Le pèlerinage
jubilaire du Puy,
au pied de Notre de France.
Je viens d’avoir un excellent
contact avec le curé de la cathédrale du Puy, Monsieur
l’abbé Paul Ollier. Il fut très aimable, très
accueillant. Il ne fait pas de difficulté pour que la sainte
messe, dite de saint Pie V, soit célébrée dans
la cathédrale Je pourrai même la célébrer
dans la très belle chapelle du Très Saint Sacrement,
à gauche de la nef.
Alors ne tardez pas à vous
inscrire. Si par aventure nous dépassions un certain nombre
de pèlerins, il faudrait trouver une autre solution et pour
la messe du samedi et du dimanche.
Dans le point « inscription
» sur le site, sur la page verte, vous avez maintenant tous
les renseignements utiles et nécessaires. Pour les repas du
samedi soir et du dimanche midi, il est certain qu’il y a un
prix particulier pour les enfants. Vous avez également des
possibilités d’hébergements dans des communautés
religieuses à très bon marcher. Demandez les renseignements.
Madame Viviane de Pontbriand vous fera le meilleur accueil.
Il faut toujours préparer les
évènements importants de sa vie spirituelle.
Dans l’histoire de la cathédrale
du Puy, vous avez pu lire l’excellent article de Monsieur l’abbé
Boivin. Il nous a expliqué la raison de ce jubilé, et
toute son histoire. Nous avons une grande grâce d’y pouvoir
participer. Cela n’ est pas donné à toutes les
générations. Il y a deux années jubilaires au
XXI siècle : en 2005 et 2016. Puis il faudra attendre le XXII
siècle, en l’an 2157. Alors n’hésitez pas
à venir gagner l’indulgence plénière cette
année. Il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu’on
peut faire le jour même.
Pour préparer votre âme
à faire cette démarche de pénitence, cette action
« satisfactoire », j’ai pensé heureux de
vous rappeler, cette semaine, la doctrine de la « satisfaction
». Le catéchisme du Concile de Trente nous donne un très
beau texte dont la lecture vous sera profitable. Lisez le et relisez-le
de temps en temps.
Ce texte sur la « satisfaction
» fait certainement parti des plus beaux textes de ce catéchisme.
Je serais même enclin à dire, qu’il est un des
plus beaux textes de l’Eglise.
Il me semble que, dans ce texte, vous trouverez la raison de la souffrance,
la raison du sacrifice. Vous trouverez la paix de l’âme,
l’ordre. Vous trouverez l’importance de la justice, sa
nécessité par rapport à Dieu, par rapport au
prochain ? Vous trouverez la raison de l’effort pour chercher
la sainteté. Ce texte fonde la beauté de la vie sociale,
une des ses raisons d’être par la magnifique allusion
à la « communion des saints ». Ce texte, m’est
avis, fonde la civilisation chrétienne tant il est vrai que
le sacrifice fut toujours au cœur de toute cité. Ici,
on peut mesurer le drame de notre siècle, dominée essentiellement
par la quête du plaisir !
Lisez-le tranquillement ! C’est
le chapitre 24 sur le sacrement de pénitence du catéchisme
du concile de Trente.
DE LA SATISFACTION
Il convient d’abord d’expliquer
le mot de Satisfaction, et d’en préciser la portée.
Car les ennemis de la Foi catho¬lique ont pris occasion de ce
mot pour semer la division et la discorde parmi les Chrétiens,
et au grand détriment de la Religion.
§ I. – QU’EST-CE QUE LA SATISFACTION
La Satisfaction est le paiement intégral d’une dette.
Car qui dit satisfaction, dit une chose à laquelle rien ne
manque. Par exemple, en matière de réconciliation, satis¬faire
signifie accorder à un cœur irrité tout ce qu’il
faut pour le venger de l’injure qu’on lui a faite. D’où
il suit que la satisfaction n’est pas autre chose que la compensa¬tion,
(ou réparation) de l’injure faite à quelqu’un.
Et pour en venir à l’objet qui doit nous occuper ici,
les Docteurs de l’Église ont employé ce mot de
Satisfaction pour expri¬mer cette compensation qui s’établit,
lorsque l’homme paie quelque chose à Dieu pour les péchés
qu’il a commis.
Et comme cette compensation peut avoir
plusieurs degrés différents, on a distingué aussi
plusieurs sortes de Satis¬faction. La première et la plus
excellente est celle qui a payé suffisamment à Dieu
tout ce que nous devions pour nos péchés, quand même
il aurait voulu traiter avec nous en toute rigueur de justice. Mais
nous ne regardons comme telle que la Satisfaction qui a apaisé
Dieu et nous L’a rendu propice. Et c’est à Jésus-Christ
seul que nous en sommes redevables. Car c’est Lui qui sur la
Croix a payé la dette de nos péchés, et a satisfait
surabondamment à la justice de Dieu pour nous. Rien de créé
n’aurait pu être d’un prix assez grand pour nous
libérer d’une dette si considérable. Mais, comme
dit S. Jean ( ) : « Jésus-Christ est Lui-même la
Victime de propitiation pour nos péchés, cet non seulement
pour les nôtres, mais encore pour ceux du monde entier. »
Cette Satisfaction est donc pleine et complète. Elle est proportionnée
d’une manière parfaite et adéquate au poids de
tous les crimes qui ont été commis, et qui se commettent
en ce monde. C’est elle seule qui donne du prix et du mérite
à nos actions devant Dieu. Sans elle, elles seraient vaines
et dénuées de toute valeur réelle. C’est
là ce que David semblait avoir en vue quand, se recueillant
en lui-même, il s’écriait ( ) : « Que rendrai-je
au Seigneur pour tous les bienfaits qu’Il m’a accordés
? » et que ne trouvant, pour reconnaître tant de faveurs,
que la Satisfaction dont nous parlons, et à laquelle il donne
le nom de calice, il ajoutait : « Je prendrai le calice de salut,
et j’invoquerai le Nom du Seigneur. »
Une autre espèce de Satisfaction est celle que l’on appelle
canonique, et qui s’accomplit dans un temps fixe et déterminé.
C’est un usage suivi dès la plus haute anti¬quité
dans l’Église, d’infliger quelque peine aux pénitents,
lorsqu’ils reçoivent l’Absolution de leurs péchés,
et l’accom¬plissement de cette peine s’est toujours
appelé Satisfac¬tion.
Enfin on donne encore le nom de Satisfaction à toutes les peines
que nous subissons pour nos péchés, sans les recevoir
des mains du Prêtre, mais en nous les imposant nous-mêmes,
et en nous les infligeant par notre propre volonté. Mais ces
peines ne font point partie du sacrement
de Pénitence. Celles-là seules lui appartiennent qui
nous sont imposées par l’autorité du Prêtre,
pour payer à Dieu ce que nous Lui devons pour nos péchés
: encore faut-il que nous ayons dans l’âme la résolution
très sincère et très ferme de faire tous nos
efforts pour éviter de l’offenser à l’avenir.
En effet quelques-uns ont dit que satisfaire, c’est rendre à
Dieu l’honneur qui lui est dû. Mais il est évident
que nul ne peut Lui rendre cet honneur, s’il n’est résolu
à fuir absolument le péché. Par conséquent
satis¬faire, c’est détruire les causes du péché,
et lui fermer l’en¬trée de nos cœurs. Dans le
même ordre d’idées, d’autres ont affirmé
que la satisfaction purifie notre âme des restes de souillures
que la tache du péché y avait laissées et qu’elle
acquitte les peines temporelles qui nous restaient à supporter.
§ II. – NÉCESSITÉ DE LA SATISFACTION.
Les choses étant ainsi, il ne sera pas difficile de faire sentir
aux Fidèles combien il est nécessaire aux pénitents
de s’exercer à cette pratique de la Satisfaction. Il
faudra
leur apprendre que le péché entraîne après
lui deux choses, la tâche et la peine. Et bien que la remise
de la faute ren¬ferme toujours en elle celle du supplice de la
mort éter¬nelle, préparé dans les enfers,
cependant il arrive souvent, comme l’a déclaré
le Concile de Trente ( ) que Dieu ne re¬met pas en même
temps certains restes du péché, et la peine temporelle
qui lui est due. Nous avons des preuves non équivoques de cette
vérité dans plusieurs endroits de nos Saintes Lettres,
au 3e chapitre de la Genèse, aux 12e et 22e chapitres des Nombres,
et dans beaucoup d’autres passages, mais dont le plus célèbre
et le plus frappant est celui de David. Le Prophète Nathan
lui avait dit : ( ) « Le Sei¬gneur n’a point retenu
votre péché, vous ne mourrez point. » Et cependant
il s’imposa volontairement des peines très grandes, implorant
jour et nuit la miséricorde de Dieu en ces termes : ( ) «
Lavez-moi de plus en plus de mon ini¬quité, et purifiez-moi
de mon péché ; parce que je connais mon iniquité,
et mon péché est toujours devant moi. » Par ces
paroles il demandait au Seigneur, non seulement le pardon de son crime,
mais encore la remise de la peine qu’il avait méritée
; et il Le conjurait de le purifier de tous les restes de ses fautes,
et de le rétablir dans son premier état d’innocence
et de gloire. Cependant, malgré toute la ferveur de ses prières,
le Seigneur ne laissa pas de le punir, et par la perte de l’enfant
né après sa faute, et par la ré¬volte et
la mort d’Absalon qu’il aimait tendrement, et par plusieurs
autres peines et châtiments, dont Il l’avait aupa¬ravant
menacé.
Nous voyons encore dans l’Exode
que le Seigneur apaisé par les prières de Moïse,
pardonna au peu¬ple son idolâtrie : ce qui ne L’empêcha
pas d’annoncer qu’Il en tirerait une vengeance très
sévère et Moïse lui-même déclara que
le Seigneur le punirait de ce crime, avec la dernière rigueur,
jusqu’à la troisième et quatrième géné¬ration.
Quant à l’Église catholique, sa Doctrine n’a
jamais varié sur ce point, et tous les écrits des Pères
prouvent qu’elle n’a pas cessé de croire cette
vérité.
Mais comment se fait-il que le sacrement de Pénitence ne remette
pas avec le péché toutes les peines qui lui sont dues,
aussi bien que le Baptême ? C’est ce que nous explique
fort bien le Concile de Trente, en ces termes : « La justice
divine semble exiger, dit-il, que la réconciliation soit ac¬cordée
différemment à ceux qui ont péché par
ignorance avant le Baptême, et à ceux qui, délivrés
du péché et de l’esclavage du démon, après
avoir reçu le don du Saint-Esprit, ne craignent pas cependant
de profaner sciemment le temple de Dieu, et de contrister le Saint-Esprit.
»
D’ailleurs, il convient à la clémence divine de
ne pas nous remettre nos péchés, sans exiger de nous
quelque sa¬tisfaction. Autrement nous serions exposés à
regarder nos fautes comme moindres qu’elles ne sont, et, à
la première occasion, à tomber dans d’autres plus
graves, par un mé¬pris souverainement injurieux au Saint-Esprit,
nous amas¬sant ainsi à nous-mêmes un trésor
de colère pour le jour de la vengeance ( ). Il est hors de
doute que les peines satisfactoires sont comme un frein puissant pour
nous retenir, et nous empêcher de retomber dans le mal. Par
la même raison elles rendent les pénitents beaucoup plus
circonspects et plus vigilants pour l’avenir.
On peut ajouter que ces pénitences sont comme des témoignages
publics de la douleur que nous font éprouver nos péchés,
et par là même un moyen de satisfaire à l’Égli¬se
qui a été grièvement offensée par nos
crimes. Car, comme dit S. Augustin, Dieu ne rejette point un cœur
contrit et humilié. ( ) Mais comme la douleur d’un cœur
est ordi¬nairement cachée pour un autre, et qu’elle
ne se manifeste au dehors ni par des paroles ni par d’autres
signes, c’est avec raison que les Pasteurs de l’Église
ont établi des Temps de Pénitence, pendant lesquels
on satisfait à l’Église, de qui l’on reçoit
la rémission de ses péchés.
§ III. – EFFETS ET AVANTAGES DE LA SATISFACTION.
D’un autre côté, nos exemples de pénitence
apprennent aux autres comment ils doivent régler leur conduite
et pra¬tiquer la piété. Lorsque nos semblables sont
témoins des peines qui nous sont infligées pour nos
péchés, ils en concluent qu’ils doivent vivre
toujours dans la plus grande vigilance et réformer leurs mœurs.
Voilà pourquoi l’Église avait voulu avec beaucoup
de sagesse imposer une pénitence publique à celui qui
avait commis publiquement quelque faute, afin que les autres, frappés
d’une salutaire terreur, fussent désormais plus attentifs
à éviter le péché. Cette loi s’étendait
même quelquefois aux crimes secrets, lorsqu’ils étaient
très graves. Mais pour les fautes publiques, c’était
un usage constant et invariable de ne point absoudre ceux qui en étaient
coupables, avant qu’ils n’eussent subi et achevé
leur pénitence publique. Pendant ce temps, les Pasteurs priaient
Dieu pour leur salut, et ils ne cessaient d’exhorter les pénitents
à faire de même. C’est en cela que l’on vit
briller surtout le zèle et la sollicitude de S. Am¬broise.
Ses larmes, dit-on, attendrissaient tellement certains pécheurs
qui venaient lui demander l’Absolution avec un cœur endurci,
qu’il leur inspirait la douleur d’une véritable
Contrition. Mais dans la suite, il y eut tant de relâchement
dans la sévérité de l’ancienne discipline,
et la Charité se trouva si refroidie que la plupart des fidèles
ne regardent plus la douleur intérieure de l’âme
et les gémissements du cœur comme nécessaires pour
obtenir le pardon de leurs péchés, et qu’ils croient
suffisant de montrer les dehors et les apparences du repentir.
Les peines satisfactoires qui nous
sont imposées ont encore cet avantage de nous faire retracer
l’image et la ressemblance de Jésus-Christ notre Chef,
qui Lui-même a été éprouvé, et a
subi toutes sortes de souffrances. « On ne peut rien voir de
plus difforme, dit S. Bernard, qu’un membre délicat sous
un chef couronné d’épines. » ( ) D’ailleurs
au témoignage de l’Apôtre, « nous ne sommes
les cohéritiers du Sauveur, qu’autant que nous souffrons
avec Lui ; ( ) et comme il est écrit dans un autre endroit
: Si nous mourons avec Lui, nous vivrons aussi avec Lui ; si nous
souffrons avec Lui, nous régnerons aussi avec Lui. »
( )
S. Bernard établit encore que l’on trouve deux choses
dans le péché : une tache pour l’âme, et
une plaie ; qu’à la vérité la miséricorde
de Dieu enlève la tache, mais que pour guérir la plaie
du péché, il faut nécessairement ce traitement
que l’on emploie comme remède dans la Péni¬tence.
Lorsqu’une blessure est guérie, il demeure encore des
cicatrices, qui elles-mêmes ont besoin de guérison ;
ainsi l’âme, après la remise de sa faute, conserve
encore quelques restes de ses péchés, dont elle a besoin
de se purifier. C’est ce que dit très bien S. Jean Chrysostome
en ces termes : ( ) « Ce n’est pas assez d’arracher
la flèche du corps ; il faut de plus guérir la blessure
qui a été faite par la flèche. » De même,
après avoir reçu le pardon de ses péchés,
il faut encore traiter par la Pénitence la plaie qui reste
dans l’âme. S. Augustin ne cesse de nous représenter
qu’il y a deux choses à considérer dans le sacrement
de Pénitence : la miséricorde de Dieu et sa justice
; la misé¬ricorde qui remet les péchés et
les peines éternelles qui leur sont dues, la justice qui inflige
à l’homme des peines limi¬tées par le temps.
Enfin les Satisfactions du Sacrement de Pénitence nous font
éviter les châtiments de Dieu et les supplices qui nous
étaient réservés. Ainsi l’enseigne l’Apôtre
: ( ) : « Si. nous nous jugions nous-mêmes, dit-il, nous
ne serions certaine¬ment point jugés ; mais lorsque nous
sommes jugés, c’est le Seigneur qui nous châtie,
afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde. »
Si les Pasteurs expliquent avec soin ces vérités, il
est presque impossible que les Fidèles n’embrassent pas
avec ardeur les œuvres de la Pénitence. Mais ce qui démontre
parfaitement l’efficacité de cette Pénitence,
c’est qu’elle tire toute sa vertu des mérites de
la Passion de Notre-Sei¬gneur Jésus-Christ. Ces mérites
communiquent à nos bon¬nes œuvres en général
deux immenses avantages : l’un est de nous faire mériter
les récompenses et la gloire éternelle, au point qu’un
verre d’eau froide, donné au nom du Sau¬veur, ne
sera pas perdu ; et l’autre de satisfaire à Dieu pour
nos péchés.
Et n’allons pas croire que nos
satisfactions diminuent celle de Notre-Seigneur, si abondante et si
parfaite. Au contraire elles ne servent qu’à la rendre
plus éclatante et plus glorieuse encore, s’il est possible.
En effet la grâce de Jésus-Christ paraît d’autant
plus abondante qu’elle nous fait participer non seulement à
ce qu’Il a mérité et payé Lui-même,
mais encore aux mérites et au prix qu’Il a communiqués
aux Justes et aux Saints, comme un Chef à ses membres. Et voilà
évidemment ce qui donne tant de valeur et d’importance
aux bonnes œuvres des vrais Chré¬tiens ! Comme la
tête communique la vie aux membres, comme la vigne fait passer
la sève dans toutes ses branches, ainsi Notre-Seigneur Jésus-Christ
ne cesse de répandre sa Grâce sur ceux qui Lui sont unis
par la Charité. Et cette grâce précède,
accompagne et suit toujours nos œuvres. Sans elle nous ne pouvons
ni mériter, ni satisfaire en au¬cune façon à
la justice de Dieu. Ainsi rien ne manque aux justes : par les œuvres
qu’ils opèrent avec le secours divin, ils peuvent d’un
côté satisfaire à Dieu et à sa Loi, autant
que le comporte la fragilité humaine, et de l’autre mériter
la Vie Éternelle dont ils entreront en possession, s’ils
meu¬rent en état de grâce. La parole de Notre-Seigneur
Jésus-Christ est formelle : ( ) « Celui qui boira l’eau
que je lui donnerai n’aura jamais soif ; et cette eau que je
lui donne¬rai deviendra en lui une fontaine qui jaillira pour
la Vie Éternelle. »
Mais il y a deux choses nécessaires dans la Satisfaction :
la première, que celui qui satisfait soit juste et ami de Dieu.
Les œuvres qui ne sont pas faites dans la Foi et dans la Charité
ne sauraient être agréables à Dieu ; la seconde,
que les œuvres que l’on accomplit soient de nature à
causer de la douleur et de la peine. Puisqu’elles sont une véritable
compensation des péchés passés et, comme parle
le martyr S. Cyprien « la rançon des péchés
», il est de toute nécessité qu’elles présentent
quelque chose de difficile et de pénible – bien qu’il
n’arrive pas toujours à ceux qui s’exercent à
ces œuvres de mortification d’éprouver le sentiment
de la douleur. Souvent l’habitude de souffrir, ou une Charité
ardente empêchent de sentir les choses les plus dures à
supporter par elles-mêmes. Cependant ces sortes d’actions
ne laissent pas de posséder la vertu de satisfaire. C’est
même le propre des enfants de Dieu d’être tellement
en¬flammés des sentiments de l’amour et de la piété,
qu’au milieu des plus cruelles souffrances, ils ne ressentent
au¬cune douleur ou du moins qu’ils supportent tout avec
un cœur plein de joie.
§ IV. – DIVERSES ESPÈCES D’ŒUVRES SATISFACTOIRES.
Les Pasteurs enseigneront que tous les genres de Satis¬factions
peuvent se ramener à trois sortes d’œuvres : la
Prière, le Jeûne et l’Aumône, lesquels répondent
parfaite¬ment aux trois sortes de biens que nous avons reçus
de Dieu, les biens de l’âme, les biens du corps et ceux
que l’on appelle les avantages extérieurs. Rien n’est
plus propre ni plus efficace que ces trois sortes d’œuvres
pour extirper les racines de tous les péchés. Puisque,
selon l’Apôtre S. Jean, ( ) « Tout ce qui est dans
le monde est concupis¬cence de la chair, ou concupiscence des
yeux, ou orgueil de la vie », il n’est personne qui ne
voie qu’à ces trois sources de maladies, on a eu bien
raison d’opposer trois excellents remèdes, à la
première le Jeûne, à la seconde l’Aumône,
et à la troisième la Prière. D’autre part,
si nous considérons ceux que nos péchés offensent,
il nous sera facile de comprendre pourquoi toute satisfaction se rappor¬te
à ces trois choses. En effet le péché offense
Dieu, le pro¬chain et nous-mêmes ; or par la Prière
nous apaisons Dieu, par l’Aumône nous donnons satisfaction
au prochain, et par le Jeûne nous nous mortifions nous-mêmes.
Mais comme une foule de peines et de calamités diverses nous
accablent tant que nous sommes dans cette vie, il faut bien apprendre
aux Fidèles que ceux qui supportent avec patience tout ce que
Dieu leur envoie de pénible et d’affligeant trouvent
précisément là une source abondante de satisfaction
et de mérites ; tandis que ceux qui n’endu¬rent ces
sortes d’épreuves qu’avec répugnance et
malgré eux se privent de tous les avantages des œuvres
satisfac¬toires, et ne font que subir la punition et le juste
châtiment de Dieu qui se venge de leurs péchés.
Mais ce qui doit nous faire exalter,
par les louanges et les actions de grâces les plus vives, l’infinie
bonté et la miséricorde de Dieu, c’est qu’Il
a bien voulu nous accorder à nous si faibles et si misérables
de pouvoir satisfaire les uns pour les autres. C’est là
en effet une propriété spéciale qui n’appartient
qu’à la Satisfaction. S’il s’agit de la Contrition
et de la Confession, personne ne peut ni se re¬pentir, ni se confesser
pour un autre ; mais ceux qui pos¬sèdent la Grâce
divine peuvent au nom d’un autre payer à Dieu ce qui
Lui est dû. C’est ainsi que nous portons en quelque sorte
le fardeau les uns des autres. ( ) Et personne parmi nous ne saurait
douter de cette vérité, puisque nous confessons dans
le Symbole des Apôtres la communion des Saints. Dès lors
que nous renaissons tous à Jésus-Christ, purifiés
par le même Baptême, que nous participons tous aux mêmes
Sacrements, et surtout que nous avons pour aliment et pour breuvage
réparateurs le même Corps et le même Sang de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, il est aussi certain qu’évident
que nous sommes tous les membres d’un seul et même corps.
Et si le pied, par exemple, ne remplit pas ses fonctions uniquement
pour lui, mais encore au profit des yeux, et si les yeux ne voient
pas pour eux seuls, mais aussi pour l’avantage commun de tous
les membres, les œuvres satisfactoires peuvent être également
communes entre nous tous.
Cependant ceci, pour être vrai,
ne doit pas s’entendre sans restriction, si nous envisageons
en général tous les avantages que la satisfaction nous
procure. Car les œuvres satisfactoires sont aussi comme un traitement
et un remède prescrits au pénitent pour guérir
les affections déréglées de son âme. Mais
il est évident que cet effet particulier ne peut s’appliquer
à ceux qui ne satisfont point par eux-mêmes.
Voilà donc ce que les Pasteurs
auront à exposer d’une manière claire et détaillée
sur les trois parties du sacre¬ment de Pénitence : La Contrition,
la Confession et la Sa¬tisfaction.
Toutefois il est une chose que les
Confesseurs doivent observer avec le plus grand soin, c’est
après avoir en¬tendu l’aveu des fautes du pénitent,
et avant de l’absoudre, de l’obliger à la réparation
suffisante des torts qu’il a pu faire au prochain, dans ses
biens ou dans sa réputation, si ces torts semblent assez grands
pour l’exposer à la damna¬tion éternelle.
Nul ne doit être absous, s’il ne promet de restituer à
chacun ce qui lui appartient. Et comme il s’en trouve plusieurs
qui s’engagent par beaucoup de paroles à s’acquitter
de ce devoir, mais n’en sont pas moins décidés
et résolus à ne point tenir leurs promesses, il faut
absolu¬ment les obliger à restituer, et leur rappeler souvent
ces mots de l’Apôtre : ( ) « que celui qui dérobait,
ne dérobe plus, mais qu’il s’occupe plutôt
à travailler de ses mains à quelque ouvrage bon et utile,
afin qu’il ait de quoi donner à ceux qui sont dans le
besoin. »
Quant aux pénitences à
imposer aux pécheurs, les con¬fesseurs ne les prescriront
point d’une manière arbitraire ; ils suivront en cela
les règles de la justice, de la prudence et de la piété.
Et pour montrer aux pénitents qu’ils mesu¬rent leurs
fautes d’après ces règles, comme aussi pour leur
en faire sentir davantage la gravité, il sera bon qu’ils
leur rappellent de temps en temps les peines que les anciens Canons
Pénitentiaux avaient fixées pour certains péchés.
En un mot la nature de la faute doit être la mesure générale
de la Satisfaction.
Mais de toutes les œuvres satisfactoires que l’on peut
imposer aux pénitents, la plus convenable, c’est qu’ils
s’appliquent à la Prière à certains jours
et pendant un cer¬tain temps, et qu’ils prient pour tout
le monde, et surtout pour ceux qui sont morts dans le Seigneur.
Il faut aussi les exhorter à reprendre quelquefois et à
recommencer d’eux-mêmes les œuvres de satisfaction
pres¬crites par le Confesseur, et à acquérir des
dispositions telles qu’après avoir accompli tout ce qui
se rapporte au Sacre¬ment de Pénitence, ils n’abandonnent
jamais les pratiques de la vertu de Pénitence.
Si quelquefois pour un crime public
on se voit dans l’obligation d’infliger une pénitence
publique, et que le pé¬nitent la repousse et supplie d’en
être exempté, on ne devra point l’écouter
trop facilement ; au contraire, il faudra lui persuader de se soumettre
volontiers et avec empressement à une peine qui doit être
salutaire et à lui et aux autres.
En enseignant ces choses sur le sacrement
de Pénitence, et sur chacune de ses parties, le Pasteur aura
pour but non seulement de les faire connaître exactement, mais
encore d’amener les Fidèles à les mettre en pratique
avec un vé¬ritable esprit de religion et de piété.
Le sacrement
de l’Eucharistie
Dans l’article précédent,
l’article 4, Saint Thomas nous a « expliqué »
le mystère de la présence réelle de Notre Seigneur
Jésus-Christ, dans le sacrement de l’Eucharistie, telle
que nous l’enseigne la foi, par le dogme de la transsubstantiation.
Ce dogme nous fait dire que le pain qui était là, sur
l’autel, a été changé, converti, quant
à sa substance, au corps du Christ qui est au ciel et qui y
demeure absolument inchangé, mais qui acquiert, en vertu du
changement de la substance du pain en lui, à l’endroit
des espèces du pain qui demeurent, le rapport qu’avait
à ces espèces la substance du pain changé en
lui ; d’où il suit que nous disons, en toute vérité,
du corps du Christ qui est au ciel, ce que nous disions de la substance
du pain à l’endroit de ces espèces, notammen,t
qu’il est contenu en elles, et que, par elles, il nous est véritablement
donné.
C’est dire que si la substance
du pain et du vin se change au corps et au sang de Notre Seigneur
Jésus-Christ, demeure cependant les accidents du pain et du
vin.
C’est ce que va nous dire Saint
Thomas dans son article 5 : « Si dans ce sacrement demeurent
les accidents du pain et du vin ? ».
Article 5 : « Si dans ce sacrement
demeurent les accidents du pain et du vin ? ».
Saint Thomas affirme, sans le moindre
doute possible, la permanence des accidents du pain et du vin après
la consécration. Il en appelle formellement aux sens, au témoignage
des sens, donc à la connaissance sensible, point de départ
nécessaire de toute connaissance : « dicendum quod sensu
apparet, facta consecratione, omnia accidentia panis et vini remanere
» c’est-à-dire que les sens eux-mêmes nous
montrent qu’après la consécration tous les accidents
du pain et du vin demeurent.
Et que la Providence divine fasse
cela, c’est-à-dire assure la permanence des accidents,
la consécration faite, est très raisonnable, nous dit
saint Thomas : « quod quidem rationaliter per divinam providentiam
fit ».
Saint Thomas en apporte trois raisons
très brèves et évidentes :
Premièrement : parce qu’il
n’est pas en usage pour les hommes, cela fait même horreur,
de manger la chair d’un homme et de boire son sang. A cause
de cela la chair et le sang du Christ nous sont offerts à prendre
sous les espèces du pain et du vin, espèces des choses
qui sont le plus fréquemment en usage pour l’homme quand
il veut se nourrir, savoir le pain et le vin.
« Quia non est consuetum hominibus,
sed horribile, carnem hominis comedere et sanguinem bibere, proponitur
nobis caro et sanguis Christi sumenda sub speciebus illorum quae frequentius
in usum hominis veniunt, scilicet panis et vini ».
Secondement : pour que ce sacrement
ne soit pas tourné en dérision par les infidèles,
si nous mangions notre Seigneur sous sa forme propre et selon qu’en
Lui-même Il tombe sous les sens.
« Secundo, ne hoc sacramentum
ab infidelibus irridetur, si sub specie propria Dominum nostrum manducemus
»
Troisièmement : afin que, prenant
le corps et le sang de notre Seigneur, cela tourne à profit
pour le mérite de la foi.
« Tertio ut, dum invibiliter
corpus et sanguinem Domini nostri sumimus, hoc proficiat ad meritum
fidei »
« Ces trois raisons suffisent,
dit le Père Pègues, - et ainsi il en profite pour synthétiser
la pensée de saint Thomas -, pour montrer qu’il était
de toute convenance qu’à vouloir se donner à nous
comme nourriture, le Christ devait nous donner son corps à
manger et son sang à boire, non pas sous leur forme extérieure
et selon qu’ils tombent sous les sens , mais sous la forme du
pain et du vin qui servent le plus communément parmi nous à
alimenter notre vie ; d’où il suit que les accidents
ou les dehors du pain et du vin devaient demeurer dans ce sacrement,
tandis que leur substance seule serait changée au corps et
au sang du Christ. De la sorte, en effet, et parce que ces accidents
n’ont plus leur substance, mais, à la place de cette
substance, le corps et le sang du Christ, en les prenant ce n’est
plus du pain et du vin que nous prendrions, mais véritablement
le corps et le sang du Christ ; et cependant, nous n’aurions
aucune répugnance à prendre ce corps et ce sang du Christ,
puisque nous le prendrions sous les dehors du pain et du vin, qui
sont tout ce qu’il y a de plus naturel et de plus usuel parmi
nous dans l’ordre de notre alimentation ». (p. 126)
Mais saint Thomas, dans « la
Somme contre les Gentils », précise plus profondément
encore le « pourquoi » du maintien des accidents du pain
et du vin, telles que les sens le voient. Il démontre, nous
allons le voir, que la formule de la consécration : «
ceci est mon corps », « ceci est mon sang » n’est
vrai qu’à cette condition.
Il écrit : « il est nécessaire
que quelque chose demeure pour que soit vrai ce qui est dit : «
Ceci est mon corps » : paroles qui signifient et qui font la
conversion dont il s’agit. Si, en effet, rien ne demeurait,
le pronom démonstratif « ceci » ne pourrait plus
se dire ; et si on enlève ce pronom, c’est le sujet même
de la proposition qui disparaît ; de telle sorte qu’il
n’y a plus possibilité de formuler cette proposition.
D’autre part, poursuit saint Thomas, « et parce que la
substance du pain ne demeure pas, ni quelque matière pré
jacente, comme il a été montré, il est nécessaire
de dire que demeure ce qui est en dehors de la substance du pain.
Et « ceci » est l’accident ou les accidents du pain.
Donc les accidents du pain demeurent même après la consécration
».
Le Père Pègues commente
très heureusement et d’une manière éclairante
: « On le voit, il s’agit de la vérité même
de la proposition qui est la forme du sacrement : Ceci est mon corps
…, laquel signifie et fait le sacrement lui-même. Pour
que cette proposition puisse s’émettre et se vérifier,
il faut un sujet duquel on puisse affirmer l’attribut. Ce sujet
ne peut pas être le corps du Christ ; puisque le corps du Christ
est attribut dans cette proposition : « ceci est mon corps »,
et qu’il n’est pas ce qu’on montre quand on dit
: « ceci ». Ce ne peut pas être la substance du
pain : ce serait faux ; car de la substance du pain, il ne reste rien
; - la foi nous l’indique clairement - et, par conséquent,
il n’y a rien de ce côté qui puisse être
sujet de proposition, de façon à pouvoir dire de cela
que c’est le corps du Christ : si, d’ ailleurs, il restait
quelque chose, ce ne pourrait pas être sujet de cette proposition
sans que la proposition devienne fausse, attendu qu’il n’est
rien en dehors du corps du Christ dont on puisse dire que c’est
le corps du Christ. Il demeure donc que le seul sujet possible dans
cette proposition est quelque chose qui tombe sous les sens et qui
n’ayant pas de substance propre, ou plutôt ayant eu sa
substance changée au corps du Christ, permette d’être
montré en lui appliquant cet attribut souverainement substantiel
: le corps du Christ. Alors vraiment on pourra dire, ou plutôt
le Christ pouvait dire et pourront dire comme Lui ou en son nom ceux
qui ont charge de la faire : Ceci que vous voyez, qui tombe sous vos
sens et que vous croiriez, en raison des apparences sensibles, être
du pain, n’est pas du pain, ou ne sera pas du pain quand j’aurai
parlé, mais est mon corps ».(p130)
Ainsi saint Thomas démontre
que la forme de la consécration : Ceci est mon corps…
ne peut être vérifiée que si les accidents du
pain demeurent et jouent le rôle de quasi-sujet.
Toujours dans la « Somme contre
les Gentils » et dans ce même chapitre, Saint Thomas ajoute
une autre raison de cette nécessité de la permanence
des accidents après la consécration.
« Si la substance du pain, dit-il,
était convertie au corps du Christ et si, en même temps,
« les accidents du pain » disparaissaient, s’ils
ne demeuraient point là où nous avions le pain avant
la consécration, d’un tel changement, « d’une
telle conversion il ne suivrait pas que le corps du Christ, selon
sa substance, fût où auparavant était le pain
: car il ne serait laissé aucun rapport du corps du Christ
au lieu dont il s’agit. Mais, comma la quantité «
dimensive » du pain demeure après la conversion, par
laquelle » - quantité dimensive - « le pain se
trouvait en ce lieu, la substance du pain étant changée
au corps du Christ, le corps du Christ se trouve sous la quantité
dimensive du pain », puisqu’il succède à
la substance du pain dans le rapport qu’avait cette substance
à ses accidents propres, sans que d’ailleurs ces accidents
deviennent les accidents du corps du Christ , « et, par conséquent,
le corps du Christ « acquièrent en quelque sorte le lieu
» qui était celui « du pain ; toutefois par l’entremise
des dimensions du pain » ; non par l’entremise de ses
propres dimensions. (p. 131)
Nous avons ici et dans les textes
de la « Somme théologique » et dans le chapitre
de la « Somme contre les gentils », la vraie pensée
de saint Thomas sur la vraie nature de l’action consécratoire,
appelée par Saint Thomas et par l’Eglise, « transsubstantiation
» et sur le lien de cette « transsubstantiation »
avec la présence réelle eucharistique.
Le Père Pègues résume
merveilleusement la pensée thomiste : « Si, après
la consécration, le corps du Christ est présent sur
notre terre, parmi nous, de la présence que la foi nous impose,
c’est uniquement : parce que la substance du pain qui était
là avant la consécration a été changé
en lui et parce que seule la substance du pain a été
changée, ses accidents demeurant toujours là. S’il
y avait eu changement de la substance du pain au corps du Christ,
sans que les accidents du pain demeurassent, après la consécration
une seule chose serait vraie : c’est que la substance du pain
qui était là, ne serait plus là, ni ne serait
plus nulle part, mais qu’elle aurait été changé
au corps du Christ, lequel se trouverait où il se trouvait
avant ce changement, sans que, du reste, ce changement de la substance
du pain en lui eût amené en lui ou pour lui quelque changement
que ce puisse être. Et tout serait dit. Nous n’aurions
plus rien ici où était précédemment le
pain. Il n’y aurait plus, c’est évident, à
parler de quoique ce soit ayant trait à ce qui constitue notre
sacrement de l’Eucharistie. Si nous pouvons parler du sacrement
de l’Eucharistie, du sacrement qui nous donne le corps du Christ,
qui fait que le corps du Christ est véritablement parmi nous,
à notre portée, à notre disposition, que nous
pouvons en user comme de notre véritable aliment spirituel
-« ma chair est vraiment une nourriture, mon sang vraiment un
breuvage », que nous pouvons « manger la chair du Christ
et boire son sang », si nous avons le sacrement de l’Eucharistie
et si ce sacrement est ce qu’il est pour nous, ce n’est
point seulement parce que la substance du pain et du vin ont été
changés au corps et au sang du Christ, - s’il n’
y avait que cela, encore une fois nous n’aurions rien du tout
dans l’ordre du sacrement eucharistique ; c’est parce
que la substance du pain et la substance du vin ont été
changées au corps et au sang du Christ avec ceci que leurs
accidents sont demeurés où ils étaient. Voilà
la clé du mystère eucharistique, la clé de la
présence réelle eucharistique et de toutes les merveilles
attachées à cette présence eucharistique du Christ
parmi nous. »(p 132-133)
La pensée de saint Thomas sur
ce mystère eucharistique est donc celle-là : «
Si la substance du pain était convertie au corps du Christ
et que les accidents du pain ne fussent plus là », soit
d’ailleurs qu’ils fussent eux-mêmes changés
aux accidents du corps du Christ, soit qu’ils fussent évanouis,
« d’une telle conversion il ne suivrait pas que le corps
du Christ selon sa substance fût où auparavant était
le pain : « ex tali conversione non sequeretur quod corpus Christi
secundum suam substantiam, esset ubi prius fuit pannis ». A
supposer qu’ils fussent changés aux accidents du corps
du Christ, il s’ensuivrait que le corps du Christ aurai été,
non seulement quant à sa substance mais aussi quant à
ses accidents, le terme auquel aurait abouti la conversion ou le changement
du pain. Et ce terme se trouverait où il était avant
ce changement, sans que rien de nouveau pût être affirmé
de lui, sinon que le pain, tout le pain et quant à sa substance
et quant à ses accidents aurait été changé
en lui. Par où l’on voit, manifestement, que la raison
de la présence eucharistique n’est point le seul fait
du changement…S’il en était ainsi le changement
ou la conversion de tout le pain, y compris les accidents, au corps
du Christ, devrait nous donner, où était le pain le
corps du Christ avec ses accidents à lui ; et, du même
coup, on aboutirait à cette conséquence : du corps du
Christ multiplié selon son être même ou selon qu’il
est lui-même, avec ses propres accidents et selon qu’il
occupe un lieu par lui-même, autant de fois qu’il y aurait
eu de consécrations ; ce qui serait multiplier autant de fois
les contradictions les plus flagrantes, ou, ce qui revient au même,
affirmer autant de fois que le corps du Christ cesserait d’être
le corps du Christ ; car multiplier un être individuel comme
tel, c’est, par le fait même, le détruire.
Ainsi, il est clair : quelque hypothèse
que l’on fasse, « si les accidents du pain « ne
restent pas, s’ils disparaissent, s’ils « passent
», même avec la conversion radicale et totale de la substance
du pain au corps du Christ, « il ne suivra pas, de cette conversion,
que le corps du Christ, selon sa substance, soit où était
auparavant le pain ».
Pourquoi ?
Parce que, déclare Saint Thomas,
« il ne serait laissé aucun rapport du corps du Christ
à ce lieu qui nous occupe : nulla enim relinqueretur habitudo
corporis Christi ad locum praedictum ». C’est qu’en
effet le corps du Christ n’a un rapport à ce lieu que
« par l’intre- mise des dimensions du pain, « mediantibus
dimensionibus panis ». Car de même que le pain «
était dans ce lieu, sortiebatur hunc locum, par sa quantité
dimensive (ces accidents) ; de même, une fois la substance du
pain changée au corps du Christ, le corps du Christ, en raison
de cette conversion, virtute huius conversionis, succède en
quelque sorte à la substance du pain pour ce qui est de rapport
à la quantité dimensive qui était celle du pain
changé en lui ; il acquiert à l’endroit des accidents
du pain le rapport qui était celui du pain, acquirit habitudinem
ad species quam prius habuit panis, et, par l’entremise de ces
espèces, de ces accidents, « de ces dimensions du pain,
il se trouve avoir acquis, en quelque sorte, le lieu « qui était
celui du pain » : il est où était le pain, parce
que les accidents du pain, notamment ses dimensions qui le faisaient
être là, demeurent comme auparavant : substantia panis
in corpore Christi mutata, fit corpus Christi sub quantitate dimensiva
panis et per consequens locum panis quodammodo sortitur, mediantibus
tamen dimensionibus panis ».
Ainsi ce qui est clair chez saint
Thomas, c’est que « la présence réelle du
Christ dans l’Eucharistie, de son corps et de son sang s’explique
par le changement total de la substance du pain et du vin au corps
et au sang du Christ, alors que demeurent seulement les accidents
ou les espèces de ce pain et de ce vin. Il faut ces deux choses
pour sauver tout ce que la foi nous révèle et toute
ce que la sainte théologie nous enseigne au sujet du sacrement
de l’Eucharistie ; car, soit qu’on dénature l’une
ou que l’on dénature l’autre, la vérité
du sacrement disparaît. Si la substance du pain demeure ; ou
si les accidents du pain ne demeurent pas ; en un mot, si nous ne
gardons en son sens le plus strict et le plus formel la transsubstantiation,
c’est-à-dire le passage au corps et au sang du Christ
tels qu’ils sont en eux-mêmes, dans la vérité
la plus absolue, de toute la substance du pain et du vin, mais rien
que leur substance, avec la permanence, ici, de leurs accidents ou
de leurs espèces, c’en est fait de l’Eucharistie
et de sa vérité.
On voit alors la précision
de la décision du Concile de Trente sur la transsubstantiation,
disant, je la reprends : « Si quelqu’un dit que dans le
très saint sacrement de l’Eucharistie demeure la substance
du pain et du vin ensemble avec le corps et le sang de Notre Seigneur
Jésus-Christ ; et nie cette admirable et unique conversion
de toute la substance du pain au corps et de toute la substance du
vin, alors que demeurent seulement les espèces du pain et du
vin, conversion que l’Eglise catholique appelle d’une
façon souverainement propre : transsubstantiation ; qu’il
soit anathème ».
La présence réelle du
Christ dans le sacrement de l’Eucharistie exige cela. Oui !
La vérité exprimée de notre foi sur la présence
réelle de Notre Seigneur dans l’Eucharistie exige la
transsubstantiation. « Ce n’est que par la Transsubstantiation
que la raison théologique est à même de justifier
ou plutôt de maintenir que « le corps et le sang de Notre
Seigneur Jésus-Christ ensemble, avec l’âme et la
divinité, c’est-à-dire le Christ tout entier,
est contenu véritablement, réellement et substantiellement
dans le sacrement de la très sainte Eucharistie et non pas
seulement comme en un signe, ou en figure ou par sa vertu. Si on nie
ou si l’on entendait mal la transsubstantiation c’est
la vérité même du sacrement de l’Eucharistie
qui disparaît.
Concluons, avec le Père Pègues,
c’est sublime : « Puisqu’en effet Dieu a le haut
domaine de l’être, étant l’être même,
Il peut avoir action sur tout l’être de tel être
qui est et le changer en tel autre être qui est. S’Il
le fait, il s’ensuivra que le premier sera passé au second.
Mais si l’être ainsi changé est un être corporel
qui tombe sous les sens, à supposer, ce qui est toujours possible
quand il s’agit de Dieu, Agent premier et Cause première
de tout, que la substance seule ait été changée
et que les dehors, par lesquels il tombait sous nos sens et avait
rapport avec nous soient demeurés, le changement qui s’est
fait entraînera de toute nécessité un certain
rapport entre ces dehors ou accidents qui demeurent et l’être
préexistant auquel aura été changée leur
substance : ce rapport, à tout le moins, que leur substance
a été changée en lui, de telle sorte qu’il
sera possible de dire en toute vérité que cet autre
être préexistant aura pris par rapport à eux la
place de leur substance : il aura succédé à cette
substance quant au fait d’être en rapport avec ces accidents.
Oh ! assurément les rapports de cet être préexistant,
qui a son être à lui, ses dehors à lui, ses conditions
à lui, ne seront pas, de tout point, les mêmes que ceux
de la précédente substance qui était la substance
propre de ces dehors ou de ces accidents . Mais, enfin, certains rapports
seront nés entre ces dehors et lui, du seul fait que leur substance
a été changée en lui. Et, dès lors, si
nous sommes avertis, de par ailleurs, de la nature de ces rapports,
comme par exemple, qu’il est sous ces dehors et, par eux, mis
en rapport avec nous, il n’y aura pas lieu de nous en étonner,
ni surtout de crier à l’impossible, quelque mystérieux
d’ailleurs que soient ces rapports, comme mystérieux
aussi et au plus haut point est l’action souveraine de Dieu
changeant, dans les conditions qui ont été dites, la
substance du premier au second » (p137)
Or c’est là tout le mystère
de l’Eucharistie.
Nous avons montré ainsi la
nécessité de la transsubstantiation étant donné
le dogme de la présence réelle. Nous en avons montré
la nature.
Il ne nous reste plus que quelques petites questions à aborder,
a savoir : considérer les conditions de temps dans lesquels
cette transsubstantiation se produit : se fait-elle en un instant
ou y a-t-il succession ? Nous verrons cela la semaine prochaine.
de la Communion
Monsieur l’abbé Barthe,
chroniqueur religieux de la revue « Catholica » vient
de rééditer le beau livre de Monsieur Olier sur «
L’esprit des cérémonies de la messe », aux
éditions « le Forum » (24 avenue Vixtor Dalbiez
66000 Perpignan).
C’est à lire.
Pour vous encourager à l’acheter
pour le lire, je vous donne le chapitre 3 du livre 8, sur «
la sainte communion ». C’est un des très beaux
chapitres du livre. Il peut vous aider dans votre vie spirituelle.
De ce chapitre, Monsieur l’abbé Barthe écrit :
« Ainsi le chapitre 3 du livre 8, « de la sainte Communion
», nous paraît le texte le plus profond, dans le cadre
d’une théologie immolationiste, et le plus séduisant
du point de vue formel qui ait été écrit par
un spirituel français du XVIIe siècle sur la communion
eucharistique. Jean-Jacques Olier glose sur le thème de saint
Augustin qui veut que, dans la communion, la nourriture eucharistique
transforme en elle celui qui la consomme et non l’inverse ».
« De la Sainte Communion »
« La communion est l’invention
d’amour et de religion, que Notre Seigneur Jésus-Christ
a trouvée pour multiplier ses louanges, ses adorations, ses
amours ; en un mot, tous les devoirs qu’il rend à son
Père, il ne se contente pas de les offrir lui seul à
Dieu, mais il désire de nous les donner, et de les répandre
en nous, comme en autant de tabernacles vivants et en autant de ciboires
animés, capables de recevoir les impressions de son amour et
de ses louanges, pour répandre ainsi partout , et pour avoir
de la sorte autant de saints autels, de vrai parfum et de véritable
thimiame, qu’il y a de cœurs des chrétiens capables
et disposés de recevoir ses sentiments, et de communier à
son Esprit et à sa religion. Et c’est ce qu’il
désire le plus : car il ne nous communie à son corps
et à son sang, que pour se servir d’un moyen plus naturel
et plus sortable de nous communier à son intérieur,
se servant en cela de son corps comme d’un Sacrement et d’un
véhicule de l’Esprit, bien plus proportionné à
notre condition, quoiqu’il soit divin et spiritualisé,
que n’est pas l’Esprit même dont il est inséparable.
Les espèces du pain et du vin sont les moyens par lesquels
Notre Seigneur nous donne son corps et son sang, et son corps et son
sang servent à nous transmettre son esprit et sa religion ;
et il faut que ce soit par la participation au même autel, par
la communion au troisième sacrifice, et sous les espèces
du pain et du vin, comme sous les images extérieures du corps
et du sang, que la religion sensible, corporelle et extérieure,
soit assemblée et réunie pour glorifier Dieu.
Ce n’est pas seulement pour
ce sujet qu’il faut que nous soyons assemblés sous ces
signes visibles, et que nous communions au corps et au sang de Jésus-Christ
; mais encore c’est parce que Notre Seigneur a voulu que nous
communiassions à l’hostie du sacrifice, pour prendre
en nous l’esprit et la disposition d’hostie ; pour être
les victimes de Dieu, et pour commencer dans l’Eglise à
ne faire de tous les fidèles qu’une seule victime en
Jésus-Christ, ce qui s’achèvera un jour parfaitement
dans le ciel. C’est pour cela que n’étant qu’un
en lui-même, il est toutefois multiplié en ces espèces,
pour être une hostie en plusieurs, et pour faire par son moyen
de plusieurs une hostie vivante, sainte, agréable à
Dieu, et qui ait dans l’esprit un culte raisonnable ; c’est-à-dire
intérieur, spirituel, toujours respectueux et glorieux : Hostiam
viventem, sanctam, Deo placentem rationabile obsequium (Rm 12 1)
Voilà donc le dessein de Notre
Seigneur en la multiplication de son corps, et en la communion qu’il
en donne à l’Eglise ; d’avoir autant de corps,
autant de bouches, autant de cœurs, qu’il y a de sujets
en l’Eglise, pour s’immoler en eux à la gloire
du Père, pour l’adorer, l’aimer et le glorifier,
en tout autant d’endroits qu’il y aura jamais de fidèles
au monde, pour répandre ainsi son amour et sa religion en tous
les cantons de la terre ; pour l’étendre autant que l’univers,
et enfin pour ne faire de tout le monde qu’une Eglise, de tous
les hommes qu’un religieux, de toutes leurs voix qu’une
louange, et de tous les cœurs qu’une victime en lui, qui
est l’universel et l’unique religieux de Dieu son Père,
et qui est répandu en nos cœurs par la communion qu’il
nous donne à son corps, unique temple et très saint
ministre de sa véritable religion.
Le corps et le sang de Jésus-Christ,
qui dans le saint sacrement ne respirent que la mort, nous avertissent
de la mort de nos corps, et de l’obligation que nous avons à
tout moment d’immoler et de crucifier les sentiments de notre
chair, qui étant tout injuste en ses désirs et en ses
passions, doit être immolée à toute heure, et
étouffée en la naissance de ses mouvements . Notre chair
est une hostie à être mille fois immolée par jour,
et à recevoir à tout moment autant de coups de couteau
qu’elle a de mouvements injustes et de propres désirs,
qui sont toujours impurs en eux-mêmes, parce qu’ils naissent
d’une source universellement souillée, et qui ne peut
produire aucune chose qui ne soit dans l’impureté. Tout
ce qui n’est point de l’Esprit en nous, et qui est de
la chair, est condamné de Dieu, et doit être mis à
mort et crucifié comme criminel et comme partie et membre d’Adam,
condamné une fois en lui et en tous les siens.
Notre Seigneur en sa mort a crucifié
universellement sa chair en tous ses membres, à cause qu’elle
était en ressemblance du péché ; il l’a
traitée d’esclave, de criminelle et de révoltée
; et comme la nôtre l’est en effet, elle ne doit pas recevoir
un traitement plus doux ; il faut la garrotter, la prendre, la crucifier
et la mettre à mort sur un gibet. C’est de quoi Notre
Seigneur nous fait ressouvenir, en nous donnant son corps et son sang
dans le saint sacrement ; et par la communion que nous y avons, il
fait passer et porte intérieurement en nous la grâce
qu’il nous y montre extérieurement, qui est la grâce
et la vertu de crucifier notre chair et de la mortifier par liens,
par force, par mépris, par rebuts et par croix ; donc l’esprit
nous est donné par ce sacrement, qui est un sacrement de vie
intérieure et de mort extérieure, parce qu’il
donne la vie au cœur et à l’esprit ; l’esprit
ensuite donne avec rigueur et avec amour la mort au corps et à
la chair, et ainsi il se fait de notre cœur une hostie consommée
dans le feu divin, et de notre corps une hostie immolée à
la gloire de Dieu, et de cette sorte nous sommes rendus participants
des mystères et de toutes les parties du sacrifice , auxquelles
il veut que nous ayons part par la communion, qui n’est que
comme une union à l’hostie pour la dilater, pour faire
un plus grand sacrifice, et pour faire de tous les offrants et adorateurs
autant de victimes de Dieu ; et c’est là tout le dessein
de la communion qui est la dernière partie du sacrifice.
Dans l’ancienne Loi, il était
ordonné que le prêtre, et quelquefois l’offrant,
selon la nature du sacrifice, communiassent à la victime. Ils
disaient par là qu’ils entraient en esprit dans tous
les états de l’hostie, soit de consécration à
Dieu, soit d’immolation, soit de consommation ; qu’ils
faisaient profession d’être tout consacrés à
Dieu, et de ne s’en séparer jamais ; qu’ils méritaient
la mort comme l’hostie qui ne la souffrait qu’en leur
place ; qu’ils ne se servaient d’elle que pour témoigner
la disposition et la préparation où ils étaient
d’être immolés eux-mêmes les premiers, et
qu’enfin ils espéraient un jour leur consommation dans
le feu divin, à la manière de l’hostie, laquelle
après sa mort était consommée par un feu dans
la flamme duquel elle s’élevait au ciel, d’où
ce feu était descendu. C’est où aspiraient et
le prêtre et l’offrant, aussi bien que la victime, de
terminer leur sacrifice en Dieu. Tout cela était figure de
la communion des chrétiens à Jésus-Christ Notre
Seigneur, l’hostie immolée sur l’autel ; car cette
communion a été instituée de Dieu pour les rendre
participants des dispositions de cette hostie, et pour les faire entrer
dans les sentiments de cette sainte victime, qui vient vivre en eux
afin de leur faire faire la profession qu’ils ne pourraient
pas faire par eux-mêmes, d’être tout consacrés
à Dieu ; de vouloir être à lui inséparablement
et inviolablement, sans jamais s’éloigner de l’état
de leur consécration, que le baptême a premièrement
opérée, et qui a été renouvelée
pleinement par la communion à l’hostie qui les met en
participation et en société de la même consécration,
par laquelle le Fils de Dieu se consacre à son Père
sur l’autel, et s’est consacré à lui dès
l’instant de son incarnation.
C’est en ce point admirable
que consiste la grande merveille de la communion à Jésus-Christ,
et c’est le grand trésor que notre âme y reçoit,
de ce qu’il nous communie à son intérieur et à
ses dispositions saintes. Quelle merveille que notre âme soit
faite participante de la consécration même que Notre
Seigneur Jésus-Christ a faite de soi à son Père
! Quelle merveille que nous entrions en communion de cette sainte
et admirable opération ! Quelle donation serait la nôtre,
si elle était faite dans le même esprit et dans les mêmes
dispositions de Notre Seigneur ! Quelle adhérence de nous à
Dieu ! Quel transport continuel ! Quelle dédicace !Quel amour
! Quelle application perpétuelle ! Hélas ! Dieu le désire.
Dieu le veut. Dieu nous donne son Fils pour ce sujet. Dieu nous communie
à l’esprit de Jésus-Christ, à son intérieur,
à sa disposition d’hostie, à cette opération
particulière de consécration à Dieu. Et pourquoi
ne le ferons-nous pas ? Pourquoi ne nous laisserons-nous point pénétrer
à Jésus-Christ pour entrer en ses dispositions, et en
l’état intérieur dont il veut nous rendre participants
?
Cette communion à l’hostie
est encore pour nous faire entrer dans les dispositions intérieures
de Jésus-Christ mourant, qui a voulu que la communion fût
le dernier de ses mystères, pour porter en notre âme
l’esprit de ses mêmes mystères et les dispositions
merveilleuses du sacrifice par lequel il a commencé et fini
sa vie. Et parce que sa vie n’a été qu’un
exercice continuel, qui nous apprend à rendre nos devoirs à
Dieu le Père, et qu’il veut que nous les lui rendions
au moins en esprit, il vient nous communier à ses dispositions,
il vient nous faire protester que nous méritions la mort nous-mêmes,
et que si Notre Seigneur l’a soufferte comme l’hostie
du monde, c’était pour témoigner de sa part ce
que tout le monde méritait, et qu’il mourrait pour tous,
parce que tous devaient mourir. Il était le supplément
universel du genre humain ; ainsi, en mourant, il fait connaître
que tout le monde et chaque particulier doit être mort, puisque
lui-même, qui tient la place de tous les hommes et qui rend
pour chacun d’eux ce qu’ils doivent à Dieu, est
obligé de souffrir la mort : Si unus pro omnibus mortuus est,
ergo omnes mortui sunt (2 Cor 5 14) : si Jésus-Christ est mort,
s’il est notre victime, donc nous sommes morts par obligation
; cette pauvre victime ne marque autre chose, sinon qu’elle
porte en notre place ce que nous étions obligés de porter
en notre particulier : Unus pro omnibus mortuus est, ergo omnes mortui
sunt :Il est mort un pour tous, un en la place de tous, qui avouent
le mériter, et qui, mangeant l’hostie, disent qu’ils
sont un avec l’hostie, et protestent d’entrer en son esprit
et en ses obligations.
Autrefois l’offrant mettaient
les mains sur l’hostie pour plusieurs intentions, entre autres
pour la charger de ses devoirs et de ses obligations ; et lorsque
ensuite il y communiait, il protestait de se faire un esprit avec
elle, de vouloir mourir et d’avoir mérité la mort,
comme l’hostie l’avait soufferte. Ainsi il faut que le
fidèle qui communie à Jésus-Christ hostie, proteste
de mériter la mort et d’être en disposition de
la souffrir, et il en reçoit même la grâce par
la communion qui lui est donnée, et qui le fait participant
de Jésus immolé à la gloire de son Père.
Cet état d’immolation est un état où la
créature d’elle-même ne peut arriver sans la grâce
de Jésus-Christ, dont elle a besoin aussi bien que de l’esprit
dans lequel il s’est offert lui-même et livré à
la croix : Per spiritum sanctum semeptisum obtulit (He 9 14) ; Oblatus
est, quia ipse voluit (Is 53 7) : Il s’est offert et livré
à la croix à cause qu’il l’a voulu : ainsi
cette volonté de mourir et de se sacrifier pour Dieu est une
grâce donnée par la communion à l’hostie.
C’est pourquoi anciennement en l’Eglise, au rapport de
saint Cyprien, on avait un soin tout particulier de donner la communion
aux fidèles dans le temps de persécution, pour leur
donner l’esprit de Jésus-Christ hostie : Qui proposito
sibi gaudio sustinuit crucem (He 12 2), qui se porta à la croix
avec joie, et que répand cette joie dans le cœur des hosties
vivantes qui communient à lui, et qui sont disposées
à recevoir son esprit de gloire, de vertu, de force et de toute-puissance,
et qui porterait mille et mille croix, si on voulait s’abandonner
à lui. O Jésus ! de qui la croix était trop petite,
et dont l’esprit en portait une mille fois plus grande que celle
du corps, vous étiez accablé sous le poids insupportable
de la justice et de la rigueur de votre Père ; et toutefois
vous aviez soif d’endurer encore tous les tourments que Dieu
a depuis fait souffrir à vos martyrs.
Jésus voyant son corps trop
petit pour supporter les peines extérieures que les juifs et
les démons eussent désiré de lui faire souffrir,
voulut emprunter après sa mort les corps de ses fidèles,
pour endurer en eux et accomplir ce qui manquait de peines et de martyrs
à sa Passion : Adimpleo ea quae desunt passionum Christi (Col
2 24) : Son esprit embrassait tous les tourments et les bras ouverts
et étendus sur la croix, il disait : Sitio : Ah mon Père,
que je désire de pâtir !que je souhaite d’endurer
! Ah ! mon Père, accablez-moi sous la souffrance ! Et ainsi
il mourut.
Et c’est à cet esprit
de zèle des souffrances que communient les chrétiens,
en communiant à l’hostie ; c’est à cela
que Jésus-Christ nous veut faire participer, en nous donnant
tout son intérieur et son extérieur, nous donnant son
esprit et son âme aussi bien que son corps et son sang. Aussi
voyons-nous des âmes dans le christianisme, qui, dans cette
communion d’esprit et de disposition intérieure, désirent
avec des transports extraordinaires et de saintes fureurs les douleurs
et les peines ; on les entend s’écrier : Aut pati, aut
mori (Sainte Thérèse) : Ou souffrir ou mourir. Ce n’est
pas assez, disent les autres, parlant de croix et de souffrances ;
et : C’est trop, ô mon Dieu ! s’écrient-elles
dans les consolations (saint François-Xavier). Quelques-unes,
à l’aspect des souffrances que Dieu leur donne, disent
en extase et en la jubilation qui prévient leur martyre : Paratum
cor meum, Deus, paratum cor meum (Ps 107 1). On en voit d’autres
qui, dans les temps des débauches du peuple ou aux jours de
la mort de Jésus-Christ, sont mises par les opérations
du saint-Esprit dans les mêmes postures et les mêmes situations
où Notre Seigneur a été dans sa passion ; et
pendant ce temps-là, elles endurent des peines plus violentes
que celles du feu du purgatoire, que souvent même elles ont
souffert ; Dieu en disposant ainsi pour répondre au zèle
qu’ elles ont de souffrir ; car en purgatoire elles n’endureraient
que pour leurs péchés particuliers ; et, ici, en participation
de la Passion du Fils de Dieu, elles endurent pour les péchés
de tout le monde. On voit parfois toute leur chair en feu, et leurs
poitrines ardentes consommer l’eau qu’on leur jette, tant
elles sont dévorées par le feu de l’amour, et
par ce grand désir de souffrir, qui est une communion à
la soif ardente que Jésus-Christ avait de souffrir pour son
Père. Il exprime extérieurement en elles, et répand
jusque dans leur chair ce qui se passait intérieurement en
lui. Il leur donne sa mort en communion et prend leur vie pour souffrir
en elles ; et c’est là l’effet de la communion
à Jésus-Christ : Sicut socii passionum estis, sic eritis
et consolationis (2 Cor 1 7)
Notre Seigneur nous rend participants
de son esprit de souffrances, pour nous rendre ensuite participants
de son esprit de jouissance et de consolation : Communicantes Christi
passionibus gaudete (1 Pet 4 13). Il faut communier à l’esprit
de souffrances, aux désirs de mort, aux désirs de la
croix et du crucifiement universel de tous ses membres. Car Notre
Seigneur Jésus-Christ était ravi d’endurer et
de souffrir en tout lui-même, pour satisfaire à tous
les péchés de la nature humaine ; et il a dessein de
nous donner aussi ce zèle et ce désir de nous crucifier
à son exemple, par la vertu et la vigueur du Saint-Esprit,
qu’il nous donne en la communion. Il faut donc s’oublier
soi-même et se soumettre avec plaisir à la croix, dont
il nous afflige comme il lui plaît, selon la mesure de son amour
et selon l’étendue de ses desseins sur nous. Il nous
donne les souffrances à proportion des biens qu’il nous
prépare et de la gloire qu’il veut nous donner dans le
ciel ; nous communiant aux consolations de l’autre vie, comme
il nous aura communiés aux souffrances de celle-ci : Sicut
socii passionum estis, sic eritis consolationis.
Et comme le divin sacrifice ne se
termine pas dans l’immolation, et qu’il va jusqu’à
la consommation et au retour de l’hostie en Dieu, à l’exemple
de Notre Seigneur en sa sainte Résurrection et en son Ascension,
la sainte communion doit opérer en nous toutes les dispositions
et tous les sentiments de Jésus-Christ ressuscité et
monté dans les cieux : elle doit mettre en nous le désir
de la consommation en Dieu, qui nous fasse gémir dans la vie
présente, comme saint Paul et comme les grands saints qui ont
communié plus particulièrement à Jésus-Christ
: Coactor usque dum perficiatur (Lc 12 50), disait Notre Seigneur
: Je languis jusqu’à ce que mon sacrifice s’accomplisse
: Desiderium habens dissolvi, et esse cum Christo (Ph 1 23), disaient
ces grands saints : Je désire ma consommation, je désire
de me voir délivré de cette chair, et retourné
en Dieu avec Jésus-Christ, afin que ma vie soit cachée,
anéantie et absorbée en Dieu par la communion à
Jésus-Christ consommée en Dieu même.
C’est la vocation des chrétiens
appelés à ce bonheur par Jésus-Christ, qui le
premier a passé par ces voies, se consacrant à Dieu
lorsqu’il est venu au monde : Holocautomata et pro peccato non
tibi placuerunt. Tunc dixi : ecce venio (He 10 6) : les holocaustes
et les sacrifices pour le péché ne vous ont pas agréé,
je suis venu moi-même pour me substituer à leur place
; je me suis offert et consacré pour le péché
(Lv 16 10). Comme ce bouc chassé au désert et abandonné
à la rage des bêtes sauvages, j’ai été
environné des loups, des chiens et des taureaux, et ils m’ont
assiégé de toutes parts pour me déchirer et me
dévorer en leur fureur : Circumdederunt me vituli multi : tauri
pigues obsederunt me (Ps 21 13). Comme cet autre bouc réservé
à être immolé pour le péché, je
me suis vu égorgé et immolé sur la croix, afin
d’entrer ensuite dans le Saint des saints, comme le grand prêtre,
par la vertu de mon sang répandu pour la rémission des
péchés de tout le monde. Enfin, je me suis mis à
la place des holocaustes, je suis entré dans le feu de mon
Père, où j’ai tout consommé au jour de
ma Résurrection ; et après avoir été réduit
dans un état de sainteté et de pureté digne de
lui, j’ai retourné à lui au jour de mon Ascension
(Jn 16 28). Or Jésus-Christ, dans la communion, nous appelle
à la participation de tous ses divins mystères, à
la participation du sacrifice entier, par lequel se répandant
dans l’Eglise, et l’associant à ses dispositions,
il entre en elle, et la rend une avec lui dans la communion. Ainsi
le sacrifice qui est universel, et qui doit tout réunir à
Dieu réellement, doit être répandu en nous pour
nous porter en Dieu ; il doit s’achever en nous, qui avec Jésus-Christ
faisons la totalité de l’hostie offerte et présentée
à Dieu, qui est l’Eglise en Jésus-Christ, l’Eglise
communiante à Jésus-Christ. »