De « la pratique de la perfection chrétienne
»
La semaine dernière, je n’ai pu vous adresser l’homélie
dominicale. Je ne le pourrai pas davantage cette semaine. Je me déplace
actuellement souvent en dehors de mon « prieuré »
et ne peux prendre avec moi mes « instruments » de travail…J’étais,
la semaine dernière, au monastère des « Sœurs,
Victimes du Sacré Cœur de Jésus » à
Marseille - merveilleux monastère contemplatif - pour y assurer
la sainte messe aux sœurs. Je vous en parlerai un jour prochain.
Je vous adresse toutefois, cette semaine, comme je
vous l’ai annoncé, il y a quelque temps déjà,
le premier chapitre - avec son commentaire- , du livre du RP Alphonso
Rodriguez, ce jésuite espagnol, qui nous laissa une belle œuvre,
très appréciée : « La pratique de la perfection
chrétienne »
Vous trouverez ici d’abord le commentaire du
chapitre I (A) et ensuite, pour ceux qui veulent approfondir, le texte
même du premier chapitre (B).
Le Père Rodriguez est un jésuite espagnol
qui passa toute sa vie à la formation spirituelle des novices
jésuites. Il réunit en un livre volumineux toutes ses
conférences. Au dire de tout le monde, cette œuvre peut
servir non seulement aux religieux, aux prêtres, aux séminaristes
mais aussi aux laïcs.
Si vous ouvrez le premier livre – il y a quatre livres - vous
lisez tout d’abord :
« Pratique de la Perfection Chrétienne
»
Par le RP Alphonso Rodrigues S.J.
Première Partie
Premier traité
De l’estime et de l’affection que mérite de notre
part tout ce qui se rapporte à notre avancement spirituel et
des différents moyens qui peuvent nous aider à y travailler
avec fruit.
Chapitre premier :
De l’importance que nous devons attacher aux choses de la vie
spirituelle. »
A - Voici le commentaire de ce premier chapitre
Le Père Rodriguez développe essentiellement trois idées
: il définit la perfection que nous devons rechercher, il affirme
que c’est le premier de tous les biens et qu’il faut s’attacher
aux moyens qui, seuls, peuvent nous y conduire.
a- de la « sagesse » ou «
perfection ».
Il commence d’abord par définir «
ces choses spirituelles » que nous devons préférer
à tout autre bien. C’est la « sagesse ».
C’est la « perfection ».
Et qu’est-ce que la « perfection », objet de tous
nos désirs ?
Il la définit ainsi : « La perfection,
c’est l’union de notre âme avec Dieu, union étroite
opérée par l’amour, selon cette parole de l’Apôtre
Saint Paul : « Par dessus tout, ayez la charité qui est
le lien de la perfection » (Col 3 14).
La perfection c’est donc ultime ment la charité,
l’amour de Dieu.
b- de l’estime de la perfection.
Et la deuxième idée développée,
c’est l’estime que nous devons avoir pour gagner ce bien.
C’est le premier de tous les biens. Il écrit :
« Salomon considérait la sagesse comme
le premier de tous les biens ; nous devons estimer au même prix
la perfection et tout ce qui peut contribuer à nous y conduire.
Auprès d’elle les plus riches trésors ne doivent
être à nos yeux, comme aux yeux de l’apôtre,
qu’une vile poussière et « une ordure immonde ».
« Omnia arbitror ut stercora, ut Christum lucrifaciam”
(Phil 3 8)
Avoir grande estime de ce bien, de cette perfection,
est le moyen le plus sur pour « arriver à la perfection
».
Il l’explique fort simplement avec une belle
analyse psychologique sur les facultés de l’intelligence
et de la volonté, en disant : « La raison en est simple
: plus nous estimons une chose et plus nous la désirons, parce
que la volonté, puissance aveugle, marche à la voix
et sous la conduite de l’entendement, et proportionne son ardeur,
dans la poursuite de ce qu’elle recherche, à l’estime
que la faculté dirigeante lui en fait concevoir. Cependant,
comme la volonté est la reine de l’âme et commande
à tous les autres agents de notre être, soit intérieurs
soit extérieurs, nous agissons nécessairement avec d’autant
plus d’énergie, que nous sommes sollicités par
de plus véhéments désirs, et que nous avons une
plus haute opinion de l’objet qui nous les inspire. »
Aussi faut-il avoir d’abord une belle compréhension
de ce bien qu’est la perfection. Plus nous en comprendrons l’importance,
plus nous la désirerons. Il écrit : c’est sur
le prix que nous attacherons à cette œuvre que se mesurera
l’intensité de nos désirs et celle de nos efforts.
»
Il l’explique très simplement par quelques
exemples évidents : « Le marchand qui fait le commerce
des pierres précieuses a indispensablement besoin d’en
connaître la valeur, sous peine de ruineux mécomptes.
Notre négoce, à nous, a pour objet le royaumes des cieux,
et « nous sommes semblables à des hommes qui cherchent
à acquérir des pierres précieuses » (Mt
13 45). A quelles erreurs déplorables ne serions-nous pas exposés,
si nous n’étions pas profondément versés
dans la science de ce sublime commerce ! si nous allions échanger
de l’or pour de la boue, le ciel pour la terre ! quelle perte
irréparable » .
Il résume, en fils docile de Saint Ignace sa
pensée, en disant : « Oui, connaître, aimer et
servir Dieu, voilà le plus précieux de tous les trésors,
l’affaire capitale, disons mieux, l’affaire unique de
notre vie, pour laquelle nous avons été créés,
pour laquelle nous avons embrassé la profession religieuse,
et qui doit être le terme de toutes nos aspirations, de tous
nos efforts, comme notre fin suprême, comme notre repos et notre
gloire. »
Voilà pourquoi le souhait du Père Rodriguez
est de voir en chacun de ses fils spirituels régner «
l’amour de la perfection » : « Voilà pourquoi
je voudrais voir cet amour de la perfection et des choses spirituelles
profondément imprimé dans le cœur de tous les hommes,
et surtout de tous les religieux ; nous voir tous rivaliser d’un
saint zèle à nous exciter les uns les autres à
faire de cet amour le but constant de tous nos désirs, le sujet
de prédilection de nos entretiens, le terme final de toutes
nos actions, serait pour moi le plus doux des spectacles. »
Voilà ce qui doit sans cesse préoccuper
notre âme comme l’âme de tout formateur : «
Inculquer l’amour de la perfection : C’est là la
pensée dominante que l’on doit profondément inculquer,
dès leurs premiers pas dans la vie religieuse, dans l’esprit
de tous ceux qui sont admis à l’embrasser ; c’est
le lait dont ils doivent être nourris ».
Il faut vraiment comprendre que : « la vertu
et notre avancement spirituel sont les biens dignes de nos affections
et de nos efforts, et sans lesquels tout le reste n’est que
vanité. »
Alors vanité, la recherche du seul talent,
fut-il oratoire.
Vanité le seul « goût » de l’art.
Vanité le « génie » personnel
Vanité « la soif de briller et de passer aux yeux du
monde pour des esprits supérieurs, pour des intelligences d’élites
». La perfection ne consiste nullement en cela. Il faut le dire
iterum et iterum.
La grande affaire pour chacun, c’est d’entretenir
en son âme « le souci de son avancement spirituel ».
Il le prouve d’une façon absolue en citant
l’Ecriture : « C’est donc à conquérir
le royaume des cieux que nous devons mettre notre bonheur et notre
joie, car, sans le ciel, tout le reste n’est rien : «
Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il
doit lui en coûter la perte de son âme ? « (Mt 16
26)
Il va donc conclure : « Il y a folie, pour un
religieux, à se laisser dominer et absorber par l’étude
des lettres, et à se livrer tout entier à des soins
matériels, à des travaux extérieurs, au point
d’oublier l’œuvre suprême de sa sanctification
et de négliger l’oraison, l’examen de conscience,
l’exercice salutaire de la mortification et de la pénitence,
de traiter les choses spirituelles comme les moins importantes de
toutes, de ne leur donner que le superflu de son temps et de ne jamais
en manquer que pour elles ; une telle conduite serait celle d’un
homme privé de tout sentiment de la vie spirituelle et n’ayant
du religieux que le nom. »
Et cela vaut tant pour le religieux que pour le laïc.
Toute proportion gardée, s’entend.
Ainsi avec tous les saints que le Père Rodriguez
nous donne comme modèle, nous devons tendre « de tous
nos efforts, et, chaque instant de notre vie nous devons avoir les
yeux fixés sur ce résultat comme sur le terme de notre
mission en ce monde. Tout ce qui est étranger à notre
avancement spirituel, nous devons le considérer comme une chose
accessoire et secondaire, selon cette parole du Sauveur : «
Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le
reste vous sera accordé comme par surcroît »(Ma
6 33)
c- S’attacher aux moyens qui nous conduise
à la fin : les exercices spirituelles.
C’est pourquoi une chose prime sur toutes autres
choses : c’être d’être fidèles aux
« exercices spirituels », aux moyens capable d’entretenir
la ferveur de mon âme. Le Père Rodriguez est formel :
« Ainsi le principe dominant de toute notre vie, la base de
toutes nos actions, sera de mettre toujours en première ligne
les exercices spirituels qui ont pour but notre propre avancement,
et de ne jamais nous rendre coupables à cet égard, pour
quelle cause que ce soit, de la moindre négligence. »
Voilà le « commentaire » de ce
chapitre I
Voici, maintenant, le texte du chapitre I
« Pratique de la Perfection chrétienne
»
Par le RP Alphonso Rodrigues S.J.
Première Partie
Premier traité
De l’estime et de l’affection
que mérite de notre part tout ce qui se rapporte à notre
avancement spirituel et des différents moyens qui peuvent nous
aider à y travailler avec fruit.
Chapitre premier :
De l’importance que nous devons
attacher aux choses de la vie spirituelle.
« J’ai désiré, dit le sage, et l’intelligence
m’a été donnée ; j’ai prié,
et l’esprit de sagesse est venu en moi, et je l’ai préféré
aux royaumes et aux trônes, et j’ai pensé que les
richesses ne sont rien auprès de lui, et je ne lui ai point
comparé la pierre précieuse, parce que, en présence
de la sagesse, l’or n’est qu’un peu de sable et
l’argent paraîtra comme de la boue » (Sag 7,7)
La sagesse véritable, celle qui mérite
de fixer nos regards, c’est la perfection, et la perfection,
c’est l’union de notre âme avec Dieu, union étroite
opérée par l’amour, selon cette parole de l’Apôtre
Saint Paul : « Par dessus tout, ayez la charité qui est
le lien de la perfection » (Col 3 14)
Salomon considérait la sagesse comme le premier
de tous les biens ; nous devons estimer au même prix la perfection
et tout ce qui peut contribuer à nous y conduire. Auprès
d’elle les plus riches trésors ne doivent être
à nos yeux, comme aux yeux de l’apôtre, qu’une
vile poussière et « une ordure immonde ». «
Omnia arbitror ut stercora, ut Christum lucrifaciam” (Phil 3
8)
Ces sentiments constituent la voie la plus sûre
pour arriver à la perfection ; les progrès qu’ils
feront dans notre cœur seront la mesure de ceux que nous ferons
nous-mêmes dans notre avancement spirituel et dans la vie religieuse.
La raison en est simple : plus nous estimons une
chose et plus nous la désirons, parce que la volonté,
puissance aveugle, marche à la voix et sous la conduite de
l’entendement, et proportionne son ardeur, dans la poursuite
de ce qu’elle recherche, à l’estime que la faculté
dirigeante lui en fait concevoir. Cependant, comme la volonté
est la reine de l’âme et commande à tous les autres
agents de notre être, soit intérieurs soit extérieurs,
nous agissons nécessairement avec d’autant plus d’énergie,
que nous sommes sollicités par de plus véhéments
désirs, et que nous avons une plus haute opinion de l’objet
qui nous les inspire.
Concluons de là que, si nous voulons prendre
sérieusement à cœur l’œuvre de notre
avancement spirituel, nous nous appliquerons avant tout à la
considérer comme souverainement importante ; car c’est
sur le prix que nous attacherons à cette œuvre que se
mesurera l’intensité de nos désirs et celle de
nos efforts.
Le marchand qui fait le commerce des pierres précieuses
a indispensablement besoin d’en connaître la valeur, sous
peine de ruineux mécomptes. Notre négoce, à nous,
a pour objet le royaumes des cieux, et « nous sommes semblables
à des hommes qui cherchent à acquérir des pierres
précieuses » (Mt 13 45). A quelles erreurs déplorables
ne serions-nous pas exposés, si nous n’étions
pas profondément versés dans la science de ce sublime
commerce ! si nous allions échanger de l’or pour de la
boue, le ciel pour la terre ! quelle perte irréparable ! Aussi
écoutons ce que dit le Seigneur lui-même : « Que
le sage ne se glorifie point dans sa sagesse, que le fort ne se glorifie
point dans sa force que le riche ne se glorifie point dans sa richesse,
mais que celui qui se glorifie se glorifie de me connaître et
de savoir qui je suis » (Jerem 9 23)
Oui, connaître, aimer et servir Dieu, voilà
le plus précieux de tous les trésors, l’affaire
capitale, disons mieux, l’affaire unique de notre vie, pour
laquelle nous avons été créés, pour laquelle
nous avons embrassé la profession religieuse, et qui doit être
le terme de toutes nos aspirations, de tous nos efforts, comme notre
fin suprême, comme notre repos et notre gloire.
Voilà pourquoi je voudrais voir cet amour de
la perfection et des choses spirituelles profondément imprimé
dans le cœur de tous les hommes, et surtout de tous les religieux
; nous voir tous rivaliser d’un saint zèle à nous
exciter les uns les autres à faire de cet amour le but constant
de tous nos désirs, le sujet de prédilection de nos
entretiens, le terme final de toutes nos actions, serait pour moi
le plus doux des spectacles.
De ce concert admirable sortiraient pour tous, pour
celui qui débute dans le service du Seigneur comme pour celui
qui y marche depuis longtemps, la démonstration sensible de
cette vérité : qu’en religion il n’y a d’important
que ce qui touche à la vie spirituelle, à l’humilité,
à l’obéissance, à l’esprit de recueillement
et d’oraison, et qu’on s’y inquiète peu,
comme nous le dit notre bienheureux père saint Ignace, dans
ses Constitutions, de savoir si nous sommes ou des littérateurs
distingués, des prédicateurs de premier ordre, des hommes
richement dotés des avantages naturels et humains.
C’est là la pensée dominante que
l’on doit profondément inculquer, dès leurs premiers
pas dans la vie religieuse, dans l’esprit de tous ceux qui sont
admis à l’embrasser ; c’est le lait dont ils doivent
être nourris, afin qu’ils s’appliquent de toutes
forces et de toutes les facultés de leur être, non point
à éclipser les autres par des succès toujours
croissants, dans les lettres ou dans l’art de la prédication,
mais à faire chaque jour de nouveaux progrès dans l’humilité
et la mortification, seules choses qui soient considérées
parmi nous, et recherchées de ceux qui, affranchis des illusions
du monde, ont rompu tout commerce avec lui, les seules qui puissent
nous acquérir l’estime et l’affection de nos frères.
Non, certes, que nous devions aimer et pratiquer la
vertu en vue de l‘estime qui s’y attache ; mais nous devons
tenir compte de cette estime qui, en nous montrant, dans son objet,
ce qui constitue tout le mérite et toute la valeur de la vocation
religieuse, nous enseigne, par la même, ce qui mérite
toutes nos préférences, nous trace sûrement la
route que nous avons à suivre ; en d’autres termes, nous
apprend que la vertu et notre avancement spirituel sont les biens
dignes de nos affections et de nos efforts, et sans lesquels tout
le reste n’est que vanité.
On comprend maintenant quel mal peuvent faire ceux
dont la bouche ne s’ouvre jamais que pour parler de talent,
d’art et de génie, et pour prodiguer à tel ou
tel l’encens d’une vaine louange. En entendant ce langage
parmi les hommes mûris par les années et l’expérience,
les jeunes gens se persuadent que ces qualités sont, parmi
nous, la monnaie courante du mérite et de la considération.
Aussi en font-ils le but de tous leurs vœux, de tous leurs travaux
et, tandis qu’ils conçoivent tous les jours plus d’estime
pour les talents de l’esprit et les sciences humaines, ils deviennent
de plus en plus indifférents et froids pour tout ce qui est
vertu, humilité, mortification ; ils en viennent enfin à
regarder ces dons spirituels comme si peu de chose auprès de
ceux, tout humain, auxquels ils aspirent, qu’il leur arrive
souvent de négliger leurs obligations les plus étroites
pour satisfaire leur amour passionné de l’étude
: préférence funeste qui entraîne un grand nombre
de religieux dans la voie mortelle du relâchement, jette dans
leur âme la semence de tous les vices et quelquefois leur fait
déserter pour toujours le drapeau de nos saintes milices.
Au lieu d’engendrer dans l’âme des
jeunes gens, par de frivoles discours, un vain désir de célébrité,
la soif de briller et de passer aux yeux du monde pour des esprits
supérieurs, pour des intelligents d’élite, ambition
toute profane qui devient ordinairement le principe de la perdition
d’un grand nombre, combien il leur serait plus sage de leur
apprendre toute l’importance, toute la nécessité
de la vertu et de l’humilité, de leur montrer que sans
elles le savoir et le génie sont choses inutiles ou, pour mieux
dire, très pernicieuses
….
A quoi vous servira-t-il, en effet, d’avoir
des facultés éminentes et de grands talents, si vous
n’êtes pas obéissants et soumis et si vos supérieurs
trouvent en vous une volonté rebelle à leur volonté,
et surtout si vous prétendez vous faire de votre génie
et de votre savoir des titres exceptionnels pour vous soustraire au
joug de la discipline, au frein de la règle ? Mieux vaudrait
cent fois pour vous que le ciel vous eût refusé ces dons
de l’intelligence !
Si, dans le compte sévère que les supérieurs
auront un jour à rendre à Dieu, ils avaient uniquement
à justifier des talents remarquables et de la vie laborieuse
de leurs subordonnés Oh ! alors, ce serait bien différent
; mais ce n’est pas de cela qu’il s’agira dans ce
terrible examen. Il leur sera demandé s’ils ont mis toute
leur sollicitude à faire avancer dans les voies de la perfection
les âmes confiées à leurs soins, à diriger
leurs inférieurs de telle sorte que chacun d’eux employât
les facultés qu’il avait reçues de Dieu à
remplir le mieux possible les fonctions de sa charge, sans négliger
en rien pour cela la grande affaire de son avancement spirituel. Les
inférieurs auront aussi à répondre devant Dieu
de la manière dont ils se seront acquittés de leurs
devoirs à cet égard. Assurément, a dit un saint,
au jour du jugement on ne nous demandera pas ce que nous avons lu,
mais ce que nous fait ; si nous avons disserté éloquemment
et savamment sur toutes choses, mais si nous avons rempli toutes les
obligations d’un véritable chrétien. » (thom.
A Kemp., lib. 2,c.3.)
Jésus-Christ avait envoyé ses disciples
enseigner les nations, et l’Evangile rapporte qu’ils revinrent
tout joyeux et disant avec une sorte d’orgueil ; « Seigneur,
nous avons opéré des miracles et des prodiges, les démons,
eux-mêmes, vaincus, se soumettaient à notre pouvoir et
nous obéissaient en votre nom. » Le Rédempteur
du monde leur répondit ; « Réjouissez-vous, non
de ce que les esprits vous obéissent mais de ce que vos noms
sont écrits dans les cieux. » (Lc. 40, 20)
C’est donc à conquérir le royaume
des cieux que nous devons mettre notre bonheur et notre joie, car,
sans le ciel, tout le reste n’est rien : « Que sert à
l’homme de gagner le monde entier, s’il doit lui en coûter
la perte de son âme ? « (Mt 16 26)
Si, en parlant des emplois et des charges qui ont
pour objet la conversion des âmes, nous disons, avec Notre Seigneur
Jésus-Christ, qu’ils ne doivent pas nous faire oublier
notre propre salut, parce qu’il ne nous servirait à rien
d’avoir converti le monde entier si nous nous perdions nous-mêmes,
que dirons-nous des occupations étrangères aux éternels
intérêts de l’âme ?
Il y a folie, pour un religieux, à se laisser
dominer et absorber par l’étude des lettres, et à
se livrer tout entier à des soins matériels, à
des travaux extérieurs, au point d’oublier l’œuvre
suprême de sa sanctification et de négliger l’oraison,
l’examen de conscience, l’exercice salutaire de la mortification
et de la pénitence, de traiter les choses spirituelles comme
les moins importantes de toutes, de ne leur donner que le superflu
de son temps et de ne jamais en manquer que pour elles ; une telle
conduite serait celle d’un homme privé de tout sentiment
de la vie spirituelle et n’ayant du religieux que le nom.
Saint Dorothé raconte que son disciple Dosithée,
qu’il avait fait infirmier, remplissait son emploi avec le plus
grand zèle. Il entourait les malades des soins plus attentifs,
les lits étaient bien faits, les chambres parfaitement en ordre,
et en tout régnait une extrême pauvreté. Un jour,
Dorothée étant allé visiter l’infirmerie,
Dosithée lui fit cet aveu : « Mon père, il me
vient une pensée de vaine gloire, une voix intérieur
me dit : « Comme tu t’acquittes bien de tes fonctions
!Combien ton supérieur doit être content de toi ! »
Saint Dorothée lui répondit de manière à
le guérir pour toujours de sa vanité : « En effet,
lui dit-il, vous voilà devenu, o Dosithée ! un excellent
infirmier, mais je ne m’aperçois pas encore que vous
soyez devenu un bon religieux » (Cit.) « Que chacun de
nous prenne garde qu’on ne puisse dire de lui comme de Dosithée
: « Vous êtes devenu un très bon infirmier, un
très non portier, ou bien encore, un bon étudiant, un
bon littérateur, un bon prédicateur, mais vous n’avez
pas acquis les qualités qui font le religieux. Et pourtant
dans quel but sommes-nous entrés en religion, si ce n’est
pour devenir de bons religieux ? C’est à quoi il faut
que nous tendions de tous nos efforts, et, chaque instant de notre
vie nous devons avoir les yeux fixés sur ce résultat
comme sur le terme de notre mission en ce monde. Tout ce qui est étranger
à notre avancement spirituel, nous devons le considérer
comme une chose accessoire et secondaire, selon cette parole du Sauveur
: « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice,
et tout le reste vous sera accordé comme par surcroît
»(Ma 6 33)
On voit dans la vie des Pères du désert
que, ne pouvant être toujours à prier et à méditer,
ces saints anachorètes employaient le temps qu’ils avaient
de libre à tresser des corbeilles de palmiers ou à d’autres
ouvrages manuels, afin de ne pas rester oisifs, et que plusieurs d’entre
eux, à la fin de l’année, jetaient au feu tout
ce qu’ils avaient fait, parce qu’ils n’avaient pas
besoin du produit de ces ouvrages pour vivre, et qu’ils n’avaient
travaillé que pour occuper leurs loisirs et ne donner aucun
moment à l’oisiveté.
La conduite de ces modèles de la vie religieuse
doit nous servir de règle ; comme eux, occupons-nous avant
tout de notre sanctification, et traitons les autres affaires, celles
mêmes qui se rapportent au bien du prochain, comme ils traitaient
leurs corbeilles, sans nous oublier nous-mêmes, et sans négliger
les moyens d’avancer toujours et de ne reculer jamais, ne fut-ce
que d’un pas, dans la voie de la perfection.
Ainsi le principe dominant de toute notre vie, la
base de toutes nos actions, sera de mettre toujours en première
ligne les exercices spirituels qui ont pour but notre propre avancement,
et de ne jamais nous rendre coupables à cet égard, pour
quelle cause que ce soit, de la moindre négligence.
C’est l’observation constante de cette
règle qui nous conservera dans le vertu et nous rendra de plus
en plus parfaits.
Pour peu, au contraire, que nous la négligions,
nous nous apercevrons bientôt du préjudice qu’il
en résultera pour notre âme.
Une cruelle expérience nous apprend que lorsque
nous dévions du droit chemin de la vertu, c’est toujours
par suite de quelques relâchements dans nos exercices spirituels.
« Mon cœur est devenu aride, dit le Prophète, parce
que j’ai oublié de manger mon pain(Ps 101 5)
Il est évident que si l’aliment et le
soutien de l’âme nous manquent, nous devons être
faibles et languissants. Aussi notre saint père Ignace appelle-t-il
sur ce point toute notre sollicitude. Il y revient souvent dans le
cours de ses instructions : « Ce que les novices et tous les
religieux, dit-il dans un passage, doivent s’appliquer à
acquérir avant tout, c’est la science de l’abnégation,
c’est l’art de la perfection. » Dans un autre :
« Que tous les religieux consacrent la plus grande partie de
leur temps à l’étude des choses spirituelles et
tous leurs efforts à atteindre, autant que la grâce divine
le leur permettra, les plus hauts degrés de la dévotion.
». Et ailleurs encore : « Que tous donnent, avec toutes
l’exactitude possible, à la prière, à la
méditation et aux pieuses lectures, le temps prescrit pour
ces saints exercices ».(Cit) Remarquez ces mots : « avec
toute l’exactitude possible. Nous devons donc être convaincus
que, quelques nombreuses qui puissent être les occupations imposées
à un religieux par l’obéissance et les devoirs
de sa charge, il n’est pas dans la volonté des supérieurs
qu’il déserte, pour vaquer à ces occupations,
les exercices spirituels de la communauté. Il n’y a pas
de supérieur qui veuille ordonner d’enfreindre les règles,
surtout lorsqu’il s’agit d’une matière aussi
capitale ! Ainsi gardons-nous de songer jamais à vouloir couvrir
notre imperfection et notre négligence dans les exercices spirituels
du voile de l’obéissance, en disant : Je n’ai pu
vaquer à l’oraison ou à l’examen de conscience,
ou à la lecture spirituelle parce que les ordres de mes supérieurs
m’appelaient ailleurs ; car le véritable obstacle, ce
n’est point l’obéissance à ces ordres, mais
notre tiédeur et notre peu d’affection pour les choses
spirituelles.
Saint Basile dit qu’il faut que nous nous attachions
particulièrement à donner, avec la plus scrupuleuse
fidélité, à l’oraison et aux autres exercices
spirituels tout le temps fixé par les règlements, et
que, s’il nous arrive parfois à cause de quelques travaux
urgents, de ne pouvoir les faire aux heures prescrites, nous devons
désirer ardemment réparer cette omission aussi promptement
que possible, de même que, lorsque ayant passé toute
une nuit auprès d’un malade à le confesser et
à l’aider à bien mourir, nous n’avons pu
prendre la nourriture et le sommeil nécessaire, nous nous hâtons
de satisfaire ces besoins corporels et savons bien trouver du temps
pour cela. Alors que, par nécessité, les supérieurs
occupent un religieux à d’autres travaux, pendant le
temps consacré aux exercices spirituels, leur intention n’est
pas de l’en dispenser, mais de lui permettre d’en différer
l’accomplissement, sous la condition d’y suppléer,
en temps propice, de la manière la plus complète, selon
cette parole du sage : « Que rien ne vous empêche de prier
toujours » (Eccl 18 22). Remarquez l’expression : «
Que rien ne vous empêche… C’est-à-dire qu’il
n’y ait aucun obstacle, aucun empêchement capable de vous
détourner une seule fois de l’oraison. Or, pour le bon
religieux, il n’y a jamais de ces obstacles, parce qu’il
trouve toujours le temps pour s’acquitter de ce devoir.
On raconte, dans la Bibliothèques des Pères
(Cit.) que Saint Dorothée, remplissant les fonctions de frère
hôtelier, ce qui l’obligeait à se coucher souvent
fort tard et à se lever quelquefois la nuit pour recevoir les
étrangers et les passants, se levait cependant toujours avec
la communauté pour faire l’oraison. Le réglementaire,
qui savait quelle rude tâche il avait à remplir, ne croyant
pas devoir interrompre son sommeil, ce fervent religieux avait prié
un autre frère de le réveiller, bien qu’il ne
fut pas encore entièrement guéri d’une fièvre
violente qui l’avait beaucoup affaibli. On ne pouvait, certes,
témoigner un plus vif désir d’obéir fidèlement
aux prescriptions de la règle, et condamner plus énergiquement
la conduite de ceux qui s’arrêtent devant le premier prétexte
venu, au risque de voir l’ordre de leurs exercices troublé
pour toute la journée.
Nous lisons dans le même auteur qu’un
saint vieillard eut une vision dans laquelle il voyait un ange qui
encensait tous les religieux qui s’étaient rendus avec
empressement à l’oraison, ainsi que les places de ceux
qui les ordres de leurs supérieurs avaient empêchés
de venir, mais qui refusait cet hommage aux stalles des frères
dont l’absence n’avait d’autre motif qu’une
coupable négligence. Ce trait remarquable doit offrir une grande
consolation à ceux que les devoirs de l’obéissance
empêchent de suivre, aux heures voulues, les exercices spirituels
de la communauté, et doit être pour tous un puissant
motif de n’y manquer jamais par négligence. »