Paroisse catholique Saint Michel

Dirigée par

 Monsieur l'abbé Paul Aulagnier

 

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Semaine du 20 au 26 septembre 2004

Dix-septième Dimanche après la Pentecôte

 

Sommaire

 

 

 


De « la pratique de la perfection chrétienne »


La semaine dernière, je n’ai pu vous adresser l’homélie dominicale. Je ne le pourrai pas davantage cette semaine. Je me déplace actuellement souvent en dehors de mon « prieuré » et ne peux prendre avec moi mes « instruments » de travail…J’étais, la semaine dernière, au monastère des « Sœurs, Victimes du Sacré Cœur de Jésus » à Marseille - merveilleux monastère contemplatif - pour y assurer la sainte messe aux sœurs. Je vous en parlerai un jour prochain.

Je vous adresse toutefois, cette semaine, comme je vous l’ai annoncé, il y a quelque temps déjà, le premier chapitre - avec son commentaire- , du livre du RP Alphonso Rodriguez, ce jésuite espagnol, qui nous laissa une belle œuvre, très appréciée : « La pratique de la perfection chrétienne »

Vous trouverez ici d’abord le commentaire du chapitre I (A) et ensuite, pour ceux qui veulent approfondir, le texte même du premier chapitre (B).

Le Père Rodriguez est un jésuite espagnol qui passa toute sa vie à la formation spirituelle des novices jésuites. Il réunit en un livre volumineux toutes ses conférences. Au dire de tout le monde, cette œuvre peut servir non seulement aux religieux, aux prêtres, aux séminaristes mais aussi aux laïcs.


Si vous ouvrez le premier livre – il y a quatre livres - vous lisez tout d’abord :

« Pratique de la Perfection Chrétienne »
Par le RP Alphonso Rodrigues S.J.

Première Partie

Premier traité
De l’estime et de l’affection que mérite de notre part tout ce qui se rapporte à notre avancement spirituel et des différents moyens qui peuvent nous aider à y travailler avec fruit.

Chapitre premier :
De l’importance que nous devons attacher aux choses de la vie spirituelle. »

A - Voici le commentaire de ce premier chapitre


Le Père Rodriguez développe essentiellement trois idées : il définit la perfection que nous devons rechercher, il affirme que c’est le premier de tous les biens et qu’il faut s’attacher aux moyens qui, seuls, peuvent nous y conduire.

a- de la « sagesse » ou « perfection ».

Il commence d’abord par définir « ces choses spirituelles » que nous devons préférer à tout autre bien. C’est la « sagesse ». C’est la « perfection ».
Et qu’est-ce que la « perfection », objet de tous nos désirs ?

Il la définit ainsi : « La perfection, c’est l’union de notre âme avec Dieu, union étroite opérée par l’amour, selon cette parole de l’Apôtre Saint Paul : « Par dessus tout, ayez la charité qui est le lien de la perfection » (Col 3 14).

La perfection c’est donc ultime ment la charité, l’amour de Dieu.

b- de l’estime de la perfection.

Et la deuxième idée développée, c’est l’estime que nous devons avoir pour gagner ce bien. C’est le premier de tous les biens. Il écrit :

« Salomon considérait la sagesse comme le premier de tous les biens ; nous devons estimer au même prix la perfection et tout ce qui peut contribuer à nous y conduire. Auprès d’elle les plus riches trésors ne doivent être à nos yeux, comme aux yeux de l’apôtre, qu’une vile poussière et « une ordure immonde ». « Omnia arbitror ut stercora, ut Christum lucrifaciam” (Phil 3 8)

Avoir grande estime de ce bien, de cette perfection, est le moyen le plus sur pour « arriver à la perfection ».

Il l’explique fort simplement avec une belle analyse psychologique sur les facultés de l’intelligence et de la volonté, en disant : « La raison en est simple : plus nous estimons une chose et plus nous la désirons, parce que la volonté, puissance aveugle, marche à la voix et sous la conduite de l’entendement, et proportionne son ardeur, dans la poursuite de ce qu’elle recherche, à l’estime que la faculté dirigeante lui en fait concevoir. Cependant, comme la volonté est la reine de l’âme et commande à tous les autres agents de notre être, soit intérieurs soit extérieurs, nous agissons nécessairement avec d’autant plus d’énergie, que nous sommes sollicités par de plus véhéments désirs, et que nous avons une plus haute opinion de l’objet qui nous les inspire. »

Aussi faut-il avoir d’abord une belle compréhension de ce bien qu’est la perfection. Plus nous en comprendrons l’importance, plus nous la désirerons. Il écrit : c’est sur le prix que nous attacherons à cette œuvre que se mesurera l’intensité de nos désirs et celle de nos efforts. »

Il l’explique très simplement par quelques exemples évidents : « Le marchand qui fait le commerce des pierres précieuses a indispensablement besoin d’en connaître la valeur, sous peine de ruineux mécomptes. Notre négoce, à nous, a pour objet le royaumes des cieux, et « nous sommes semblables à des hommes qui cherchent à acquérir des pierres précieuses » (Mt 13 45). A quelles erreurs déplorables ne serions-nous pas exposés, si nous n’étions pas profondément versés dans la science de ce sublime commerce ! si nous allions échanger de l’or pour de la boue, le ciel pour la terre ! quelle perte irréparable » .

Il résume, en fils docile de Saint Ignace sa pensée, en disant : « Oui, connaître, aimer et servir Dieu, voilà le plus précieux de tous les trésors, l’affaire capitale, disons mieux, l’affaire unique de notre vie, pour laquelle nous avons été créés, pour laquelle nous avons embrassé la profession religieuse, et qui doit être le terme de toutes nos aspirations, de tous nos efforts, comme notre fin suprême, comme notre repos et notre gloire. »

Voilà pourquoi le souhait du Père Rodriguez est de voir en chacun de ses fils spirituels régner « l’amour de la perfection » : « Voilà pourquoi je voudrais voir cet amour de la perfection et des choses spirituelles profondément imprimé dans le cœur de tous les hommes, et surtout de tous les religieux ; nous voir tous rivaliser d’un saint zèle à nous exciter les uns les autres à faire de cet amour le but constant de tous nos désirs, le sujet de prédilection de nos entretiens, le terme final de toutes nos actions, serait pour moi le plus doux des spectacles. »

Voilà ce qui doit sans cesse préoccuper notre âme comme l’âme de tout formateur : « Inculquer l’amour de la perfection : C’est là la pensée dominante que l’on doit profondément inculquer, dès leurs premiers pas dans la vie religieuse, dans l’esprit de tous ceux qui sont admis à l’embrasser ; c’est le lait dont ils doivent être nourris ».

Il faut vraiment comprendre que : « la vertu et notre avancement spirituel sont les biens dignes de nos affections et de nos efforts, et sans lesquels tout le reste n’est que vanité. »

Alors vanité, la recherche du seul talent, fut-il oratoire.
Vanité le seul « goût » de l’art.
Vanité le « génie » personnel
Vanité « la soif de briller et de passer aux yeux du monde pour des esprits supérieurs, pour des intelligences d’élites ». La perfection ne consiste nullement en cela. Il faut le dire iterum et iterum.

La grande affaire pour chacun, c’est d’entretenir en son âme « le souci de son avancement spirituel ».

Il le prouve d’une façon absolue en citant l’Ecriture : « C’est donc à conquérir le royaume des cieux que nous devons mettre notre bonheur et notre joie, car, sans le ciel, tout le reste n’est rien : « Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il doit lui en coûter la perte de son âme ? « (Mt 16 26)

Il va donc conclure : « Il y a folie, pour un religieux, à se laisser dominer et absorber par l’étude des lettres, et à se livrer tout entier à des soins matériels, à des travaux extérieurs, au point d’oublier l’œuvre suprême de sa sanctification et de négliger l’oraison, l’examen de conscience, l’exercice salutaire de la mortification et de la pénitence, de traiter les choses spirituelles comme les moins importantes de toutes, de ne leur donner que le superflu de son temps et de ne jamais en manquer que pour elles ; une telle conduite serait celle d’un homme privé de tout sentiment de la vie spirituelle et n’ayant du religieux que le nom. »

Et cela vaut tant pour le religieux que pour le laïc. Toute proportion gardée, s’entend.

Ainsi avec tous les saints que le Père Rodriguez nous donne comme modèle, nous devons tendre « de tous nos efforts, et, chaque instant de notre vie nous devons avoir les yeux fixés sur ce résultat comme sur le terme de notre mission en ce monde. Tout ce qui est étranger à notre avancement spirituel, nous devons le considérer comme une chose accessoire et secondaire, selon cette parole du Sauveur : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera accordé comme par surcroît »(Ma 6 33)

c- S’attacher aux moyens qui nous conduise à la fin : les exercices spirituelles.

C’est pourquoi une chose prime sur toutes autres choses : c’être d’être fidèles aux « exercices spirituels », aux moyens capable d’entretenir la ferveur de mon âme. Le Père Rodriguez est formel : « Ainsi le principe dominant de toute notre vie, la base de toutes nos actions, sera de mettre toujours en première ligne les exercices spirituels qui ont pour but notre propre avancement, et de ne jamais nous rendre coupables à cet égard, pour quelle cause que ce soit, de la moindre négligence. »

Voilà le « commentaire » de ce chapitre I

Voici, maintenant, le texte du chapitre I


« Pratique de la Perfection chrétienne »

Par le RP Alphonso Rodrigues S.J.

Première Partie

Premier traité

De l’estime et de l’affection que mérite de notre part tout ce qui se rapporte à notre avancement spirituel et des différents moyens qui peuvent nous aider à y travailler avec fruit.


Chapitre premier :

De l’importance que nous devons attacher aux choses de la vie spirituelle.


« J’ai désiré, dit le sage, et l’intelligence m’a été donnée ; j’ai prié, et l’esprit de sagesse est venu en moi, et je l’ai préféré aux royaumes et aux trônes, et j’ai pensé que les richesses ne sont rien auprès de lui, et je ne lui ai point comparé la pierre précieuse, parce que, en présence de la sagesse, l’or n’est qu’un peu de sable et l’argent paraîtra comme de la boue » (Sag 7,7)

La sagesse véritable, celle qui mérite de fixer nos regards, c’est la perfection, et la perfection, c’est l’union de notre âme avec Dieu, union étroite opérée par l’amour, selon cette parole de l’Apôtre Saint Paul : « Par dessus tout, ayez la charité qui est le lien de la perfection » (Col 3 14)

Salomon considérait la sagesse comme le premier de tous les biens ; nous devons estimer au même prix la perfection et tout ce qui peut contribuer à nous y conduire. Auprès d’elle les plus riches trésors ne doivent être à nos yeux, comme aux yeux de l’apôtre, qu’une vile poussière et « une ordure immonde ». « Omnia arbitror ut stercora, ut Christum lucrifaciam” (Phil 3 8)

Ces sentiments constituent la voie la plus sûre pour arriver à la perfection ; les progrès qu’ils feront dans notre cœur seront la mesure de ceux que nous ferons nous-mêmes dans notre avancement spirituel et dans la vie religieuse.

La raison en est simple : plus nous estimons une chose et plus nous la désirons, parce que la volonté, puissance aveugle, marche à la voix et sous la conduite de l’entendement, et proportionne son ardeur, dans la poursuite de ce qu’elle recherche, à l’estime que la faculté dirigeante lui en fait concevoir. Cependant, comme la volonté est la reine de l’âme et commande à tous les autres agents de notre être, soit intérieurs soit extérieurs, nous agissons nécessairement avec d’autant plus d’énergie, que nous sommes sollicités par de plus véhéments désirs, et que nous avons une plus haute opinion de l’objet qui nous les inspire.

Concluons de là que, si nous voulons prendre sérieusement à cœur l’œuvre de notre avancement spirituel, nous nous appliquerons avant tout à la considérer comme souverainement importante ; car c’est sur le prix que nous attacherons à cette œuvre que se mesurera l’intensité de nos désirs et celle de nos efforts.

Le marchand qui fait le commerce des pierres précieuses a indispensablement besoin d’en connaître la valeur, sous peine de ruineux mécomptes. Notre négoce, à nous, a pour objet le royaumes des cieux, et « nous sommes semblables à des hommes qui cherchent à acquérir des pierres précieuses » (Mt 13 45). A quelles erreurs déplorables ne serions-nous pas exposés, si nous n’étions pas profondément versés dans la science de ce sublime commerce ! si nous allions échanger de l’or pour de la boue, le ciel pour la terre ! quelle perte irréparable ! Aussi écoutons ce que dit le Seigneur lui-même : « Que le sage ne se glorifie point dans sa sagesse, que le fort ne se glorifie point dans sa force que le riche ne se glorifie point dans sa richesse, mais que celui qui se glorifie se glorifie de me connaître et de savoir qui je suis » (Jerem 9 23)

Oui, connaître, aimer et servir Dieu, voilà le plus précieux de tous les trésors, l’affaire capitale, disons mieux, l’affaire unique de notre vie, pour laquelle nous avons été créés, pour laquelle nous avons embrassé la profession religieuse, et qui doit être le terme de toutes nos aspirations, de tous nos efforts, comme notre fin suprême, comme notre repos et notre gloire.

Voilà pourquoi je voudrais voir cet amour de la perfection et des choses spirituelles profondément imprimé dans le cœur de tous les hommes, et surtout de tous les religieux ; nous voir tous rivaliser d’un saint zèle à nous exciter les uns les autres à faire de cet amour le but constant de tous nos désirs, le sujet de prédilection de nos entretiens, le terme final de toutes nos actions, serait pour moi le plus doux des spectacles.

De ce concert admirable sortiraient pour tous, pour celui qui débute dans le service du Seigneur comme pour celui qui y marche depuis longtemps, la démonstration sensible de cette vérité : qu’en religion il n’y a d’important que ce qui touche à la vie spirituelle, à l’humilité, à l’obéissance, à l’esprit de recueillement et d’oraison, et qu’on s’y inquiète peu, comme nous le dit notre bienheureux père saint Ignace, dans ses Constitutions, de savoir si nous sommes ou des littérateurs distingués, des prédicateurs de premier ordre, des hommes richement dotés des avantages naturels et humains.

C’est là la pensée dominante que l’on doit profondément inculquer, dès leurs premiers pas dans la vie religieuse, dans l’esprit de tous ceux qui sont admis à l’embrasser ; c’est le lait dont ils doivent être nourris, afin qu’ils s’appliquent de toutes forces et de toutes les facultés de leur être, non point à éclipser les autres par des succès toujours croissants, dans les lettres ou dans l’art de la prédication, mais à faire chaque jour de nouveaux progrès dans l’humilité et la mortification, seules choses qui soient considérées parmi nous, et recherchées de ceux qui, affranchis des illusions du monde, ont rompu tout commerce avec lui, les seules qui puissent nous acquérir l’estime et l’affection de nos frères.

Non, certes, que nous devions aimer et pratiquer la vertu en vue de l‘estime qui s’y attache ; mais nous devons tenir compte de cette estime qui, en nous montrant, dans son objet, ce qui constitue tout le mérite et toute la valeur de la vocation religieuse, nous enseigne, par la même, ce qui mérite toutes nos préférences, nous trace sûrement la route que nous avons à suivre ; en d’autres termes, nous apprend que la vertu et notre avancement spirituel sont les biens dignes de nos affections et de nos efforts, et sans lesquels tout le reste n’est que vanité.

On comprend maintenant quel mal peuvent faire ceux dont la bouche ne s’ouvre jamais que pour parler de talent, d’art et de génie, et pour prodiguer à tel ou tel l’encens d’une vaine louange. En entendant ce langage parmi les hommes mûris par les années et l’expérience, les jeunes gens se persuadent que ces qualités sont, parmi nous, la monnaie courante du mérite et de la considération. Aussi en font-ils le but de tous leurs vœux, de tous leurs travaux et, tandis qu’ils conçoivent tous les jours plus d’estime pour les talents de l’esprit et les sciences humaines, ils deviennent de plus en plus indifférents et froids pour tout ce qui est vertu, humilité, mortification ; ils en viennent enfin à regarder ces dons spirituels comme si peu de chose auprès de ceux, tout humain, auxquels ils aspirent, qu’il leur arrive souvent de négliger leurs obligations les plus étroites pour satisfaire leur amour passionné de l’étude : préférence funeste qui entraîne un grand nombre de religieux dans la voie mortelle du relâchement, jette dans leur âme la semence de tous les vices et quelquefois leur fait déserter pour toujours le drapeau de nos saintes milices.

Au lieu d’engendrer dans l’âme des jeunes gens, par de frivoles discours, un vain désir de célébrité, la soif de briller et de passer aux yeux du monde pour des esprits supérieurs, pour des intelligents d’élite, ambition toute profane qui devient ordinairement le principe de la perdition d’un grand nombre, combien il leur serait plus sage de leur apprendre toute l’importance, toute la nécessité de la vertu et de l’humilité, de leur montrer que sans elles le savoir et le génie sont choses inutiles ou, pour mieux dire, très pernicieuses

….

A quoi vous servira-t-il, en effet, d’avoir des facultés éminentes et de grands talents, si vous n’êtes pas obéissants et soumis et si vos supérieurs trouvent en vous une volonté rebelle à leur volonté, et surtout si vous prétendez vous faire de votre génie et de votre savoir des titres exceptionnels pour vous soustraire au joug de la discipline, au frein de la règle ? Mieux vaudrait cent fois pour vous que le ciel vous eût refusé ces dons de l’intelligence !

Si, dans le compte sévère que les supérieurs auront un jour à rendre à Dieu, ils avaient uniquement à justifier des talents remarquables et de la vie laborieuse de leurs subordonnés Oh ! alors, ce serait bien différent ; mais ce n’est pas de cela qu’il s’agira dans ce terrible examen. Il leur sera demandé s’ils ont mis toute leur sollicitude à faire avancer dans les voies de la perfection les âmes confiées à leurs soins, à diriger leurs inférieurs de telle sorte que chacun d’eux employât les facultés qu’il avait reçues de Dieu à remplir le mieux possible les fonctions de sa charge, sans négliger en rien pour cela la grande affaire de son avancement spirituel. Les inférieurs auront aussi à répondre devant Dieu de la manière dont ils se seront acquittés de leurs devoirs à cet égard. Assurément, a dit un saint, au jour du jugement on ne nous demandera pas ce que nous avons lu, mais ce que nous fait ; si nous avons disserté éloquemment et savamment sur toutes choses, mais si nous avons rempli toutes les obligations d’un véritable chrétien. » (thom. A Kemp., lib. 2,c.3.)

Jésus-Christ avait envoyé ses disciples enseigner les nations, et l’Evangile rapporte qu’ils revinrent tout joyeux et disant avec une sorte d’orgueil ; « Seigneur, nous avons opéré des miracles et des prodiges, les démons, eux-mêmes, vaincus, se soumettaient à notre pouvoir et nous obéissaient en votre nom. » Le Rédempteur du monde leur répondit ; « Réjouissez-vous, non de ce que les esprits vous obéissent mais de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. » (Lc. 40, 20)

C’est donc à conquérir le royaume des cieux que nous devons mettre notre bonheur et notre joie, car, sans le ciel, tout le reste n’est rien : « Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il doit lui en coûter la perte de son âme ? « (Mt 16 26)

Si, en parlant des emplois et des charges qui ont pour objet la conversion des âmes, nous disons, avec Notre Seigneur Jésus-Christ, qu’ils ne doivent pas nous faire oublier notre propre salut, parce qu’il ne nous servirait à rien d’avoir converti le monde entier si nous nous perdions nous-mêmes, que dirons-nous des occupations étrangères aux éternels intérêts de l’âme ?

Il y a folie, pour un religieux, à se laisser dominer et absorber par l’étude des lettres, et à se livrer tout entier à des soins matériels, à des travaux extérieurs, au point d’oublier l’œuvre suprême de sa sanctification et de négliger l’oraison, l’examen de conscience, l’exercice salutaire de la mortification et de la pénitence, de traiter les choses spirituelles comme les moins importantes de toutes, de ne leur donner que le superflu de son temps et de ne jamais en manquer que pour elles ; une telle conduite serait celle d’un homme privé de tout sentiment de la vie spirituelle et n’ayant du religieux que le nom.

Saint Dorothé raconte que son disciple Dosithée, qu’il avait fait infirmier, remplissait son emploi avec le plus grand zèle. Il entourait les malades des soins plus attentifs, les lits étaient bien faits, les chambres parfaitement en ordre, et en tout régnait une extrême pauvreté. Un jour, Dorothée étant allé visiter l’infirmerie, Dosithée lui fit cet aveu : « Mon père, il me vient une pensée de vaine gloire, une voix intérieur me dit : « Comme tu t’acquittes bien de tes fonctions !Combien ton supérieur doit être content de toi ! » Saint Dorothée lui répondit de manière à le guérir pour toujours de sa vanité : « En effet, lui dit-il, vous voilà devenu, o Dosithée ! un excellent infirmier, mais je ne m’aperçois pas encore que vous soyez devenu un bon religieux » (Cit.) « Que chacun de nous prenne garde qu’on ne puisse dire de lui comme de Dosithée : « Vous êtes devenu un très bon infirmier, un très non portier, ou bien encore, un bon étudiant, un bon littérateur, un bon prédicateur, mais vous n’avez pas acquis les qualités qui font le religieux. Et pourtant dans quel but sommes-nous entrés en religion, si ce n’est pour devenir de bons religieux ? C’est à quoi il faut que nous tendions de tous nos efforts, et, chaque instant de notre vie nous devons avoir les yeux fixés sur ce résultat comme sur le terme de notre mission en ce monde. Tout ce qui est étranger à notre avancement spirituel, nous devons le considérer comme une chose accessoire et secondaire, selon cette parole du Sauveur : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera accordé comme par surcroît »(Ma 6 33)

On voit dans la vie des Pères du désert que, ne pouvant être toujours à prier et à méditer, ces saints anachorètes employaient le temps qu’ils avaient de libre à tresser des corbeilles de palmiers ou à d’autres ouvrages manuels, afin de ne pas rester oisifs, et que plusieurs d’entre eux, à la fin de l’année, jetaient au feu tout ce qu’ils avaient fait, parce qu’ils n’avaient pas besoin du produit de ces ouvrages pour vivre, et qu’ils n’avaient travaillé que pour occuper leurs loisirs et ne donner aucun moment à l’oisiveté.

La conduite de ces modèles de la vie religieuse doit nous servir de règle ; comme eux, occupons-nous avant tout de notre sanctification, et traitons les autres affaires, celles mêmes qui se rapportent au bien du prochain, comme ils traitaient leurs corbeilles, sans nous oublier nous-mêmes, et sans négliger les moyens d’avancer toujours et de ne reculer jamais, ne fut-ce que d’un pas, dans la voie de la perfection.

Ainsi le principe dominant de toute notre vie, la base de toutes nos actions, sera de mettre toujours en première ligne les exercices spirituels qui ont pour but notre propre avancement, et de ne jamais nous rendre coupables à cet égard, pour quelle cause que ce soit, de la moindre négligence.

C’est l’observation constante de cette règle qui nous conservera dans le vertu et nous rendra de plus en plus parfaits.

Pour peu, au contraire, que nous la négligions, nous nous apercevrons bientôt du préjudice qu’il en résultera pour notre âme.

Une cruelle expérience nous apprend que lorsque nous dévions du droit chemin de la vertu, c’est toujours par suite de quelques relâchements dans nos exercices spirituels. « Mon cœur est devenu aride, dit le Prophète, parce que j’ai oublié de manger mon pain(Ps 101 5)

Il est évident que si l’aliment et le soutien de l’âme nous manquent, nous devons être faibles et languissants. Aussi notre saint père Ignace appelle-t-il sur ce point toute notre sollicitude. Il y revient souvent dans le cours de ses instructions : « Ce que les novices et tous les religieux, dit-il dans un passage, doivent s’appliquer à acquérir avant tout, c’est la science de l’abnégation, c’est l’art de la perfection. » Dans un autre : « Que tous les religieux consacrent la plus grande partie de leur temps à l’étude des choses spirituelles et tous leurs efforts à atteindre, autant que la grâce divine le leur permettra, les plus hauts degrés de la dévotion. ». Et ailleurs encore : « Que tous donnent, avec toutes l’exactitude possible, à la prière, à la méditation et aux pieuses lectures, le temps prescrit pour ces saints exercices ».(Cit) Remarquez ces mots : « avec toute l’exactitude possible. Nous devons donc être convaincus que, quelques nombreuses qui puissent être les occupations imposées à un religieux par l’obéissance et les devoirs de sa charge, il n’est pas dans la volonté des supérieurs qu’il déserte, pour vaquer à ces occupations, les exercices spirituels de la communauté. Il n’y a pas de supérieur qui veuille ordonner d’enfreindre les règles, surtout lorsqu’il s’agit d’une matière aussi capitale ! Ainsi gardons-nous de songer jamais à vouloir couvrir notre imperfection et notre négligence dans les exercices spirituels du voile de l’obéissance, en disant : Je n’ai pu vaquer à l’oraison ou à l’examen de conscience, ou à la lecture spirituelle parce que les ordres de mes supérieurs m’appelaient ailleurs ; car le véritable obstacle, ce n’est point l’obéissance à ces ordres, mais notre tiédeur et notre peu d’affection pour les choses spirituelles.

Saint Basile dit qu’il faut que nous nous attachions particulièrement à donner, avec la plus scrupuleuse fidélité, à l’oraison et aux autres exercices spirituels tout le temps fixé par les règlements, et que, s’il nous arrive parfois à cause de quelques travaux urgents, de ne pouvoir les faire aux heures prescrites, nous devons désirer ardemment réparer cette omission aussi promptement que possible, de même que, lorsque ayant passé toute une nuit auprès d’un malade à le confesser et à l’aider à bien mourir, nous n’avons pu prendre la nourriture et le sommeil nécessaire, nous nous hâtons de satisfaire ces besoins corporels et savons bien trouver du temps pour cela. Alors que, par nécessité, les supérieurs occupent un religieux à d’autres travaux, pendant le temps consacré aux exercices spirituels, leur intention n’est pas de l’en dispenser, mais de lui permettre d’en différer l’accomplissement, sous la condition d’y suppléer, en temps propice, de la manière la plus complète, selon cette parole du sage : « Que rien ne vous empêche de prier toujours » (Eccl 18 22). Remarquez l’expression : « Que rien ne vous empêche… C’est-à-dire qu’il n’y ait aucun obstacle, aucun empêchement capable de vous détourner une seule fois de l’oraison. Or, pour le bon religieux, il n’y a jamais de ces obstacles, parce qu’il trouve toujours le temps pour s’acquitter de ce devoir.

On raconte, dans la Bibliothèques des Pères (Cit.) que Saint Dorothée, remplissant les fonctions de frère hôtelier, ce qui l’obligeait à se coucher souvent fort tard et à se lever quelquefois la nuit pour recevoir les étrangers et les passants, se levait cependant toujours avec la communauté pour faire l’oraison. Le réglementaire, qui savait quelle rude tâche il avait à remplir, ne croyant pas devoir interrompre son sommeil, ce fervent religieux avait prié un autre frère de le réveiller, bien qu’il ne fut pas encore entièrement guéri d’une fièvre violente qui l’avait beaucoup affaibli. On ne pouvait, certes, témoigner un plus vif désir d’obéir fidèlement aux prescriptions de la règle, et condamner plus énergiquement la conduite de ceux qui s’arrêtent devant le premier prétexte venu, au risque de voir l’ordre de leurs exercices troublé pour toute la journée.

Nous lisons dans le même auteur qu’un saint vieillard eut une vision dans laquelle il voyait un ange qui encensait tous les religieux qui s’étaient rendus avec empressement à l’oraison, ainsi que les places de ceux qui les ordres de leurs supérieurs avaient empêchés de venir, mais qui refusait cet hommage aux stalles des frères dont l’absence n’avait d’autre motif qu’une coupable négligence. Ce trait remarquable doit offrir une grande consolation à ceux que les devoirs de l’obéissance empêchent de suivre, aux heures voulues, les exercices spirituels de la communauté, et doit être pour tous un puissant motif de n’y manquer jamais par négligence. »