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Un regard sur l’actualité politique et religieuse

Au 11 janvier 2006

N°74

Par Monsieur l’abbé Paul Aulagnier

 

Benoît XVI et le Concile Vatican II

 

Benoît XVI s’est adressé, le 22 décembre 2006,  aux membres de la Curie romaine, à l’occasion de la présentation des vœux de Noël.

 

Après avoir fait une belle méditation sur les années de souffrance que supporta saintement Jean Paul II, après avoir fait une jolie allusion aux JMJ de Cologne ainsi qu’au récent synode des Evêques, consacré à la Sainte Eucharistie,  conclusion de l’année eucharistique, le pape s’arrêta  longuement sur le Concile Vatican II dont nous fêtons le quarantième anniversaire de la clôture. Il se posa le problème de son interprétation.

C’est là, en vérité, une  question capitale…peut-être même « la » question capitale pour le monde catholique et sa paix…

 

M’est avis que ce texte fera date dans l’histoire de  l’Eglise.

 

Il faut le lire, le bien lire…Vous le trouverez dans LNDC n° 35.

 

L’importance de ce texte n’a échappé à personne.

 

Beaucoup en ont fait une analyse dans la presse. J’ai lu et apprécié l’analyse de  Denis Sureau dans L’Homme Nouveau du samedi 7 janvier, sous le titre : « Le Concile et son esprit ». Son analyse est  plutôt une analyse « littérale». Je le propose à  votre lecture avec l’aimable autorisation de la rédaction. (Voir C)

 

Mais je retiendrai surtout l’analyse  de Jean Madiran, dans Présent. Il  nous a donné trois textes dans les numéros du jeudi, vendredi, samedi, de la semaine dernière,  les 5, 6 et 7 janvier 2006. Il faut les lire. Ils sont très éclairants. Ils ne concernent que la première idée exposée par le pape, son analyse sur « l’esprit du Concile » ou la première interprétation que certains ont voulu imposer à l’Eglise, interprétation que le pape appelle : « une herméneutique de la discontinuité et de la rupture ».

 

A-Une remarque

 

Avant de vous donner à lire ces articles, je ferai remarquer ceci :

 

C’est, me semble-t-il, « cet esprit du Concile » - qui se trouve bien évidemment aussi  exprimé dans les textes du Concile - que Mgr Lefebvre a surtout critiqué et qu’il a en vue dans sa fameuse déclaration du 21 novembre 1974 : « Oui à l’Eglise éternelle, non  à l’Eglise moderniste » et à ses réformes en rupture de ban avec la Tradition et l’être de l’Eglise, plus exactement avec la « foi de l’Eglise ». C’est cet « esprit » qu’il refusa et qu’il combattit énergiquement.

 

On est content de voir aujourd’hui le pape s’exprimer sur ce sujet.

 

Comme le pape, Mgr Lefebvre craignait que cet « esprit » finisse par entraîner tout l’Eglise vers la rupture d’avec sa Tradition.

 

Le pape le dit lui-même aujourd’hui : « L'herméneutique de la discontinuité risque de finir par une rupture entre Eglise préconciliaire et Eglise post-conciliaire ». Les textes « conciliaires » ne seraient, dit-il,  que des « compromis » acceptés de guerre lasse et à contre cœur, par les « progressistes » en raison de la pugnacité des opposants…Aussi ne faudrait-il pas craindre d’aller maintenant de l’avant, de dépasser même les textes par fidélité à l’ « esprit » du Concile…

 

Le pape s’oppose fortement à cette tendance qui a fait tant de mal…Dans cet esprit, le Concile aurait été comme « une assemblée constituante » qui, éventuellement, se dresserait contre la vraie « constitution » de l’Eglise voulue par son fondateur, Notre Seigneur Jésus-Christ.  Le pape dénonce fortement cela, comme il dénonça, dans son livre : « Les principes de la théologie catholique », en 1982, dans son dernier chapitre, le document « Gaudium et spes », l’ultime document du Concile, le fameux schéma 13, qu’il présente comme « un contre syllabus ». Sur ce sujet, Denis Sureau a fait, dans L’Homme nouveau, une  jolie analyse qu’il est bon de relire à l’occasion de ces considérations de Benoît XVI sur le Concile. (Voir document E)

 

B- Le texte du pape du 22 décembre 2005

 

Voici le passage où le pape fustige « l’esprit du Concile ». Il en donne les raisons. Ce passage est  fondamental. Il faut le retenir.

 

« L'herméneutique de la discontinuité risque de finir par une rupture entre Eglise préconciliaire et Eglise post-conciliaire. Celle-ci affirme que les textes du Concile comme tels ne seraient pas encore la véritable expression de l'esprit du Concile. Ils seraient le résultat de compromis dans lesquels, pour atteindre l'unanimité, on a dû encore emporter avec soi et reconfirmer beaucoup de vieilles choses désormais inutiles. Ce n'est cependant pas dans ces compromis que se révélerait le véritable esprit du Concile, mais en revanche dans les élans vers la nouveauté qui apparaissent derrière les textes: seuls ceux-ci représenteraient le véritable esprit du Concile, et c'est à partir de ces textes et conformément à ces textes qu'il faudrait aller de l'avant. Précisément parce que les textes ne refléteraient que de manière imparfaite le véritable esprit du Concile et sa nouveauté, il serait nécessaire d'aller courageusement au-delà des textes, en laissant place à la nouveauté dans laquelle s'exprimerait l'intention la plus profonde, bien qu'encore indistincte, du Concile. En un mot: il faudrait non pas suivre les textes du Concile, mais son esprit.

 

Il reste ainsi évidemment une grande marge pour se demander comment on définit alors cet esprit et en conséquence, on laisse la place à n’importe quelle fantaisie. Mais de cette façon on interprète mal, à la racine, la nature d'un Concile en tant que tel. Il est ainsi considéré comme une sorte de Constituante, qui élimine une vieille constitution et en crée une nouvelle. Mais la Constitution a besoin d'un promoteur, puis d'une confirmation de la part du promoteur, c'est-à-dire du peuple auquel la constitution doit servir. Les Pères n'avaient pas un tel mandat et personne ne le leur avait jamais donné ; personne, du reste, ne pouvait le donner, car la constitution essentielle de l'Eglise vient du Seigneur et nous a été donnée afin que nous puissions parvenir à la vie éternelle et, en partant de cette perspective, nous sommes en mesure d'illuminer également la vie dans le temps et le temps lui-même. Les évêques, à travers le sacrement qu'ils ont reçu, sont les dépositaires du don du Seigneur. Ce sont « les administrateurs des mystères de Dieu » (1 Co 4, 1); en tant que tels ils doivent se présenter comme « fidèles et sages » (cf. Lc 12, 41-48). Cela signifie qu'ils doivent administrer le don du Seigneur de manière juste, afin qu'il ne demeure pas dans un lieu caché, mais porte des fruits et que le Seigneur, à la fin, puisse dire à l'administrateur : « En peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t'établirai » (cf. Mt 25, 14-30; Lc 19, 11-27). Dans ces paraboles évangéliques s'exprime la dynamique de la fidélité, qui est importante dans le service rendu au Seigneur, et dans celles-ci apparaît également de manière évidente comment, dans un Concile, la dynamique et la fidélité doivent devenir une seule chose ».

 

C-Le commentaire de denis Sureau de l’Homme Nouveau.

 

 

 

Le Concile et son esprit

 

Denis Sureau

« Benoît XVI est décidément un pape surprenant. C’est en recevant le 22 décembre la Curie romaine qu’il a célébré, de manière inattendue, le quarantième anniversaire de Vatican II. Certes, au cours des semaines précédentes, il avait évoqué, au fil des discours, les textes majeurs du Concile, spécialement Lumen Gentium et Dei Verbum. Les observateurs attentifs avaient cependant noté sa discrétion sur Gaudium et spes : bien qu’en ayant évoqué certains beaux passages doctrinaux irréfutables, il s’était abstenu de tout panégyrique de la constitution pastorale. Le père Michel Kubler, au lendemain du 8 décembre, faisait la grimace : « Alors que tous les grands documents du Concile ont été, ces temps-ci, amplement revisités (sur la Révélation, le dialogue interreligieux, la liberté religieuse, etc.), le grand absent de ces quarante ans semble être la constitution pastorale Gaudium et spes sur – précisément ! – l’Église dans le monde de ce temps » (La Croix, 9/12/2005).        

 

L’axe prioritaire du Pape

 

Plus encore, le Pape avait étonné son monde par la sobriété de ses propos le 8 décembre, jour anniversaire de la clôture de Vatican II. Alors que les vaticanistes s’attendaient à un éloge appuyé du Concile, Benoît XVI avait donné la priorité à Marie, Mère de l’Église, et plus encore à une profonde méditation sur le péché originel, présenté comme procédant d’une volonté d’autonomie de l’homme dressé contre Dieu : « Plus que l’amour il mise sur le pouvoir, avec lequel il veut prendre en main de manière autonome sa propre vie ». Là où d’autres exaltent de façon équivoque l’autonomie des réalités terrestres, Benoît XVI rappelle que l’homme n’est libre que lorsqu’il vit selon la volonté et la vérité de Dieu. L’optimisme des années soixante que le théologien Ratzinger repérait jadis en arrière-plan de certains développements de Gaudium et spes, est décidément bien dépassé.      

Il fallut cependant attendre la cérémonie des vœux de Noël pour connaître plus précisément l’analyse du successeur de Pierre. C’est ce moment qu’il a choisi, devant les princes de l’Église, pour revenir sur Vatican II. Non pour une commémoration lyrique de l’évènement conciliaire mais pour réaffirmer l’axe prioritaire de son pontificat, énoncé au lendemain de son élection : « La mise en œuvre du concile Vatican II en continuité fidèle avec la tradition bimillénaire de l’Église. » Ce 22 décembre, il a développé ce qu’il considère comme « une juste interprétation » de Vatican II contre les mythes dévastateurs de « l’esprit du Concile » et de « l’ouverture au monde ». Il est désormais clair que le Saint-Père va s’attacher, avec son intelligence théologique et spirituelle lumineuse, à corriger les ambiguïtés contenues dans et autour du Concile.   

Comme l’écrit notre confrère Jean-Marie Guénois, « Benoît XVI a voulu remettre des pendules à l’heure à propos du concile Vatican II. Ses propos vont faire grincer plus d’un rouage dans l’Église » (La Croix, 23/12/2005). Pour- tant, le discours de Benoît XVI est dans la stricte continuité du travail du Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi comme de l’enseignement du Professeur Ratzinger. Sur des points particuliers des textes conciliaires donnant lieu à des interprétations hétérodoxes (le « subsistit in », la liberté religieuse), il n’a cessé, sous le pontificat de Jean-Paul II, d’œuvrer pour montrer que ces enseignements n’étaient pas en discontinuité avec l’enseignement bimillénaire de l’Église.

 

Une juste interprétation

 

Qu’a dit Benoît XVI le 22 décembre ? Tout part d’un constat réaliste : « Personne ne peut nier que, dans de vastes parties de l’Église, la réception du Concile s’est déroulée de manière plutôt difficile. » Il s’interroge : « Qu’est ce qui, dans la réception du Concile, a été bon, insuffisant ou erroné ? » Et il répond en décrivant le conflit entre deux « herméneutiques », c’est-à-dire deux interprétations, deux clés de lecture et d’application. L’une est source de confusion et l’autre, plus discrètement, a porté des fruits. La première est celle de la « discontinuité et de la rupture » : elle considère que le Concile est une (heureuse) rupture dans la marche de l’Église. Elle a la sympathie des médias et d’une partie des théologiens. L’autre est celle de la « réforme » conçue comme « renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Église que le Seigneur nous a donné ».

« L’herméneutique de la discontinuité risque de conduire à une rupture entre l’Église préconcilaire et l’Église postconciliaire. » Pour ses défenseurs, il convient de s’attacher moins aux textes conciliaires (timorés selon certains, car résultant de compromis) qu’à l’élan de nouveauté qui les sous-tend : le fameux « esprit du Concile » : « parce que les textes ne refléteraient que de manière imparfaite le véritable esprit du Concile et sa nouveauté, il serait nécessaire d’aller courageusement au-delà des textes, en laissant place à la nouveauté dans laquelle s’exprimerait l’intention la plus profonde, bien qu’encore indistincte, du Concile. En un mot : il faudrait non pas suivre les textes du Concile, mais son esprit. Il reste ainsi évidemment une grande marge pour se demander comment on définit alors cet esprit et en conséquence, on laisse la place à n’importe quelle fantaisie. »

À cela s’oppose « l’herméneutique de la réforme » telle que l’a présentée Jean XXIII lorsqu’il précisait que le Concile « entend transmettre la doctrine pure et intégrale, sans atténuations ni déformations », ajoutant qu’il est « nécessaire que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être fidèlement respectée, soit approfondie et présentée selon les exigences contemporaines ». Ce programme, observe le Saint-Père, « était très exigeant, comme l’est la synthèse de fidélité et de dynamique ». Le Saint-Père souligne alors que « partout cette interprétation a guidé la réception du Concile, une nouvelle croissance et la maturation de nouveaux fruits. » Mais – et ce propos fera hurler les imprudents novateurs d’hier – la bonne semence « se développe lentement ». Ce qui est une autre façon d’affirmer que ce qui a immédiatement suivi le Concile n’était pas nécessairement son fruit attendu.

Le grand enjeu de Vatican II a été de déterminer une nouvelle forme de rapport entre l’Église et la modernité. Dès les débuts du monde moderne, avec le procès de Galilée, les difficultés n’ont pas manqué. Le Pape évoque ainsi la Révolution française et son projet d’imaginer un État ne laissant « aucun espace à l’Église et à la foi » ; l’opposition de la foi chrétienne à un libéralisme radical ; une conception des sciences naturelles prétendant rendre « l’hypothèse Dieu » superflue. Toutefois, ajoute Benoît XVI, d’autres développements ont été plus positifs. Par exemple, les sciences naturelles ont réfléchi sur leurs propres limites, si bien que modernité et foi « ont commencé progressivement à s’ouvrir l’une à l’autre ».

 

En vue du renouveau

 

Benoît XVI identifie « trois cercles de questions qui attendaient aujourd’hui une réponse » : définir sous des modes nouveaux le rapport entre la foi et la science, l’Église et l’État moderne (problème lié à la liberté religieuse), mais aussi entre l’Église et la foi d’Israël. Par rapport à tous ces domaines, l’important est de maintenir la continuité des principes permanents tout en appliquant de façon différenciée aux circonstances historiques, aux situations concrètes. « Et c’est justement l’ensemble discontinuité/continuité à divers niveaux qui est la nature même de la réforme authentique ». Et d’illustrer son propos au sujet de la liberté religieuse. Il ne faut pas la comprendre comme « l’expression de l’incapacité de l’homme à trouver la vérité » et par conséquent comme la « canonisation du relativisme » mais plutôt comme la reconnaissance de la capacité pour l’homme de connaître la vérité de Dieu, vérité qui ne peut être imposée de l’extérieur. Dans cette perspective, « en reconnaissant et faisant sien par le décret sur la liberté religieuse un principe essentiel de la société moderne, l’Église se réappropriait son héritage le plus ancien ». Ainsi l’Église des martyrs « priait naturellement, et par devoir, pour les empereurs et les détenteurs de pouvoir… mais elle refusait de les adorer, s’opposant ainsi clairement à la religion de l’État ». Et Benoît XVI d’ajouter : « Une Église missionnaire qui sait qu’elle doit annoncer son message à tous les peuples, doit s’engager en vue de la liberté de la foi. »

Toutefois, le Pape, en bon augustinien qui sait la puissance du mal, ne rêve pas d’une réconciliation de l’Église et du monde. Avant comme après le Concile, l’Église une, sainte, catholique et apostolique poursuit « son pèlerinage à travers les persécutions du monde et les consolations de Dieu ». Vatican II n’a pas supprimé les tensions. Il est temps d’en finir avec le mythe inconsistant et fourre-tout de l’ouverture au monde censée donner naissance à une ère de paix. « Ceux qui pensaient que ‘l’ouverture au monde’ ainsi réalisée aurait tout transformé en pure harmonie, avaient sous-évalué les tensions internes comme les contradictions mêmes de la modernité ». L’Église demeure un signe de contradiction. « Il ne pouvait pas être dans l’intention du Concile d’abolir cette contradiction de l’Évangile face aux dangers et aux erreurs de l’homme. Par contre, il était de sa volonté d’écarter les positions erronées ou superflues dans la présentation au monde de l’exigence évangélique dans toute sa grandeur et pureté. Le pas accompli par le Concile vers le monde moderne, qui a été présenté de façon assez imprécise comme une ‘ouverture au monde’, relève en définitive du problème constant du rapport entre foi et raison, qui se présente toujours sous de nouvelles formes. »       

Le Pape concluait son discours du 22 décembre : « Ainsi pouvons-nous aujourd’hui regarder Vatican II avec gratitude. Et si nous le lisons et le recevons guidés par une juste herméneutique, il pourra être et devenir toujours plus une grande force pour le nécessaire renouveau de l’Église ».

 

 

D-Les Commentaires de Jean Madiran.

 

1-Premier texte

 

« Benoît XVI libère la Foi »

 

Il récuse le soi-disant « esprit du Concile »

cause depuis 40 ans des censures et interdits

 

Le très ample discours de Benoît XVI à la Curie romaine, le 22 décembre, traitait longuement de plusieurs sujets. Il contenait aussi une sorte de bombe à retardement, dont en France La Croix et Présent ont déjà publié d’importants extraits le 23 et le 31 décembre, et dont les conséquences radicales vont devenir (heureusement) inévitables.

 

 

 

_ Benoît XVI est parfaitement explicite dans sa désignation de ce qu’il met en cause, discute, récuse : c’est l’esprit qui, sous le nom d’« esprit du Concile », a dominé la vie de l’Eglise depuis quarante ans, et qui a multiplié interdits et censures à l’encontre des expressions légitimes de la foi bimillénaire de l’Eglise.

 

_ Ce soi-disant « esprit du Concile » imposait une « discontinuité », et finalement une rupture entre une « Eglise préconciliaire » et une « Eglise post-conciliaire ». En France peut-être davantage qu’ailleurs, nous avons subi cette rupture. Nous l’avons vécue. Nous y avons été réfractaires. Brusquement, tout ce qui était antérieur au Concile était disqualifié et interdit dans les diocèses : par exemple, tous les catéchismes. Interdits et jamais remplacés. La suppression du petit catéchisme catholique a été radicale. La messe traditionnelle fut également interdite. Interdites aussi, la version et l’interprétation traditionnelles de l’Ecriture sainte. Un tel esprit a « engendré la confusion », déclare Benoît XVI, et la contestation qu’il en fait porte « à la racine ». Le prétendu esprit du Concile a considéré Vatican II comme une sorte d’assemblée constituante démocratique qui « élimine une vieille constitution [de l’Eglise] et en crée une nouvelle ». Impossible d’admettre cela, dit Benoît XVI : « Les Pères [du Concile] n’avaient pas un tel mandat et personne ne le leur avait donné. » Il dit aussi pourquoi : « Personne, du reste, ne pouvait le donner, car la constitution essentielle de l’Eglise vient du Seigneur. »

 

 Le soi-disant esprit du Concile, esprit de rupture avec ce qui est antérieur à Vatican II, « a pu compter, observe Benoît XVI, sur la sympathie des mass media et également d’une partie de la théologie moderne ». C’est une litote : mais elle suffit pour évoquer la prépotence administrative et médiatique que nous a fait subir pendant quarante années un parti politico- religieux implanté à l’intérieur de l’Eglise.

 

_ Vatican II, pour l’« esprit du Concile », a été « le » concile, l’unique, qui disqualifiait jusqu’aux conciles antérieurs.

 

Un exemple entre mille, et que je ne vais pas chercher dans un Témoignage chrétien ou chez un Mgr Gaillot. C’est l’exemple du dominicain Jérôme Hamer, archevêque (titulaire) et surtout « secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la foi », donc spécialement et officiellement qualifié pour exposer la pensée de l’Eglise sur l’eucharistie.

Douze ans après la clôture de Vatican II, il le faisait dans la France catholique qui n’est pas précisément une feuille progressiste.

 

Eh bien, « pour être sûr », disait- il, d’exposer exactement la pensée de l’Eglise » sur l’eucharistie, il se référait uniquement à Vatican II, comme si n’avait jamais existé le concile de Trente, justement le concile qui, sur l’eucharistie, a défini des dogmes infaillibles.

 

Tel était à tous les niveaux l’« esprit du Concile » que Benoît XVI vient de récuser.

 

_ Ce qui va changer dans notre attitude, c’est que nous ne serons plus dans une situation insurrectionnelle : l’insurrection annoncée en 1966 (cf. Histoire du catéchisme, p. 59) et devenue permanente depuis 1967 était légitime contre la domination d’un « esprit du concile » aujourd’hui détrôné. Elle apparaissait illicite. C’est maintenant l’« esprit du concile » qui est frappé d’illicéité.

Dans cette situation nouvelle nous ne trouvons pas un triomphe (que d’ailleurs nous ne recherchons pas pour nos personnes), nous trouvons une liberté enfin reconnue. Et l’usage que désormais nous pouvons en faire va commencer.

JEAN MADIRAN

 

2- Deuxième texte.

 

« Benoît XVI libère la Foi (II)

Un exemple troublant : le latin liturgique

 

 

Dans sa description critique du soi-disant et funeste « esprit du Concile », Benoît XVI, parmi d’autres traits caractéristiques, indique les « élans vers la nouveauté », pour toujours « aller de l’avant », et ainsi « on ouvre la porte à toutes les fantaisies ». On peut en trouver une illustration particulièrement manifeste dans ce que j’avais appelé à l’époque l’exemple du latin.

 

L’article 36 de la constitution conciliaire sur la liturgie ordonnait : « L’usage de la langue latine devra être conservé dans les rites latins.» Toutefois il concédait : « On pourra faire une plus large place à la langue du pays. »

 

Le prétendu « esprit du Concile » que stigmatise Benoît XVI inversa immédiatement le « devra » et le « pourra », l’obligation et la concession. C’est la langue du pays qui fut tenue pour désormais obligatoire, au nom du Concile. Le latin devenait simplement concédé, et encore, à peine, presque jamais. Le 12 novembre 1969, avec une brutalité sans précédent en matière liturgique, une ordonnance de l’assemblée plénière de l’épiscopat français imposait de célébrer la nouvelle messe uniquement en traduction française à partir du 1er janvier 1970. A tous les échos, dans tous les diocèses, quasiment dans chaque paroisse, on entendait proclamer qu’ainsi l’avait voulu « le Concile ».

 

Mais ce n’est pas tout.

 

Le pape Paul VI, dès son allocution du 7 mars 1965, c’est-à-dire quatre ans avant la nouvelle messe, avait déclaré : « C’est un sacrifice que l’Eglise accomplit en renonçant au latin. »

 

Plus tard, le 26 novembre 1969, saluant l’apparition de la messe nouvelle, Paul VI précisait : « Ce n’est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe. » Pour le décider en un sens aussi directement contraire à la constitution conciliaire, Paul VI ne faisait rien d’autre qu’utiliser un pouvoir qui à coup sûr était le sien : d’un concile qui avait nettement déclaré ne rien vouloir fixer qui soit infaillible ou irréformable, le Pape a évidemment le droit de contredire, d’annuler ou de corriger les dispositions. Seul l’« esprit du Concile » aurait pu mal supporter un tel exercice du pouvoir pontifical. On arrangea donc les choses en présentant la suppression radicale du latin liturgique comme « voulue par le Concile ». C’est semblablement « au nom du Concile » que l’« esprit du Concile » fit disparaître du langage ecclésiastique et catéchétique non seulement les termes, mais aussi les notions de transsubstantiation, de consubstantialité, de saint sacrifice de la messe. On conserva les termes de « nature » et de « personne », mais en déclarant que la notion devait en être profondément modifiée, comme celle du salut apporté par Jésus-Christ. Les affirmations officielles les plus

scandaleuses de l’épiscopat français, avancées tout au long des quarante dernières années sous l’invocation de l’« esprit du Concile », et jamais rétractées, manifestent bien qu’il s’agissait d’une nouvelle religion (ou, plus exactement, d’une nouvelle sous-religion).

 

Citons :

 

« La mutation de civilisation que nous vivons entraîne des changements dans la conception même du salut apporté par Jésus-Christ. »

 

« L’acception des mots nature et personne est aujourd’hui différente de ce qu’elle était au Ve siècle ou dans le thomisme. »

 

« A la messe, il s’agit simplement de faire mémoire de l’unique sacrifice déjà accompli. »

 

« Le droit naturel est l’expression de la conscience collective de l’humanité. »

 

Suffoquée sous le déluge officiel de propositions semblables, la foi de l’Eglise, sa foi bimillénaire, fondée sur l’immutabilité du Credo, du Notre Père, du Décalogue, se sentait interdite d’expression par l’« esprit du Concile ».

 

Benoît XVI a visé juste.

JEAN MADIRAN

 

3- Troisième article

 

« Benoît XVI libère la Foi (III)

 

Aspects essentiels et effets collatéraux

 

_ C’est donc bien tout un « courant de pensée » qu’a récusé Benoît XVI par la bombe

à retardement insérée dans son grand discours à la Curie romaine. Il l’a récusé sous le nom

que ce courant s’est lui-même donné : celui de « l’esprit du Concile », nom en principe prestigieux, mais en l’occurrence abusif et trompeur, sous lequel pendant quarante ans se sont imposés des comportements, des illusions, une idéologie en discontinuité et même en rupture ouverte avec la foi

bimillénaire de l’Eglise.

 

_ L’« esprit du Concile », ce ne fut pas seulement un courant de pensée. Ce nom a été le drapeau idéologique d’un parti politico- religieux installé in sinu gremioque Ecclesiae, au sein même de l’Eglise. Fortement charpenté, au point qu’il fallut lui faire d’énormes concessions au détriment de la tradition catholique, et qu’apparemment on ne peut éviter de lui en faire encore aujourd’hui quelques-

unes, mais de moins en moins, et c’est la bonne nouvelle du nouveau pontificat.

 

_ Ces concessions dramatiques, nous ne les avons pas rêvées.

 

Nous en avons été officiellement avertis. Elles ont été publiquement reconnues. Dès le mois de juillet 1969 le cardinal Gut, alors préfet de la congrégation romaine du culte divin, le révélait :

 

« Ils se sont imposés. Ces initiatives prises sans autorisation, on ne pouvait plus, bien souvent, les arrêter, car cela s’était répandu trop loin. Dans sa grande bonté et sagesse, le Saint-Père [Paul VI] a alors cédé, souvent contre son gré. »

 

Souvent ! Bien souvent ! Cette déclaration du cardinal Gut n’a jamais été démentie ou rectifiée, Paul VI ne s’opposait pas à ce que l’on dise qu’en matière de réforme liturgique il a souvent dû céder contre son gré. On peut retrouver cette déclaration du cardinal Gut à sa place dans la collection de La Documentation catholique, numéro 1551 du 16 novembre 1969, page 1048.

 

Pour que le Pape ait dû souvent céder contre son gré, il fallait que le « courant » de pensée soit puissamment organisé…

 

_ La disqualification de l’« esprit du Concile » par Benoît XVI ne résout aucune question,

ne tranche aucun débat, ne règle aucune situation ? – Mais elle lève un obstacle qui était mortellement pesant, l’obstacle de la censure, de l’interdit rejetant tout ce qui était anté-conciliaire et imposant ainsi l’obligation de « repartir de zéro » et d’« aller de l’avant » sur la seule base de Vatican II. Quand le curé de la paroisse avait dit, à la messe du dimanche (ou plutôt du samedi soir) :

 

— L’esprit du Concile fait enfin sortir l’Eglise de l’obscurantisme dans lequel elle s’enfermait jusqu’à Vatican II…

 

… la plupart des fidèles n’avaient plus qu’à baisser tristement la tête, « souvent contre leur gré »…

 

_ En ouvrant le concile Vatican II, le pape Jean XXIII déclarait,

 

Benoît XVI l’a rappelé le 22 décembre, qu’il s’agissait de « transmettre la doctrine de façon pure et intègre, sans atténuation ni déformation », et « présentée d’une façon qui corresponde aux exigences de notre temps ». Ainsi est authentifiée la version vraie, à l’encontre de la version que le secrétaire

d’Etat Jean Villot avait autoritairement fait prévaloir, et qui disait : « étudiée et exposée suivant les méthodes de recherche et la présentation dont use la pensée moderne », ce qui est bien différent, et cette différence marque dans son principe ce qui oppose la « foi bimillénaire de l’Eglise » à l’« esprit

du Concile ».

 

Le commentateur de La Croix, rappelant que Benoît XVI, dès le lendemain de son élection, avait énoncé le critère de demeurer « en continuité fidèle avec la tradition bimillénaire de l’Eglise », écrivait le 23 décembre qu’il trouvait cette formule « énigmatique ».

 

 Eh bien, pas nous.

JEAN MADIRAN

 

 

E- Oublier  « Gaudium et Spes ».

 

Par Denis SUREAU

 

« Promulguée le 7 décembre 1965, la constitution « pastorale » Gaudium et spes sur l’Église dans le monde de ce temps n’a pas l’autorité des constitutions dogmatiques Lumen gentium sur l’Église et Dei Verbum sur la révélation divine. C’est pourtant le texte qui, pour beaucoup, est le plus représentatif du fameux « esprit du Concile ». Il était notre « terre promise », disait Yves Congar. De fait, le dernier document conciliaire illustre l’espérance d’une réconciliation de l’Église avec le monde moderne. Mais sa lecture sécularisante a eu des conséquences dévastatrices à travers les « stratégies pastorales » post-conciliaires. La question est de savoir si ces dérives n’étaient pas dues au texte lui-même.

 

Un document critiqué

 

L’élaboration de ce document fut difficile, pareille à un feuilleton qui dura trois ans, ponctué de multiples rebondissements. Sa réception ne le fut pas moins. En dehors des critiques traditionalistes, la première personnalité ayant osé souligner ses « maintes insuffisances » fut Joseph Ratzinger dans son livre Les Principes de la théologie catholique, paru en 1982 (1). L’Église devait collaborer avec le monde. Or, notait-il, le concept de « monde » proposé dans Gaudium et spes est resté « à un stade pré-théologique » par son imprécision même. Ce document respire « un optimisme étonnant », typique de l’euphorie des années soixante : « L’attitude de réserve critique à l’égard des forces déterminantes du monde moderne devait être effacée par une insertion résolue dans leur mouvement. » Si bien que « le texte joue le rôle d’un contre-syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Église avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789. »

Cependant, constatait le futur Benoît XVI, au temps de l’euphorie a rapidement succédé celui de la désillusion et de la crise. Le monde moderne a bientôt révélé sa férocité. Avec mai 68, « de l’acquiescement naïf au monde on en arrivait à un défi radical, non seulement aux temps modernes, mais de manière générale à tout ce qui était établi. » Si bien qu’au début des années 80, Joseph Ratzinger proposait une relecture de Gaudium et spes à la lumière des textes dogmatiques, centraux, majeurs, de Vatican II – au lieu de l’inverse. « Ce n’est pas la Constitution pastorale qui mesure la Constitution sur l’Église, encore moins l’intention de l’avant-propos prise isolément, mais c’est l’inverse : seul l’ensemble, pris autour de son centre, est véritablement l’esprit du Concile. » Conclusion ferme et sans appel : « Le progrès de l’Église ne peut donc constituer, disons-le une fois pour toutes, dans une embrassade avec le monde ».      

Le grand théologien Hans Urs von Balthasar fut également perplexe. L’exaltation prométhéenne de « la maîtrise technique sur la nature, la société et l’individu » évacue les problèmes qu’elle pose. « Sans doute, la course aux armements est stigmatisée comme il se doit (81), mais les effets destructeurs des mass media sont-ils mis à nu ? »

 

Une problématique explosive

 

Le progrès terrestre conduit-il nécessairement au Royaume : « une fois réalisé le bien-être de tous, les hommes seront-ils pour autant enclins à considérer les bienfaits de la culture comme ‘des dons de la main de Dieu’ (37, 4) ? » Plus encore, « quand il est question de la grande solidarité des nations, le Christ intervient comme un deus ex machina (26, 4 ; 30, 2 ; 32, 5). On dit simplement que, par l’influence des chrétiens, le monde doit devenir la ‘matière du règne céleste’ (38, 1) ». Bref, « on se demandera si des affirmations aussi peu nuancées ne passent pas trop rapidement à côté de toute la problématique développée dans les textes eschatologiques de l’Écriture. Le dernier mot sur le destin du monde et de tous les actes accomplis par les hommes ne reste-t-il pas celui de saint Paul, selon lequel tout ce qui a été édifié doit passer par le feu du jugement, qui éprouvera ce qui a été bâti sur le fondement Jésus-Christ et ce qui ne l’a pas été (1 Co 3,11-15) ? » (2).      

La critique ratzingérienne et balthasarienne de Gaudium et spes a été développée par l’école montante des théologiens anglo-saxons, représentée notamment par l’édition américaine de la revue Communio cofondée par Joseph Ratzinger et Hans Urs von Balthasar. Deux maîtres à penser chers à Tracey Rowland, une théologienne australienne de 42 ans, doyen de l’Institut Jean-Paul II de Melbourne, membre du comité éditorial de Communio. Elle est l’auteur de Culture and the Thomist Tradition (3), un livre détonant qui commence par une critique serrée du traitement de la culture dans Gaudium et spes. Tracey Rowland déplore l’absence de tout examen théologique (voire même simplement philosophique) de ce qu’est la « modernité », la « culture moderne », « l’homme moderne » ou le « le monde moderne ». Comment dès lors percevoir comment la culture moderne peut affecter la formation spirituelle et intellectuelle des personnes et donc la possibilité d’une évangélisation ?    

Tous les commentateurs reconnaissent que Gaudium et spes fut un document de compromis entre des écoles théologiques opposées. Or cette tension subsiste à l’intérieur de la synthèse finale, ce qui explique la diversité des interprétations. La forme même du document est inédite. Sa structure est une innovation ne correspondant pas à ce qu’est une constitution conciliaire. Les concepts utilisés ne sont pas définis : une « inconsistance terminologique » déplorée par le cardinal Francis George, et aggravée par les traductions : huius temporis (de ce temps) est devenu en anglais modern world, alors que la notion de monde moderne n’est pas synonyme de monde contemporain. Le « monde moderne » pouvait en 1964 être représenté par les Beatles, l’apparition de la pilule, la conquête de l’espace, la Guerre froide, le triomphe du libéralisme et du communisme, l’émergence de la société de consommation…

Plus encore, Gaudium et spes se présente comme un mélange d’observations sociologiques et de propositions théologiques, de considérations pastorales et de dogmes : un mode d’expression délibérément choisi dans une visée d’ouverture aux non-catholiques. 

Tous ces éléments combinés, explique Tracey Rowland, aboutissent à une « problématique explosive ». Ainsi, la définition de la culture donnée par Gaudium et spes (53) est très large mais superficielle, « sans lien explicite avec la relation grâce-nature qu’on pourrait espérer dans un document théologique ». Les développements qui la suivent ne montrent pas la spécificité de l’approche chrétienne de la culture comme participation au beau, au vrai et au bien. Joseph Ratzinger, commentant ces passages, avait décelé une « terminologie totalement pélagienne », oublieuse du rôle de la grâce dans la formation des personnes.

On lit dans Gaudium et spes : « L’homme moderne est en marche vers un développement plus complet de sa personnalité » (41). Le terme d’homme moderne n’étant pas expliqué, on peut en déduire que la modernité est un facteur d’épanouissement de la personnalité. Or puisque, dans une vision chrétienne, c’est la grâce qui est l’élément déterminant du développement de la personne, on peut s’interroger en quoi un « homme moderne » est davantage réceptif à la grâce qu’un homme « pré-moderne ». Mais ce paragraphe de Gaudium et spes ne dit rien de la grâce sous cet angle. Ce discours ne diffère guère de la tradition libérale-humaniste avec son idéal d’autoperfectionnement acquis par l’éducation et l’exercice de la volonté de puissance.

 

Un optimisme naïf

 

L’affirmation de l’« autonomie légitime de la culture » (59) est au centre de la constitution pastorale et sous-jacente à certains passages d’autres documents conciliaires. Marquée par les thèses de Jacques Maritain sur l’« autonomie de l’ordre temporel » (cf. Humanisme intégral), elle est un élément-clé d’un nouveau rapport de l’Église au monde, où le caractère séculier de ce dernier est pleinement légitimé. L’Église ne devrait plus penser que la foi fournit des réponses aux questions culturelles, politiques, sociales, économiques. Lors du Concile, le cardinal Lercaro en tirait une conséquence radicale : « l’Église devrait se reconnaître intellectuellement pauvre », et donc abandonner son patrimoine : sa philosophie, ses institutions scolaires et universitaires, ses méthodes de recherche universitaires, etc. Comme si l’Église n’était pas aussi mère et gardienne de la culture.

Le thème de l’« autonomie des réalités terrestres » a ainsi été utilisé pour légitimer la sécularisation, la séparation du temporel et du spirituel – et notamment du politique et du religieux. Pourtant ce n’est pas parce que « les choses créées et les sociétés elles-mêmes ont leurs lois et leurs valeurs propres » (36) que le processus de sécularisation respecte ces lois et valeurs. Au contraire, tout l’ordre créé a pour finalité d’être « informé » de l’intérieur par l’Église afin de tout récapituler dans le Christ en offrande au Créateur. Cette perspective christocentrique n’est pourtant pas absente du texte (cf. le paragraphe 22). Au plan politique, ce n’est pas parce que le gouvernement de la cité revient aux laïcs et non aux clercs que le domaine politique doit être coupé du théologique. Ce n’est parce qu’un responsable n’est pas juridiquement soumis à l’épiscopat dans ses responsabilités « séculières » ou « temporelles » que son comportement ne doit pas être conforme à la foi et à l’éthique chrétienne et ne doit pas s’insérer dans la mission prophétique de l’Église, qui comprend l’évangélisation de la société.

Aucune culture n’est spirituellement neutre, ni complètement autonome. L’optimisme naïf des Pères conciliaires a brouillé leur perception d’une modernité qui révèle chaque jour toujours davantage son inspiration antichrétienne : cette « culture de mort » que Jean-Paul II opposait à la civilisation de l’amour. Il est sans doute temps d’oublier Gaudium et spes.

 

1. Joseph Ratzinger, Les Principes de la théologie catholique, Téqui, 2005, 440 p., 17,60 e.

2. Hans Urs von Balthasar, La Dramatique divine, III, Culture et Vérité, 1990, 478 p., 49,60 e, p.446 ss.

3. Tracey Rowland, Routledge, collection Radical Orthodoxy, 2003, 208 p.