Homélie
Nous en resterons à cette conclusion
de l’évangile de ce 22e dimanche après la Pentecôte
: « Rendez à César ce qui est à César
et à Dieu ce qui est à Dieu.
Oui ! « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu »
cette phrase fera l’objet de notre contemplation dominicale
« Rendez à Dieu ce qui
est à Dieu »
Et immédiatement, on peut se
poser la question : « Mais qu’est-ce qui n’est pas
à Dieu ». « Qu’est-ce qui peut ne pas être
à Dieu » ? « Qu’est-ce qui peut « être
» sans être à Dieu, sans appartenir à Dieu
» ?
La réponse est simple. Elle est
catégorique. Elle est absolue.
Qu’est-ce qui peut être
sans appartenir à Dieu ? Rien. Puisque, par Lui, tout a été
fait et que sans Lui, rien de ce qui est, n’a été
fait sans Lui. « Au commencement était le Verbe et le Verbe
était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu. Tout
a été fait par Lui et sans Lui rien n’a été
fait ».
Ainsi, comme l’écrit saint
Augustin dans son commentaire sur cette phrase de l’Evangile de
saint Jean : « A été fait par le Verbe, par Dieu
lui-même, puisque le Verbe est Dieu, tout ce qui a été
fait dans la nature, tout ce qui existe dans les créatures, absolument
tout. Ce qui a demeure fixé dans le ciel, ce qui brille au firmament,
ce qui vole au dessous du ciel, ce qui se meut dans l’univers,
toute créature sans aucune exception. Je dirai plus clairement,
je dirai pour que vous compreniez, tout depuis l’ange jusqu’au
vers de terre. Qu’y a-t-il de plus élevé que l’ange
parmi les créatures, qu’y a-t-il de plus misérable
que le ver parmi les créatures ? Celui qui a fait l’ange
est aussi celui qui a fait le ver ; mais l’ange, il l’a
fait digne du ciel et le ver adapté à la terre. Celui
qui a créé est aussi Celui qui a fixé les places…Entendez
donc sans aucune restriction : tout a été fait par Lui
et « sans Lui rien a été fait ». L’universalité
des créatures a été faite par Lui, les plus grandes
comme les plus petites, les supérieurs et les inférieurs
ont été faites par Lui. Les spirituelles et les corporelles
ont été faites par Lui. Aucune forme, aucune structure,
aucune harmonie de partie, aucune substance de quelque nature qu’elle
soit qui peut avoir poids, nombre et mesure, rien n’existe que
par ce Verbe et ce Verbe créateur auquel il a été
dit : « Tu as tout disposé avec mesure, nombre et poids
». Tout, par conséquent, absolument tout par Lui a été
fait et sans lui rien n’a été fait ».
Si donc tout a été fait
par Dieu, tout est à Dieu, en tant qu’il est la principe
de tout, la cause première de toute chose et leur raison et s’il
faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu, je dois tout rendre
à Dieu.
Rien n’est à moi. Tout
est à Dieu. Je dois tout restituer à Dieu, tout donner
en retour. Tout remettre à Dieu. Tout offrir à Dieu. C’est
ainsi la raison essentielle du sacrifice, de tout sacrifice. Tout est
à attribuer à Dieu. « Reddere ». Ce sont là
les différents sens du verbe latin : « Reddere ».
Et comment pourrais-je rendre ou offrir
à Dieu toutes créatures, tout le créé ?
Comment ?
Ma réponse est d’importance
puisque je me trouve devant un ordre formel du Seigneur de toutes choses,
NSJC, qui nous dit solennellement : « Rendez à Dieu ce
qui est à Dieu ».
Oui ! Comment le pourrais-je ?
Dieu m’aurait-il donner un ordre,
fait une obligation sans me dire comment rendre à Dieu ce qui
est à Dieu, sans me dire comment rendre le créé,
tout le créé à Dieu, ce qui est matériel,
corporel et spirituel ?
Comment dois-je rendre à Dieu
ce qui est à Dieu, tout le créé ?
Comment ?
En imitant la sagesse du prophète
Daniel et chanter comme lui la gloire de Dieu en raison de la création
!
Voilà comment rendre , offrir la création à Dieu.
Voyez !
« Bénissez toutes le Seigneur, œuvres du Seigneur.
Louez-le et exaltez-le à jamais.
Anges du Seigneur, bénissez le Seigneur.
Louez-le et exaltez-le à jamais.
Cieux, bénissez le Seigneur
Louez-le et exaltez-le à jamais.
Eaux et tout ce qui est au-dessus des cieux,
Bénissez le Seigneur
Soleil et lune,
Bénissez le Seigneur ?
Louez-le et exaltez-le à jamais.
Astres du Ciel, bénissez le Seigneur.
Louez-le et exaltez-la à jamais ;
Pluies et rosée
….
Feux et chaleurs,
Rosée et givres
Glaces et neiges
Nuits et jours,
Lumières et ténèbres,
Que la terre bénisse le Seigneur,
Qu’elle le loue et l’exalte à jamais.
Montagne et collines…
Oiseaux du Ciel,
Enfants des hommes bénissez le Seigneur,
Prêtres du Seigneur, bénissez le Seigneur
…
Esprits et amis des justes, bénissez le Seigneur
saints et humbles de cœur, bénissez le Seigneur.
Voilà comment l’Ecriture
Sainte nous invite à rendre à Dieu ce qui est de Dieu
: sa créature…en louant Dieu, en le bénissant pour
sa créature. Que nos lèvres chantent la gloire de Dieu
en voyant sa créature. Voilà comment rendre à Dieu
ce qui est à Lui : le glorifier en sa créature.
Le glorifier par le chant, par le « benedicite » : «
Benedicite omnia opera Domini Domino », par la louange. C’est
le Psaume 95 que nous chantons à Laudes au mardi dans le bréviaire
romain.
Mais le glorifier pour ce qu’il
est. Et donc confesser ce qu’il est. Confesser sa grandeur, sa
Majesté. Affirmer sa Grandeur, sa Transcendance et vouloir en
conséquence se soumettre à Lui. « Etre à
Lui ».
Mais sa grandeur, la grandeur de Dieu,
je la contemple dans sa créature. La création est le reflet
de la magnificence de Dieu.
Qui reconnaît la beauté,
l’ordre de la création, ne peut pas ne pas confesser la
grandeur du créateur : le Verbe de Dieu.
Le Verbe de Dieu est grand…lui qui a pensé tout cela et
qui la fait. « Au commencement était le Verbe et le Verbe
était en Dieu et le Verbe était Dieu. Tout a été
fait pas Lui et sans Lui rien a été fait. Au commencement
Dieu - le Verbe - a fait le ciel et la terre. Dieu dit : que cela soit
et cela fut… »
Alors, comme le dit Saint Augustin :
« Regarde cette construction de monde. Vois ce qui a été
fait par la Parole » « Vide quae sint facta per Verbum »
et tu connaîtras alors ce qu’est la Parole, le Verbe, Celui
par qui tout a été fait. Regarde ces deux parties de l’univers,
le ciel et la terre, qui peut expliquer avec des pauvres paroles la
beauté du ciel ? Qui peut expliquer avec des paroles la fécondité
de la terre ? Qui louera comme ils le méritent et le cycle des
saisons et la vertu des semences ? Vous voyez tout ce que je passe sous
silence craignant par une énumération plus longue, de
dire peut-être moins que ce que vous pouvez penser.
Comprenez donc à partir de cette construction quelle est la Parole
par qui elle a été réalisée… Jugez
par là ce qu’est une telle Parole ».
Alors sachez glorifier le Seigneur pour
ce qu’Il est : le Créateur et le Seigneur.
Sachez lui rendre grâce pour ce qu’Il est : le Créateur
et Seigneur.
Rendez à Dieu ce qui est à Dieu : rendez-Lui l’honneur.
Il Lui est dû.
Ne soyez pas comme les gens du siècle,
les Romains à qui écrit saint Paul - qui refusent de glorifier
Dieu, de Lui rendre grâce pour tout ce qu’Il a fait. Ils
vivent dans l’impiété et l’injustice….comme
ces hommes qui tiennent captive la vérité dans leurs cœurs.
Dieu est connaissable dans ses perfections,
son éternelle puissance, sa divinité….grâce
à la création, depuis la création du monde.
On pourrait même, me semble-t-il,
dire que la raison de la création est de « révéler
Dieu », et de permettre de dire, d’une certaine façon,
ce qu’Il est.
Saint Paul ne dit-il pas « les
perfections invisibles, son éternelle puissance et sa divinité
sont, depuis la création du monde, rendues visibles à
l’intelligence par le moyen de ses œuvres ».(Rm )
Ils sont donc inexcusables, impies et injustes, ces hommes qui, ayant
connu Dieu, ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui
ont pas rendu grâce.
Voilà aussi, certainement une
autre façon de « rendre à Dieu ce qui est à
Dieu », à savoir « tout honneur et toute gloire »
pour l’œuvre de ses mains, voyant et confessant en Lui la
majesté, la beauté, la grandeur par l’œuvre
de ses mains. Et l’on comprend alors facilement pourquoi une des
finalités du « sacrifice » est d’adresser à
Dieu « honneur et gloire ». Ce fut , du reste, la prière
du Christ en son sacrifice de la Croix. C’est, du reste , la conclusion
du Canon de la Messe romaine, qui est le « sacrifice » du
Christ. « Rendre à Dieu toute honneur et toute gloire ».
« Rendez à Dieu ce qui
est à Dieu ». Mais tout est à Dieu. La création
est à Dieu. La création n’est pas à moi,
ni à l’homme, ni à l’homme « révolutionnaire
». La création est à Dieu
Et voilà pourquoi Dieu a pu dire
à Adam et Eve : « Soyez féconds, multipliez, remplissez
la terre et soumettez la et dominez sur les poissons de la mer, sur
les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre ».
Et Dieu dit : « Voici que je vous donne toute herbe portant semence
». On ne peut donner que ce qui est à soi. Le verbe latin
« dare » veut dire donner, et mieux encore « mettre
entre les mains.
Si donc la terre est à Dieu,
le Ciel est à Dieu, la Vie aussi est à Dieu.
Si tout est à Dieu, je n’en suis que le dépositaire,
le maître, le gérant. Et donc je dois gérer »,
« dominer », « soumettre » dans le respect de
ce qui est à Dieu, dans le respect des lois divines, des lois
mises par Dieu dans la nature, les lois dites ainsi naturelles, dans
le respect de Dieu.
Je ne peux donc ni m’adorer et
ni servir la créature de préférence au Créateur.
Ce serait injuste et ne pas rendre à chacun son dû.
Je ne peux faire fi des lois divines
mises par lui dans la créature. Ce serait injuste.
Je dois respecter et le créateur
et la création et ses lois et sa finalité.
Rien n’est plus monstrueux, parce
que le plus injuste, que le rejet et le refus et de Dieu et de ses lois.
Ce qui implique nécessairement le replis sur soi et l’exaltation
de soi, de faire de soi-même sa propre idole, sa propre divinité.
Il ne peut y avoir d’exaltation de soi, de divinisation de soi
que dans le refus et le rejet de Dieu. L’un implique l’autre.
Et cela nécessairement. Et cela est « c’est l’orgueil,
le plus grand des péchés », dit Saint Bernard dans
son traité de l’amour de Dieu.
Saint Augustin le disait déjà
d’une manière équivalente et avec raison dans la
« Cité de Dieu » : ou l’amour de Dieu jusqu’au
mépris de soi ou l’amour de soi jusqu’au mépris
de Dieu.
L’année
Eucharistique
A - Rappel ou Appel
Je tiens à ce que les paroissiens
de la « paroisse saint Michel » célèbrent
cette « année eucharistique » de la meilleure manière
possible, d’une façon claire et nette.
Et cela pour manifester notre volonté
d’« union » à Rome, pour rester « romains
», pour continuer à « vibrer » aux «
grands événements romains ».
De plus, en raison de mon « pragmatisme
», je dirais volontiers qu’à vivre continuellement
en ignorant ce qui se fait à Rome, en n’en voulant plus
parler, en ne lisant rien de ce qui vient de Rome, en y restant indifférant,
on finira, pour de bon, par « se couper de Rome ». Ne plus
connaître « les joies et les peines » d’une
famille, ne plus s’intéresser à la vie d’une
famille, n’en plus avoir de nouvelles, n’en plus chercher,
c’est la meilleure manière, le temps passant, de perdre
tout contact, de perdre de vue cette famille , et finalement de l’ignorer
et de ne la plus connaître. Certaines attitudes concrètes
de certains prêtres de la FSSPX me le font craindre. Sérieusement.
Tout ce qui vient de Rome est occasion de critiques , de sourires, de
« commisérations », d’indifférence,
voire quelquefois de mépris. Si cela n’est pas corrigé
sérieusement par les autorités de la congrégation
et dans les meilleurs délais, m’est avis, que cela finira
mal. Une telle disposition d’esprit n’est pas bonne. Et
ce n’est pas l’esprit de Mgr Lefebvre. Sous ce rapport,
le temps peut être corrupteur !
Il y a toute une « dimension ecclésiale
» qui est en train de nous échapper. Et dire cela n’est
pas encourager « au moindre ralliement » ni oublier notre
opposition à « l’esprit conciliaire » et à
sa légitime critique. C’est le même amour de l’Eglise
qui doit et nous dresser contre l’erreur et nous faire défendre
la vérité et nous réjouir des bonnes « nouvelles
». Ne serait-ce même qu’en espérance. L’Eglise
est divine et c’est elle qui me donne la vie éternelle.
C’est en elle que je trouve le vrai, Notre Seigneur Jésus-Christ.
Or l’Eglise dite « conciliaire » n’a pas «
subverti » totalement, absolument, l’Eglise catholique,
une, sainte, apostolique et romaine, même si le mal y est profondément
entré. Ce n’est pas ce qui est exprimé par Mgr Lefebvre
dans sa « Déclaration du 21 novembre 1974 »
Voilà pourquoi je tiens à
ce que les « Paroissiens » de Saint Michel fassent cette
« année eucharistique » avec application.
Ainsi, et je le dis volontiers publiquement,
à l’intention de Rome et plus particulièrement à
l’intention des évêques de France qui « retiennent
encore la vérité captive » - celle du droit de la
messe - en leur cœur et en leur « réflexion pastorale
». Pour moi, participer à cette « année eucharistique
» est comme une « protestation de foi en l’Eglise
catholique». Protestation importance et urgentissime.
D’autre part je reconnais que
la finalité de cette année eucharistique touche l’essentiel
de ce qui fut la raison de la vie épiscopale de Mgr Lefebvre
: l’amour du sacerdoce par l’amour de l’eucharistie.
Pourquoi ne pas y participer avec reconnaissance et pourquoi ne pas
prier pour que le « Synode des évêques » qui
en sera comme la conclusion, prenne d’heureuses conclusions sur
le plus noble des sacrements, l’ Eucharistie, pour le bien des
âmes et du sacerdoce. « Que de bonnes résolutions
soient prises et appliquées en faveur de la Sainte Eucharistie
». « Qu’elle soit remise en honneur dans la chrétienté,
- ce qui est manifestement l’intention noble du Pape - , et alors
le sacerdoce sera également magnifié, remis à l’honneur.
Ce qui serait de nature à enthousiasmer toute une jeunesse à
désirer le sacerdoce. Plus on magnifiera la sainte Eucharistie,
plus on comprendra la noblesse du sacerdoce institué par le Sauveur
pour perpétuer, dans le temps, son Eucharistie et partant son
Sacrifice, raison du Sacerdoce.
Moi qui, aujourd’hui encore, suis
privé, malheureusement, de tout ministère, je trouve dans
la célébration de ce sacrifice de la messe toute ma raison
et ma joie de vivre, hic et nunc. Pourquoi tout cela -qui est une formidable
espérance - ne pourrait-il pas faire l’objet de notre prière
en cette année eucharistique et être vivement encouragé
?
Je me permets de rappeler le mode de
notre célébration . Chaque vendredi, n’importe où
l’on soit , moi habituellement dans mon oratoire, vous en votre
maison ou en une église, oui partout où l’on se
trouve, que l’on récite le chapelet, les mystères
douloureux, en s’unissant aux intentions du Souverain Pontife,
telles qu’exprimées dans « Mane nobiscum Domine »
et en recourant à l’intercession de Notre Dame, pour que
la messe dite de Saint Pie V, dont le droit est officiellement reconnu
par Rome, puisse être également pratiquement célébrée,
en particulier en France. C’est l’intention particulière
que j’aurai tout au long de cette année dans la célébration
de la messe les vendredis que le Bon Dieu me permettra encore de vivre.
Le chapelet doit être conclu par une invocation en l’honneur
de l’Eucharistie , le merveilleux « Pange lingua »,
par exemple.
Cette prière doit se prolonger
tout au long de cette année, par une étude plus particulière
du sacrement de l’Eucharistie.
Ici, vous trouverez une étude suivie sur la pensée de
Saint Thomas sur ce sacrement, article par article.
Voici le commentaire de l’article 2 de la question 73 de la Somme
Théologique de saint Thomas.
B - le sacrement de l’Eucharistie dans la Somme
théologique de Saint Thomas
III 73 2
1 -Article 2 : Si l’Eucharistie
est un seul sacrement ou plusieurs ?
Dans l’article premier sur l’Eucharistie,(cf
« Paroisse saint Michel du 21e dimanche après la Pentecôte
), saint Thomas a démontré que l’Eucharistie est
un sacrement. Il en a défini la nature en parlant d’ «
aliment spirituelle » mieux encore de « réfection
spirituelle ». Une vraie « nutrition spirituelle ».
Le pain et le vin sont au corps ce que le sacrement de l’Eucharistie
est à l’âme : une nourriture spirituelle. Et l’Eucharistie
est cela, ce sacrement, parce que, sous les espèces du pain et
du vin, c’est le corps et le sang du Sauveur dans la réalité
de leur substance.
Mais tout de suite et en raison même
de ce que nous venons de dire, une question se pose. Puisqu’il
y a dans l’Eucharistie un double élément, le pain
et le vin, le corps et le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ
qu’en est-t-il de son unité. Est-il un ? Est-il multiple?
Puisqu’il est, de fait, composé de multiples éléments,
il n’est pas « un » mais « multiple ».
Alors devons nous dire que l’Eucharistie
est multiple dans sa raison même de sacrement ? Mais alors qu’en
est-il de l ‘affirmation de l’Eglise des 7 sacrements institués
par NSJC ?
Ou pouvons-nous, malgré sa constitution multiple, parler encore
de « parfaite unité » ?
C’est l’objet de l’article
qui suit : « est-ce que l’Eucharistie est un seul sacrement
ou plusieurs » ? « Utrum Eucharistia sit unum sacramentum
vel plura“.
Saint Thomas résout cette question
en réfléchissant sur ce qu’est « un vrai repas
». De même qu’il définit la nature de l’Eucharistie
comme sacrement en utilisant la similitude entre la corporel et la vie
surnaturel. - N’oublions pas le principe thomiste : « Vita
spiritualis vitae corporali conformatur : eo quod corporalia spiritualium
similitudinem gerunt » (III 73 1) - De même et dans le prolongement
de cette pensée, il va réfléchir sur « l’intégrité
d’une vraie nourriture », qui est « un » , bien
que composer de multiple plats, en raison de la finalité qui
est la sienne : la nutrition du corps humain qu’il permet. De
là, saint thomas conclut à l’unité du sacrement
de l’Eucharistie : « Ergo hoc sacramentum multa quidem materialiter
est sed unum formaliter et perfective ».
Voici sa démonstration.
Il définit d’abord ce qu’il
faut entendre par l’un, par l’unité . Une chose peut
être « une » de déférentes manières.
Soit parce que « indivisible ». Soit parce que « continue
». On parlera d’une route, d’une ligne. Soit parce
qu’elle est « parfaite ». En ce sens on dira la maison
« une », l’ homme « un » quoi que composé
de nombreuses parties et divers. .
Insistons sur cette unité de perfection puisque le sacrement
de l’Eucharistie sera dit un sous ce rapport.
Quoi que multiple sous un certain aspect, matériellement parlant,
« materialiter dictum », faite de plusieurs parties, une
chose peut être cependant dite « une » sous le rapport
de la perfection. Toutes ces parties constituent un tout « uni
», « un » , « parfait ». Est parfait -
et sous ce rapport « un » - ce qui, ayant plusieurs parties
même distinctes et séparées, est lui-même
la résultante harmonieuse et ordonnée de ces parties diverses.
Ainsi on parlera de la maison « une », « parfaite
» en ce sens que toutes les parties qui la composent sont admirablement
intégrées, conjuguées les unes aux autres pour
que cela soit dit et puisse être dit « une habitation »
; de même pour l’homme.
C’est de cette manière que le sacrement de l’Eucharistie
peut être dit « un » quoique multiple et pluriel sous
un autre rapport - materialiter dictum, dira saint Thomas. -
Or le sacrement de l’Eucharistie
est ordonné à la « réfection spirituelle
» - nous avons dit à l’article Premier que c’est
sa nature même - Or nous savons que la « réfection
spirituelle est conforme à la réfection corporelle ».
Ce fut expliqué aussi dans l’article premier.
Mais pour la réfection corporelle
deux choses sont requises ; à savoir la nourriture qui est l’aliment
sec et la boisson qui est l’aliment humide. Le repas ne sera parfait
qu’en ce cas. L’enfant le vit parfaitement. Spontanément
il se saisira du biberon plein d’eau alors qu’il mange une
purée de pomme de terre.. Il fera ainsi et pas autrement un bon
repas. Il sera satisfait de la nourriture.
C’est pour cela, et en raison
toujours de la similitude entre la nourriture corporelle et la nourriture
spirituelle, que deux choses sont requises pour l’intégrité
de l’Eucharistie : la nourriture spirituelle et la boisson spirituelle.
C’est ce que dit expressément saint Jean : « Ma chair
est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage »
(Jn 6 56) ;
Il suit de là que ce sacrement
s’il est « plusieurs » « multa » matériellement,
est « un » formellement dans l’ordre de la perfection.,
de sa finalité : la réfection spirituelle.
Il est très vrai qu’il
y a plusieurs choses ou éléments et des éléments
très divers dans l’Eucharistie, comme sont le pain et le
vin, le corps et le sang du Christ Seigneur. Mais ces éléments
distincts et divers sont ordonnés à intégrer harmonieusement
un même tout : celui du repas spirituel -« refectio spiritualis
- destiné à refaire l’âme dans la vie spirituelle,
comme analogiquement, le breuvage doit intégrer ou se composer
avec la nourriture solide pour faire un bon repas. Pour refaire la santé
du corps.
L’Eucharistie est formellement une « nourriture »pour
l’âme chrétienne. C’est sa nature (art I) Or
la multiplicité des aliments, nourritures et boisson, ne nuit
en rien à l’unité du repas. Elle est bien plutôt
ce qui le consacre. Il ne saurait y avoir de repas parfait, de table
parfaite sans l’union, l’intégration, de ce double
aliment. Il en doit être de même analogiquement parlant,
spirituellement parlant pour le « repas eucharistique ».
Voilà pourquoi saint Thomas peut dire vraiment en toute vérité
: « Hoc sacramentum multa quidem materialiter est, sed unum formaliter
et perfective ». « Il est formellement un » dans sa
raison sacramentelle qui est la « réfection spirituelle
» du fidèle du Christ.
On peut toutefois se demander ici la
raison ou le pourquoi de la double consécration du pain et du
vin.
Cette double consécration sera nécessaire, non pas seulement
pour nous donner le double aliment qui doit constituer l’intégrité
du repas spirituelle qu’est l’Eucharistie, mais aussi pour
donner à ce double aliment le caractère essentiel qu’il
doit avoir et qui est celui de nous faire participer à la Victime
immolée à laquelle ce sacrement nous fait communier.
Et, de nouveau, nous entrevoyons le
lien étroit, indissoluble, qui unit, dans l’Eucharistie,
la raison de sacrement et la raison de sacrifice. Le pain que nous mangeons,
le vin que nous buvons ne sont pas un pain et un vin ordinaire. Ce pain
est le corps du Christ ; ce vin est son sang ; corps et sang séparés,
donc à l’état de Victime immolée. Et ils
sont cela, par l’acte même qui les constitue ou les faits
être, l’acte de la double consécration qui aura la
raison de sacrifice, du simple fait qu’il est cette double consécration
séparée, tombant sur le pain pour le changer, de soi,
au seul corps du Christ, et sur le vin pour le changer, de soi, au seul
sang du Christ, en fonction du moment où le corps et le sang
du Christ ont été en effet séparés et constitués
à l’état de Victime immolée sur le calvaire.
Ainsi, déjà après
l’étude de ces deux premiers articles de la Somme - nous
aurons à préciser tout cela dans la suite - nous pouvons
définir ce sacrement de l’Eucharistie : un repas spirituel,
où , sous les espèces du pain et du vin, le corps de Jésus-Christ
est donné à manger et son sang à boire, après
la double consécration qui a rendu Jésus-Christ réellement
présent dans le même état, sous forme sacramentelle,
de Victime immolée qui fut le sien sur le Calvaire, au moment
où s’accomplissait le mystère même de notre
Rédemption. Tous ces merveilleux aspects du sacrement et du sacrifice,
nous sont marqués dans l’oraison composée par saint
Thomas lui-même pour la fête du Très Saint Sacrement
et qui est l’oraison publique de l’Eglise : « O Dieu,
qui nous avez laissé, sous un sacrement admirable, le souvenir
de votre Passion, accordez-nous, nous vous le demandons, de vénérer
les saints mystères de votre Corps et de votre Sang, de telle
sorte que nous ressentions en nous continuellement le fruit de votre
Rédemption ».
2 - L’enseignement du catéchisme du Concile de Trente.
Cet enseignement de saint Thomas d’Aquin est intégralement
repris par le Catéchisme du Concile de Trente et de plus présenté
comme « l’enseignement de l’Eglise ». C’est
dire l’autorité dont jouissait saint Thomas auprès
des auteurs du catéchisme de Trente.
Voyez
Ce passage que je vais citer se trouve dans le Catéchisme du
Concile de Trente dans le § II du chapitre Dix-Huiième consacré
au sacrement de l’Eucharistie. On y lit :
« Cependant, quoiqu’il y
ait deux éléments, le pain et le vin, pour faire la matière
intégrale de l’Eucharistie, il n’y a qu’un
seul Sacrement et non plusieurs, selon la doctrine enseignée
par l’Eglise. Autrement, on ne pourrait plus soutenir, avec toute
la Tradition, avec les Conciles de Latran, de Florence et de Trente,
qu’il y a sept Sacrements.
Voilà pour l’exposé
de la thèse.
Voyons les raisons théologiques
avancées par les auteurs du Catéchisme. Elles sont au
nombre de deux. On retrouve l’enseignement de Saint Thomas dans
la seconde raison.
a- Première raison :
« D’ailleurs la grâce
de ce sacrement a pour but de faire de nous tous un seul corps mystique.
Mais pour qu’il soit lui-même en harmonie avec l’effet
qu’il produit, il faut qu’il soit un, non qu’il ne
puisse être composé de plusieurs parties, mais parce que
tout doit n’y représenter qu’une seule chose »
Voilà la première raison
donné par le catéchisme de Trente. Le sacrement de l’Eucharistie
est un et non multiple en raison de sa fin, de sa cause finale qui est
la réalisation « du seul corps mystique du Christ »
qui est un. Or il faut qu’il est une « harmonie »
entre l’effet et la cause. L’Eucharistie est donc un seul
sacrement, même si il est composé de plusieurs éléments
divers, les espèces du pain et du vin, le corps et le sang de
Notre Seigneur. Cette raison théologique, tout à fait
belle, n’est pas celle donnée par Saint Thomas dans son
article.
b-Deuxième raison
Le texte se poursuit ainsi :
« La nourriture et la boisson
qui sont deux choses différentes, s’emploient pour une
seule et même fin, qui est de réparer les forces du corps.
Pareillement, il était de toute convenance d’instituer
ce Sacrement avec deux matières différentes entre elles,
mais analogues aux substances dont nous venons de parler, pour représenter
l’Aliment spirituel qui soutient nos âmes et répare
leurs forces. Aussi le Seigneur a-t-il dit : « Ma chair est véritablement
une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage ». (Jn 6
55) ».
Nous retrouvons ici la pensée
de saint Thomas. C’est même un parfait résumé
de notre auteur.
La Pratique de la Perfection
chrétienne
A - Commentaire du chapitre VI
« Dans le chemin de Dieu, ne pas avancer, c’est
reculer ». ou comme le dit le dicton populaire : « Qui n’avance
pas, recule ».Voilà exprimé un principe simple et
de la plus grande importance pour progresser dans la vie spirituelle.
Il ne faut pas oublier que c’est le but que se propose Rodriguez
dans son livre « La pratique de la perfection chrétienne
» : nous encourager à entrer courageusement dans la perfection
chrétienne. Et bien savoir que si on n’avance pas dans
la vie spirituelle , on va nécessaire reculer, est « un
puissant motif d’encouragement à avancer de plus en plus
dans la voie de la perfection ».
Cette idée va faire l’objet de ce chapitre.
Le Père Rodriguez va le démontrer en s’appuyant
sur la solide doctrine des saints. Il cite tout au début de ce
chapitre, une phrase merveilleuse de Saint Augustin. « Nous ne
pouvons éviter de reculer qu’en nous efforçant d’avancer
; dès que nous voulons nous arrêter, nous rétrogradons
; ne pas aller en avant, c’est retourner en arrière. Il
faut donc, si nous ne voulons pas revenir sur nos pas, que nous courrions
devant nous ».
Voilà bien exprimer l’objet de ce chapitre
.
N’oublions pas qu’il en est de la vie surnaturelle
comme de la vie humaine. Nous portons la grâce de Dieu dans des
vases fragiles. Ce qui nous oblige à des efforts constants. Nous
sommes, comme cet homme jeté dans un fleuve impétueux.
S’il n’agit pas fermement, il sera inéluctablement
emporté par les eaux.
Alors à tous ! Courage ! Ne baissons pas les
bras. Aimons tellement la vie divine que nous soyons de vrais lutteurs
pour gagner la « perle précieuse » : le ciel.
Bonne lecture !
B - Pratique de la Perfection Chrétienne par le
RP Alphonso Rodrigues
Première Partie
Premier traité
De l’estime et de l’affection que mérite de notre
part tout ce qui se rapporte à notre avancement spirituel et
des différents moyens qui peuvent nous aider à y travailler
avec fruit.
Chapitre VI :
Où l’on montre que ne pas avancer dans la
vertu, c’est reculer.
C’est une maxime généralement
proclamée par les saints que, dans le chemin de Dieu, ne pas
avancer, c’est reculer La démonstration de cette vérité
va faire le sujet de ce chapitre. Nous y trouverons un puissant motif
d’encouragement à avancer de plus en plus dans la voie
de la perfection. Car enfin, quel est celui qui, se voyant heureusement
entré dans la bonne voie, pourrait songer à revenir sur
ses pas ? Il n’aurait donc jamais entendu retentir à son
oreille cette effrayante parole du Sauveur dans l’Evangile : «
Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière
n’est pas digne du royaume de Dieu » (Lc 9 62). «
Or, dit saint Augustin, nous ne pouvons éviter de reculer qu’en
nous efforçant d’avancer ; dès que nous voulons
nous arrêter, nous rétrogradons ; ne pas aller en avant,
c’est retourner en arrière. Il faut donc, si nous ne voulons
pas revenir sur nos pas, que nous courrions devant nous ».
Saint Grégoire, saint Chrysostome,
le pape saint Léon et beaucoup d’autres saints ont exprimé
le même principe, presque dans les mêmes termes, dans une
foule de passage. Saint Bernard, entre autres, le développe longuement
dans deux de ses lettres (253 et 341). S’adressant à un
religieux tiède et relâché, qui se contente d’observer
la lettre de la règle et ne veut faire aucun effort pour son
avancement spirituel, il l’interpelle de la manière suivante
: « Eh quoi ! Ne voulez-vous pas avancer ? Non. Vous voulez donc
reculer ? Pas d’avantage. Alors que voulez-vous ? Rester ce que
je suis, n’être ni meilleur ni plus mauvais. Vous voulez
l’impossible. Y a-t-il rien de stationnaire en ce monde ? Dieu
seul est immuable, parce que , seul, il ne subit aucun changement, ni
l’ombre d’une vicissitude ». « Je suis le Seigneur,
dit-il lui-même, et je ne change pas » (Jac 1 17). Mais
toutes les choses terrestres sont dans une mobilité perpétuelle
: « Les cieux, dit le psalmiste, vieilliront comme un vêtement
; vous les changerez comme un manteau et ils seront changés (Ps
101, 27 28). Pour ce qui est de l‘homme en particulier, selon
Job, « c’est une ombre fugitive et il n’est jamais
le même (Job 14 2)
Jésus-Christ lui-même, continue saint Bernard « tant
qu’il a été visible sur la terre et a conversé
parmi les hommes, s’est-il jamais arrêté dans la
voie de la vertu ? . Non, il est dit dans l’Evangile : «
Jésus croissait en âge, en sagesse et en grâce devant
Dieu et devant les hommes ». (Lc 2 52) C’est-à-dire
qu’à mesure qu’il croissait en âge, il donnait
de plus grandes marques de sagesse et de sainteté et se préparait
« à s’élancer comme un géant dans sa
carrière ». Il faut donc si nous voulons rester avec Jésus-Christ
que nous marchions du même pas qu’il a marché dans
sa vie mortelle. Mais, si pendant qu’il court, au lieu de courir
avec lui, nous nous arrêtons en route, il est évident,
bien loin de nous approcher de ce guide divin, nous nous en éloignerons
de plus en plus. « Qui dicit se in ipso manere, debet, sicut ipse
ambulavit, et ipse ambulare » (Jn 2 6)
Jacob vit une échelle qui s’élevait
de la terre au ciel et sur les degrés de laquelle des anges montaient
et descendaient toujours , sans s’arrêter jamais (Gen 28
12). Dieu seul se tenait immobile au sommet de cette échelle.
Il en est ainsi, dit Saint Bernard,
pendant cette vie, du chemin de la vertu : il n’y a pas de milieu
entre monter ou descendre, avancer ou reculer. Sur ce chemin escarpé,
dès qu’on ne va plus en avant, on revient en arrière,
comme la roue du tour qui retourne sur elle-même aussitôt
qu’on veut l’arrêter. « Nous devons nous appliquer
avec un zèle infatigable, dit encore un autre saint abbé,
à l’étude de la vertu, et travailler sans relâche
à en pratiquer les œuvres, de peur que, cessant de grandir
et d’avancer dans la perfection, nous ne perdions immédiatement
une grande partie du terrain que nous avons conquis, car,, nous l’avons
déjà dit, il n’est pas donné à l’âme
de s’arrêter à un point fixe de vertu, de manière
à ne rien gagner et à ne rien perdre. Tout l’espace
qu’elle ne gagne pas au delà, elle le perd en deçà
et nous ne pouvons cesser un moment de désirer notre avancement
spirituel sans nous exposer au danger presque inévitable de déchoir
»
Cassien va nous rendre cette vérité
sensible par une comparaison très juste, également employé
par saint Grégoire. De même, dit-il, qu’un homme
jeté au milieu d’un fleuve impétueux courrait grand
risque d’être emporté par le courant, s’il
ne s’efforçait point de le remonter, et s’il voulait
essayer de rester immobile à la même place, ainsi notre
âme voudrait vainement s’arrêter sur le chemin de
la vie spirituelle. Ce chemin est une eau si rapide, et la nature humaine,
corrompue par le péché, a tant de peine à s’y
maintenir, que celui qui n’emploie pas toutes ses forces à
marcher en avant sera emporté par le courant de ses passions,
comme le batelier qui navigue contre la marée et qui, cessant
tout à coup de faire force de rames pour avancer, se trouve en
un instant emporté bien loin en arrière. « Le royaume
des cieux souffre violence, et il n’y a que les violents qui le
ravissent » (Mt 11 12). Il faut toujours ramer et lutter contre
le flot de nos passions, si nous voulons échapper à un
terrible naufrage.
Saint Jérôme et saint Chrysostome
ont émis sur cette grande question une théorie qui éclaire
d’un nouveau jour et qui est conforme au sentiment de tous les
saints et de tous les théologiens. Saint Thomas reproduit ainsi
cette doctrine (II II 9 84ad 2). La vie religieuse est un état
de perfection ; cela ne veut pas dire qu’il suffit d’être
religieux pour être parfait, mais que tout religieux est obligé,
par état, d’aspirer et de tendre à la perfection,
et que celui qui néglige ce devoir et ne se consacre pas tout
entier à le remplir n’a du religieux que le nom. Je n’examinerai
point, en ce moment s’il y aurait péché mortel pour
le religieux qui dirait : je me contente d’observer les commandements
de Dieu et mes vœux essentiels ; quant aux autres règles
qui n’obligent pas sous peine de péché, je me dispense
de leur obéir…Je ne veux pas résoudre cette question,
parce que les docteurs qui l’ont agitée diffèrent
d’opinion. D’après les uns, le religieux qui tiendrait
ce langage pécherait mortellement ; selon d’autres, l’offense
ne serait point mortelle, à moins qu’il ne s’y mêlât
une sorte de mépris de la volonté des supérieurs.
Mais un point incontestable et sur lequel tous les théologiens
sont unanimes, c’est que le religieux animé de tels sentiments
serait un mauvais religieux, un religieux scandaleux, et qu’il
se trouverait moralement en très grand danger de mort, parce
que « celui qui méprise les petites choses ne tardera pas
à pécher dans les grandes ». Eccl 19 1)
Saint Chrysostome nous fait en quelque
sorte toucher cette vérité du doigt par des exemples à
la portée de toutes les intelligences. Si vous aviez, dit-il,
un esclave qui ne fût ni voleur, ni joueur, ni enclin à
l’ivrognerie, qui se distinguât, au contraire, par sa fidélité,
sa sobriété et ses mœurs irréprochables, mais
qui, avec tout cela, demeurât toute la journée inactif
et insouciant à l’endroit des obligations attachées
à son service, ne serait-il pas, à votre avis, digne d’être
châtié sévèrement ? Sans aucun doute, car
c’est se rendre coupable d’une bien grande faute que de
ne pas faire ce que l’on doit faire. Un laboureur, honnête
homme d’ailleurs, mais qui resterait les bras croisés,
sans vouloir cultiver ni semer, ni moissonner ses champs, serait évidemment
digne de blâme, parce qu’il est mal et très mal de
ne pas remplir les devoirs de son état. Si une de vos mains,
sans vous nuire d’une manière active, se refusait cependant
à faire son service et à seconder les autres membres de
votre corps, ne regarderiez-vous pas son oisiveté comme un grand
mal ? Eh bien il en est de même dans les choses spirituelles ;
le religieux, qui, comme un membre inutile, vit dans le cloître,
dans un état d’inaction et d’immobilité morale,
sans vouloir faire un pas dans la vertu, et sans avoir nul souci de
l’affaire capitale de sa sanctification, est un mauvais religieux
et ne saurait trop être blâmé, parce qu’il
manque à sa vocation et à tous les devoirs de son état.
Ne pas faire le bien quand on le doit faire est aussi criminel que de
faire le mal ; ne pas avancer est la même chose que reculer, car
c’est enfreindre également les devoirs de sa profession.
Le plus grand défaut d’une terre, n’est-ce pas d’être
stérile et de ne produire aucun fruit, surtout lorsque cette
terre est labouré et cultivée avec soin ? Or, si votre
âme, ce champ spirituel cultivé avec tant de sollicitude,
arrosé si abondamment par les pluies célestes de la grâce,
réchauffé si fréquemment par les rayons du soleil
de justice, ne rapporte cependant pas de fruit et demeure aride et infécond,
quelle plus grande imperfection pourrait-elle offrir aux yeux de Dieu
que cette stérilité ? Vous rendez ainsi le bien pour le
mal à celui à qui vous devez déjà tant,
et qui vous a comblé de ses grâces. « Retribuenbant
mihi mala pro bonis, stérilitatem animae meae. ». (Ps 3
12)
Le calme absolu des flots et des vents
est aussi funeste aux navigateurs que les fureurs de la tempête,
parce qu’ils épuisent toutes leurs ressources avant d’être
rendus au terme de leur voyage, et se trouvent ensuite dénués
de tout au milieu de l’immensité des mers. Tel est le sort
réservé aux âmes imprudentes qui, dans le grand
et orageux voyage du monde s’arrêtent sur le chemin de la
vertu et ne veulent faire aucun effort pour vaincre la torpeur mortelle
qui les frappe d’immobilité. Elles ont bientôt dissipé
toutes les richesses spirituelles qu’elles avaient amassées
antérieurement, et elles se voient tout à coup réduites
au dénuement le plus complet, sans voiles et sans boussole, au
milieu des flots impétueux des passions et d’attaques redoutables
qui demanderaient de puissants moyens de défense et une grande
provision de vertus.
Malheur à celui qui fait halte
dans la voie de la perfection ! Vous êtes entré si courageusement
dans la carrière, « qui donc vous a arrêté
et vous a empêché de vous rendre à l’appel
de la vérité ? » (Gal 5 7) Eh quoi, vous sentiriez-vous
déjà rassasié, et vous croiriez-vous désormais
assez riche ? (1 Cor 4 8) Ah ! considérez plutôt le long
espace qu’il vous reste encore à parcourir. Songez que
vous rencontrerez une foule d’épreuves pour lesquelles
vous aurez besoin de beaucoup de patience, d’humilité,
de mortification et d’abnégation, et qu’au moment
de la plus grande nécessité, vous vous trouverez pris
au dépourvu. »
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