Paroisse catholique Saint Michel

Dirigée par

 Monsieur l'abbé Paul Aulagnier

 

06 80 71 71 01

 

Semaine du 1er au 7novembre 2004

Vingt troisiéme Dimanche après la Pentecôte

 

Sommaire

 

 

 

La Toussaint


A l’occasion de cette belle fête de la Toussaint, je ne donnerai pas aujourd’hui, , de sermon, mais seulement quelques réflexions sur la gloire du Paradis. Tous nos regards, en effet, en cette fête, doivent se porter sur le ciel qui est le but de toutes nos espérances et la consommations des bienfaits divins. Rien n’est plus important pour nous, dans notre marche vers le ciel, que de contempler, parfois, pour ne pas dire toujours, des yeux de la foi, la gloire du ciel à la quelle nous souhaitons participer un jour. Saint Jean dans son Apocalypse nous parle de cette gloire en des expressions vibrantes et chaudes : « Je vis, dit-il, la cité sainte, la nouvelle Jérusalem descendant du ciel, comme une épouse parée pour son époux, et j’entendis une grande voix qui disait : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes » (Apoc. 21 2-3)

Ce texte de saint Jean inspire une très belle prière au Père Louis Du Pont dans son livre de « Méditations » que je recommande très vivement : « Dieu éternel qui faites descendre du Ciel la Jérusalem céleste lorsque vous en donnez la connaissance aux hommes qui vivent sur la terre, éclairez les yeux de mon âme pour qu’elle connaisse cette souveraine cité, sa sainteté, la paix dont elle est le séjour, sa merveilleuse beauté, ses incompréhensibles délices, et l’union ineffable qui lui mérite d’être appelée votre épouse. Que la voix des divines inspirations retentisse à mon oreille, et me dise : Voici le lieu où Dieu se plaît à demeurer avec les hommes. Découvrez-moi les charmes de cette demeure, et l’union qui règne entre vous tous et ses heureux habitants. Aimable Epoux de nos âmes, montrez-moi la beauté de votre visage, faites-moi entendre la douceur de votre voix, ôtez ce voile qui me cache les biens que vous me promettez, afin, animé par la vue du bonheur après lequel je soupire, je travaille de toutes mes forces à l’obtenir pour la gloire de votre saint nom. ».

Mais quelle est donc cette gloire céleste ? Quelle est ce Paradis que je veux aimer pour le posséder un jour ? Quelle est cette béatitude céleste ?

Les Théologiens répondent que c’est un état dans lequel on jouit de tous les biens ; ou que c’est un état fixe, tranquille, immuable, exempt de tous les maux que l’on peut craindre, soit du péché, soit de la peine du péché, et rempli de tous les biens naturels et surnaturels que l’on peut raisonnablement désirer.

Saint Thomas en parle dans sa I II 3 et seq.

Ce bonheur éternel jouit de quatre perfections excellentes. Les suivantes.

C’est un bonheur éternel parce que la béatitude qui a Dieu pour objet doit durer autant que Dieu, dont le règne n’aura pas de fin. « Et regni eius non erit finis (Lc 133)

C’est un bonheur certain. Les saints savent qu’ils ne peuvent plus le perdre par le péché et que Dieu ne saurait changer le décret qu’il a porté de ne les jamais exclure de son royaume.

C’est un bonheur immuable. La gloire essentielle ne subira aucune diminution. Car Dieu qui est l’objet de ce bonheur est lui-même immuable.

C’est un bonheur toujours joyeux. L’immutabilité de ce bonheur ne produira aucun ennui et le repos ne perdra jamais cet attrait de la nouveauté que l’on aura ressenti en « entrant » dans l’éternité.

Et puisqu’il en est ainsi on comprend la sagesse des paroles de Notre Seigneur disant : « N’amassez point de trésors sur la terre, où la rouille et les vers les consument et où les voleurs les déterrent et les dérobent ; mais faites-vous des trésors dans le ciel où ni la rouille ni les vers ne les consument et où il n’y a point de voleurs qui les déterrent et les dérobent » (Mt 6 19-20)

Ces paroles nous font voir la différence des biens de la terre d’avec ceux du ciel.

Celui donc qui s’attache à ces sortes de biens terrestres ne peut s’exempter de beaucoup de craintes et d’inquiétudes. Mais c’est tout le contraire des biens du ciel. Ils sont éternels et incorruptibles, ils ne diminuent point par l’usage, mais se conservent et se conserveront éternellement aussi entiers qu’au commencement sans jamais se détériorer ni se flétrir.

Et c’est là qu’il faut citer le très beau texte de Saint Pierre dans sa première Epître qu’ils adressent aux Romains et que je ne lis jamais sans enthousiasme très grand. En ces paroles, je fonde mon espérance de posséder un jour ces biens célestes ; je fonde aussi ma connaissance de Dieu, un Dieu d’amour et de miséricorde, un Dieu prévenant, bienfaisant qui me veut en son ciel ; j’y fonde ma joie de vivre pour le ciel.

Ecoutez : « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui, selon sa grande miséricorde, nous a régénérés pour une vivante espérance par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, pour un héritage incorruptible qui ne saurait ni se souiller ni se flétrir : héritage conservé dans le ciel pour vous, que la puissance de Dieu garde par la foi pour le salut, qui est prêt à apparaître dans le dernier temps. Dans cette pensée, vous tressaillez de joie, bien que maintenant, s’il le faut, vous soyez pour un peu de temps affligés de diverses épreuves, afin que votre foi ainsi éprouvée, plus précieuse que l’or périssable, bien qu’on l’éprouve par le feu, vous soit un sujet de louange, d’honneur et de gloire au jour de l’avènement de Jésus-Christ, ce Sauveur que vous aimez sans l’avoir vu et en qui maintenant, croyant en lui sans le voir encore vous tressaillez d’une joie ineffable et glorieuse, parce que vous aller remporter le prix de votre foi, le salut de vos âmes. Ce salut a été l’objet des recherches et des méditations des prophètes qui ont parlé de la grâce qui vous était destinée ». (I Pet 1 2-11)

Et maintenant portons notre attention sur ce qu’on appelle le « séjour des bienheureux » : le ciel proprement dit.

Le ciel est exempt de tous les maux que nous souffrons dans ce monde inférieur, si justement appelé « une vallée de larmes ». Saint Jean nous dit que les saints y sont dans la joie et qu’il ne coule jamais de leurs yeux une seule larme (Apoc 7 17). Saint Jean, encore lui, nous lève le voile du Ciel et nous le décrit par le moyens des plus belles choses sur cette terre, pour nous en faire comprendre la beauté, la sublimité. Il nous dit que « les places de la Jérusalem céleste sont pavées d’un or très pur et transparent comme le cristal ; que ses murailles sont bâties de jaspe, ses fondements ornés de toutes sortes de pierres précieuses, ses portes faites de perles d’une valeur inestimable » (Apoc 21 19-21). Saint Jean se sert de ces images parce qu’il ne trouve pas sur la terre des choses plus précieuses auxquels il puisse comparer les choses du ciel. N’est-il pas vrai, en effet, que « l’œil n’a point vu, l’oreille n’a pas entendu le cœur de l’homme n’a pas compris ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment ». (1 Cor 2 9)

Mais le ciel, quel est-il encore? C’est un lieu très éclairé où il n’y a point de nuit, mais un jour perpétuel. Dieu même est le soleil qui l’éclaire et l’agneau qui est Notre Seigneur Jésus-Christ, l’illumine et le réjouit des splendeurs de sa très sainte humanité (Apoc 21 23)

Mais le ciel, quel est-il ? C’est le séjour des anges et des élus. Ils sont innombrables. Le prophète Daniel ne parlant que des anges dit « qu’un million d’esprits célestes servaient l’ancien des jours et mille millions étaient rangés autour de son trône ». (Dan 7 10) Et saint Jean assure qu’il vit « une multitude immenses d’âmes bienheureuses que personne ne pouvait compter. Certes il est vrai, malheureusement que , parmi les hommes, il y a bien moins d’élus que de réprouvés, comme le déclare Jésus-Christ quand il dit : « Que la porte du ciel est petite ; que la voie qui mène à la vie est étroite ; et qu’il y a peu qui la trouve » (Mt 7 14). Mais absolument parlant, il sont en grand nombre. C’est ce qui a fait dire au même Sauveur : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père » (Jn 14 2) ;

Et lors qu’on sait que ces élus vivent dans la plus parfaite union des cœurs, qu’ils s’aiment tous en Dieu d’un amour brûlant, qu’ils sont tous dans une même conformité de volontés, qu’il n’y a donc nul jalousie, nul rivalité, nulle querelle, on se prend bien naturellement à désirer un tel lieu. Alors, o mon âme, si cette société céleste te fait envie, tâche d’imiter les vertus de ceux qui la composent. Imite leur obéissance en faisant la volonté de Dieu sur la terre, comme ils la font dans le ciel ; pratique à leur exemple, la charité et l’union fraternelle en gardant, autant que cela dépend de toi, te dirait saint Paul, la paix avec tous ; et surtout n’oublie pas de rendre un culte à Dieu sur la terre comme les élus le font au ciel. Aime la liturgie de la terre tellement proche , dans la foi, de la liturgie céleste. Tu la connais cette liturgie céleste. Saint Jean te l’a apprise dans son Apocalypse : « Et les élus ne cessent jour et nuit de dire : « Saint, saint, saint est le Seigneur, le Tout-Puissant qui était, qui est et qui vient ». « Ils adorent Celui qui vit aux siècles des siècles et ils jettent leur couronne devant le trône, en disant : « Vous êtes digne, notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir l’honneur, la gloire et la puissance car c’est vous qui avez créé toutes choses et c’est à cause de votre volonté qu’elles ont eu l’existence et qu’elles ont été créées » (Apoc 4 8-11) ou encore un peu loin dans le texte : « Je vis et j’entendis autour du trône…la voix d’une multitude d’anges et leur nombres était es myriades et des milliers de milliers. Ils disaient d’une voix forte : « L’agneau qui a été immolé est digne de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire et la louange ». (Apoc 5 11). Ne reconnais-tu pas les invocations qu’utilise l’Eglise dans sa liturgie ?

Mais les âmes au ciel que sont-elles ? Elles sont dans la gloire et cette gloire les rend parfaitement heureuses. Cette gloire est si grande, que, au sentiment de saint Thomas, elle ne peut l’être davantage, parce qu’elle renferme la possession de Dieu même. L’âme dans le ciel est pleine de Dieu ; elle est comme déifiée par une participation éternelle et immuable de la Divinité qui s’unit à elle comme le feu s’unit au fer, le pénètre, lui communique son éclat, sa chaleur et ses autres propriétés au point qu’on le prendrait pour du feu. L’âme qui possède Dieu, possède par la même tout le bien qu’elle peut désirer selon cette parole de David : « Je serai rassasié lorsque m’apparaîtra votre gloire » (Ps 16 15)


La mémoire se perdra dans l’abîme de la divinité : elle pénétrera dans les œuvres du Tout-Puissant et ne se souviendra que de sa justice. Dieu lui sera toujours présent sans qu’elle puisse ni l’oublier, ni s’occuper d’aucun autre objet. Elle se rappellera continuellement les bienfaits qu’elle a reçus de lui, ceux qu’elle en reçoit à chaque instant. Aussi chantera-t-elle, avec David, « l’abondance de ses miséricordes et glorifiera-t-elle sa justice ».

Mais c’est aussi l’intelligence qui sera rempli de Dieu. Elle aura une vue claire de l’essence divine et des trois personnes de la Trinité. Elle verra, comme nous le dit saint Paul « face à face », sans voile et sans figures, le Père, Le Fils et le Saint esprit. Elle verra les générations trinitaires Elle verra toutes les perfections de ce grand Dieu, sa bonté dont elle se régalera, sa sagesse qu’elle admirera, sa charité qui la confondra, sa toute-puissance qui l’éblouira, sa providence qu’elle adorera. Elle verra les profonds mystères de l’Incarnation. Toute ignorance sera bannie. La foi et l’espérance ne seront plus, nous dit la Théologie, parce qu’elle verra ce qu’elle a cru et qu’elle possédera ce qu’elle a espéré. Elle verra ce qu’elle avait peine à comprendre ici-bas, les jugements secrets de Dieu dans la conduite des hommes, conduite toute paternelle.

Mais la volonté sera de même pénétré de Dieu et unie très intimement à lui par un amour ferme et constant. Elle l’aimera effectivement comme un père, comme un ami, comme un époux, comme un bienfaiteur infiniment libéral, comme le souverain bien. Elle sera dans la joie infinie de son Seigneur : « Entre dans la joie de ton Maître ».

Voilà quelques pieuses considérations que je propose à votre méditation.

 


L'année eucharistique

A – Homélie de Jean-Paul II

A l’occasion de l’ouverture de l’Année de l’Eucharistie, dans la soirée du dimanche 17 octobre 2004, le Pape Jean-Paul II a présidé une solennelle concélébration eucharistique dans la Basilique Saint Pierre. Après la Messe, célébrée par le Cardinal Sodano, Secrétaire d’Etat, ont suivi l’Exposition, l’Adoration et la Bénédiction du Très Saint Sacrement. Et alors que la cérémonie se déroulait en liaison satellite avec Guadalajara, ville du Mexique qui accueillait le 48e Congrès eucharistique international (cf Chronique Romaine, novembre 2004, http://item.snoozland.com), le pape a prononcé en espagnol le discours suivant (Vous en avez le texte italien dans la Chronique Romaine d’octobre 2004 sur le site ITEM) :


I - « Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28 20)

Réunis devant l’Eucharistie, nous ressentons en ce moment avec une acuité particulière la vérité de la promesse du Christ : Il est avec nous !
Je vous salue tous, vous qui êtes réunis à Guadalajara pour participer à la conclusion du Congrès eucharistique international. Je salue, en particulier, le Cardinal Jozef Tomko, mon Légat, le Cardinal Juan Sandoval Iniguez, Archévêque de Guadalajara. Messieurs les Cardinaux, les Archevêques, les Evêques, les prêtres du Mexique et de nombreux autres pays, présents sur place.
Mon salut s’étend à tous les fidèles de Guadalajara, du Mexique et des autres parties du monde, unis à nous dans l’adoration du Mystère eucharistique

2- La liaison télévisée entre la Basilique Saint-Pierre, cœur de la chrétienté, et Guadalajara, siège du Congrès, est comme un pont jeté entre les continents et fait de notre rencontre de prière une « Statio orbis » idéale, dans laquelle convergent les croyants du monde entier. Le point de rencontre est Jésus lui-même, réellement présent dans la Très Sainte Eucharistie avec son mystère de mort et de résurrection dans lequel s’unissent le ciel et la terre et se rencontrent les peuples et les cultures différentes. Le Christ est « notre paix, lui qui des deux peuples n’en fait qu’un » (Ep 2 14)

3 – « L’Eucharistie lumière et vie du nouveau Millénaire ». Le thème du Congrès nous invite à considérer le Mystère eucharistique non seulement en lui-même, mais également par rapport aux questions de notre temps.
Mystère de lumière ! C’est de lumière dont a besoin le cœur de l’homme, écrasé par le péché, souvent désorienté et las, éprouvé par des souffrances en tous genres. C’est de lumière dont le monde a besoin, dans la recherche difficile d’une paix qui apparaît lointaine, au début d’un millénaire bouleversé et humilié par la violence, le terrorisme et la guerre.
L’Eucharistie est lumière ! Dans la Parole de Dieu constamment proclamée, dans le pain et dans le vin devenus corps et sang du Christ, c’est précisément Lui, le Seigneur Ressuscité, qui ouvre l’esprit et le cœur, et qui se laisse reconnaître, comme par les deux disciples à Emmaüs, dans la « fraction du pain (cf 24 25). Dans ce geste convivial, nous revivons le sacrifice de la Croix, nous ressentons l’amour infini de Dieu, nous nous sentons appelés à diffuser la lumière du Christ parmi les hommes et les femmes de notre temps.

4 – Mystère de vie ! Quelle aspiration est plus grande que celle de la vie ? Et pourtant, sur cette aspiration humaine universelle se profilent des ombres menaçantes : l’ombre d’une culture qui nie le respect de la vie à chacun de ses stades ; l’ombre d’une indifférence qui livre une multitude de personnes à un avenir de faim et de sous-développement ; l’ombre d’une recherche scientifique parfois placée au service de l’égoïsme du plus fort.
Très chers frères et sœurs, nous devons nous sentir interpelles pas les nécessités d’un si grand nombre de nos frères. Nous ne pouvons fermer notre cœur à leurs appels à l’aide. Et nous ne pouvons pas non plus oublier que « ce n’est pas le pain seul que vit l’homme » (Mt4 4). Nous avons besoin du « pain vivant, descendu du ciel »(Jn 6 51). Jésus est ce pain. Nous nourrir de Lui signifie accueillir la vie même de Dieu (Jn 10 10), en nous ouvrant à la logique de l’amour et du partage.

5 – J’ai voulu que cette année soit spécifiquement consacrée à l’Eucharistie. En réalité toius les jours, et en particulier le Dimanche, jour de la résurrection du Christ, l’Eglise vit de ce mystère. Mais la communauté chrétienne est invitée, en cette année de l’Eucharistie, à en prendre une plus vive conscience à travers une célébration plus sincère, un plus grand engagement de fraternité et de service aux derniers. L’Eucharistie est source et épiphanie de communion. Elle est principe et projet de mission (cf Mane nobiscum Domine cap III et Iv)

Sur les tr&aces de Marie, « femme eucharistique » (Ecclesia de Eucharistia, chap VI, la communauté chrétienne vit donc de ce mystère ! Forte de « pain de vie éternelle, puisse-t-elle devenir présence de lumière et de vie, ferment d’évangélisation et de solidarité !

6 – Mane nobiscum Domine ! Comme les deux disciples de l’Evangile, nous implorons, Seigneur Jésus : reste ace nous !
Toi, divin Voyageur, expert de nos routes et connaisseur de notre cœur, ne nous laisse pas prisonniers des ombres du soir.
Soutiens-nous dans la lassitude, pardonne nos péchés, oriente nos pas sur la voie du bien.
Bénis les enfants, les jeunes, les personnes âgés, les familles, en particulier les malades. Bénis les prêtres et les personnes consacrées. Bénis toute l’humanité.
Dans l’Eucharistie tu t’es fait « remède d’immortalité » : donne-nous le goût d’une vie vécue en plénitude, qui nous fasse cheminer sur cette terre comme des pèlerins confiants et joyeux en ayant toujours pour objectif la vie qui n’a pas de fin.
Reste avec nous, Seigneur ! Reste avec nous ! Amen.


B - Notre étude sur le mystère de la Saint Eucharistie.

Les article 1 et 2 du traité de saint Thomas sur le sacrement de l’Eucharistie que nous avons étudiés dans nos deux précédentes paroisses « Saint Michel », nous ont permis de définir le sacrement de l’Eucharistie comme le sacrement de la « réfection spirituelle » de l’âme - c’est la raison même de ce sacrement. Et en tant que tel - i.e. en tant que réfection spirituelle - il est formellement un seul sacrement quoi que matériellement composé de divers aliments, le pain et le vin, le corps et le sang de Christ comme tout repas qui a une seule finalité, une perfection : la réparation de forces de notre corps. Vous vous souvenez de la raison que donne saint Thomas et que résume si bien le Catéchisme du Concile de Trente. Je la redonne pour que cela entre dans notre intelligence : « La nourritures et la boisson qui sont deux choses différentes, s’emploient pour une seule et même fin, qui est de réparer les forces du corps. Pareillement il était de toute convenance d’instituer ce Sacrement avec deux matières différentes entre elles, mais analogues aux substances dont nous venons de parler, pour représenter l’Aliment spirituel qui soutient nos âmes et répare leurs forces.( Et sous ce rapport, il est un, formellement un, dans sa finalité). Aussi le Seigneur a-t-il dit : « Ma chair est véritablement une nourriture et mon sang est vraiment un breuvage ».(Cat de Tente p. 207-208).
Et puisque l’Eucharistie est cela, le sacrement de la réfection spirituelle de mon âme, quelle place faut-il lui donner dans l’économie du salut ? Est-il nécessaire à mon âme et donc à mon salut éternel comme la nourriture corporelle est nécessaire à ma vie corporelle. Sans nourriture, point de vie naturelle. Sans l’Eucharistie, point de vie éternelle ?
Quand est-il ? C’est l’objet de l’article 3. Cette étude de saint Thomas sur l’Eucharistie s’enchaîne bien.

Dans le « Sed Contra », Saint Thomas cite l’enseignement de saint Augustin qui, dans son étude contre les Pélagiens, affirme : « n’allez pas croire que les enfants ne puissent pas avoir la vie éternelle parce qu’ils n’ont pas reçu le corps et le sang du Christ ». J’en conclus que l’Eucharistie n’est pas nécessaire au salut éternel. Toutefois dans l’évangile de saint Jean, je lis le contraire « A moins que vous ne mangiez la chair du Fils de l’homme et que vous ne buviez son sang, vous n’avez pas la vie en vous » (Jn 6 54).

C’est la première objection que se présente saint Thomas.

De plus si la nourriture spirituelle doit être considérée - comme nous l’avons plus haut - analogiquement avec la nourriture corporelle, cette dernière étant nécessaire à la vie corporelle, il en est de même pour la nourriture spirituelle. C’est la deuxième objection présentée par saint Thomas.

Enfin, il doit en être de même du baptême et de l’Eucharistie. Ces deux sacrement sont à mettre en relation avec la Passion du Christ. Donc comme le baptême est de nécessité de salut, de même l’Eucharistie.

Telle est le problème.

Quelle est la vérité ?

Elle va se trouver dans une distinction ente ce qu’on appelle le « sacrement lui-même » et la « res sacramenti ».

En effet dans le corps de l’article 3, saint Thomas nous apprend qu’il faut distinguer dans le sacrement deux choses : le sacrement lui-même, c’est –à-dire le corps et le sang du Christ et la chose du sacrement, c’est-à-dire l’effet du sacrement. Il écrit : « In hoc sacramento duo est considerare : scilicet ipsum sacramentum et rem sacramenti ». Toute la solution du problème se trouve dans cette distinction.
La « res sacramenti » c’est l’effet dernier du sacrement. C’est « l’unité du corps mystique » du Christ. « La grâce de ce sacrement a pour but de faire de nous un seul corps mystique » (Cat de Trente p. 207). Or sans cette participation à cette unité du corps mystique du Christ, il ne peut y avoir de salut. « Sine qua non potest esse salus ». C’est l’application de l’axiome « hors de l’Eglise - qui est le corps mystique du Christ - « nulla salus » ; il ne peut y avoir de salut, comme « lors du déluge personne ne fut sauvé hors de l’arche de Noé qui est le signe de l’Eglise. Et saint Thomas pour le prouver site l’enseignement de saint Pierre dans sa première Lettre au chapitre 3, aux versets 20-21 qui dit : « ..rebelles autrefois, lorsque ‘aux jours de Noé la longanimité de Dieu temporisait, pendant que se construisait l’arche, dans laquelle un petit nombre, savoir huit personnes, furent sauvées à travers l’eau. C’est elle (l’Eglise) qui aujourd’hui vous sauve… »
Or on sait ( là Saint Thomas renvoie à la question 68 article 2 -c’est l’étude du sacrement en général – je résume ) que la chose ou l’effet dernier « d’un sacrement peut être acquise avant la réception de ce sacrement par le désir ou le vœu de recevoir le sacrement. « Res alicuius sacramenti haberi potest ante perceptionem sacramenti, ex ipos voto sacramenti percipiendi ».

Il s’en suit qu’avant même la réception de l’Eucharistie, l’homme peut avoir le salut en vertu du désir ou du vœu de recevoir ce sacrement, comme du reste avant la réception du baptême, on peut recevoir la vie éternelle, en raison du désir que l’on en a.

Donc sous ce rapport, l’Eucharistie quant à « la res sacramenti » , quant à l’effet du sacrement, est nécessaire au salut, à la vie éternelle. Mais non sous rapport du « saramentum tantum ».

Toutefois en est-il de l’Eucharistie comme du baptême ?

Point tout à fait et cela pour deux raisons, nous dit saint Thomas.

Tout d’abord, ils diffèrent l’un de l’autre en ce sens que le baptême est le principe de la vie éternelle et comme la porte des autres sacrements, alors que l’Eucharistie est comme la consommation de la vie spirituelle et la fin de tous les sacrements. En effet la sanctification, fruit de tous les sacrements, est comme une préparation en vue de recevoir ou de consacrer l’Eucharistie. Il s’en suit que la réception du baptême est nécessaire pour commencer la vie spirituelle alors que la réception de l’Eucharistie est nécessaire pour la consommer. - Mais attention, n’oublions pas l’explication donnée plus haut - Non qu’il soit nécessaire qu’on ait l’Eucharistie, comme sacrement, par la réception même du sacrement, i.e. qu’on reçoive réellement l’Eucharistie. Il suffit qu’on l’ait « in voto », dans le vœu, qu’on forme le désir de l’avoir, de même que la foi aussi est possédé d’abord dans le désir et dans l’intention de l’atteindre.

L’autre différence est que par le baptême, l’homme est ordonné à l’Eucharistie. Dès lors par le fait même que les enfants sont baptisés, ils sont ordonnés, par la foi même de l’Eglise, dans leur baptême même, à l’Eucharistie. Ainsi, comme par la foi de l’Eglise, représentée par les parrain et marraine, ils croient - souvenez-vous de la cérémonie même du baptême – ces sont les parrain et marraine, qui pour l’enfant répondent : je crois…- de même par l’intention de l’Eglise, ils désirent l’Eucharistie, le baptême étant précisément cela : une ordination à l’Eucharistie – Et donc, ils reçoivent la « rem sacramenti » i.e. l’effet et la grâce de l’Eucharistie, qui est de faire partie de l’unité du corps mystique du Christ, d’appartenir à cette unité, sans laquelle il n’y a pas de salut possible. C’est pourquoi ils peuvent être sauvés, même sans la réception du sacrement en tant que telle, c’est-à-dire en tant que corps et sang du Christ. Et sous ce rapport saint Augustin dit juste : « N’allez pas croire que les enfants ne puissent pas avoir la vie éternelle parce qu’ils n’ont pas reçu le corps et le sang du Christ ».

Toutefois au baptême, ils ne sont par ordonnés par un autre sacrement qui précède. Et c’est pourquoi, avant la réception du baptême, les enfants n’ont pas, en aucune manière, le baptême en désir ou en vœu ; seuls les adultes peuvent l’avoir ainsi. Aussi bien, les enfants ne peuvent pas percevoir la chose du sacrement ou l’effet du sacrement, sans la réception du sacrement lui-même. « De là vient que le sacrement de l’Eucharistie, si je parle de la réception du sacrement lui-même, n’est pas de la même manière de nécessité de salut que le baptême. « Ideo hoc sacramentum non hoc modo est de necessitate salutis sicut baptismus ».

L’argument est d’une grand rigueur. Il repose essentiellement sur la distinction entre le « sacrement seulement considéré » et la chose, i.e. l’effet du sacrement.

Ainsi maintenant nous pouvons comprendre le vrai sens de la phrase de saint Jean « A moins que vous ne mangiez la chair du Fils de l’homme et que vous ne buviez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jn 6 54) Cette « nourriture et ce breuvage » de sa chair et de son sang, doit être entendu de la société de son corps et de ses membres qui est l’Eglise, dans ses saints et ses fidèles, prédestinés et appelés et justifiés et glorifiés, donc de l’Eucharistie en tant qu’elle crée le « corps mystique qu’est l’Eglise, donc de l’Eucharistie sous le rapport de la « res sacramenti ».

C’est ainsi que le Père Pègues cite très heureusement cette autre phrase de saint Augustin qui donne une bonne intelligence de la pensée de saint Thomas : « Il ne doit faire doute pour personne que chaque fidèle participe au corps et au sang du Christ, lorsque dans le baptême il est fait membre du corps du Christ ; et qu’il n’est point étranger au commerce de ce pain et de ce calice, même si avant de manger ce pain et de boire ce calice, il quitte ce siècle dans l’unité du corps du Christ ».

L’explication de ces affirmations si catégoriques repose sur la doctrine exposé dans cet article où saint Thomas nous a marqué qu’il suffisait, pour le salut, d’avoir la chose ou l’effet du sacrement, même si par ailleurs on ne peut avoir le sacrement lui-même.

Mais comment répondre à l’objection seconde qui « équipare » tout simplement la nourriture spirituelle à la nourriture corporelle. Si donc la nourriture corporelle est nécessaire à la vie du corps ainsi de la nourriture spirituelle pour la vie de l’âme. Dès lors la réception du sacrement sous le rapport de sacrement, comme corps et sang du Christ est nécessaire pour le salut. Saint Thomas, précisément, nie la parfaite identité entre la nature spirituelle et la nourriture corporelle. « Il y a cette différence, dit Saint Thomas, entre l’aliment corporel et l’aliment spirituel que l’aliment corporel se change en substance de celui qui est nourri Et c’est pourquoi il ne peut avoir d’efficacité bienfaisante pour l’homme en vue de sa vie à conserver, qu’il est pris réellement. L’aliment spirituel, au contraire, change l’homme en soi-même « Sed alimentum spirituale convertit hominen in seipsum » selon la merveilleuse phrase de saint Augustin : « ce n’est pas toi qui me changeras en toi comme l’aliment de la chair ; mais, toi, tu seras changé en moi ». Or l’homme peut être changé au Christ et lui être incorporé par le simple vœu de l’esprit - « voto mentis » dit saint Thomas – même sans la réception du sacrement lui-même. c’est-à-dire sans la réception du corps et du sang du Christ.
Voilà pourquoi et comment il n’y a pas « parité » entre la nécessité de l’aliment corporel pour la vie du corps et la nécessité de l’Eucharistie pour la vie de l’âme : l’un doit de toute nécessité, être pris réellement ; l’autre peut n’être pris qu’en désir ou en vœu, au sens expliqué par Saint Thomas dans cet article et qui s’applique même aux petits enfants quand ils ont reçu le baptême.

On peut conclure en insistant sur la différence entre la nécessité du baptême et la nécessité de l’Eucharistie
Le baptême, si je parle de la réception du sacrement, est d’une nécessité plus absolue que ne l’est l’Eucharistie. Le baptême commence et l’Eucharistie achève. Or quand elle est commencé, la vie spirituelle ou chrétienne existe déjà et si le sacrement qui doit la parfaire ne peut pas être reçu en réalité, dans sa réalité de sacrement, le corps et le sang du Christ, il produira tout de même son effet, en raison du commencement qui est déjà un acheminement vers lui et une sorte de désir implicite à son endroit. Si, au contraire la vie spirituelle n’est pas même commencé, elle n’existe pas du tout ; et rien ne peut suppléer, dans l’ordre des moyens extérieurs, à ce manque total : d’où il suit que l’enfant qui n’a que le moyen extérieur du sacrement de baptême pour être incorporé à cette vie, se trouve hors des moyens du salut, s’il ne reçoit pas le sacrement lui-même.

Le Père Pègues a cette magnifique conclusion que vous goutterez après ces explications

« L’Eucharistie est le sacrement de la réfection spirituelle. Quelque nécessaire que soit la réfection, dans l’ordre de la vie à conserver, il ne s’ensuit pas que la réception du sacrement de l’Eucharistie soit absolument indispensable pour le salut. Ce qui est absolument nécessaire et indispensable, c’est que la chose signifiée par le sacrement de l’Eucharistie et que le sacrement est destiné à produire comme son effet pur et simple, existe vraiment pour un sujet donné ; et cela veut dire que l’être humain ne peut pas être sauvé s’il n’est uni au corps mystique du Christ que forment entre eux et avec le Christ Lui-même tous les fidèles. C’est cette union mystique, par la foi et la charité, qui est l’effet pur et simple du sacrement de l’Eucharistie. Elle est directement obtenue, notamment dans l’ordre de sa perfection, par la réception du sacrement. Mais elle peut l’être aussi, quoique moins excellemment, par le désir de recevoir l’Eucharistie, que ce désir soit explicite ou même implicite et contenu normalement dans le seul fait d’avoir reçu un autre sacrement, (et tout particulièrement le baptême), puisque tous sont ordonnés en quelque manière à l’Eucharistie. D’une manière très spéciale, la réception du sacrement de baptême constitue cette sorte de désir, même pour les enfants non encore doués de l’usage de leur raison ». (p22)

C’est parfait et d’une très grande richesse.



Une recommandation chaleureuse du livre de Rémi Fontaine.

« La Laïcité dans tous ses états »

Christianisme et laïcisme en dix cas d’école
Par Rémi Fontaine
Préface de Dom Gérard

Ce livre est très utile.
Daniel Raffard de Brienne dans « Renaissance Catholique » le recommande chaleureusement. Il écrit : « Le texte est sobre, élégant, et, surtout, clair…Voilà un livre que chacun doit lire attentivement ».
Alors au travail.
Ce livre est publié aux éditions de Paris (134 rue saint Honoré, 78000 Versailles. Tel O6 79 17 38 08. Fax 01 45 53 06 79.
Il n’est pas très long 116 pages ni très coûteux : 16 euros franco de port.

Je vous donne ci-dessous une présentation du livre par Rémi Fontaine, l’auteur lui-même.

« LA LAICITE DANS TOUS SES DEBATS »

Cet essai sur la laïcité dans tous ses états et débats n'a pas de prétention exhaustive ou scientifique au sens historique ou juridique du terme. Abordant la question sous ses différents angles et sous ses différentes applications, il entend simplement montrer, du point de vue du sens commun, selon une approche à la fois journalistique et philosophique, les contradictions (les pièges) propres à un concept moderne, équivoque, dont on use et abuse aujourd'hui à la manière d'une arme par destination contre l'ordre naturel et chrétien.
La saine et légitime laïcité de l'Etat
Il y a une saine et légitime laïcité (définie par Pie XII) mais elle s'applique exclusivement à l'Etat pour justifier son autonomie temporelle par rapport au spirituel mais non point son insubordination : rendre à César ce qui est à César ne dispense pas César de rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Cela revient essentiellement en politique à accepter le fait que César ne fonde, ni ne décrète, ni ne transforme la loi morale mais qu'il la reçoit et s'en inspire pour la loi civile, l'Eglise étant la gardienne de la morale. Contrairement aux théocraties antiques ou modernes du type islamique, il y a (dans le monde chrétien) double souveraineté, avec subordination du temporel pour ce qui touche à la foi et aux mœurs.
Une formule d'Anouilh résume cette distinction : « Il y a un aumônier sur chaque navire mais on ne lui demande pas de fixer la ration de vivres de l'équipage, ni de faire le point. »
Que César ou Créon aient toujours voulu empiéter sur l'ordre spirituel (et inversement) n'est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c'est qu'ils le dissimulent sous couvert de laïcité et de démocratie. La République se sert du concept chrétien de laïcité (comme arme par destination) pour imposer sa religion d'Etat qui est le culte de l'homme : prétendant séparer temporel et spirituel, elle les confond au vrai en une théocratie nouvelle, à l'envers, qui subordonne le spirituel au temporel : « il faut rendre à César ce qui est à César et tout est à César » (Clemenceau). Elle ne retient politiquement du message du Christ que le « rendez à César ce qui est à César » , le « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu » devenant simplement affaire privée ou affaire de religions subordonnées aux exigences laïcistes de l'Etat. Il n'y a plus alors double souveraineté mais souveraineté spirituelle du temporel.
Du laïcisme de stricte observance à la laïcité ouverte : l'aporie laïciste
La prétendue (mais impossible) séparation du temporel et du spirituel (inédite dans l'histoire de l'humanité) oblige le laïcisme à une logique politique (scolaire ou étatique) du tout ou rien vis-à-vis du spirituel : soit rien n'est permis en matière religieuse (laïcisme de stricte observance) soit tout est permis à égalité (laïcité ouverte). En fait, les contraires étant du même genre, comme on l'enseigne en bonne logique, le laïcisme balance toujours entre ces deux extrémismes idéologiques : dissoudre ou coaguler. Quand tout se vaut, rien ne vaut...que l'impiété et l'irréligion qu'on tente d'imposer contre la pente naturelle des choses. Soit par autoritarisme (rien), soit par laxisme (tout)... Les deux attitudes procèdent du même culte de l'homme qui fait primer le mythe libertaire ou égalitaire sur la vérité.
Nous avons ici précisément les deux termes opposés de l'aporie laïciste, selon que les idéologues conjuguent laïcité avec (impossible) neutralité ou avec (fausse) liberté religieuse. C'est le déchirement classique entre les totalitaires du laïcisme de stricte observance et les libéraux de la laïcité ouverte, entre intolérants de la tolérance et tolérants de l'intolérance.
De la même manière, le laïcisme d'Etat peut osciller entre multiculturalisme (mettant toute les communautés sur pied d'égalité : reconnaissance des communautarismes) et jacobinisme (ignorant la plupart des communautés essentielles, intermédiaires entre l'individu et l'Etat).
Après avoir longtemps privilégié et imposé une laïcité négative, la laïcité par le silence (demander à ceux qui font des choix religieux différents de ne pas en parler et de ne pas le montrer pour ne point se diviser et mieux respecter prétendument la liberté des consciences), beaucoup proposent aujourd'hui de substituer à cette laïcité négative un laïcité positive, la laïcité par le débat (une société de débat où chacun est respecté dans toutes les dimensions de sa vie religieuse mais où personne n'impose aux autres ses propres valeurs, convictions ou traditions).
Avec cette nouvelle laïcité, sous couvert de reconnaissance du « fait religieux », le paradoxe est précisément de ne reconnaître aucun culte divin de préférence mais d'exiger de tous les cultes qu'ils se reconnaissent les uns les autres sous l'autorité tutélaire soi-disant bienveillante de la laIcité de.l'Etat « neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes et forçant l'Eglise à lui obéir sur ce point capital » (Renan).
La malsaine et illégitime laïcité de l'Eglise
Ce qui est nouveau également, c'est que l'Eglise consente à cette nouvelle laïcité sous couvert de liberté religieuse et de légitime autonomie du temporel. Par un glissement sémantique et topique la saine et légitime laïcité de l'Etat devient alors une malsaine et illégitime laïcité de l'Eglise qui confond la distinction entre temporel et spirituel avec la séparation de l'Eglise et de l'Etat, sous prétexte de pluralisme religieux, de laïcité ouverte et de distinction entre l'Etat et les religions. C'est le discours de nos évêques actuels – « ne pas se mettre en contradiction avec les grands principes de la République » (Mgr Ricard) – et de certains cardinaux comme Mgr Etchegaray.
L'erreur consiste à passer du fait (tolérable) du pluralisme religieux à son droit garanti et assumé spirituellement par l'Etat dans un mélange (intolérable) des genres. L'Etat régente les religions, l'Eglise étant réduite à une banale association de droit humain, à un horizon purement séculier. C'est une inversion architectonique.
Pourtant, me direz-vous, les évêques savent bien qu'elle est d'institution divine et que sa mission est divine (annoncer l'Evangile à toutes les nations). Oui mais (c'est comme l'histoire du fou soi-disant guéri de sa phobie du chien !) si les autres ne le savent pas, si on ne leur dit pas , ça ne sert à rien ! Et c'est précisément ce qui se passe. Avec ce que Jean Madiran appelle l'Eglise du silence...
Parce que l'Eglise accepte la fausse règle du jeu du laïcisme, du pacte laïc comme ils disent : — Défense à toute religion qui se dit supérieure d'entrer ici ! Autrement dit « l'Eglise catholique prend soin de s'adresser aux sociétés civiles en s'appuyant sur la loi naturelle et non sur la Révélation » (Mgr Rey). Au lieu d'un « Dieu le veut » adapté aussi bien à la menace laïciste qu'islamiste, l'Eglise de France, plutôt que de « se croiser », se laisse même le plus souvent à défendre des impératifs moraux par des considérations simplement sociologiques.
Une tentation sous l'apparence de bien
Comme face souriante du laïcisme (après la guerre anticléricale du début), la laïcité ouverte apparaît comme une tentation sous l'apparence de bien : un pacte laïc, une concorde sans concordat, un art de mieux vivre ensemble dans le respect de chacun, de chaque religion, où personne en somme ne fais à autrui ce qu'on ne voudrait pas qu'on lui fasse, selon le principe élémentaire de la morale.
Dans une diversité de croyances, il s'agit, pour paraphraser Rousseau dans le Contrat social, de trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la religion et les biens de chaque religion associée et par laquelle chacune, s'unissant aux autres, n'obéisse pourtant qu'à elle même et reste aussi libre qu'auparavant...
Comme dans la tentation sous l'apparence de bien, le Malin sait perdre un peu pour gagner. Il suggère en effet des pensées bonnes et saintes, conformes à des dispositions vertueuses, avec l'intention d'attirer ensuite ses candidats dans ses pièges dissimulés, de les entraîner peu à peu à ses fins subversives, de les faire consentir à ses coupables desseins... Il faut (re)lire alors les règles pour le discernement des esprits de saint Ignace de Loyola dans ses Exercices spirituels et particulièrement la cinquième : « Nous devons examiner avec grand soin la suite et la marche de nos pensées. »
Si le début de la tentation commence bien, comme « le résultat d'une sagesse politique et d'un subtil équilibre qui n'oblige personne à sacrifier ses principes, mais qui propose à tous un nouvel art de vivre ensemble » ou « une solution élégante au problème d'une société irrémédiablement divisée », selon les formules d'Emile Poulat (dans Notre laïcité publique), on s'aperçoit très vite qu'à l'expérience, la réalité n'est pas aussi rose. Et que la laïcité de fait est inséparable d'une laïcité de droit occulte, qui la précède et l'inspire, et qui se vit comme une (contre)religion d'Etat à laquelle doivent sacrifier les religions en renonçant précisément à leurs principes.
Le pacte laïc : un pacte (d'aliénation) avec le diable !
Ce nouveau pacte laïc auquel doivent se rallier les religions et la vraie religion agit en effet à la manière du contrat social de Rousseau ou de Hobbes ; comme une véritable aliénation ! Non pas des individus (passant de l'état de nature à l'état social) mais des religions elles-mêmes (qui passent de l'état sacré à l'état séculier). Pour paraphraser encore Jean-Jacques, il s'agit de changer pour ainsi dire la nature [divine] des religions ; transformer chaque religion, qui par elle-même est un tout parfait et solitaire [se considérant comme uniquement vraie, révélée et supérieure], en partie d'un plus grand tout [laïc] dont cette religion reçoive en quelque sorte sa légitimité, sa vie, son être; altérer la constitution de la religion... (CS, II, 7).
C'est le mythe moderne du faux œcuménisme sous le magistère étatique de la laïcité. La nature d'une religion révélée comme la religion chrétienne, d'institution divine, n'est évidemment pas de recevoir sa légitimité selon les principes et les limites politiques de l'Etat (laïque ou non) ni d'accepter un principe juridique, moral et religieux qui soit supérieur aux siens.
La laïcité est bien en effet une religion de substitution : la nouvelle religion d'Etat, le propre d'une religion étant de se considérer comme la seule vraie, les autres n'étant tolérables que dans la mesure où elles ne menacent pas sa vérité, en l'occurrence le primat de l'arbitraire collectif. son fameux droit à la liberté religieuse n'est par exemple que le déguisement idéologique d'une tolérance concédée (dans des limites bien précises) par cette (contre) religion d'Etat, qui singe humainement le christianisme (grand praticien de la tolérance dont il a inventé la théorie, tout comme la distinction des pouvoirs).
Pour ne rester qu'un être de raison, purement chimérique, comme le funeste Contrat (social), le pacte laïc n'en devient pas moins le principe (idéaliste) dissolvant de notre religion et culture chrétiennes, l'agent actif du processus de sécularisation si souvent dénoncé par Jean-Paul II.
Nous ne disons pas que dans une société divisée religieusement, il soit facile de trouver politiquement une concorde. Nous disons que le laïcisme n'est pas la solution, qu'il est un leurre, une tentation sous l'apparence de bien, et qu'il est même une voie de perdition pour l'Eglise qui est chargée d'apporter la paix de Dieu qui n'est pas la paix selon les hommes.
« Jadis, écrit aussi Emile Poulat, l'homme était à la grâce de Dieu ; désormais Dieu est à la décision de l'homme. » On comprend bien que les évêques ne peuvent et ne devraient pas accepter cela, même s'ils on d'abord été séduits par cette laïcité positive. Ecoutons encore saint Ignace : «... Mais si dans la suite des pensées qui nous sont suggérées, il finit par s'y rencontrer quelque chose de mauvais ou de dissipant, ou de moins bon que ce que nous nous étions proposé de faire, ou si ces pensées affaiblissent notre âme, l'inquiètent, la troublent, en lui ôtant la paix, la tranquillité dont elle jouissait d'abord, c'est une marque évidente qu'elles procèdent du mauvais esprit, ennemi de notre avancement et de notre salut éternel. »
Comment des évêques peuvent-ils... : les applications de la laïcité de l'Eglise
Au lieu de rejeter cette tentation de la laïcité ouverte en jugeant l'arbre à ses fruits, les évêques s'y sont engouffrés toujours plus jusqu'à proposer dans la plupart des mouvement d'Eglise un catholicisme ouvert, tellement ouvert qu'il en devient de moins en moins confessionnel, selon la contradiction intrinsèque dans laquelle s'est enfermé par exemple l'Enseignement catholique ou le néo-scoutisme catholique (SDF).
C'est maintenant au sein des mouvements catholiques eux-même qu'il faut affirmer cette liberté des consciences et de la foi elle-même pour ne pas risquer de trop la brimer. La laïcité qu'on demande à l'Etat (loi de 1905) et à l'école publique comme une référence, on la réclame désormais partout dans la société civile aux autres corps intermédiaires, dans la vie culturelle et associative et jusqu'aux mouvements d'Eglise où l'on ne doit plus agir « en tant que chrétiens » mais à la rigueur « en chrétiens », selon le subtile distinction de Maritain. Acquis à cette laïcisation mentale, ce sont nos évêques qui parlent maintenant de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat ou de la loi Debré comme d'un modèle ! Et qui refusent incroyablement de reconnaître les écoles (hors contrat) ou les scoutismes traditionnels qui veulent agir en tant que catholiques. Parce que jugés trop catholiques. Ce n'est pas dit explicitement mais c'est véritablement la pensée de certains évêques (comme c'était celle des nazis qui ont condamné le bienheureux Marcel Callo de la JOC qui voulait refaire ses frères chrétiens !).
Le laïcisme doit donc toujours et partout primer le communautarisme chrétien : la structure temporelle proprement catholique devient comme obsolète. Exit la Royauté sociale de Notre Seigneur, clef de voûte de la doctrine sociale de l'Eglise ! Et c'est bien pour cela que Stasi ou Debré offre à l'islam cette Eglise du silence comme modèle d'intégration laïque.
Au terme de sa visite ad limina, le cardinal-archevêque de Lyon, Mgr Philippe Barbarin, n'a pas caché sa désolation au Saint-Père : « J'ai été consterné du silence qui a entouré le vote de la nouvelle loi... Comment des députés catholiques peuvent-ils voter une telle loi ? » Il ne s'agissait pas de la loi sur la laïcité mais de la loi de bioéthique effectivement monstrueuse. « A l'inverse », soulignant l'agitation autour des questions qui touchent à la laïcité et « les opinions différentes et mêmes opposées » de l'ensemble de la communauté chrétienne – « opinions qui ne manquent pas de fondement ni de justesse d'analyse » –, le primat des Gaules a eu cette curieuse formule : « Dans un débat qui manque de sérénité, il est important qu'on perçoive à quel point les chrétiens sont engagés dans ce domaine et désireux de vivre en bonne intelligence et en paix avec les croyants des autres religions nombreux en notre pays. L'enjeu est aussi l'intégration de toutes les composantes sociales au sein de la nation. »
Ce qu'on refuse encore à la (fausse) liberté morale (bioéthique), on le concède apparemment sans problème à la (fausse) liberté religieuse (laïcité) dans un silence religieux qui provoque notre propre consternation : — Comment des évêques catholiques peuvent-ils... ? C'est l'interpellation que nous lançons essentiellement dans ce livre à travers des raisonnements de bon sens mais aussi des propositions et des pistes pour en sortir... »