épiscopat
français, avancées tout au long des quarante dernières années sous l’invocation
de l’« esprit du Concile », et jamais rétractées, manifestent bien qu’il
s’agissait d’une nouvelle religion (ou, plus exactement, d’une nouvelle
sous-religion).
Citons :
« La mutation de civilisation que nous vivons entraîne des changements dans
la conception même du salut apporté par Jésus-Christ. »
« L’acception des mots nature et personne est
aujourd’hui différente de ce qu’elle était au Ve siècle ou dans le thomisme. »
« A la messe, il s’agit simplement de faire mémoire de
l’unique sacrifice déjà accompli. »
« Le droit naturel est l’expression de la conscience
collective de l’humanité. »
Suffoquée sous le déluge
officiel de propositions semblables, la foi de l’Eglise, sa foi bimillénaire,
fondée sur l’immutabilité du Credo, du Notre Père, du Décalogue, se sentait
interdite d’expression par l’« esprit du Concile ».
Benoît XVI a visé juste.
JEAN
MADIRAN
3- Troisième article
« Benoît XVI libère
Aspects essentiels et
effets collatéraux
_ C’est
donc bien tout un « courant de pensée » qu’a récusé Benoît XVI par la bombe
à retardement insérée dans
son grand discours à
que ce courant s’est
lui-même donné : celui de « l’esprit du Concile », nom en
principe prestigieux, mais en l’occurrence abusif et trompeur, sous lequel pendant
quarante ans se sont imposés des comportements, des illusions, une idéologie en
discontinuité et même en rupture ouverte avec la foi
bimillénaire de l’Eglise.
_ L’«
esprit du Concile », ce ne fut pas seulement un courant de pensée. Ce nom a été
le drapeau idéologique d’un parti politico- religieux installé in sinu gremioque
Ecclesiae, au sein même de l’Eglise. Fortement charpenté, au point qu’il
fallut lui faire d’énormes concessions au détriment de la tradition catholique,
et qu’apparemment on ne peut éviter de lui en faire encore aujourd’hui
quelques-
unes, mais de moins en moins,
et c’est la bonne nouvelle du nouveau
pontificat.
_ Ces
concessions dramatiques, nous ne les avons pas rêvées.
Nous en avons été
officiellement avertis. Elles ont été publiquement
reconnues. Dès le mois de juillet 1969 le cardinal Gut,
alors préfet de la congrégation romaine du culte divin,
le révélait :
« Ils se sont imposés.
Ces initiatives prises sans autorisation, on ne pouvait plus, bien souvent, les
arrêter, car cela s’était répandu trop loin. Dans sa grande bonté et sagesse,
le Saint-Père [Paul VI] a alors cédé, souvent contre son gré. »
Souvent ! Bien souvent !
Cette déclaration du cardinal Gut n’a jamais été démentie ou rectifiée, Paul VI
ne s’opposait pas à ce que l’on dise qu’en matière de réforme liturgique il a
souvent dû céder contre son gré. On peut retrouver cette déclaration du
cardinal Gut à sa place dans la collection de
Pour que le Pape ait dû
souvent céder contre son gré, il fallait que le « courant » de pensée soit
puissamment organisé…
_ La
disqualification de l’« esprit du Concile » par Benoît XVI ne résout aucune question,
ne tranche aucun débat, ne règle
aucune situation ? – Mais elle lève un obstacle qui était mortellement pesant,
l’obstacle de la censure, de l’interdit rejetant tout ce qui était
anté-conciliaire et imposant ainsi l’obligation de « repartir de zéro » et d’«
aller de l’avant » sur la seule base de Vatican II. Quand le curé de la
paroisse avait dit, à la messe du dimanche (ou plutôt du samedi soir) :
— L’esprit du Concile
fait enfin sortir l’Eglise de l’obscurantisme dans lequel elle s’enfermait jusqu’à
Vatican II…
… la plupart des fidèles n’avaient
plus qu’à baisser tristement la tête, « souvent contre leur gré »…
_ En
ouvrant le concile Vatican II, le pape Jean XXIII déclarait,
Benoît XVI l’a rappelé le
22 décembre, qu’il s’agissait de «
transmettre la doctrine de façon pure et intègre, sans atténuation ni
déformation », et « présentée d’une façon qui corresponde aux
exigences de notre temps ». Ainsi est authentifiée la version vraie,
à l’encontre de la version que le secrétaire
d’Etat Jean Villot avait autoritairement
fait prévaloir, et qui disait : « étudiée et exposée suivant les méthodes de
recherche et la présentation dont use la pensée moderne », ce
qui est bien différent, et cette différence marque dans son principe ce qui
oppose la « foi bimillénaire de l’Eglise » à l’« esprit
du Concile ».
Le commentateur de
Eh
bien, pas nous.
JEAN MADIRAN
E- Oublier « Gaudium et Spes ».
Par
Denis SUREAU
« Promulguée
le 7 décembre 1965, la constitution « pastorale » Gaudium et spes sur l’Église
dans le monde de ce temps n’a pas l’autorité des constitutions dogmatiques
Lumen gentium sur l’Église et Dei Verbum sur la révélation divine. C’est
pourtant le texte qui, pour beaucoup, est le plus représentatif du fameux «
esprit du Concile ». Il était notre « terre promise », disait Yves Congar. De
fait, le dernier document conciliaire illustre l’espérance d’une réconciliation
de l’Église avec le monde moderne. Mais sa lecture sécularisante a eu des
conséquences dévastatrices à travers les « stratégies pastorales »
post-conciliaires. La question est de savoir si ces dérives n’étaient pas dues
au texte lui-même.
Un document critiqué
L’élaboration
de ce document fut difficile, pareille à un feuilleton qui dura trois ans,
ponctué de multiples rebondissements. Sa réception ne le fut pas moins. En
dehors des critiques traditionalistes, la première personnalité ayant osé
souligner ses « maintes insuffisances » fut Joseph Ratzinger dans son livre Les
Principes de la théologie catholique, paru en 1982 (1). L’Église devait
collaborer avec le monde. Or, notait-il, le concept de « monde » proposé dans
Gaudium et spes est resté « à un stade pré-théologique » par son imprécision
même. Ce document respire « un optimisme étonnant », typique de l’euphorie des
années soixante : « L’attitude de réserve critique à l’égard des forces
déterminantes du monde moderne devait être effacée par une insertion résolue
dans leur mouvement. » Si bien que « le texte joue le rôle d’un contre-syllabus
dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation
officielle de l’Église avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789. »
Cependant,
constatait le futur Benoît XVI, au temps de l’euphorie a rapidement succédé
celui de la désillusion et de la crise. Le monde moderne a bientôt révélé sa
férocité. Avec mai 68, « de l’acquiescement naïf au monde on en arrivait à un
défi radical, non seulement aux temps modernes, mais de manière générale à tout
ce qui était établi. » Si bien qu’au début des années 80, Joseph Ratzinger
proposait une relecture de Gaudium et spes à la lumière des textes dogmatiques,
centraux, majeurs, de Vatican II – au lieu de l’inverse. « Ce n’est pas
Le
grand théologien Hans Urs von Balthasar fut également perplexe. L’exaltation
prométhéenne de « la maîtrise technique sur la nature, la société et l’individu
» évacue les problèmes qu’elle pose. « Sans doute, la course aux armements est
stigmatisée comme il se doit (81), mais les effets destructeurs des mass media
sont-ils mis à nu ? »
Une problématique explosive
Le
progrès terrestre conduit-il nécessairement au Royaume : « une fois réalisé le
bien-être de tous, les hommes seront-ils pour autant enclins à considérer les
bienfaits de la culture comme ‘des dons de la main de Dieu’ (37, 4) ? » Plus
encore, « quand il est question de la grande solidarité des nations, le Christ
intervient comme un deus ex machina (26, 4 ; 30, 2 ; 32, 5). On dit simplement
que, par l’influence des chrétiens, le monde doit devenir la ‘matière du règne
céleste’ (38, 1) ». Bref, « on se demandera si des affirmations aussi peu
nuancées ne passent pas trop rapidement à côté de toute la problématique
développée dans les textes eschatologiques de l’Écriture. Le dernier mot sur le
destin du monde et de tous les actes accomplis par les hommes ne reste-t-il pas
celui de saint Paul, selon lequel tout ce qui a été édifié doit passer par le
feu du jugement, qui éprouvera ce qui a été bâti sur le fondement Jésus-Christ
et ce qui ne l’a pas été (1 Co 3,11-15) ? » (2).
La
critique ratzingérienne et balthasarienne de Gaudium et spes a été développée
par l’école montante des théologiens anglo-saxons, représentée notamment par
l’édition américaine de la revue Communio cofondée par Joseph Ratzinger et Hans
Urs von Balthasar. Deux maîtres à penser chers à Tracey Rowland, une
théologienne australienne de 42 ans, doyen de l’Institut Jean-Paul II de
Melbourne, membre du comité éditorial de Communio. Elle est l’auteur de Culture
and the Thomist Tradition (3), un livre détonant qui commence par une critique
serrée du traitement de la culture dans Gaudium et spes. Tracey Rowland déplore
l’absence de tout examen théologique (voire même simplement philosophique) de
ce qu’est la « modernité », la « culture moderne », « l’homme moderne » ou le «
le monde moderne ». Comment dès lors percevoir comment la culture moderne peut
affecter la formation spirituelle et intellectuelle des personnes et donc la
possibilité d’une évangélisation ?
Tous
les commentateurs reconnaissent que Gaudium et spes fut un document de
compromis entre des écoles théologiques opposées. Or cette tension subsiste à
l’intérieur de la synthèse finale, ce qui explique la diversité des
interprétations. La forme même du document est inédite. Sa structure est une
innovation ne correspondant pas à ce qu’est une constitution conciliaire. Les
concepts utilisés ne sont pas définis : une « inconsistance terminologique »
déplorée par le cardinal Francis George, et aggravée par les traductions :
huius temporis (de ce temps) est devenu en anglais modern world, alors que la
notion de monde moderne n’est pas synonyme de monde contemporain. Le « monde
moderne » pouvait en 1964 être représenté par les Beatles, l’apparition de la
pilule, la conquête de l’espace,
Plus
encore, Gaudium et spes se présente comme un mélange d’observations
sociologiques et de propositions théologiques, de considérations pastorales et
de dogmes : un mode d’expression délibérément choisi dans une visée d’ouverture
aux non-catholiques.
Tous
ces éléments combinés, explique Tracey Rowland, aboutissent à une «
problématique explosive ». Ainsi, la définition de la culture donnée par
Gaudium et spes (53) est très large mais superficielle, « sans lien explicite
avec la relation grâce-nature qu’on pourrait espérer dans un document
théologique ». Les développements qui la suivent ne montrent pas la spécificité
de l’approche chrétienne de la culture comme participation au beau, au vrai et
au bien. Joseph Ratzinger, commentant ces passages, avait décelé une «
terminologie totalement pélagienne », oublieuse du rôle de la grâce dans la
formation des personnes.
On
lit dans Gaudium et spes : « L’homme moderne est en marche vers un
développement plus complet de sa personnalité » (41). Le terme d’homme moderne
n’étant pas expliqué, on peut en déduire que la modernité est un facteur
d’épanouissement de la personnalité. Or puisque, dans une vision chrétienne,
c’est la grâce qui est l’élément déterminant du développement de la personne,
on peut s’interroger en quoi un « homme moderne » est davantage réceptif à la
grâce qu’un homme « pré-moderne ». Mais ce paragraphe de Gaudium et spes ne dit
rien de la grâce sous cet angle. Ce discours ne diffère guère de la tradition
libérale-humaniste avec son idéal d’autoperfectionnement acquis par l’éducation
et l’exercice de la volonté de puissance.
Un optimisme naïf
L’affirmation
de l’« autonomie légitime de la culture » (59) est au centre de la constitution
pastorale et sous-jacente à certains passages d’autres documents conciliaires.
Marquée par les thèses de Jacques Maritain sur l’« autonomie de l’ordre
temporel » (cf. Humanisme intégral), elle est un élément-clé d’un nouveau
rapport de l’Église au monde, où le caractère séculier de ce dernier est
pleinement légitimé. L’Église ne devrait plus penser que la foi fournit des
réponses aux questions culturelles, politiques, sociales, économiques. Lors du
Concile, le cardinal Lercaro en tirait une conséquence radicale : « l’Église
devrait se reconnaître intellectuellement pauvre », et donc abandonner son
patrimoine : sa philosophie, ses institutions scolaires et universitaires, ses
méthodes de recherche universitaires, etc. Comme si l’Église n’était pas aussi
mère et gardienne de la culture.
Le
thème de l’« autonomie des réalités terrestres » a ainsi été utilisé pour
légitimer la sécularisation, la séparation du temporel et du spirituel – et
notamment du politique et du religieux. Pourtant ce n’est pas parce que « les
choses créées et les sociétés elles-mêmes ont leurs lois et leurs valeurs
propres » (36) que le processus de sécularisation respecte ces lois et valeurs.
Au contraire, tout l’ordre créé a pour finalité d’être « informé » de
l’intérieur par l’Église afin de tout récapituler dans le Christ en offrande au
Créateur. Cette perspective christocentrique n’est pourtant pas absente du
texte (cf. le paragraphe 22). Au plan politique, ce n’est pas parce que le
gouvernement de la cité revient aux laïcs et non aux clercs que le domaine
politique doit être coupé du théologique. Ce n’est parce qu’un responsable
n’est pas juridiquement soumis à l’épiscopat dans ses responsabilités «
séculières » ou « temporelles » que son comportement ne doit pas être conforme
à la foi et à l’éthique chrétienne et ne doit pas s’insérer dans la mission
prophétique de l’Église, qui comprend l’évangélisation de la société.
Aucune
culture n’est spirituellement neutre, ni complètement autonome. L’optimisme
naïf des Pères conciliaires a brouillé leur perception d’une modernité qui
révèle chaque jour toujours davantage son inspiration antichrétienne : cette «
culture de mort » que Jean-Paul II opposait à la civilisation de l’amour. Il
est sans doute temps d’oublier Gaudium et spes.
1.
Joseph Ratzinger, Les Principes de la théologie catholique, Téqui, 2005, 440
p., 17,60 e.
2.
Hans Urs von Balthasar,
3. Tracey Rowland, Routledge,
collection Radical Orthodoxy, 2003, 208 p.