Paroisse catholique Saint Michel

Dirigée par

 Monsieur l'abbé Paul Aulagnier

 

06 80 71 71 01

 

Du 23 au 29 janvier 2005

Dimanche de la Septuagésime

 

Sommaire

 

 N'oubliez pas de vous
escrire sans tarder au pèlerinage jubilaire du Puy, pour m'en faciliter
l'organisation. N'attendez pas le dernier jour, comme on le fait d'habitude.
Des noms me sont déjà parvenus. Je les en remercie.

Le pèlerinage jubilaire du Puy,
au pied de Notre de France.

Je viens d’avoir un excellent contact avec le curé de la cathédrale du Puy, Monsieur l’abbé Paul Ollier. Il fut très aimable, très accueillant. Il ne fait pas de difficulté pour que la sainte messe, dite de saint Pie V, soit célébrée dans la cathédrale Je pourrai même la célébrer dans la très belle chapelle du Très Saint Sacrement, à gauche de la nef.

Alors ne tardez pas à vous inscrire. Si par aventure nous dépassions un certain nombre de pèlerins, il faudrait trouver une autre solution et pour la messe du samedi et du dimanche.

Dans le point « inscription » sur le site, sur la page verte, vous avez maintenant tous les renseignements utiles et nécessaires. Pour les repas du samedi soir et du dimanche midi, il est certain qu’il y a un prix particulier pour les enfants. Vous avez également des possibilités d’hébergements dans des communautés religieuses à très bon marcher. Demandez les renseignements. Madame Viviane de Pontbriand vous fera le meilleur accueil.

Il faut toujours préparer les évènements importants de sa vie spirituelle.

Dans l’histoire de la cathédrale du Puy, vous avez pu lire l’excellent article de Monsieur l’abbé Boivin. Il nous a expliqué la raison de ce jubilé, et toute son histoire. Nous avons une grande grâce d’y pouvoir participer. Cela n’ est pas donné à toutes les générations. Il y a deux années jubilaires au XXI siècle : en 2005 et 2016. Puis il faudra attendre le XXII siècle, en l’an 2157. Alors n’hésitez pas à venir gagner l’indulgence plénière cette année. Il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même.

Pour préparer votre âme à faire cette démarche de pénitence, cette action « satisfactoire », j’ai pensé heureux de vous rappeler, cette semaine, la doctrine de la « satisfaction ». Le catéchisme du Concile de Trente nous donne un très beau texte dont la lecture vous sera profitable. Lisez le et relisez-le de temps en temps.

Ce texte sur la « satisfaction » fait certainement parti des plus beaux textes de ce catéchisme. Je serais même enclin à dire, qu’il est un des plus beaux textes de l’Eglise.
Il me semble que, dans ce texte, vous trouverez la raison de la souffrance, la raison du sacrifice. Vous trouverez la paix de l’âme, l’ordre. Vous trouverez l’importance de la justice, sa nécessité par rapport à Dieu, par rapport au prochain ? Vous trouverez la raison de l’effort pour chercher la sainteté. Ce texte fonde la beauté de la vie sociale, une des ses raisons d’être par la magnifique allusion à la « communion des saints ». Ce texte, m’est avis, fonde la civilisation chrétienne tant il est vrai que le sacrifice fut toujours au cœur de toute cité. Ici, on peut mesurer le drame de notre siècle, dominée essentiellement par la quête du plaisir !

Lisez-le tranquillement ! C’est le chapitre 24 sur le sacrement de pénitence du catéchisme du concile de Trente.

DE LA SATISFACTION

Il convient d’abord d’expliquer le mot de Satisfaction, et d’en préciser la portée. Car les ennemis de la Foi catho¬lique ont pris occasion de ce mot pour semer la division et la discorde parmi les Chrétiens, et au grand détriment de la Religion.


§ I. – QU’EST-CE QUE LA SATISFACTION


La Satisfaction est le paiement intégral d’une dette. Car qui dit satisfaction, dit une chose à laquelle rien ne manque. Par exemple, en matière de réconciliation, satis¬faire signifie accorder à un cœur irrité tout ce qu’il faut pour le venger de l’injure qu’on lui a faite. D’où il suit que la satisfaction n’est pas autre chose que la compensa¬tion, (ou réparation) de l’injure faite à quelqu’un. Et pour en venir à l’objet qui doit nous occuper ici, les Docteurs de l’Église ont employé ce mot de Satisfaction pour expri¬mer cette compensation qui s’établit, lorsque l’homme paie quelque chose à Dieu pour les péchés qu’il a commis.

Et comme cette compensation peut avoir plusieurs degrés différents, on a distingué aussi plusieurs sortes de Satis¬faction. La première et la plus excellente est celle qui a payé suffisamment à Dieu tout ce que nous devions pour nos péchés, quand même il aurait voulu traiter avec nous en toute rigueur de justice. Mais nous ne regardons comme telle que la Satisfaction qui a apaisé Dieu et nous L’a rendu propice. Et c’est à Jésus-Christ seul que nous en sommes redevables. Car c’est Lui qui sur la Croix a payé la dette de nos péchés, et a satisfait surabondamment à la justice de Dieu pour nous. Rien de créé n’aurait pu être d’un prix assez grand pour nous libérer d’une dette si considérable. Mais, comme dit S. Jean ( ) : « Jésus-Christ est Lui-même la Victime de propitiation pour nos péchés, cet non seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux du monde entier. » Cette Satisfaction est donc pleine et complète. Elle est proportionnée d’une manière parfaite et adéquate au poids de tous les crimes qui ont été commis, et qui se commettent en ce monde. C’est elle seule qui donne du prix et du mérite à nos actions devant Dieu. Sans elle, elles seraient vaines et dénuées de toute valeur réelle. C’est là ce que David semblait avoir en vue quand, se recueillant en lui-même, il s’écriait ( ) : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les bienfaits qu’Il m’a accordés ? » et que ne trouvant, pour reconnaître tant de faveurs, que la Satisfaction dont nous parlons, et à laquelle il donne le nom de calice, il ajoutait : « Je prendrai le calice de salut, et j’invoquerai le Nom du Seigneur. »
Une autre espèce de Satisfaction est celle que l’on appelle canonique, et qui s’accomplit dans un temps fixe et déterminé. C’est un usage suivi dès la plus haute anti¬quité dans l’Église, d’infliger quelque peine aux pénitents, lorsqu’ils reçoivent l’Absolution de leurs péchés, et l’accom¬plissement de cette peine s’est toujours appelé Satisfac¬tion.
Enfin on donne encore le nom de Satisfaction à toutes les peines que nous subissons pour nos péchés, sans les recevoir des mains du Prêtre, mais en nous les imposant nous-mêmes, et en nous les infligeant par notre propre volonté. Mais ces peines ne font point partie du sacrement
de Pénitence. Celles-là seules lui appartiennent qui nous sont imposées par l’autorité du Prêtre, pour payer à Dieu ce que nous Lui devons pour nos péchés : encore faut-il que nous ayons dans l’âme la résolution très sincère et très ferme de faire tous nos efforts pour éviter de l’offenser à l’avenir. En effet quelques-uns ont dit que satisfaire, c’est rendre à Dieu l’honneur qui lui est dû. Mais il est évident que nul ne peut Lui rendre cet honneur, s’il n’est résolu à fuir absolument le péché. Par conséquent satis¬faire, c’est détruire les causes du péché, et lui fermer l’en¬trée de nos cœurs. Dans le même ordre d’idées, d’autres ont affirmé que la satisfaction purifie notre âme des restes de souillures que la tache du péché y avait laissées et qu’elle acquitte les peines temporelles qui nous restaient à supporter.


§ II. – NÉCESSITÉ DE LA SATISFACTION.


Les choses étant ainsi, il ne sera pas difficile de faire sentir aux Fidèles combien il est nécessaire aux pénitents de s’exercer à cette pratique de la Satisfaction. Il faudra
leur apprendre que le péché entraîne après lui deux choses, la tâche et la peine. Et bien que la remise de la faute ren¬ferme toujours en elle celle du supplice de la mort éter¬nelle, préparé dans les enfers, cependant il arrive souvent, comme l’a déclaré le Concile de Trente ( ) que Dieu ne re¬met pas en même temps certains restes du péché, et la peine temporelle qui lui est due. Nous avons des preuves non équivoques de cette vérité dans plusieurs endroits de nos Saintes Lettres, au 3e chapitre de la Genèse, aux 12e et 22e chapitres des Nombres, et dans beaucoup d’autres passages, mais dont le plus célèbre et le plus frappant est celui de David. Le Prophète Nathan lui avait dit : ( ) « Le Sei¬gneur n’a point retenu votre péché, vous ne mourrez point. » Et cependant il s’imposa volontairement des peines très grandes, implorant jour et nuit la miséricorde de Dieu en ces termes : ( ) « Lavez-moi de plus en plus de mon ini¬quité, et purifiez-moi de mon péché ; parce que je connais mon iniquité, et mon péché est toujours devant moi. » Par ces paroles il demandait au Seigneur, non seulement le pardon de son crime, mais encore la remise de la peine qu’il avait méritée ; et il Le conjurait de le purifier de tous les restes de ses fautes, et de le rétablir dans son premier état d’innocence et de gloire. Cependant, malgré toute la ferveur de ses prières, le Seigneur ne laissa pas de le punir, et par la perte de l’enfant né après sa faute, et par la ré¬volte et la mort d’Absalon qu’il aimait tendrement, et par plusieurs autres peines et châtiments, dont Il l’avait aupa¬ravant menacé.

Nous voyons encore dans l’Exode que le Seigneur apaisé par les prières de Moïse, pardonna au peu¬ple son idolâtrie : ce qui ne L’empêcha pas d’annoncer qu’Il en tirerait une vengeance très sévère et Moïse lui-même déclara que le Seigneur le punirait de ce crime, avec la dernière rigueur, jusqu’à la troisième et quatrième géné¬ration. Quant à l’Église catholique, sa Doctrine n’a jamais varié sur ce point, et tous les écrits des Pères prouvent qu’elle n’a pas cessé de croire cette vérité.
Mais comment se fait-il que le sacrement de Pénitence ne remette pas avec le péché toutes les peines qui lui sont dues, aussi bien que le Baptême ? C’est ce que nous explique fort bien le Concile de Trente, en ces termes : « La justice divine semble exiger, dit-il, que la réconciliation soit ac¬cordée différemment à ceux qui ont péché par ignorance avant le Baptême, et à ceux qui, délivrés du péché et de l’esclavage du démon, après avoir reçu le don du Saint-Esprit, ne craignent pas cependant de profaner sciemment le temple de Dieu, et de contrister le Saint-Esprit. »
D’ailleurs, il convient à la clémence divine de ne pas nous remettre nos péchés, sans exiger de nous quelque sa¬tisfaction. Autrement nous serions exposés à regarder nos fautes comme moindres qu’elles ne sont, et, à la première occasion, à tomber dans d’autres plus graves, par un mé¬pris souverainement injurieux au Saint-Esprit, nous amas¬sant ainsi à nous-mêmes un trésor de colère pour le jour de la vengeance ( ). Il est hors de doute que les peines satisfactoires sont comme un frein puissant pour nous retenir, et nous empêcher de retomber dans le mal. Par la même raison elles rendent les pénitents beaucoup plus circonspects et plus vigilants pour l’avenir.
On peut ajouter que ces pénitences sont comme des témoignages publics de la douleur que nous font éprouver nos péchés, et par là même un moyen de satisfaire à l’Égli¬se qui a été grièvement offensée par nos crimes. Car, comme dit S. Augustin, Dieu ne rejette point un cœur contrit et humilié. ( ) Mais comme la douleur d’un cœur est ordi¬nairement cachée pour un autre, et qu’elle ne se manifeste au dehors ni par des paroles ni par d’autres signes, c’est avec raison que les Pasteurs de l’Église ont établi des Temps de Pénitence, pendant lesquels on satisfait à l’Église, de qui l’on reçoit la rémission de ses péchés.


§ III. – EFFETS ET AVANTAGES DE LA SATISFACTION.


D’un autre côté, nos exemples de pénitence apprennent aux autres comment ils doivent régler leur conduite et pra¬tiquer la piété. Lorsque nos semblables sont témoins des peines qui nous sont infligées pour nos péchés, ils en concluent qu’ils doivent vivre toujours dans la plus grande vigilance et réformer leurs mœurs. Voilà pourquoi l’Église avait voulu avec beaucoup de sagesse imposer une pénitence publique à celui qui avait commis publiquement quelque faute, afin que les autres, frappés d’une salutaire terreur, fussent désormais plus attentifs à éviter le péché. Cette loi s’étendait même quelquefois aux crimes secrets, lorsqu’ils étaient très graves. Mais pour les fautes publiques, c’était un usage constant et invariable de ne point absoudre ceux qui en étaient coupables, avant qu’ils n’eussent subi et achevé leur pénitence publique. Pendant ce temps, les Pasteurs priaient Dieu pour leur salut, et ils ne cessaient d’exhorter les pénitents à faire de même. C’est en cela que l’on vit briller surtout le zèle et la sollicitude de S. Am¬broise. Ses larmes, dit-on, attendrissaient tellement certains pécheurs qui venaient lui demander l’Absolution avec un cœur endurci, qu’il leur inspirait la douleur d’une véritable Contrition. Mais dans la suite, il y eut tant de relâchement dans la sévérité de l’ancienne discipline, et la Charité se trouva si refroidie que la plupart des fidèles ne regardent plus la douleur intérieure de l’âme et les gémissements du cœur comme nécessaires pour obtenir le pardon de leurs péchés, et qu’ils croient suffisant de montrer les dehors et les apparences du repentir.

Les peines satisfactoires qui nous sont imposées ont encore cet avantage de nous faire retracer l’image et la ressemblance de Jésus-Christ notre Chef, qui Lui-même a été éprouvé, et a subi toutes sortes de souffrances. « On ne peut rien voir de plus difforme, dit S. Bernard, qu’un membre délicat sous un chef couronné d’épines. » ( ) D’ailleurs au témoignage de l’Apôtre, « nous ne sommes les cohéritiers du Sauveur, qu’autant que nous souffrons avec Lui ; ( ) et comme il est écrit dans un autre endroit : Si nous mourons avec Lui, nous vivrons aussi avec Lui ; si nous souffrons avec Lui, nous régnerons aussi avec Lui. » ( )
S. Bernard établit encore que l’on trouve deux choses dans le péché : une tache pour l’âme, et une plaie ; qu’à la vérité la miséricorde de Dieu enlève la tache, mais que pour guérir la plaie du péché, il faut nécessairement ce traitement que l’on emploie comme remède dans la Péni¬tence. Lorsqu’une blessure est guérie, il demeure encore des cicatrices, qui elles-mêmes ont besoin de guérison ; ainsi l’âme, après la remise de sa faute, conserve encore quelques restes de ses péchés, dont elle a besoin de se purifier. C’est ce que dit très bien S. Jean Chrysostome en ces termes : ( ) « Ce n’est pas assez d’arracher la flèche du corps ; il faut de plus guérir la blessure qui a été faite par la flèche. » De même, après avoir reçu le pardon de ses péchés, il faut encore traiter par la Pénitence la plaie qui reste dans l’âme. S. Augustin ne cesse de nous représenter qu’il y a deux choses à considérer dans le sacrement de Pénitence : la miséricorde de Dieu et sa justice ; la misé¬ricorde qui remet les péchés et les peines éternelles qui leur sont dues, la justice qui inflige à l’homme des peines limi¬tées par le temps.
Enfin les Satisfactions du Sacrement de Pénitence nous font éviter les châtiments de Dieu et les supplices qui nous étaient réservés. Ainsi l’enseigne l’Apôtre : ( ) : « Si. nous nous jugions nous-mêmes, dit-il, nous ne serions certaine¬ment point jugés ; mais lorsque nous sommes jugés, c’est le Seigneur qui nous châtie, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde. »
Si les Pasteurs expliquent avec soin ces vérités, il est presque impossible que les Fidèles n’embrassent pas avec ardeur les œuvres de la Pénitence. Mais ce qui démontre
parfaitement l’efficacité de cette Pénitence, c’est qu’elle tire toute sa vertu des mérites de la Passion de Notre-Sei¬gneur Jésus-Christ. Ces mérites communiquent à nos bon¬nes œuvres en général deux immenses avantages : l’un est de nous faire mériter les récompenses et la gloire éternelle, au point qu’un verre d’eau froide, donné au nom du Sau¬veur, ne sera pas perdu ; et l’autre de satisfaire à Dieu pour nos péchés.

Et n’allons pas croire que nos satisfactions diminuent celle de Notre-Seigneur, si abondante et si parfaite. Au contraire elles ne servent qu’à la rendre plus éclatante et plus glorieuse encore, s’il est possible. En effet la grâce de Jésus-Christ paraît d’autant plus abondante qu’elle nous fait participer non seulement à ce qu’Il a mérité et payé Lui-même, mais encore aux mérites et au prix qu’Il a communiqués aux Justes et aux Saints, comme un Chef à ses membres. Et voilà évidemment ce qui donne tant de valeur et d’importance aux bonnes œuvres des vrais Chré¬tiens ! Comme la tête communique la vie aux membres, comme la vigne fait passer la sève dans toutes ses branches, ainsi Notre-Seigneur Jésus-Christ ne cesse de répandre sa Grâce sur ceux qui Lui sont unis par la Charité. Et cette grâce précède, accompagne et suit toujours nos œuvres. Sans elle nous ne pouvons ni mériter, ni satisfaire en au¬cune façon à la justice de Dieu. Ainsi rien ne manque aux justes : par les œuvres qu’ils opèrent avec le secours divin, ils peuvent d’un côté satisfaire à Dieu et à sa Loi, autant que le comporte la fragilité humaine, et de l’autre mériter la Vie Éternelle dont ils entreront en possession, s’ils meu¬rent en état de grâce. La parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ est formelle : ( ) « Celui qui boira l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif ; et cette eau que je lui donne¬rai deviendra en lui une fontaine qui jaillira pour la Vie Éternelle. »
Mais il y a deux choses nécessaires dans la Satisfaction : la première, que celui qui satisfait soit juste et ami de Dieu. Les œuvres qui ne sont pas faites dans la Foi et dans la Charité ne sauraient être agréables à Dieu ; la seconde, que les œuvres que l’on accomplit soient de nature à causer de la douleur et de la peine. Puisqu’elles sont une véritable compensation des péchés passés et, comme parle le martyr S. Cyprien « la rançon des péchés », il est de toute nécessité qu’elles présentent quelque chose de difficile et de pénible – bien qu’il n’arrive pas toujours à ceux qui s’exercent à ces œuvres de mortification d’éprouver le sentiment de la douleur. Souvent l’habitude de souffrir, ou une Charité ardente empêchent de sentir les choses les plus dures à supporter par elles-mêmes. Cependant ces sortes d’actions ne laissent pas de posséder la vertu de satisfaire. C’est même le propre des enfants de Dieu d’être tellement en¬flammés des sentiments de l’amour et de la piété, qu’au milieu des plus cruelles souffrances, ils ne ressentent au¬cune douleur ou du moins qu’ils supportent tout avec un cœur plein de joie.
§ IV. – DIVERSES ESPÈCES D’ŒUVRES SATISFACTOIRES.
Les Pasteurs enseigneront que tous les genres de Satis¬factions peuvent se ramener à trois sortes d’œuvres : la Prière, le Jeûne et l’Aumône, lesquels répondent parfaite¬ment aux trois sortes de biens que nous avons reçus de Dieu, les biens de l’âme, les biens du corps et ceux que l’on appelle les avantages extérieurs. Rien n’est plus propre ni plus efficace que ces trois sortes d’œuvres pour extirper les racines de tous les péchés. Puisque, selon l’Apôtre S. Jean, ( ) « Tout ce qui est dans le monde est concupis¬cence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie », il n’est personne qui ne voie qu’à ces trois sources de maladies, on a eu bien raison d’opposer trois excellents remèdes, à la première le Jeûne, à la seconde l’Aumône, et à la troisième la Prière. D’autre part, si nous considérons ceux que nos péchés offensent, il nous sera facile de comprendre pourquoi toute satisfaction se rappor¬te à ces trois choses. En effet le péché offense Dieu, le pro¬chain et nous-mêmes ; or par la Prière nous apaisons Dieu, par l’Aumône nous donnons satisfaction au prochain, et par le Jeûne nous nous mortifions nous-mêmes.
Mais comme une foule de peines et de calamités diverses nous accablent tant que nous sommes dans cette vie, il faut bien apprendre aux Fidèles que ceux qui supportent avec patience tout ce que Dieu leur envoie de pénible et d’affligeant trouvent précisément là une source abondante de satisfaction et de mérites ; tandis que ceux qui n’endu¬rent ces sortes d’épreuves qu’avec répugnance et malgré eux se privent de tous les avantages des œuvres satisfac¬toires, et ne font que subir la punition et le juste châtiment de Dieu qui se venge de leurs péchés.

Mais ce qui doit nous faire exalter, par les louanges et les actions de grâces les plus vives, l’infinie bonté et la miséricorde de Dieu, c’est qu’Il a bien voulu nous accorder à nous si faibles et si misérables de pouvoir satisfaire les uns pour les autres. C’est là en effet une propriété spéciale qui n’appartient qu’à la Satisfaction. S’il s’agit de la Contrition et de la Confession, personne ne peut ni se re¬pentir, ni se confesser pour un autre ; mais ceux qui pos¬sèdent la Grâce divine peuvent au nom d’un autre payer à Dieu ce qui Lui est dû. C’est ainsi que nous portons en quelque sorte le fardeau les uns des autres. ( ) Et personne parmi nous ne saurait douter de cette vérité, puisque nous confessons dans le Symbole des Apôtres la communion des Saints. Dès lors que nous renaissons tous à Jésus-Christ, purifiés par le même Baptême, que nous participons tous aux mêmes Sacrements, et surtout que nous avons pour aliment et pour breuvage réparateurs le même Corps et le même Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il est aussi certain qu’évident que nous sommes tous les membres d’un seul et même corps. Et si le pied, par exemple, ne remplit pas ses fonctions uniquement pour lui, mais encore au profit des yeux, et si les yeux ne voient pas pour eux seuls, mais aussi pour l’avantage commun de tous les membres, les œuvres satisfactoires peuvent être également communes entre nous tous.

Cependant ceci, pour être vrai, ne doit pas s’entendre sans restriction, si nous envisageons en général tous les avantages que la satisfaction nous procure. Car les œuvres satisfactoires sont aussi comme un traitement et un remède prescrits au pénitent pour guérir les affections déréglées de son âme. Mais il est évident que cet effet particulier ne peut s’appliquer à ceux qui ne satisfont point par eux-mêmes.

Voilà donc ce que les Pasteurs auront à exposer d’une manière claire et détaillée sur les trois parties du sacre¬ment de Pénitence : La Contrition, la Confession et la Sa¬tisfaction.

Toutefois il est une chose que les Confesseurs doivent observer avec le plus grand soin, c’est après avoir en¬tendu l’aveu des fautes du pénitent, et avant de l’absoudre, de l’obliger à la réparation suffisante des torts qu’il a pu faire au prochain, dans ses biens ou dans sa réputation, si ces torts semblent assez grands pour l’exposer à la damna¬tion éternelle. Nul ne doit être absous, s’il ne promet de restituer à chacun ce qui lui appartient. Et comme il s’en trouve plusieurs qui s’engagent par beaucoup de paroles à s’acquitter de ce devoir, mais n’en sont pas moins décidés et résolus à ne point tenir leurs promesses, il faut absolu¬ment les obliger à restituer, et leur rappeler souvent ces mots de l’Apôtre : ( ) « que celui qui dérobait, ne dérobe plus, mais qu’il s’occupe plutôt à travailler de ses mains à quelque ouvrage bon et utile, afin qu’il ait de quoi donner à ceux qui sont dans le besoin. »

Quant aux pénitences à imposer aux pécheurs, les con¬fesseurs ne les prescriront point d’une manière arbitraire ; ils suivront en cela les règles de la justice, de la prudence et de la piété. Et pour montrer aux pénitents qu’ils mesu¬rent leurs fautes d’après ces règles, comme aussi pour leur en faire sentir davantage la gravité, il sera bon qu’ils leur rappellent de temps en temps les peines que les anciens Canons Pénitentiaux avaient fixées pour certains péchés. En un mot la nature de la faute doit être la mesure générale de la Satisfaction.
Mais de toutes les œuvres satisfactoires que l’on peut imposer aux pénitents, la plus convenable, c’est qu’ils s’appliquent à la Prière à certains jours et pendant un cer¬tain temps, et qu’ils prient pour tout le monde, et surtout pour ceux qui sont morts dans le Seigneur.
Il faut aussi les exhorter à reprendre quelquefois et à recommencer d’eux-mêmes les œuvres de satisfaction pres¬crites par le Confesseur, et à acquérir des dispositions telles qu’après avoir accompli tout ce qui se rapporte au Sacre¬ment de Pénitence, ils n’abandonnent jamais les pratiques de la vertu de Pénitence.

Si quelquefois pour un crime public on se voit dans l’obligation d’infliger une pénitence publique, et que le pé¬nitent la repousse et supplie d’en être exempté, on ne devra point l’écouter trop facilement ; au contraire, il faudra lui persuader de se soumettre volontiers et avec empressement à une peine qui doit être salutaire et à lui et aux autres.

En enseignant ces choses sur le sacrement de Pénitence, et sur chacune de ses parties, le Pasteur aura pour but non seulement de les faire connaître exactement, mais encore d’amener les Fidèles à les mettre en pratique avec un vé¬ritable esprit de religion et de piété.

Le sacrement de l’Eucharistie

Dans l’article précédent, l’article 4, Saint Thomas nous a « expliqué » le mystère de la présence réelle de Notre Seigneur Jésus-Christ, dans le sacrement de l’Eucharistie, telle que nous l’enseigne la foi, par le dogme de la transsubstantiation. Ce dogme nous fait dire que le pain qui était là, sur l’autel, a été changé, converti, quant à sa substance, au corps du Christ qui est au ciel et qui y demeure absolument inchangé, mais qui acquiert, en vertu du changement de la substance du pain en lui, à l’endroit des espèces du pain qui demeurent, le rapport qu’avait à ces espèces la substance du pain changé en lui ; d’où il suit que nous disons, en toute vérité, du corps du Christ qui est au ciel, ce que nous disions de la substance du pain à l’endroit de ces espèces, notammen,t qu’il est contenu en elles, et que, par elles, il nous est véritablement donné.

C’est dire que si la substance du pain et du vin se change au corps et au sang de Notre Seigneur Jésus-Christ, demeure cependant les accidents du pain et du vin.

C’est ce que va nous dire Saint Thomas dans son article 5 : « Si dans ce sacrement demeurent les accidents du pain et du vin ? ».

Article 5 : « Si dans ce sacrement demeurent les accidents du pain et du vin ? ».

Saint Thomas affirme, sans le moindre doute possible, la permanence des accidents du pain et du vin après la consécration. Il en appelle formellement aux sens, au témoignage des sens, donc à la connaissance sensible, point de départ nécessaire de toute connaissance : « dicendum quod sensu apparet, facta consecratione, omnia accidentia panis et vini remanere » c’est-à-dire que les sens eux-mêmes nous montrent qu’après la consécration tous les accidents du pain et du vin demeurent.

Et que la Providence divine fasse cela, c’est-à-dire assure la permanence des accidents, la consécration faite, est très raisonnable, nous dit saint Thomas : « quod quidem rationaliter per divinam providentiam fit ».

Saint Thomas en apporte trois raisons très brèves et évidentes :

Premièrement : parce qu’il n’est pas en usage pour les hommes, cela fait même horreur, de manger la chair d’un homme et de boire son sang. A cause de cela la chair et le sang du Christ nous sont offerts à prendre sous les espèces du pain et du vin, espèces des choses qui sont le plus fréquemment en usage pour l’homme quand il veut se nourrir, savoir le pain et le vin.

« Quia non est consuetum hominibus, sed horribile, carnem hominis comedere et sanguinem bibere, proponitur nobis caro et sanguis Christi sumenda sub speciebus illorum quae frequentius in usum hominis veniunt, scilicet panis et vini ».

Secondement : pour que ce sacrement ne soit pas tourné en dérision par les infidèles, si nous mangions notre Seigneur sous sa forme propre et selon qu’en Lui-même Il tombe sous les sens.

« Secundo, ne hoc sacramentum ab infidelibus irridetur, si sub specie propria Dominum nostrum manducemus »

Troisièmement : afin que, prenant le corps et le sang de notre Seigneur, cela tourne à profit pour le mérite de la foi.

« Tertio ut, dum invibiliter corpus et sanguinem Domini nostri sumimus, hoc proficiat ad meritum fidei »

« Ces trois raisons suffisent, dit le Père Pègues, - et ainsi il en profite pour synthétiser la pensée de saint Thomas -, pour montrer qu’il était de toute convenance qu’à vouloir se donner à nous comme nourriture, le Christ devait nous donner son corps à manger et son sang à boire, non pas sous leur forme extérieure et selon qu’ils tombent sous les sens , mais sous la forme du pain et du vin qui servent le plus communément parmi nous à alimenter notre vie ; d’où il suit que les accidents ou les dehors du pain et du vin devaient demeurer dans ce sacrement, tandis que leur substance seule serait changée au corps et au sang du Christ. De la sorte, en effet, et parce que ces accidents n’ont plus leur substance, mais, à la place de cette substance, le corps et le sang du Christ, en les prenant ce n’est plus du pain et du vin que nous prendrions, mais véritablement le corps et le sang du Christ ; et cependant, nous n’aurions aucune répugnance à prendre ce corps et ce sang du Christ, puisque nous le prendrions sous les dehors du pain et du vin, qui sont tout ce qu’il y a de plus naturel et de plus usuel parmi nous dans l’ordre de notre alimentation ». (p. 126)

Mais saint Thomas, dans « la Somme contre les Gentils », précise plus profondément encore le « pourquoi » du maintien des accidents du pain et du vin, telles que les sens le voient. Il démontre, nous allons le voir, que la formule de la consécration : « ceci est mon corps », « ceci est mon sang » n’est vrai qu’à cette condition.

Il écrit : « il est nécessaire que quelque chose demeure pour que soit vrai ce qui est dit : « Ceci est mon corps » : paroles qui signifient et qui font la conversion dont il s’agit. Si, en effet, rien ne demeurait, le pronom démonstratif « ceci » ne pourrait plus se dire ; et si on enlève ce pronom, c’est le sujet même de la proposition qui disparaît ; de telle sorte qu’il n’y a plus possibilité de formuler cette proposition. D’autre part, poursuit saint Thomas, « et parce que la substance du pain ne demeure pas, ni quelque matière pré jacente, comme il a été montré, il est nécessaire de dire que demeure ce qui est en dehors de la substance du pain. Et « ceci » est l’accident ou les accidents du pain. Donc les accidents du pain demeurent même après la consécration ».

Le Père Pègues commente très heureusement et d’une manière éclairante : « On le voit, il s’agit de la vérité même de la proposition qui est la forme du sacrement : Ceci est mon corps …, laquel signifie et fait le sacrement lui-même. Pour que cette proposition puisse s’émettre et se vérifier, il faut un sujet duquel on puisse affirmer l’attribut. Ce sujet ne peut pas être le corps du Christ ; puisque le corps du Christ est attribut dans cette proposition : « ceci est mon corps », et qu’il n’est pas ce qu’on montre quand on dit : « ceci ». Ce ne peut pas être la substance du pain : ce serait faux ; car de la substance du pain, il ne reste rien ; - la foi nous l’indique clairement - et, par conséquent, il n’y a rien de ce côté qui puisse être sujet de proposition, de façon à pouvoir dire de cela que c’est le corps du Christ : si, d’ ailleurs, il restait quelque chose, ce ne pourrait pas être sujet de cette proposition sans que la proposition devienne fausse, attendu qu’il n’est rien en dehors du corps du Christ dont on puisse dire que c’est le corps du Christ. Il demeure donc que le seul sujet possible dans cette proposition est quelque chose qui tombe sous les sens et qui n’ayant pas de substance propre, ou plutôt ayant eu sa substance changée au corps du Christ, permette d’être montré en lui appliquant cet attribut souverainement substantiel : le corps du Christ. Alors vraiment on pourra dire, ou plutôt le Christ pouvait dire et pourront dire comme Lui ou en son nom ceux qui ont charge de la faire : Ceci que vous voyez, qui tombe sous vos sens et que vous croiriez, en raison des apparences sensibles, être du pain, n’est pas du pain, ou ne sera pas du pain quand j’aurai parlé, mais est mon corps ».(p130)

Ainsi saint Thomas démontre que la forme de la consécration : Ceci est mon corps… ne peut être vérifiée que si les accidents du pain demeurent et jouent le rôle de quasi-sujet.

Toujours dans la « Somme contre les Gentils » et dans ce même chapitre, Saint Thomas ajoute une autre raison de cette nécessité de la permanence des accidents après la consécration.

« Si la substance du pain, dit-il, était convertie au corps du Christ et si, en même temps, « les accidents du pain » disparaissaient, s’ils ne demeuraient point là où nous avions le pain avant la consécration, d’un tel changement, « d’une telle conversion il ne suivrait pas que le corps du Christ, selon sa substance, fût où auparavant était le pain : car il ne serait laissé aucun rapport du corps du Christ au lieu dont il s’agit. Mais, comma la quantité « dimensive » du pain demeure après la conversion, par laquelle » - quantité dimensive - « le pain se trouvait en ce lieu, la substance du pain étant changée au corps du Christ, le corps du Christ se trouve sous la quantité dimensive du pain », puisqu’il succède à la substance du pain dans le rapport qu’avait cette substance à ses accidents propres, sans que d’ailleurs ces accidents deviennent les accidents du corps du Christ , « et, par conséquent, le corps du Christ « acquièrent en quelque sorte le lieu » qui était celui « du pain ; toutefois par l’entremise des dimensions du pain » ; non par l’entremise de ses propres dimensions. (p. 131)

Nous avons ici et dans les textes de la « Somme théologique » et dans le chapitre de la « Somme contre les gentils », la vraie pensée de saint Thomas sur la vraie nature de l’action consécratoire, appelée par Saint Thomas et par l’Eglise, « transsubstantiation » et sur le lien de cette « transsubstantiation » avec la présence réelle eucharistique.

Le Père Pègues résume merveilleusement la pensée thomiste : « Si, après la consécration, le corps du Christ est présent sur notre terre, parmi nous, de la présence que la foi nous impose, c’est uniquement : parce que la substance du pain qui était là avant la consécration a été changé en lui et parce que seule la substance du pain a été changée, ses accidents demeurant toujours là. S’il y avait eu changement de la substance du pain au corps du Christ, sans que les accidents du pain demeurassent, après la consécration une seule chose serait vraie : c’est que la substance du pain qui était là, ne serait plus là, ni ne serait plus nulle part, mais qu’elle aurait été changé au corps du Christ, lequel se trouverait où il se trouvait avant ce changement, sans que, du reste, ce changement de la substance du pain en lui eût amené en lui ou pour lui quelque changement que ce puisse être. Et tout serait dit. Nous n’aurions plus rien ici où était précédemment le pain. Il n’y aurait plus, c’est évident, à parler de quoique ce soit ayant trait à ce qui constitue notre sacrement de l’Eucharistie. Si nous pouvons parler du sacrement de l’Eucharistie, du sacrement qui nous donne le corps du Christ, qui fait que le corps du Christ est véritablement parmi nous, à notre portée, à notre disposition, que nous pouvons en user comme de notre véritable aliment spirituel -« ma chair est vraiment une nourriture, mon sang vraiment un breuvage », que nous pouvons « manger la chair du Christ et boire son sang », si nous avons le sacrement de l’Eucharistie et si ce sacrement est ce qu’il est pour nous, ce n’est point seulement parce que la substance du pain et du vin ont été changés au corps et au sang du Christ, - s’il n’ y avait que cela, encore une fois nous n’aurions rien du tout dans l’ordre du sacrement eucharistique ; c’est parce que la substance du pain et la substance du vin ont été changées au corps et au sang du Christ avec ceci que leurs accidents sont demeurés où ils étaient. Voilà la clé du mystère eucharistique, la clé de la présence réelle eucharistique et de toutes les merveilles attachées à cette présence eucharistique du Christ parmi nous. »(p 132-133)

La pensée de saint Thomas sur ce mystère eucharistique est donc celle-là : « Si la substance du pain était convertie au corps du Christ et que les accidents du pain ne fussent plus là », soit d’ailleurs qu’ils fussent eux-mêmes changés aux accidents du corps du Christ, soit qu’ils fussent évanouis, « d’une telle conversion il ne suivrait pas que le corps du Christ selon sa substance fût où auparavant était le pain : « ex tali conversione non sequeretur quod corpus Christi secundum suam substantiam, esset ubi prius fuit pannis ». A supposer qu’ils fussent changés aux accidents du corps du Christ, il s’ensuivrait que le corps du Christ aurai été, non seulement quant à sa substance mais aussi quant à ses accidents, le terme auquel aurait abouti la conversion ou le changement du pain. Et ce terme se trouverait où il était avant ce changement, sans que rien de nouveau pût être affirmé de lui, sinon que le pain, tout le pain et quant à sa substance et quant à ses accidents aurait été changé en lui. Par où l’on voit, manifestement, que la raison de la présence eucharistique n’est point le seul fait du changement…S’il en était ainsi le changement ou la conversion de tout le pain, y compris les accidents, au corps du Christ, devrait nous donner, où était le pain le corps du Christ avec ses accidents à lui ; et, du même coup, on aboutirait à cette conséquence : du corps du Christ multiplié selon son être même ou selon qu’il est lui-même, avec ses propres accidents et selon qu’il occupe un lieu par lui-même, autant de fois qu’il y aurait eu de consécrations ; ce qui serait multiplier autant de fois les contradictions les plus flagrantes, ou, ce qui revient au même, affirmer autant de fois que le corps du Christ cesserait d’être le corps du Christ ; car multiplier un être individuel comme tel, c’est, par le fait même, le détruire.

Ainsi, il est clair : quelque hypothèse que l’on fasse, « si les accidents du pain « ne restent pas, s’ils disparaissent, s’ils « passent », même avec la conversion radicale et totale de la substance du pain au corps du Christ, « il ne suivra pas, de cette conversion, que le corps du Christ, selon sa substance, soit où était auparavant le pain ».

Pourquoi ?

Parce que, déclare Saint Thomas, « il ne serait laissé aucun rapport du corps du Christ à ce lieu qui nous occupe : nulla enim relinqueretur habitudo corporis Christi ad locum praedictum ». C’est qu’en effet le corps du Christ n’a un rapport à ce lieu que « par l’intre- mise des dimensions du pain, « mediantibus dimensionibus panis ». Car de même que le pain « était dans ce lieu, sortiebatur hunc locum, par sa quantité dimensive (ces accidents) ; de même, une fois la substance du pain changée au corps du Christ, le corps du Christ, en raison de cette conversion, virtute huius conversionis, succède en quelque sorte à la substance du pain pour ce qui est de rapport à la quantité dimensive qui était celle du pain changé en lui ; il acquiert à l’endroit des accidents du pain le rapport qui était celui du pain, acquirit habitudinem ad species quam prius habuit panis, et, par l’entremise de ces espèces, de ces accidents, « de ces dimensions du pain, il se trouve avoir acquis, en quelque sorte, le lieu « qui était celui du pain » : il est où était le pain, parce que les accidents du pain, notamment ses dimensions qui le faisaient être là, demeurent comme auparavant : substantia panis in corpore Christi mutata, fit corpus Christi sub quantitate dimensiva panis et per consequens locum panis quodammodo sortitur, mediantibus tamen dimensionibus panis ».

Ainsi ce qui est clair chez saint Thomas, c’est que « la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, de son corps et de son sang s’explique par le changement total de la substance du pain et du vin au corps et au sang du Christ, alors que demeurent seulement les accidents ou les espèces de ce pain et de ce vin. Il faut ces deux choses pour sauver tout ce que la foi nous révèle et toute ce que la sainte théologie nous enseigne au sujet du sacrement de l’Eucharistie ; car, soit qu’on dénature l’une ou que l’on dénature l’autre, la vérité du sacrement disparaît. Si la substance du pain demeure ; ou si les accidents du pain ne demeurent pas ; en un mot, si nous ne gardons en son sens le plus strict et le plus formel la transsubstantiation, c’est-à-dire le passage au corps et au sang du Christ tels qu’ils sont en eux-mêmes, dans la vérité la plus absolue, de toute la substance du pain et du vin, mais rien que leur substance, avec la permanence, ici, de leurs accidents ou de leurs espèces, c’en est fait de l’Eucharistie et de sa vérité.

On voit alors la précision de la décision du Concile de Trente sur la transsubstantiation, disant, je la reprends : « Si quelqu’un dit que dans le très saint sacrement de l’Eucharistie demeure la substance du pain et du vin ensemble avec le corps et le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ ; et nie cette admirable et unique conversion de toute la substance du pain au corps et de toute la substance du vin, alors que demeurent seulement les espèces du pain et du vin, conversion que l’Eglise catholique appelle d’une façon souverainement propre : transsubstantiation ; qu’il soit anathème ».

La présence réelle du Christ dans le sacrement de l’Eucharistie exige cela. Oui ! La vérité exprimée de notre foi sur la présence réelle de Notre Seigneur dans l’Eucharistie exige la transsubstantiation. « Ce n’est que par la Transsubstantiation que la raison théologique est à même de justifier ou plutôt de maintenir que « le corps et le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ ensemble, avec l’âme et la divinité, c’est-à-dire le Christ tout entier, est contenu véritablement, réellement et substantiellement dans le sacrement de la très sainte Eucharistie et non pas seulement comme en un signe, ou en figure ou par sa vertu. Si on nie ou si l’on entendait mal la transsubstantiation c’est la vérité même du sacrement de l’Eucharistie qui disparaît.

Concluons, avec le Père Pègues, c’est sublime : « Puisqu’en effet Dieu a le haut domaine de l’être, étant l’être même, Il peut avoir action sur tout l’être de tel être qui est et le changer en tel autre être qui est. S’Il le fait, il s’ensuivra que le premier sera passé au second. Mais si l’être ainsi changé est un être corporel qui tombe sous les sens, à supposer, ce qui est toujours possible quand il s’agit de Dieu, Agent premier et Cause première de tout, que la substance seule ait été changée et que les dehors, par lesquels il tombait sous nos sens et avait rapport avec nous soient demeurés, le changement qui s’est fait entraînera de toute nécessité un certain rapport entre ces dehors ou accidents qui demeurent et l’être préexistant auquel aura été changée leur substance : ce rapport, à tout le moins, que leur substance a été changée en lui, de telle sorte qu’il sera possible de dire en toute vérité que cet autre être préexistant aura pris par rapport à eux la place de leur substance : il aura succédé à cette substance quant au fait d’être en rapport avec ces accidents. Oh ! assurément les rapports de cet être préexistant, qui a son être à lui, ses dehors à lui, ses conditions à lui, ne seront pas, de tout point, les mêmes que ceux de la précédente substance qui était la substance propre de ces dehors ou de ces accidents . Mais, enfin, certains rapports seront nés entre ces dehors et lui, du seul fait que leur substance a été changée en lui. Et, dès lors, si nous sommes avertis, de par ailleurs, de la nature de ces rapports, comme par exemple, qu’il est sous ces dehors et, par eux, mis en rapport avec nous, il n’y aura pas lieu de nous en étonner, ni surtout de crier à l’impossible, quelque mystérieux d’ailleurs que soient ces rapports, comme mystérieux aussi et au plus haut point est l’action souveraine de Dieu changeant, dans les conditions qui ont été dites, la substance du premier au second » (p137)

Or c’est là tout le mystère de l’Eucharistie.

Nous avons montré ainsi la nécessité de la transsubstantiation étant donné le dogme de la présence réelle. Nous en avons montré la nature.
Il ne nous reste plus que quelques petites questions à aborder, a savoir : considérer les conditions de temps dans lesquels cette transsubstantiation se produit : se fait-elle en un instant ou y a-t-il succession ? Nous verrons cela la semaine prochaine.

 

de la Communion

Monsieur l’abbé Barthe, chroniqueur religieux de la revue « Catholica » vient de rééditer le beau livre de Monsieur Olier sur « L’esprit des cérémonies de la messe », aux éditions « le Forum » (24 avenue Vixtor Dalbiez 66000 Perpignan).

C’est à lire.

Pour vous encourager à l’acheter pour le lire, je vous donne le chapitre 3 du livre 8, sur « la sainte communion ». C’est un des très beaux chapitres du livre. Il peut vous aider dans votre vie spirituelle. De ce chapitre, Monsieur l’abbé Barthe écrit : « Ainsi le chapitre 3 du livre 8, « de la sainte Communion », nous paraît le texte le plus profond, dans le cadre d’une théologie immolationiste, et le plus séduisant du point de vue formel qui ait été écrit par un spirituel français du XVIIe siècle sur la communion eucharistique. Jean-Jacques Olier glose sur le thème de saint Augustin qui veut que, dans la communion, la nourriture eucharistique transforme en elle celui qui la consomme et non l’inverse ».

« De la Sainte Communion »

« La communion est l’invention d’amour et de religion, que Notre Seigneur Jésus-Christ a trouvée pour multiplier ses louanges, ses adorations, ses amours ; en un mot, tous les devoirs qu’il rend à son Père, il ne se contente pas de les offrir lui seul à Dieu, mais il désire de nous les donner, et de les répandre en nous, comme en autant de tabernacles vivants et en autant de ciboires animés, capables de recevoir les impressions de son amour et de ses louanges, pour répandre ainsi partout , et pour avoir de la sorte autant de saints autels, de vrai parfum et de véritable thimiame, qu’il y a de cœurs des chrétiens capables et disposés de recevoir ses sentiments, et de communier à son Esprit et à sa religion. Et c’est ce qu’il désire le plus : car il ne nous communie à son corps et à son sang, que pour se servir d’un moyen plus naturel et plus sortable de nous communier à son intérieur, se servant en cela de son corps comme d’un Sacrement et d’un véhicule de l’Esprit, bien plus proportionné à notre condition, quoiqu’il soit divin et spiritualisé, que n’est pas l’Esprit même dont il est inséparable. Les espèces du pain et du vin sont les moyens par lesquels Notre Seigneur nous donne son corps et son sang, et son corps et son sang servent à nous transmettre son esprit et sa religion ; et il faut que ce soit par la participation au même autel, par la communion au troisième sacrifice, et sous les espèces du pain et du vin, comme sous les images extérieures du corps et du sang, que la religion sensible, corporelle et extérieure, soit assemblée et réunie pour glorifier Dieu.

Ce n’est pas seulement pour ce sujet qu’il faut que nous soyons assemblés sous ces signes visibles, et que nous communions au corps et au sang de Jésus-Christ ; mais encore c’est parce que Notre Seigneur a voulu que nous communiassions à l’hostie du sacrifice, pour prendre en nous l’esprit et la disposition d’hostie ; pour être les victimes de Dieu, et pour commencer dans l’Eglise à ne faire de tous les fidèles qu’une seule victime en Jésus-Christ, ce qui s’achèvera un jour parfaitement dans le ciel. C’est pour cela que n’étant qu’un en lui-même, il est toutefois multiplié en ces espèces, pour être une hostie en plusieurs, et pour faire par son moyen de plusieurs une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu, et qui ait dans l’esprit un culte raisonnable ; c’est-à-dire intérieur, spirituel, toujours respectueux et glorieux : Hostiam viventem, sanctam, Deo placentem rationabile obsequium (Rm 12 1)

Voilà donc le dessein de Notre Seigneur en la multiplication de son corps, et en la communion qu’il en donne à l’Eglise ; d’avoir autant de corps, autant de bouches, autant de cœurs, qu’il y a de sujets en l’Eglise, pour s’immoler en eux à la gloire du Père, pour l’adorer, l’aimer et le glorifier, en tout autant d’endroits qu’il y aura jamais de fidèles au monde, pour répandre ainsi son amour et sa religion en tous les cantons de la terre ; pour l’étendre autant que l’univers, et enfin pour ne faire de tout le monde qu’une Eglise, de tous les hommes qu’un religieux, de toutes leurs voix qu’une louange, et de tous les cœurs qu’une victime en lui, qui est l’universel et l’unique religieux de Dieu son Père, et qui est répandu en nos cœurs par la communion qu’il nous donne à son corps, unique temple et très saint ministre de sa véritable religion.

Le corps et le sang de Jésus-Christ, qui dans le saint sacrement ne respirent que la mort, nous avertissent de la mort de nos corps, et de l’obligation que nous avons à tout moment d’immoler et de crucifier les sentiments de notre chair, qui étant tout injuste en ses désirs et en ses passions, doit être immolée à toute heure, et étouffée en la naissance de ses mouvements . Notre chair est une hostie à être mille fois immolée par jour, et à recevoir à tout moment autant de coups de couteau qu’elle a de mouvements injustes et de propres désirs, qui sont toujours impurs en eux-mêmes, parce qu’ils naissent d’une source universellement souillée, et qui ne peut produire aucune chose qui ne soit dans l’impureté. Tout ce qui n’est point de l’Esprit en nous, et qui est de la chair, est condamné de Dieu, et doit être mis à mort et crucifié comme criminel et comme partie et membre d’Adam, condamné une fois en lui et en tous les siens.

Notre Seigneur en sa mort a crucifié universellement sa chair en tous ses membres, à cause qu’elle était en ressemblance du péché ; il l’a traitée d’esclave, de criminelle et de révoltée ; et comme la nôtre l’est en effet, elle ne doit pas recevoir un traitement plus doux ; il faut la garrotter, la prendre, la crucifier et la mettre à mort sur un gibet. C’est de quoi Notre Seigneur nous fait ressouvenir, en nous donnant son corps et son sang dans le saint sacrement ; et par la communion que nous y avons, il fait passer et porte intérieurement en nous la grâce qu’il nous y montre extérieurement, qui est la grâce et la vertu de crucifier notre chair et de la mortifier par liens, par force, par mépris, par rebuts et par croix ; donc l’esprit nous est donné par ce sacrement, qui est un sacrement de vie intérieure et de mort extérieure, parce qu’il donne la vie au cœur et à l’esprit ; l’esprit ensuite donne avec rigueur et avec amour la mort au corps et à la chair, et ainsi il se fait de notre cœur une hostie consommée dans le feu divin, et de notre corps une hostie immolée à la gloire de Dieu, et de cette sorte nous sommes rendus participants des mystères et de toutes les parties du sacrifice , auxquelles il veut que nous ayons part par la communion, qui n’est que comme une union à l’hostie pour la dilater, pour faire un plus grand sacrifice, et pour faire de tous les offrants et adorateurs autant de victimes de Dieu ; et c’est là tout le dessein de la communion qui est la dernière partie du sacrifice.

Dans l’ancienne Loi, il était ordonné que le prêtre, et quelquefois l’offrant, selon la nature du sacrifice, communiassent à la victime. Ils disaient par là qu’ils entraient en esprit dans tous les états de l’hostie, soit de consécration à Dieu, soit d’immolation, soit de consommation ; qu’ils faisaient profession d’être tout consacrés à Dieu, et de ne s’en séparer jamais ; qu’ils méritaient la mort comme l’hostie qui ne la souffrait qu’en leur place ; qu’ils ne se servaient d’elle que pour témoigner la disposition et la préparation où ils étaient d’être immolés eux-mêmes les premiers, et qu’enfin ils espéraient un jour leur consommation dans le feu divin, à la manière de l’hostie, laquelle après sa mort était consommée par un feu dans la flamme duquel elle s’élevait au ciel, d’où ce feu était descendu. C’est où aspiraient et le prêtre et l’offrant, aussi bien que la victime, de terminer leur sacrifice en Dieu. Tout cela était figure de la communion des chrétiens à Jésus-Christ Notre Seigneur, l’hostie immolée sur l’autel ; car cette communion a été instituée de Dieu pour les rendre participants des dispositions de cette hostie, et pour les faire entrer dans les sentiments de cette sainte victime, qui vient vivre en eux afin de leur faire faire la profession qu’ils ne pourraient pas faire par eux-mêmes, d’être tout consacrés à Dieu ; de vouloir être à lui inséparablement et inviolablement, sans jamais s’éloigner de l’état de leur consécration, que le baptême a premièrement opérée, et qui a été renouvelée pleinement par la communion à l’hostie qui les met en participation et en société de la même consécration, par laquelle le Fils de Dieu se consacre à son Père sur l’autel, et s’est consacré à lui dès l’instant de son incarnation.

C’est en ce point admirable que consiste la grande merveille de la communion à Jésus-Christ, et c’est le grand trésor que notre âme y reçoit, de ce qu’il nous communie à son intérieur et à ses dispositions saintes. Quelle merveille que notre âme soit faite participante de la consécration même que Notre Seigneur Jésus-Christ a faite de soi à son Père ! Quelle merveille que nous entrions en communion de cette sainte et admirable opération ! Quelle donation serait la nôtre, si elle était faite dans le même esprit et dans les mêmes dispositions de Notre Seigneur ! Quelle adhérence de nous à Dieu ! Quel transport continuel ! Quelle dédicace !Quel amour ! Quelle application perpétuelle ! Hélas ! Dieu le désire. Dieu le veut. Dieu nous donne son Fils pour ce sujet. Dieu nous communie à l’esprit de Jésus-Christ, à son intérieur, à sa disposition d’hostie, à cette opération particulière de consécration à Dieu. Et pourquoi ne le ferons-nous pas ? Pourquoi ne nous laisserons-nous point pénétrer à Jésus-Christ pour entrer en ses dispositions, et en l’état intérieur dont il veut nous rendre participants ?

Cette communion à l’hostie est encore pour nous faire entrer dans les dispositions intérieures de Jésus-Christ mourant, qui a voulu que la communion fût le dernier de ses mystères, pour porter en notre âme l’esprit de ses mêmes mystères et les dispositions merveilleuses du sacrifice par lequel il a commencé et fini sa vie. Et parce que sa vie n’a été qu’un exercice continuel, qui nous apprend à rendre nos devoirs à Dieu le Père, et qu’il veut que nous les lui rendions au moins en esprit, il vient nous communier à ses dispositions, il vient nous faire protester que nous méritions la mort nous-mêmes, et que si Notre Seigneur l’a soufferte comme l’hostie du monde, c’était pour témoigner de sa part ce que tout le monde méritait, et qu’il mourrait pour tous, parce que tous devaient mourir. Il était le supplément universel du genre humain ; ainsi, en mourant, il fait connaître que tout le monde et chaque particulier doit être mort, puisque lui-même, qui tient la place de tous les hommes et qui rend pour chacun d’eux ce qu’ils doivent à Dieu, est obligé de souffrir la mort : Si unus pro omnibus mortuus est, ergo omnes mortui sunt (2 Cor 5 14) : si Jésus-Christ est mort, s’il est notre victime, donc nous sommes morts par obligation ; cette pauvre victime ne marque autre chose, sinon qu’elle porte en notre place ce que nous étions obligés de porter en notre particulier : Unus pro omnibus mortuus est, ergo omnes mortui sunt :Il est mort un pour tous, un en la place de tous, qui avouent le mériter, et qui, mangeant l’hostie, disent qu’ils sont un avec l’hostie, et protestent d’entrer en son esprit et en ses obligations.

Autrefois l’offrant mettaient les mains sur l’hostie pour plusieurs intentions, entre autres pour la charger de ses devoirs et de ses obligations ; et lorsque ensuite il y communiait, il protestait de se faire un esprit avec elle, de vouloir mourir et d’avoir mérité la mort, comme l’hostie l’avait soufferte. Ainsi il faut que le fidèle qui communie à Jésus-Christ hostie, proteste de mériter la mort et d’être en disposition de la souffrir, et il en reçoit même la grâce par la communion qui lui est donnée, et qui le fait participant de Jésus immolé à la gloire de son Père. Cet état d’immolation est un état où la créature d’elle-même ne peut arriver sans la grâce de Jésus-Christ, dont elle a besoin aussi bien que de l’esprit dans lequel il s’est offert lui-même et livré à la croix : Per spiritum sanctum semeptisum obtulit (He 9 14) ; Oblatus est, quia ipse voluit (Is 53 7) : Il s’est offert et livré à la croix à cause qu’il l’a voulu : ainsi cette volonté de mourir et de se sacrifier pour Dieu est une grâce donnée par la communion à l’hostie. C’est pourquoi anciennement en l’Eglise, au rapport de saint Cyprien, on avait un soin tout particulier de donner la communion aux fidèles dans le temps de persécution, pour leur donner l’esprit de Jésus-Christ hostie : Qui proposito sibi gaudio sustinuit crucem (He 12 2), qui se porta à la croix avec joie, et que répand cette joie dans le cœur des hosties vivantes qui communient à lui, et qui sont disposées à recevoir son esprit de gloire, de vertu, de force et de toute-puissance, et qui porterait mille et mille croix, si on voulait s’abandonner à lui. O Jésus ! de qui la croix était trop petite, et dont l’esprit en portait une mille fois plus grande que celle du corps, vous étiez accablé sous le poids insupportable de la justice et de la rigueur de votre Père ; et toutefois vous aviez soif d’endurer encore tous les tourments que Dieu a depuis fait souffrir à vos martyrs.

Jésus voyant son corps trop petit pour supporter les peines extérieures que les juifs et les démons eussent désiré de lui faire souffrir, voulut emprunter après sa mort les corps de ses fidèles, pour endurer en eux et accomplir ce qui manquait de peines et de martyrs à sa Passion : Adimpleo ea quae desunt passionum Christi (Col 2 24) : Son esprit embrassait tous les tourments et les bras ouverts et étendus sur la croix, il disait : Sitio : Ah mon Père, que je désire de pâtir !que je souhaite d’endurer ! Ah ! mon Père, accablez-moi sous la souffrance ! Et ainsi il mourut.

Et c’est à cet esprit de zèle des souffrances que communient les chrétiens, en communiant à l’hostie ; c’est à cela que Jésus-Christ nous veut faire participer, en nous donnant tout son intérieur et son extérieur, nous donnant son esprit et son âme aussi bien que son corps et son sang. Aussi voyons-nous des âmes dans le christianisme, qui, dans cette communion d’esprit et de disposition intérieure, désirent avec des transports extraordinaires et de saintes fureurs les douleurs et les peines ; on les entend s’écrier : Aut pati, aut mori (Sainte Thérèse) : Ou souffrir ou mourir. Ce n’est pas assez, disent les autres, parlant de croix et de souffrances ; et : C’est trop, ô mon Dieu ! s’écrient-elles dans les consolations (saint François-Xavier). Quelques-unes, à l’aspect des souffrances que Dieu leur donne, disent en extase et en la jubilation qui prévient leur martyre : Paratum cor meum, Deus, paratum cor meum (Ps 107 1). On en voit d’autres qui, dans les temps des débauches du peuple ou aux jours de la mort de Jésus-Christ, sont mises par les opérations du saint-Esprit dans les mêmes postures et les mêmes situations où Notre Seigneur a été dans sa passion ; et pendant ce temps-là, elles endurent des peines plus violentes que celles du feu du purgatoire, que souvent même elles ont souffert ; Dieu en disposant ainsi pour répondre au zèle qu’ elles ont de souffrir ; car en purgatoire elles n’endureraient que pour leurs péchés particuliers ; et, ici, en participation de la Passion du Fils de Dieu, elles endurent pour les péchés de tout le monde. On voit parfois toute leur chair en feu, et leurs poitrines ardentes consommer l’eau qu’on leur jette, tant elles sont dévorées par le feu de l’amour, et par ce grand désir de souffrir, qui est une communion à la soif ardente que Jésus-Christ avait de souffrir pour son Père. Il exprime extérieurement en elles, et répand jusque dans leur chair ce qui se passait intérieurement en lui. Il leur donne sa mort en communion et prend leur vie pour souffrir en elles ; et c’est là l’effet de la communion à Jésus-Christ : Sicut socii passionum estis, sic eritis et consolationis (2 Cor 1 7)

Notre Seigneur nous rend participants de son esprit de souffrances, pour nous rendre ensuite participants de son esprit de jouissance et de consolation : Communicantes Christi passionibus gaudete (1 Pet 4 13). Il faut communier à l’esprit de souffrances, aux désirs de mort, aux désirs de la croix et du crucifiement universel de tous ses membres. Car Notre Seigneur Jésus-Christ était ravi d’endurer et de souffrir en tout lui-même, pour satisfaire à tous les péchés de la nature humaine ; et il a dessein de nous donner aussi ce zèle et ce désir de nous crucifier à son exemple, par la vertu et la vigueur du Saint-Esprit, qu’il nous donne en la communion. Il faut donc s’oublier soi-même et se soumettre avec plaisir à la croix, dont il nous afflige comme il lui plaît, selon la mesure de son amour et selon l’étendue de ses desseins sur nous. Il nous donne les souffrances à proportion des biens qu’il nous prépare et de la gloire qu’il veut nous donner dans le ciel ; nous communiant aux consolations de l’autre vie, comme il nous aura communiés aux souffrances de celle-ci : Sicut socii passionum estis, sic eritis consolationis.

Et comme le divin sacrifice ne se termine pas dans l’immolation, et qu’il va jusqu’à la consommation et au retour de l’hostie en Dieu, à l’exemple de Notre Seigneur en sa sainte Résurrection et en son Ascension, la sainte communion doit opérer en nous toutes les dispositions et tous les sentiments de Jésus-Christ ressuscité et monté dans les cieux : elle doit mettre en nous le désir de la consommation en Dieu, qui nous fasse gémir dans la vie présente, comme saint Paul et comme les grands saints qui ont communié plus particulièrement à Jésus-Christ : Coactor usque dum perficiatur (Lc 12 50), disait Notre Seigneur : Je languis jusqu’à ce que mon sacrifice s’accomplisse : Desiderium habens dissolvi, et esse cum Christo (Ph 1 23), disaient ces grands saints : Je désire ma consommation, je désire de me voir délivré de cette chair, et retourné en Dieu avec Jésus-Christ, afin que ma vie soit cachée, anéantie et absorbée en Dieu par la communion à Jésus-Christ consommée en Dieu même.

C’est la vocation des chrétiens appelés à ce bonheur par Jésus-Christ, qui le premier a passé par ces voies, se consacrant à Dieu lorsqu’il est venu au monde : Holocautomata et pro peccato non tibi placuerunt. Tunc dixi : ecce venio (He 10 6) : les holocaustes et les sacrifices pour le péché ne vous ont pas agréé, je suis venu moi-même pour me substituer à leur place ; je me suis offert et consacré pour le péché (Lv 16 10). Comme ce bouc chassé au désert et abandonné à la rage des bêtes sauvages, j’ai été environné des loups, des chiens et des taureaux, et ils m’ont assiégé de toutes parts pour me déchirer et me dévorer en leur fureur : Circumdederunt me vituli multi : tauri pigues obsederunt me (Ps 21 13). Comme cet autre bouc réservé à être immolé pour le péché, je me suis vu égorgé et immolé sur la croix, afin d’entrer ensuite dans le Saint des saints, comme le grand prêtre, par la vertu de mon sang répandu pour la rémission des péchés de tout le monde. Enfin, je me suis mis à la place des holocaustes, je suis entré dans le feu de mon Père, où j’ai tout consommé au jour de ma Résurrection ; et après avoir été réduit dans un état de sainteté et de pureté digne de lui, j’ai retourné à lui au jour de mon Ascension (Jn 16 28). Or Jésus-Christ, dans la communion, nous appelle à la participation de tous ses divins mystères, à la participation du sacrifice entier, par lequel se répandant dans l’Eglise, et l’associant à ses dispositions, il entre en elle, et la rend une avec lui dans la communion. Ainsi le sacrifice qui est universel, et qui doit tout réunir à Dieu réellement, doit être répandu en nous pour nous porter en Dieu ; il doit s’achever en nous, qui avec Jésus-Christ faisons la totalité de l’hostie offerte et présentée à Dieu, qui est l’Eglise en Jésus-Christ, l’Eglise communiante à Jésus-Christ. »