La Toussaint
A l’occasion de cette belle fête de la Toussaint,
je ne donnerai pas aujourd’hui, , de sermon, mais seulement quelques
réflexions sur la gloire du Paradis. Tous nos regards, en effet,
en cette fête, doivent se porter sur le ciel qui est le but de
toutes nos espérances et la consommations des bienfaits divins.
Rien n’est plus important pour nous, dans notre marche vers le
ciel, que de contempler, parfois, pour ne pas dire toujours, des yeux
de la foi, la gloire du ciel à la quelle nous souhaitons participer
un jour. Saint Jean dans son Apocalypse nous parle de cette gloire en
des expressions vibrantes et chaudes : « Je vis, dit-il, la cité
sainte, la nouvelle Jérusalem descendant du ciel, comme une épouse
parée pour son époux, et j’entendis une grande voix
qui disait : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes » (Apoc.
21 2-3)
Ce texte de saint Jean inspire une très
belle prière au Père Louis Du Pont dans son livre de «
Méditations » que je recommande très vivement :
« Dieu éternel qui faites descendre du Ciel la Jérusalem
céleste lorsque vous en donnez la connaissance aux hommes qui
vivent sur la terre, éclairez les yeux de mon âme pour
qu’elle connaisse cette souveraine cité, sa sainteté,
la paix dont elle est le séjour, sa merveilleuse beauté,
ses incompréhensibles délices, et l’union ineffable
qui lui mérite d’être appelée votre épouse.
Que la voix des divines inspirations retentisse à mon oreille,
et me dise : Voici le lieu où Dieu se plaît à demeurer
avec les hommes. Découvrez-moi les charmes de cette demeure,
et l’union qui règne entre vous tous et ses heureux habitants.
Aimable Epoux de nos âmes, montrez-moi la beauté de votre
visage, faites-moi entendre la douceur de votre voix, ôtez ce
voile qui me cache les biens que vous me promettez, afin, animé
par la vue du bonheur après lequel je soupire, je travaille de
toutes mes forces à l’obtenir pour la gloire de votre saint
nom. ».
Mais quelle est donc cette gloire céleste
? Quelle est ce Paradis que je veux aimer pour le posséder un
jour ? Quelle est cette béatitude céleste ?
Les Théologiens répondent
que c’est un état dans lequel on jouit de tous les biens
; ou que c’est un état fixe, tranquille, immuable, exempt
de tous les maux que l’on peut craindre, soit du péché,
soit de la peine du péché, et rempli de tous les biens
naturels et surnaturels que l’on peut raisonnablement désirer.
Saint Thomas en parle dans sa I II 3
et seq.
Ce bonheur éternel jouit de quatre
perfections excellentes. Les suivantes.
C’est un bonheur éternel
parce que la béatitude qui a Dieu pour objet doit durer autant
que Dieu, dont le règne n’aura pas de fin. « Et regni
eius non erit finis (Lc 133)
C’est un bonheur certain. Les
saints savent qu’ils ne peuvent plus le perdre par le péché
et que Dieu ne saurait changer le décret qu’il a porté
de ne les jamais exclure de son royaume.
C’est un bonheur immuable. La
gloire essentielle ne subira aucune diminution. Car Dieu qui est l’objet
de ce bonheur est lui-même immuable.
C’est un bonheur toujours joyeux.
L’immutabilité de ce bonheur ne produira aucun ennui et
le repos ne perdra jamais cet attrait de la nouveauté que l’on
aura ressenti en « entrant » dans l’éternité.
Et puisqu’il en est ainsi on comprend
la sagesse des paroles de Notre Seigneur disant : « N’amassez
point de trésors sur la terre, où la rouille et les vers
les consument et où les voleurs les déterrent et les dérobent
; mais faites-vous des trésors dans le ciel où ni la rouille
ni les vers ne les consument et où il n’y a point de voleurs
qui les déterrent et les dérobent » (Mt 6 19-20)
Ces paroles nous font voir la différence
des biens de la terre d’avec ceux du ciel.
Celui donc qui s’attache à
ces sortes de biens terrestres ne peut s’exempter de beaucoup
de craintes et d’inquiétudes. Mais c’est tout le
contraire des biens du ciel. Ils sont éternels et incorruptibles,
ils ne diminuent point par l’usage, mais se conservent et se conserveront
éternellement aussi entiers qu’au commencement sans jamais
se détériorer ni se flétrir.
Et c’est là qu’il
faut citer le très beau texte de Saint Pierre dans sa première
Epître qu’ils adressent aux Romains et que je ne lis jamais
sans enthousiasme très grand. En ces paroles, je fonde mon espérance
de posséder un jour ces biens célestes ; je fonde aussi
ma connaissance de Dieu, un Dieu d’amour et de miséricorde,
un Dieu prévenant, bienfaisant qui me veut en son ciel ; j’y
fonde ma joie de vivre pour le ciel.
Ecoutez : « Béni soit Dieu,
le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui, selon sa
grande miséricorde, nous a régénérés
pour une vivante espérance par la résurrection de Jésus-Christ
d’entre les morts, pour un héritage incorruptible qui ne
saurait ni se souiller ni se flétrir : héritage conservé
dans le ciel pour vous, que la puissance de Dieu garde par la foi pour
le salut, qui est prêt à apparaître dans le dernier
temps. Dans cette pensée, vous tressaillez de joie, bien que
maintenant, s’il le faut, vous soyez pour un peu de temps affligés
de diverses épreuves, afin que votre foi ainsi éprouvée,
plus précieuse que l’or périssable, bien qu’on
l’éprouve par le feu, vous soit un sujet de louange, d’honneur
et de gloire au jour de l’avènement de Jésus-Christ,
ce Sauveur que vous aimez sans l’avoir vu et en qui maintenant,
croyant en lui sans le voir encore vous tressaillez d’une joie
ineffable et glorieuse, parce que vous aller remporter le prix de votre
foi, le salut de vos âmes. Ce salut a été l’objet
des recherches et des méditations des prophètes qui ont
parlé de la grâce qui vous était destinée
». (I Pet 1 2-11)
Et maintenant portons notre attention
sur ce qu’on appelle le « séjour des bienheureux
» : le ciel proprement dit.
Le ciel est exempt de tous les maux
que nous souffrons dans ce monde inférieur, si justement appelé
« une vallée de larmes ». Saint Jean nous dit que
les saints y sont dans la joie et qu’il ne coule jamais de leurs
yeux une seule larme (Apoc 7 17). Saint Jean, encore lui, nous lève
le voile du Ciel et nous le décrit par le moyens des plus belles
choses sur cette terre, pour nous en faire comprendre la beauté,
la sublimité. Il nous dit que « les places de la Jérusalem
céleste sont pavées d’un or très pur et transparent
comme le cristal ; que ses murailles sont bâties de jaspe, ses
fondements ornés de toutes sortes de pierres précieuses,
ses portes faites de perles d’une valeur inestimable » (Apoc
21 19-21). Saint Jean se sert de ces images parce qu’il ne trouve
pas sur la terre des choses plus précieuses auxquels il puisse
comparer les choses du ciel. N’est-il pas vrai, en effet, que
« l’œil n’a point vu, l’oreille n’a
pas entendu le cœur de l’homme n’a pas compris ce que
Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment ». (1
Cor 2 9)
Mais le ciel, quel est-il encore? C’est
un lieu très éclairé où il n’y a point
de nuit, mais un jour perpétuel. Dieu même est le soleil
qui l’éclaire et l’agneau qui est Notre Seigneur
Jésus-Christ, l’illumine et le réjouit des splendeurs
de sa très sainte humanité (Apoc 21 23)
Mais le ciel, quel est-il ? C’est
le séjour des anges et des élus. Ils sont innombrables.
Le prophète Daniel ne parlant que des anges dit « qu’un
million d’esprits célestes servaient l’ancien des
jours et mille millions étaient rangés autour de son trône
». (Dan 7 10) Et saint Jean assure qu’il vit « une
multitude immenses d’âmes bienheureuses que personne ne
pouvait compter. Certes il est vrai, malheureusement que , parmi les
hommes, il y a bien moins d’élus que de réprouvés,
comme le déclare Jésus-Christ quand il dit : « Que
la porte du ciel est petite ; que la voie qui mène à la
vie est étroite ; et qu’il y a peu qui la trouve »
(Mt 7 14). Mais absolument parlant, il sont en grand nombre. C’est
ce qui a fait dire au même Sauveur : « Il y a plusieurs
demeures dans la maison de mon Père » (Jn 14 2) ;
Et lors qu’on sait que ces élus
vivent dans la plus parfaite union des cœurs, qu’ils s’aiment
tous en Dieu d’un amour brûlant, qu’ils sont tous
dans une même conformité de volontés, qu’il
n’y a donc nul jalousie, nul rivalité, nulle querelle,
on se prend bien naturellement à désirer un tel lieu.
Alors, o mon âme, si cette société céleste
te fait envie, tâche d’imiter les vertus de ceux qui la
composent. Imite leur obéissance en faisant la volonté
de Dieu sur la terre, comme ils la font dans le ciel ; pratique à
leur exemple, la charité et l’union fraternelle en gardant,
autant que cela dépend de toi, te dirait saint Paul, la paix
avec tous ; et surtout n’oublie pas de rendre un culte à
Dieu sur la terre comme les élus le font au ciel. Aime la liturgie
de la terre tellement proche , dans la foi, de la liturgie céleste.
Tu la connais cette liturgie céleste. Saint Jean te l’a
apprise dans son Apocalypse : « Et les élus ne cessent
jour et nuit de dire : « Saint, saint, saint est le Seigneur,
le Tout-Puissant qui était, qui est et qui vient ». «
Ils adorent Celui qui vit aux siècles des siècles et ils
jettent leur couronne devant le trône, en disant : « Vous
êtes digne, notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir l’honneur,
la gloire et la puissance car c’est vous qui avez créé
toutes choses et c’est à cause de votre volonté
qu’elles ont eu l’existence et qu’elles ont été
créées » (Apoc 4 8-11) ou encore un peu loin dans
le texte : « Je vis et j’entendis autour du trône…la
voix d’une multitude d’anges et leur nombres était
es myriades et des milliers de milliers. Ils disaient d’une voix
forte : « L’agneau qui a été immolé
est digne de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force,
l’honneur, la gloire et la louange ». (Apoc 5 11). Ne reconnais-tu
pas les invocations qu’utilise l’Eglise dans sa liturgie
?
Mais les âmes au ciel que sont-elles
? Elles sont dans la gloire et cette gloire les rend parfaitement heureuses.
Cette gloire est si grande, que, au sentiment de saint Thomas, elle
ne peut l’être davantage, parce qu’elle renferme la
possession de Dieu même. L’âme dans le ciel est pleine
de Dieu ; elle est comme déifiée par une participation
éternelle et immuable de la Divinité qui s’unit
à elle comme le feu s’unit au fer, le pénètre,
lui communique son éclat, sa chaleur et ses autres propriétés
au point qu’on le prendrait pour du feu. L’âme qui
possède Dieu, possède par la même tout le bien qu’elle
peut désirer selon cette parole de David : « Je serai rassasié
lorsque m’apparaîtra votre gloire » (Ps 16 15)
La mémoire se perdra dans l’abîme de la divinité
: elle pénétrera dans les œuvres du Tout-Puissant
et ne se souviendra que de sa justice. Dieu lui sera toujours présent
sans qu’elle puisse ni l’oublier, ni s’occuper d’aucun
autre objet. Elle se rappellera continuellement les bienfaits qu’elle
a reçus de lui, ceux qu’elle en reçoit à
chaque instant. Aussi chantera-t-elle, avec David, « l’abondance
de ses miséricordes et glorifiera-t-elle sa justice ».
Mais c’est aussi l’intelligence
qui sera rempli de Dieu. Elle aura une vue claire de l’essence
divine et des trois personnes de la Trinité. Elle verra, comme
nous le dit saint Paul « face à face », sans voile
et sans figures, le Père, Le Fils et le Saint esprit. Elle verra
les générations trinitaires Elle verra toutes les perfections
de ce grand Dieu, sa bonté dont elle se régalera, sa sagesse
qu’elle admirera, sa charité qui la confondra, sa toute-puissance
qui l’éblouira, sa providence qu’elle adorera. Elle
verra les profonds mystères de l’Incarnation. Toute ignorance
sera bannie. La foi et l’espérance ne seront plus, nous
dit la Théologie, parce qu’elle verra ce qu’elle
a cru et qu’elle possédera ce qu’elle a espéré.
Elle verra ce qu’elle avait peine à comprendre ici-bas,
les jugements secrets de Dieu dans la conduite des hommes, conduite
toute paternelle.
Mais la volonté sera de même
pénétré de Dieu et unie très intimement
à lui par un amour ferme et constant. Elle l’aimera effectivement
comme un père, comme un ami, comme un époux, comme un
bienfaiteur infiniment libéral, comme le souverain bien. Elle
sera dans la joie infinie de son Seigneur : « Entre dans la joie
de ton Maître ».
Voilà quelques pieuses considérations
que je propose à votre méditation.
L'année eucharistique
A – Homélie de Jean-Paul II
A l’occasion de l’ouverture
de l’Année de l’Eucharistie, dans la soirée
du dimanche 17 octobre 2004, le Pape Jean-Paul II a présidé
une solennelle concélébration eucharistique dans la Basilique
Saint Pierre. Après la Messe, célébrée par
le Cardinal Sodano, Secrétaire d’Etat, ont suivi l’Exposition,
l’Adoration et la Bénédiction du Très Saint
Sacrement. Et alors que la cérémonie se déroulait
en liaison satellite avec Guadalajara, ville du Mexique qui accueillait
le 48e Congrès eucharistique international (cf Chronique Romaine,
novembre 2004, http://item.snoozland.com), le pape a prononcé
en espagnol le discours suivant (Vous en avez le texte italien dans
la Chronique Romaine d’octobre 2004 sur le site ITEM) :
I - « Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à
la fin du monde » (Mt 28 20)
Réunis devant l’Eucharistie,
nous ressentons en ce moment avec une acuité particulière
la vérité de la promesse du Christ : Il est avec nous
!
Je vous salue tous, vous qui êtes réunis à Guadalajara
pour participer à la conclusion du Congrès eucharistique
international. Je salue, en particulier, le Cardinal Jozef Tomko, mon
Légat, le Cardinal Juan Sandoval Iniguez, Archévêque
de Guadalajara. Messieurs les Cardinaux, les Archevêques, les
Evêques, les prêtres du Mexique et de nombreux autres pays,
présents sur place.
Mon salut s’étend à tous les fidèles de Guadalajara,
du Mexique et des autres parties du monde, unis à nous dans l’adoration
du Mystère eucharistique
2- La liaison télévisée
entre la Basilique Saint-Pierre, cœur de la chrétienté,
et Guadalajara, siège du Congrès, est comme un pont jeté
entre les continents et fait de notre rencontre de prière une
« Statio orbis » idéale, dans laquelle convergent
les croyants du monde entier. Le point de rencontre est Jésus
lui-même, réellement présent dans la Très
Sainte Eucharistie avec son mystère de mort et de résurrection
dans lequel s’unissent le ciel et la terre et se rencontrent les
peuples et les cultures différentes. Le Christ est « notre
paix, lui qui des deux peuples n’en fait qu’un » (Ep
2 14)
3 – « L’Eucharistie
lumière et vie du nouveau Millénaire ». Le thème
du Congrès nous invite à considérer le Mystère
eucharistique non seulement en lui-même, mais également
par rapport aux questions de notre temps.
Mystère de lumière ! C’est de lumière dont
a besoin le cœur de l’homme, écrasé par le
péché, souvent désorienté et las, éprouvé
par des souffrances en tous genres. C’est de lumière dont
le monde a besoin, dans la recherche difficile d’une paix qui
apparaît lointaine, au début d’un millénaire
bouleversé et humilié par la violence, le terrorisme et
la guerre.
L’Eucharistie est lumière ! Dans la Parole de Dieu constamment
proclamée, dans le pain et dans le vin devenus corps et sang
du Christ, c’est précisément Lui, le Seigneur Ressuscité,
qui ouvre l’esprit et le cœur, et qui se laisse reconnaître,
comme par les deux disciples à Emmaüs, dans la « fraction
du pain (cf 24 25). Dans ce geste convivial, nous revivons le sacrifice
de la Croix, nous ressentons l’amour infini de Dieu, nous nous
sentons appelés à diffuser la lumière du Christ
parmi les hommes et les femmes de notre temps.
4 – Mystère de vie ! Quelle
aspiration est plus grande que celle de la vie ? Et pourtant, sur cette
aspiration humaine universelle se profilent des ombres menaçantes
: l’ombre d’une culture qui nie le respect de la vie à
chacun de ses stades ; l’ombre d’une indifférence
qui livre une multitude de personnes à un avenir de faim et de
sous-développement ; l’ombre d’une recherche scientifique
parfois placée au service de l’égoïsme du plus
fort.
Très chers frères et sœurs, nous devons nous sentir
interpelles pas les nécessités d’un si grand nombre
de nos frères. Nous ne pouvons fermer notre cœur à
leurs appels à l’aide. Et nous ne pouvons pas non plus
oublier que « ce n’est pas le pain seul que vit l’homme
» (Mt4 4). Nous avons besoin du « pain vivant, descendu
du ciel »(Jn 6 51). Jésus est ce pain. Nous nourrir de
Lui signifie accueillir la vie même de Dieu (Jn 10 10), en nous
ouvrant à la logique de l’amour et du partage.
5 – J’ai voulu que cette
année soit spécifiquement consacrée à l’Eucharistie.
En réalité toius les jours, et en particulier le Dimanche,
jour de la résurrection du Christ, l’Eglise vit de ce mystère.
Mais la communauté chrétienne est invitée, en cette
année de l’Eucharistie, à en prendre une plus vive
conscience à travers une célébration plus sincère,
un plus grand engagement de fraternité et de service aux derniers.
L’Eucharistie est source et épiphanie de communion. Elle
est principe et projet de mission (cf Mane nobiscum Domine cap III et
Iv)
Sur les tr&aces de Marie, «
femme eucharistique » (Ecclesia de Eucharistia, chap VI, la communauté
chrétienne vit donc de ce mystère ! Forte de « pain
de vie éternelle, puisse-t-elle devenir présence de lumière
et de vie, ferment d’évangélisation et de solidarité
!
6 – Mane nobiscum Domine ! Comme
les deux disciples de l’Evangile, nous implorons, Seigneur Jésus
: reste ace nous !
Toi, divin Voyageur, expert de nos routes et connaisseur de notre cœur,
ne nous laisse pas prisonniers des ombres du soir.
Soutiens-nous dans la lassitude, pardonne nos péchés,
oriente nos pas sur la voie du bien.
Bénis les enfants, les jeunes, les personnes âgés,
les familles, en particulier les malades. Bénis les prêtres
et les personnes consacrées. Bénis toute l’humanité.
Dans l’Eucharistie tu t’es fait « remède d’immortalité
» : donne-nous le goût d’une vie vécue en plénitude,
qui nous fasse cheminer sur cette terre comme des pèlerins confiants
et joyeux en ayant toujours pour objectif la vie qui n’a pas de
fin.
Reste avec nous, Seigneur ! Reste avec nous ! Amen.
B - Notre étude sur le mystère de la Saint
Eucharistie.
Les article 1 et 2 du traité
de saint Thomas sur le sacrement de l’Eucharistie que nous avons
étudiés dans nos deux précédentes paroisses
« Saint Michel », nous ont permis de définir le sacrement
de l’Eucharistie comme le sacrement de la « réfection
spirituelle » de l’âme - c’est la raison même
de ce sacrement. Et en tant que tel - i.e. en tant que réfection
spirituelle - il est formellement un seul sacrement quoi que matériellement
composé de divers aliments, le pain et le vin, le corps et le
sang de Christ comme tout repas qui a une seule finalité, une
perfection : la réparation de forces de notre corps. Vous vous
souvenez de la raison que donne saint Thomas et que résume si
bien le Catéchisme du Concile de Trente. Je la redonne pour que
cela entre dans notre intelligence : « La nourritures et la boisson
qui sont deux choses différentes, s’emploient pour une
seule et même fin, qui est de réparer les forces du corps.
Pareillement il était de toute convenance d’instituer ce
Sacrement avec deux matières différentes entre elles,
mais analogues aux substances dont nous venons de parler, pour représenter
l’Aliment spirituel qui soutient nos âmes et répare
leurs forces.( Et sous ce rapport, il est un, formellement un, dans
sa finalité). Aussi le Seigneur a-t-il dit : « Ma chair
est véritablement une nourriture et mon sang est vraiment un
breuvage ».(Cat de Tente p. 207-208).
Et puisque l’Eucharistie est cela, le sacrement de la réfection
spirituelle de mon âme, quelle place faut-il lui donner dans l’économie
du salut ? Est-il nécessaire à mon âme et donc à
mon salut éternel comme la nourriture corporelle est nécessaire
à ma vie corporelle. Sans nourriture, point de vie naturelle.
Sans l’Eucharistie, point de vie éternelle ?
Quand est-il ? C’est l’objet de l’article 3. Cette
étude de saint Thomas sur l’Eucharistie s’enchaîne
bien.
Dans le « Sed Contra »,
Saint Thomas cite l’enseignement de saint Augustin qui, dans son
étude contre les Pélagiens, affirme : « n’allez
pas croire que les enfants ne puissent pas avoir la vie éternelle
parce qu’ils n’ont pas reçu le corps et le sang du
Christ ». J’en conclus que l’Eucharistie n’est
pas nécessaire au salut éternel. Toutefois dans l’évangile
de saint Jean, je lis le contraire « A moins que vous ne mangiez
la chair du Fils de l’homme et que vous ne buviez son sang, vous
n’avez pas la vie en vous » (Jn 6 54).
C’est la première objection
que se présente saint Thomas.
De plus si la nourriture spirituelle
doit être considérée - comme nous l’avons
plus haut - analogiquement avec la nourriture corporelle, cette dernière
étant nécessaire à la vie corporelle, il en est
de même pour la nourriture spirituelle. C’est la deuxième
objection présentée par saint Thomas.
Enfin, il doit en être de même
du baptême et de l’Eucharistie. Ces deux sacrement sont
à mettre en relation avec la Passion du Christ. Donc comme le
baptême est de nécessité de salut, de même
l’Eucharistie.
Telle est le problème.
Quelle est la vérité ?
Elle va se trouver dans une distinction
ente ce qu’on appelle le « sacrement lui-même »
et la « res sacramenti ».
En effet dans le corps de l’article
3, saint Thomas nous apprend qu’il faut distinguer dans le sacrement
deux choses : le sacrement lui-même, c’est –à-dire
le corps et le sang du Christ et la chose du sacrement, c’est-à-dire
l’effet du sacrement. Il écrit : « In hoc sacramento
duo est considerare : scilicet ipsum sacramentum et rem sacramenti ».
Toute la solution du problème se trouve dans cette distinction.
La « res sacramenti » c’est l’effet dernier
du sacrement. C’est « l’unité du corps mystique
» du Christ. « La grâce de ce sacrement a pour but
de faire de nous un seul corps mystique » (Cat de Trente p. 207).
Or sans cette participation à cette unité du corps mystique
du Christ, il ne peut y avoir de salut. « Sine qua non potest
esse salus ». C’est l’application de l’axiome
« hors de l’Eglise - qui est le corps mystique du Christ
- « nulla salus » ; il ne peut y avoir de salut, comme «
lors du déluge personne ne fut sauvé hors de l’arche
de Noé qui est le signe de l’Eglise. Et saint Thomas pour
le prouver site l’enseignement de saint Pierre dans sa première
Lettre au chapitre 3, aux versets 20-21 qui dit : « ..rebelles
autrefois, lorsque ‘aux jours de Noé la longanimité
de Dieu temporisait, pendant que se construisait l’arche, dans
laquelle un petit nombre, savoir huit personnes, furent sauvées
à travers l’eau. C’est elle (l’Eglise) qui
aujourd’hui vous sauve… »
Or on sait ( là Saint Thomas renvoie à la question 68
article 2 -c’est l’étude du sacrement en général
– je résume ) que la chose ou l’effet dernier «
d’un sacrement peut être acquise avant la réception
de ce sacrement par le désir ou le vœu de recevoir le sacrement.
« Res alicuius sacramenti haberi potest ante perceptionem sacramenti,
ex ipos voto sacramenti percipiendi ».
Il s’en suit qu’avant même
la réception de l’Eucharistie, l’homme peut avoir
le salut en vertu du désir ou du vœu de recevoir ce sacrement,
comme du reste avant la réception du baptême, on peut recevoir
la vie éternelle, en raison du désir que l’on en
a.
Donc sous ce rapport, l’Eucharistie
quant à « la res sacramenti » , quant à l’effet
du sacrement, est nécessaire au salut, à la vie éternelle.
Mais non sous rapport du « saramentum tantum ».
Toutefois en est-il de l’Eucharistie
comme du baptême ?
Point tout à fait et cela pour
deux raisons, nous dit saint Thomas.
Tout d’abord, ils diffèrent
l’un de l’autre en ce sens que le baptême est le principe
de la vie éternelle et comme la porte des autres sacrements,
alors que l’Eucharistie est comme la consommation de la vie spirituelle
et la fin de tous les sacrements. En effet la sanctification, fruit
de tous les sacrements, est comme une préparation en vue de recevoir
ou de consacrer l’Eucharistie. Il s’en suit que la réception
du baptême est nécessaire pour commencer la vie spirituelle
alors que la réception de l’Eucharistie est nécessaire
pour la consommer. - Mais attention, n’oublions pas l’explication
donnée plus haut - Non qu’il soit nécessaire qu’on
ait l’Eucharistie, comme sacrement, par la réception même
du sacrement, i.e. qu’on reçoive réellement l’Eucharistie.
Il suffit qu’on l’ait « in voto », dans le vœu,
qu’on forme le désir de l’avoir, de même que
la foi aussi est possédé d’abord dans le désir
et dans l’intention de l’atteindre.
L’autre différence est
que par le baptême, l’homme est ordonné à
l’Eucharistie. Dès lors par le fait même que les
enfants sont baptisés, ils sont ordonnés, par la foi même
de l’Eglise, dans leur baptême même, à l’Eucharistie.
Ainsi, comme par la foi de l’Eglise, représentée
par les parrain et marraine, ils croient - souvenez-vous de la cérémonie
même du baptême – ces sont les parrain et marraine,
qui pour l’enfant répondent : je crois…- de même
par l’intention de l’Eglise, ils désirent l’Eucharistie,
le baptême étant précisément cela : une ordination
à l’Eucharistie – Et donc, ils reçoivent la
« rem sacramenti » i.e. l’effet et la grâce
de l’Eucharistie, qui est de faire partie de l’unité
du corps mystique du Christ, d’appartenir à cette unité,
sans laquelle il n’y a pas de salut possible. C’est pourquoi
ils peuvent être sauvés, même sans la réception
du sacrement en tant que telle, c’est-à-dire en tant que
corps et sang du Christ. Et sous ce rapport saint Augustin dit juste
: « N’allez pas croire que les enfants ne puissent pas avoir
la vie éternelle parce qu’ils n’ont pas reçu
le corps et le sang du Christ ».
Toutefois au baptême, ils ne sont
par ordonnés par un autre sacrement qui précède.
Et c’est pourquoi, avant la réception du baptême,
les enfants n’ont pas, en aucune manière, le baptême
en désir ou en vœu ; seuls les adultes peuvent l’avoir
ainsi. Aussi bien, les enfants ne peuvent pas percevoir la chose du
sacrement ou l’effet du sacrement, sans la réception du
sacrement lui-même. « De là vient que le sacrement
de l’Eucharistie, si je parle de la réception du sacrement
lui-même, n’est pas de la même manière de nécessité
de salut que le baptême. « Ideo hoc sacramentum non hoc
modo est de necessitate salutis sicut baptismus ».
L’argument est d’une grand
rigueur. Il repose essentiellement sur la distinction entre le «
sacrement seulement considéré » et la chose, i.e.
l’effet du sacrement.
Ainsi maintenant nous pouvons comprendre
le vrai sens de la phrase de saint Jean « A moins que vous ne
mangiez la chair du Fils de l’homme et que vous ne buviez son
sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jn 6 54) Cette
« nourriture et ce breuvage » de sa chair et de son sang,
doit être entendu de la société de son corps et
de ses membres qui est l’Eglise, dans ses saints et ses fidèles,
prédestinés et appelés et justifiés et glorifiés,
donc de l’Eucharistie en tant qu’elle crée le «
corps mystique qu’est l’Eglise, donc de l’Eucharistie
sous le rapport de la « res sacramenti ».
C’est ainsi que le Père
Pègues cite très heureusement cette autre phrase de saint
Augustin qui donne une bonne intelligence de la pensée de saint
Thomas : « Il ne doit faire doute pour personne que chaque fidèle
participe au corps et au sang du Christ, lorsque dans le baptême
il est fait membre du corps du Christ ; et qu’il n’est point
étranger au commerce de ce pain et de ce calice, même si
avant de manger ce pain et de boire ce calice, il quitte ce siècle
dans l’unité du corps du Christ ».
L’explication de ces affirmations
si catégoriques repose sur la doctrine exposé dans cet
article où saint Thomas nous a marqué qu’il suffisait,
pour le salut, d’avoir la chose ou l’effet du sacrement,
même si par ailleurs on ne peut avoir le sacrement lui-même.
Mais comment répondre à
l’objection seconde qui « équipare » tout simplement
la nourriture spirituelle à la nourriture corporelle. Si donc
la nourriture corporelle est nécessaire à la vie du corps
ainsi de la nourriture spirituelle pour la vie de l’âme.
Dès lors la réception du sacrement sous le rapport de
sacrement, comme corps et sang du Christ est nécessaire pour
le salut. Saint Thomas, précisément, nie la parfaite identité
entre la nature spirituelle et la nourriture corporelle. « Il
y a cette différence, dit Saint Thomas, entre l’aliment
corporel et l’aliment spirituel que l’aliment corporel se
change en substance de celui qui est nourri Et c’est pourquoi
il ne peut avoir d’efficacité bienfaisante pour l’homme
en vue de sa vie à conserver, qu’il est pris réellement.
L’aliment spirituel, au contraire, change l’homme en soi-même
« Sed alimentum spirituale convertit hominen in seipsum »
selon la merveilleuse phrase de saint Augustin : « ce n’est
pas toi qui me changeras en toi comme l’aliment de la chair ;
mais, toi, tu seras changé en moi ». Or l’homme peut
être changé au Christ et lui être incorporé
par le simple vœu de l’esprit - « voto mentis »
dit saint Thomas – même sans la réception du sacrement
lui-même. c’est-à-dire sans la réception du
corps et du sang du Christ.
Voilà pourquoi et comment il n’y a pas « parité
» entre la nécessité de l’aliment corporel
pour la vie du corps et la nécessité de l’Eucharistie
pour la vie de l’âme : l’un doit de toute nécessité,
être pris réellement ; l’autre peut n’être
pris qu’en désir ou en vœu, au sens expliqué
par Saint Thomas dans cet article et qui s’applique même
aux petits enfants quand ils ont reçu le baptême.
On peut conclure en insistant sur la
différence entre la nécessité du baptême
et la nécessité de l’Eucharistie
Le baptême, si je parle de la réception du sacrement, est
d’une nécessité plus absolue que ne l’est
l’Eucharistie. Le baptême commence et l’Eucharistie
achève. Or quand elle est commencé, la vie spirituelle
ou chrétienne existe déjà et si le sacrement qui
doit la parfaire ne peut pas être reçu en réalité,
dans sa réalité de sacrement, le corps et le sang du Christ,
il produira tout de même son effet, en raison du commencement
qui est déjà un acheminement vers lui et une sorte de
désir implicite à son endroit. Si, au contraire la vie
spirituelle n’est pas même commencé, elle n’existe
pas du tout ; et rien ne peut suppléer, dans l’ordre des
moyens extérieurs, à ce manque total : d’où
il suit que l’enfant qui n’a que le moyen extérieur
du sacrement de baptême pour être incorporé à
cette vie, se trouve hors des moyens du salut, s’il ne reçoit
pas le sacrement lui-même.
Le Père Pègues a cette
magnifique conclusion que vous goutterez après ces explications
« L’Eucharistie est le sacrement
de la réfection spirituelle. Quelque nécessaire que soit
la réfection, dans l’ordre de la vie à conserver,
il ne s’ensuit pas que la réception du sacrement de l’Eucharistie
soit absolument indispensable pour le salut. Ce qui est absolument nécessaire
et indispensable, c’est que la chose signifiée par le sacrement
de l’Eucharistie et que le sacrement est destiné à
produire comme son effet pur et simple, existe vraiment pour un sujet
donné ; et cela veut dire que l’être humain ne peut
pas être sauvé s’il n’est uni au corps mystique
du Christ que forment entre eux et avec le Christ Lui-même tous
les fidèles. C’est cette union mystique, par la foi et
la charité, qui est l’effet pur et simple du sacrement
de l’Eucharistie. Elle est directement obtenue, notamment dans
l’ordre de sa perfection, par la réception du sacrement.
Mais elle peut l’être aussi, quoique moins excellemment,
par le désir de recevoir l’Eucharistie, que ce désir
soit explicite ou même implicite et contenu normalement dans le
seul fait d’avoir reçu un autre sacrement, (et tout particulièrement
le baptême), puisque tous sont ordonnés en quelque manière
à l’Eucharistie. D’une manière très
spéciale, la réception du sacrement de baptême constitue
cette sorte de désir, même pour les enfants non encore
doués de l’usage de leur raison ». (p22)
C’est parfait et d’une très
grande richesse.
Une recommandation chaleureuse
du livre de Rémi Fontaine.
« La Laïcité dans tous
ses états »
Christianisme et laïcisme en dix cas d’école
Par Rémi Fontaine
Préface de Dom Gérard
Ce livre est très utile.
Daniel Raffard de Brienne dans « Renaissance Catholique »
le recommande chaleureusement. Il écrit : « Le texte est
sobre, élégant, et, surtout, clair…Voilà
un livre que chacun doit lire attentivement ».
Alors au travail.
Ce livre est publié aux éditions de Paris (134 rue saint
Honoré, 78000 Versailles. Tel O6 79 17 38 08. Fax 01 45 53 06
79.
Il n’est pas très long 116 pages ni très coûteux
: 16 euros franco de port.
Je vous donne ci-dessous une présentation du
livre par Rémi Fontaine, l’auteur lui-même.
« LA LAICITE DANS TOUS SES DEBATS »
Cet essai sur la laïcité
dans tous ses états et débats n'a pas de prétention
exhaustive ou scientifique au sens historique ou juridique du terme.
Abordant la question sous ses différents angles et sous ses différentes
applications, il entend simplement montrer, du point de vue du sens
commun, selon une approche à la fois journalistique et philosophique,
les contradictions (les pièges) propres à un concept moderne,
équivoque, dont on use et abuse aujourd'hui à la manière
d'une arme par destination contre l'ordre naturel et chrétien.
La saine et légitime laïcité de l'Etat
Il y a une saine et légitime laïcité (définie
par Pie XII) mais elle s'applique exclusivement à l'Etat pour
justifier son autonomie temporelle par rapport au spirituel mais non
point son insubordination : rendre à César ce qui est
à César ne dispense pas César de rendre à
Dieu ce qui est à Dieu. Cela revient essentiellement en politique
à accepter le fait que César ne fonde, ni ne décrète,
ni ne transforme la loi morale mais qu'il la reçoit et s'en inspire
pour la loi civile, l'Eglise étant la gardienne de la morale.
Contrairement aux théocraties antiques ou modernes du type islamique,
il y a (dans le monde chrétien) double souveraineté, avec
subordination du temporel pour ce qui touche à la foi et aux
mœurs.
Une formule d'Anouilh résume cette distinction : « Il y
a un aumônier sur chaque navire mais on ne lui demande pas de
fixer la ration de vivres de l'équipage, ni de faire le point.
»
Que César ou Créon aient toujours voulu empiéter
sur l'ordre spirituel (et inversement) n'est pas nouveau. Ce qui est
nouveau, c'est qu'ils le dissimulent sous couvert de laïcité
et de démocratie. La République se sert du concept chrétien
de laïcité (comme arme par destination) pour imposer sa
religion d'Etat qui est le culte de l'homme : prétendant séparer
temporel et spirituel, elle les confond au vrai en une théocratie
nouvelle, à l'envers, qui subordonne le spirituel au temporel
: « il faut rendre à César ce qui est à César
et tout est à César » (Clemenceau). Elle ne retient
politiquement du message du Christ que le « rendez à César
ce qui est à César » , le « Rendez à
Dieu ce qui est à Dieu » devenant simplement affaire privée
ou affaire de religions subordonnées aux exigences laïcistes
de l'Etat. Il n'y a plus alors double souveraineté mais souveraineté
spirituelle du temporel.
Du laïcisme de stricte observance à la laïcité
ouverte : l'aporie laïciste
La prétendue (mais impossible) séparation du temporel
et du spirituel (inédite dans l'histoire de l'humanité)
oblige le laïcisme à une logique politique (scolaire ou
étatique) du tout ou rien vis-à-vis du spirituel : soit
rien n'est permis en matière religieuse (laïcisme de stricte
observance) soit tout est permis à égalité (laïcité
ouverte). En fait, les contraires étant du même genre,
comme on l'enseigne en bonne logique, le laïcisme balance toujours
entre ces deux extrémismes idéologiques : dissoudre ou
coaguler. Quand tout se vaut, rien ne vaut...que l'impiété
et l'irréligion qu'on tente d'imposer contre la pente naturelle
des choses. Soit par autoritarisme (rien), soit par laxisme (tout)...
Les deux attitudes procèdent du même culte de l'homme qui
fait primer le mythe libertaire ou égalitaire sur la vérité.
Nous avons ici précisément les deux termes opposés
de l'aporie laïciste, selon que les idéologues conjuguent
laïcité avec (impossible) neutralité ou avec (fausse)
liberté religieuse. C'est le déchirement classique entre
les totalitaires du laïcisme de stricte observance et les libéraux
de la laïcité ouverte, entre intolérants de la tolérance
et tolérants de l'intolérance.
De la même manière, le laïcisme d'Etat peut osciller
entre multiculturalisme (mettant toute les communautés sur pied
d'égalité : reconnaissance des communautarismes) et jacobinisme
(ignorant la plupart des communautés essentielles, intermédiaires
entre l'individu et l'Etat).
Après avoir longtemps privilégié et imposé
une laïcité négative, la laïcité par
le silence (demander à ceux qui font des choix religieux différents
de ne pas en parler et de ne pas le montrer pour ne point se diviser
et mieux respecter prétendument la liberté des consciences),
beaucoup proposent aujourd'hui de substituer à cette laïcité
négative un laïcité positive, la laïcité
par le débat (une société de débat où
chacun est respecté dans toutes les dimensions de sa vie religieuse
mais où personne n'impose aux autres ses propres valeurs, convictions
ou traditions).
Avec cette nouvelle laïcité, sous couvert de reconnaissance
du « fait religieux », le paradoxe est précisément
de ne reconnaître aucun culte divin de préférence
mais d'exiger de tous les cultes qu'ils se reconnaissent les uns les
autres sous l'autorité tutélaire soi-disant bienveillante
de la laIcité de.l'Etat « neutre entre les religions, tolérant
pour tous les cultes et forçant l'Eglise à lui obéir
sur ce point capital » (Renan).
La malsaine et illégitime laïcité de l'Eglise
Ce qui est nouveau également, c'est que l'Eglise consente à
cette nouvelle laïcité sous couvert de liberté religieuse
et de légitime autonomie du temporel. Par un glissement sémantique
et topique la saine et légitime laïcité de l'Etat
devient alors une malsaine et illégitime laïcité
de l'Eglise qui confond la distinction entre temporel et spirituel avec
la séparation de l'Eglise et de l'Etat, sous prétexte
de pluralisme religieux, de laïcité ouverte et de distinction
entre l'Etat et les religions. C'est le discours de nos évêques
actuels – « ne pas se mettre en contradiction avec les grands
principes de la République » (Mgr Ricard) – et de
certains cardinaux comme Mgr Etchegaray.
L'erreur consiste à passer du fait (tolérable) du pluralisme
religieux à son droit garanti et assumé spirituellement
par l'Etat dans un mélange (intolérable) des genres. L'Etat
régente les religions, l'Eglise étant réduite à
une banale association de droit humain, à un horizon purement
séculier. C'est une inversion architectonique.
Pourtant, me direz-vous, les évêques savent bien qu'elle
est d'institution divine et que sa mission est divine (annoncer l'Evangile
à toutes les nations). Oui mais (c'est comme l'histoire du fou
soi-disant guéri de sa phobie du chien !) si les autres ne le
savent pas, si on ne leur dit pas , ça ne sert à rien
! Et c'est précisément ce qui se passe. Avec ce que Jean
Madiran appelle l'Eglise du silence...
Parce que l'Eglise accepte la fausse règle du jeu du laïcisme,
du pacte laïc comme ils disent : — Défense à
toute religion qui se dit supérieure d'entrer ici ! Autrement
dit « l'Eglise catholique prend soin de s'adresser aux sociétés
civiles en s'appuyant sur la loi naturelle et non sur la Révélation
» (Mgr Rey). Au lieu d'un « Dieu le veut » adapté
aussi bien à la menace laïciste qu'islamiste, l'Eglise de
France, plutôt que de « se croiser », se laisse même
le plus souvent à défendre des impératifs moraux
par des considérations simplement sociologiques.
Une tentation sous l'apparence de bien
Comme face souriante du laïcisme (après la guerre anticléricale
du début), la laïcité ouverte apparaît comme
une tentation sous l'apparence de bien : un pacte laïc, une concorde
sans concordat, un art de mieux vivre ensemble dans le respect de chacun,
de chaque religion, où personne en somme ne fais à autrui
ce qu'on ne voudrait pas qu'on lui fasse, selon le principe élémentaire
de la morale.
Dans une diversité de croyances, il s'agit, pour paraphraser
Rousseau dans le Contrat social, de trouver une forme d'association
qui défende et protège de toute la force commune la religion
et les biens de chaque religion associée et par laquelle chacune,
s'unissant aux autres, n'obéisse pourtant qu'à elle même
et reste aussi libre qu'auparavant...
Comme dans la tentation sous l'apparence de bien, le Malin sait perdre
un peu pour gagner. Il suggère en effet des pensées bonnes
et saintes, conformes à des dispositions vertueuses, avec l'intention
d'attirer ensuite ses candidats dans ses pièges dissimulés,
de les entraîner peu à peu à ses fins subversives,
de les faire consentir à ses coupables desseins... Il faut (re)lire
alors les règles pour le discernement des esprits de saint Ignace
de Loyola dans ses Exercices spirituels et particulièrement la
cinquième : « Nous devons examiner avec grand soin la suite
et la marche de nos pensées. »
Si le début de la tentation commence bien, comme « le résultat
d'une sagesse politique et d'un subtil équilibre qui n'oblige
personne à sacrifier ses principes, mais qui propose à
tous un nouvel art de vivre ensemble » ou « une solution
élégante au problème d'une société
irrémédiablement divisée », selon les formules
d'Emile Poulat (dans Notre laïcité publique), on s'aperçoit
très vite qu'à l'expérience, la réalité
n'est pas aussi rose. Et que la laïcité de fait est inséparable
d'une laïcité de droit occulte, qui la précède
et l'inspire, et qui se vit comme une (contre)religion d'Etat à
laquelle doivent sacrifier les religions en renonçant précisément
à leurs principes.
Le pacte laïc : un pacte (d'aliénation) avec le diable !
Ce nouveau pacte laïc auquel doivent se rallier les religions et
la vraie religion agit en effet à la manière du contrat
social de Rousseau ou de Hobbes ; comme une véritable aliénation
! Non pas des individus (passant de l'état de nature à
l'état social) mais des religions elles-mêmes (qui passent
de l'état sacré à l'état séculier).
Pour paraphraser encore Jean-Jacques, il s'agit de changer pour ainsi
dire la nature [divine] des religions ; transformer chaque religion,
qui par elle-même est un tout parfait et solitaire [se considérant
comme uniquement vraie, révélée et supérieure],
en partie d'un plus grand tout [laïc] dont cette religion reçoive
en quelque sorte sa légitimité, sa vie, son être;
altérer la constitution de la religion... (CS, II, 7).
C'est le mythe moderne du faux œcuménisme sous le magistère
étatique de la laïcité. La nature d'une religion
révélée comme la religion chrétienne, d'institution
divine, n'est évidemment pas de recevoir sa légitimité
selon les principes et les limites politiques de l'Etat (laïque
ou non) ni d'accepter un principe juridique, moral et religieux qui
soit supérieur aux siens.
La laïcité est bien en effet une religion de substitution
: la nouvelle religion d'Etat, le propre d'une religion étant
de se considérer comme la seule vraie, les autres n'étant
tolérables que dans la mesure où elles ne menacent pas
sa vérité, en l'occurrence le primat de l'arbitraire collectif.
son fameux droit à la liberté religieuse n'est par exemple
que le déguisement idéologique d'une tolérance
concédée (dans des limites bien précises) par cette
(contre) religion d'Etat, qui singe humainement le christianisme (grand
praticien de la tolérance dont il a inventé la théorie,
tout comme la distinction des pouvoirs).
Pour ne rester qu'un être de raison, purement chimérique,
comme le funeste Contrat (social), le pacte laïc n'en devient pas
moins le principe (idéaliste) dissolvant de notre religion et
culture chrétiennes, l'agent actif du processus de sécularisation
si souvent dénoncé par Jean-Paul II.
Nous ne disons pas que dans une société divisée
religieusement, il soit facile de trouver politiquement une concorde.
Nous disons que le laïcisme n'est pas la solution, qu'il est un
leurre, une tentation sous l'apparence de bien, et qu'il est même
une voie de perdition pour l'Eglise qui est chargée d'apporter
la paix de Dieu qui n'est pas la paix selon les hommes.
« Jadis, écrit aussi Emile Poulat, l'homme était
à la grâce de Dieu ; désormais Dieu est à
la décision de l'homme. » On comprend bien que les évêques
ne peuvent et ne devraient pas accepter cela, même s'ils on d'abord
été séduits par cette laïcité positive.
Ecoutons encore saint Ignace : «... Mais si dans la suite des
pensées qui nous sont suggérées, il finit par s'y
rencontrer quelque chose de mauvais ou de dissipant, ou de moins bon
que ce que nous nous étions proposé de faire, ou si ces
pensées affaiblissent notre âme, l'inquiètent, la
troublent, en lui ôtant la paix, la tranquillité dont elle
jouissait d'abord, c'est une marque évidente qu'elles procèdent
du mauvais esprit, ennemi de notre avancement et de notre salut éternel.
»
Comment des évêques peuvent-ils... : les applications de
la laïcité de l'Eglise
Au lieu de rejeter cette tentation de la laïcité ouverte
en jugeant l'arbre à ses fruits, les évêques s'y
sont engouffrés toujours plus jusqu'à proposer dans la
plupart des mouvement d'Eglise un catholicisme ouvert, tellement ouvert
qu'il en devient de moins en moins confessionnel, selon la contradiction
intrinsèque dans laquelle s'est enfermé par exemple l'Enseignement
catholique ou le néo-scoutisme catholique (SDF).
C'est maintenant au sein des mouvements catholiques eux-même qu'il
faut affirmer cette liberté des consciences et de la foi elle-même
pour ne pas risquer de trop la brimer. La laïcité qu'on
demande à l'Etat (loi de 1905) et à l'école publique
comme une référence, on la réclame désormais
partout dans la société civile aux autres corps intermédiaires,
dans la vie culturelle et associative et jusqu'aux mouvements d'Eglise
où l'on ne doit plus agir « en tant que chrétiens
» mais à la rigueur « en chrétiens »,
selon le subtile distinction de Maritain. Acquis à cette laïcisation
mentale, ce sont nos évêques qui parlent maintenant de
la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat ou de la loi Debré
comme d'un modèle ! Et qui refusent incroyablement de reconnaître
les écoles (hors contrat) ou les scoutismes traditionnels qui
veulent agir en tant que catholiques. Parce que jugés trop catholiques.
Ce n'est pas dit explicitement mais c'est véritablement la pensée
de certains évêques (comme c'était celle des nazis
qui ont condamné le bienheureux Marcel Callo de la JOC qui voulait
refaire ses frères chrétiens !).
Le laïcisme doit donc toujours et partout primer le communautarisme
chrétien : la structure temporelle proprement catholique devient
comme obsolète. Exit la Royauté sociale de Notre Seigneur,
clef de voûte de la doctrine sociale de l'Eglise ! Et c'est bien
pour cela que Stasi ou Debré offre à l'islam cette Eglise
du silence comme modèle d'intégration laïque.
Au terme de sa visite ad limina, le cardinal-archevêque de Lyon,
Mgr Philippe Barbarin, n'a pas caché sa désolation au
Saint-Père : « J'ai été consterné
du silence qui a entouré le vote de la nouvelle loi... Comment
des députés catholiques peuvent-ils voter une telle loi
? » Il ne s'agissait pas de la loi sur la laïcité
mais de la loi de bioéthique effectivement monstrueuse. «
A l'inverse », soulignant l'agitation autour des questions qui
touchent à la laïcité et « les opinions différentes
et mêmes opposées » de l'ensemble de la communauté
chrétienne – « opinions qui ne manquent pas de fondement
ni de justesse d'analyse » –, le primat des Gaules a eu
cette curieuse formule : « Dans un débat qui manque de
sérénité, il est important qu'on perçoive
à quel point les chrétiens sont engagés dans ce
domaine et désireux de vivre en bonne intelligence et en paix
avec les croyants des autres religions nombreux en notre pays. L'enjeu
est aussi l'intégration de toutes les composantes sociales au
sein de la nation. »
Ce qu'on refuse encore à la (fausse) liberté morale (bioéthique),
on le concède apparemment sans problème à la (fausse)
liberté religieuse (laïcité) dans un silence religieux
qui provoque notre propre consternation : — Comment des évêques
catholiques peuvent-ils... ? C'est l'interpellation que nous lançons
essentiellement dans ce livre à travers des raisonnements de
bon sens mais aussi des propositions et des pistes pour en sortir...
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