Paroisse catholique Saint Michel

Dirigée par

 Monsieur l'abbé Paul Aulagnier

 

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Du 13 mars au 19 mars 2005

Premier Dimanche de la Passion

 

Sommaire

 

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I Le sacrement de l’Eucharistie


Nous commencerons tout de suite, cette semaine, par notre étude sur le sacrement de l’Eucharistie. Je n’ai pas disposé suffisamment de temps pour préparer notre méditation habituelle sur nos beaux mystères chrétiens, et particulièrement sur le beau mystère de Notre Dame.

Après avoir étudié, les semaines passées, les formules de la consécration du pain et du vin, nous en arrivons, maintenant avec Saint Thomas, aux effets du sacrement de l’Eucharistie. C’est la question 79 de la III pars de la Somme.

C’est une très belle étude qui mérite toute « notre attention et notre admiration ». C’est ainsi que s’exprime le Catéchisme du Concile de Trente.

Article I : Si, par ce sacrement, est conférée la grâce ?

Cet article est particulièrement riche


1) Ce sacrement confère la grâce parce qu’il contient l’auteur de la grâce : le Christ.

Saint Thomas nous prévient immédiatement, dans le corps de l’article que « l’effet de ce sacrement doit être considéré, premièrement et principalement, en raison de ce qui est contenu en lui, et qui est le Christ ». Voilà ! Tout est dit en ces quelques mots. « Dicendum quod effectum huius sacramenti debet considerari, primo quidem et principaliter ex eo quod in hoc sacramento continetur, quod est Christus ».

Et Saint Thomas va décrire « les fruits et les vertus de l’Eucharistie », comme le dit le catéchisme de Trente, c’est-à-dire les effets, en rappelant les effets de la venue du Christ dans le mystère de l’Incarnation. En d’autres termes, ce que le Christ nous apporta dans son humanité sainte, le Christ continue de nous le donner dans sa sainte Eucharistie.

C’est ainsi que Saint Thomas poursuit son article en disant : « Et le Christ, de même qu’en venant, d’une manière visible, dans le monde, a conféré au monde la vie de la grâce selon les paroles de saint Jean : « la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ (Jn 1 17) ; de même en venant, d’une manière sacramentelle, dans l’homme, il opère la vie de la grâce, selon cette parole marquée en saint Jean : « Celui qui me mange vit à cause de moi » (Jn 6 58)

L’argument est simple. Il est fulgurant. Ce sacrement confère la grâce, comme le Christ, lors de sa vie publique, communiquait la grâce. Le mot « grâce » est pris ici dans son sens le plus large : grâce actuelle ; grâce habituelle ; grâce proprement dite, affectant l’essence de l’âme ; grâce aussi entendue au sens de vertus…

Le catéchisme du Concile de Trente exprime merveilleusement cet effet sublime : « Si la Grâce et la Vérité ont été apportées par Jésus-Christ (Jn 1 17), ne doivent-elles pas nécessairement se répandre dans l’âme de celui qui reçoit ce Sacrement avec un cœur pur et saint ? Car Notre Seigneur a dit : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en Moi et Moi en lui » (Jn 6 56). Personne ne doit douter que ceux qui participent à ce sacrement avec des sentiments de Foi et de piété, reçoivent le Fils de Dieu, de manière à se trouver en quelque sorte greffés sur son Corps, comme ses membres vivants. « Celui qui Me mange, dit le Sauveur vivra aussi par Moi. Le pain que je donnerai, c’est ma Chair pour la vie du monde. » Sur quoi Saint Cyrille a fait cette remarque : « Le verbe de Dieu, en s’unissant à sa propre chair, l’a rendue vivifiante. Il était donc convenable qu’Il s’unît à nos corps d’une manière admirable pas sa Chair sacrée et par son Sang précieux qu’il nous livre sous les espèces du pain et du vin, pour nous sanctifier et vous donner la vie. » (p.231 ed. Itinéraires)

C’est merveilleux. Vous remarquerez la parfaite fidélité de la pensée de ce catéchisme à la doctrine ici exprimée par Saint Thomas. Ce sont les mêmes références scripturaires, les mêmes textes patristiques. La même pensée. Je reste émerveillé par cette si grande fidélité. C’est inspiré de Saint Thomas, de la Somme sans être servile. L’exposé est original tout en étant scrupuleusement fidèle. C’est génial.

On peut résumer : parce que le Christ est cause de la grâce, et que le Christ est en ce sacrement, ce sacrement confère lui-aussi la grâce.


2) Ce sacrement confère la grâce parce que, dans ce sacrement, est représentée la Passion du Christ

C’est le deuxième argument de saint Thomas.

« Deuxièmement, l’effet de ce sacrement se considère en raison de ce qui est représenté par ce sacrement, et qui est la Passion du Christ ».

On retrouve alors la même similitude que plus haut entre les fruits du sacrement et les fruits de la vie du Christ, dans ses divers états considérés. Ici la Passion.

« C’est pourquoi l’effet que la Passion du Christ a produit dans le monde, ce sacrement le produit dans l’homme » « Et ideo effectum quem passio Christi facit in mundo, hoc sacrificium facit in homine ».
« Aussi bien, sur cette parole de saint Jean : « à l’instant, coula du sang et de l’eau » (Jn 19 34) saint Jean Chrysostome dit : « Parce que là prennent leur source les saints mystères, quand tu approches du calice redoutable, approche comme si tu allais boire au côté même du Christ » ouvert sur la croix. Et de là vient que le Seigneur Lui-même dit, en Saint Matthieu : « Ceci est mon sang, qui sera répandu pour beaucoup, en rémission des péchés ». (Mt. 26 28)

On peut résumer la pensée de saint Thomas de la même manière : parce que la Passion est cause de la grâce, et que en ce sacrement « est représentée » la Passion de Notre Sauveur, ce sacrement confère tout également la grâce.

3) Ce sacrement confère la grâce parce que le Christ y est donné par mode de nourriture et de breuvage.

« Troisièmement, l’effet de ce sacrement se considère en raison du mode dont ce sacrement est donné, lequel est donné par mode de nourriture et de breuvage.

On va retrouver le même argument : celui de la même similitude entre la nourriture terrestre et la nourriture « céleste ».

« Il suit de là que tout effet que la nourriture et le breuvage d’ordre matériel produit quant à la vie corporelle, savoir qu’il sustente, qu’il accroît, qu’il répare, qu’il délecte, - retenez les quatre verbes : -quod scilicet sustendat, auget, reparat, et delectat - tout cela, ce sacrement le fait quand à la vie spirituelle : - hoc totum facit hoc sacramentum, quantum ad vitam spiritualem. Aussi bien saint Ambroise dit : Ce pain est celui de la vie éternelle qui est le soutien de la substance de notre âme ». Et saint Jean Chrysostome dit : « A nous qui le désirons, Il se donne à toucher, à manger, à embrasser ». D’où il vient que le Seigneur Lui-même dit, en saint Jean : « Ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage ».

Le catéchisme de Trente fait de cette troisième raison le commentaire suivant : « On pourra encore en juger aisément - de ce que ce sacrement donne la grâce – en examinant la nature du pain et du vin, qui sont les symboles de l’Eucharistie. Ce que le pain et le vin produisent pour le corps, l’Eucharistie le produit également, mais d’une manière infiniment plus parfaite, pour le salut et le bonheur de l’âme. ( NB : Voyez !on retrouve le principe thomiste de l’analogie de similitude) . Ce n’est pas le Sacrement qui se convertit comme le pain et le vin en notre substance, c’est nous-même au contraire qui sommes changés pour ainsi dire en sa nature. En sorte que l’on peut très bien appliquer ici ces paroles que Saint Augustin met dans la bouche de Notre Seigneur : « Je suis la nourriture des hommes faits ; croissez et vous me Mangerez ensuite. Et vous ne Me changerez point en vous, comme il arrive à la nourriture de notre corps ; mais c’est vous qui vous changerez en Moi ». (ib.p. 231)

Nous pouvons tout également résumer : parce que l’Eucharistie est une réfection spirituelle et que toute réfection spirituelle ne peut être sans la grâce, l’Eucharistie, bien sûrement, confère la grâce.


4) Ce sacrement confère la grâce, la grâce d’union, en considérant, cette fois, les espèces sous lesquelles il est donné.

« Quatrièmement, l’effet de ce sacrement se considère en raison des espèces dans lesquelles ce sacrement est donné. Aussi bien saint Augustin dit, : « Notre Seigneur nous a livré son corps et son sang en ces choses qui de plusieurs ont été fait un ; car, l’une, le pain, est un tout résultant de beaucoup de grains ; et l’autre, le vin, résulte de plusieurs raisins ». Et à cause de cela, le même saint Augustin dit : « O sacrement de la piété !ô signe de l’unité ! ô lien de la charité ! »

On peut résumer la pensée en disant que l’Eucharistie est raison d’unité, d’union et de charité…unité, union : bien symbolisées par la réalité du pain et du vin qui viennent l’un et l’autre de plusieurs grains de blé et de plusieurs raisins. Ainsi parce que l’unité, l’union, la charité ne peuvent être sans la grâce et que l’Eucharistie est raison de cette unité… ce sacrement confère la grâce.

C’est du reste la conclusion même de saint Thomas qui récapitule tout son article dans sa conclusion : « Et parce que le Christ et sa Passion sont cause de la grâce et que la réfection spirituelle et la charité ne peuvent être sans la grâce, de tout ce qui a été dit il est manifeste que ce sacrement confère la grâce ».

Ainsi, le Christ Lui-même, sa Passion, la forme de banquet, le symbolisme de l’aliment et du breuvage tels qu’ils ont été choisis, tout cela prouve et démontre qu’ici la grâce coule à pleins bords.

D’abord c’est le Christ Lui-même qui est ici présent. Tout cela donc qu’Il a accompli dans le monde, quand il est venu dans sa chair visible et sensible, Il veut l’accomplir ici, en chacun de ceux qui le reçoivent et chez qui Il vient dans ce sacrement de son corps et de son sang.

Puis, ce sacrement lui-même, parce qu’il est le sacrement du corps et du sang du Christ à l’état de victime immolée pour nous, tel qu’Il fut au cours de sa Passion et au moment de sa mort rédemptrice, nous livre le Christ sous sa raison même de Sauveur et de Rédempteur, dans l’acte formel de sa rédemption portant au monde la grâce de la réconciliation avec Dieu.

Et il nous livre ainsi le Rédempteur dans l’acte même de sa Rédemption, sous la forme par excellence de son application rédemptrice ; puisqu’Il nous le livre se donnant ainsi Lui-même à nous dans son état de victime immolée, sous la forme de repas, de banquet. Il faudra, certes, que nous ayons déjà la vie de la grâce, quand nous viendrons prendre part à ce banquet. Mais cette vie que nous avions déjà, Il la maintiendra, Il l’augmentera aussi, Il refera, également, ou réparera et restaurera ce que nous pourrions avoir perdu de forces, dans le cours ordinaire de notre vie sur cette terre. Et aussi Il répandra, sur toute notre vie spirituelle, ce quelque chose de délicieux, que, dans un autre ordre, éprouve notre vie corporelle, quand il nous est donné de nous asseoir à une table somptueusement servie - sustentat, auget, reparat, delectat : quelle plénitude en ces quatre verbes. Telles sont les effets de l’Eucharistie.

Enfin la nature, l’origine, la constitution de ce qui est, dans ce sacrement, le symbole de l’aliment et du breuvage servi au chrétien qui y participe, offre à un titre spécial, comme l’a noté saint Augustin, la pensée ou l’évocation de cette charité divine qui est l’épanouissement par excellence de la vie de la grâce, fondant en un, tous les cœurs admis à vivre de la vie même de Dieu au sein de la Trinité Une.

On ne peut pas ne pas cueillir aussi au passage dans la lecture du « ad primum » cette belle phrase de saint Thomas « par ce sacrement la grâce est augmentée et la vie spirituelle perfectionnée afin que l’homme, en lui-même, existe parfait en raison de son union à Dieu, ad hoc quod homo, in seipso, perfectus existat per conjunctionem ad Deum ». Ces mots caractérisent excellemment la grâce qui appartient en propre au sacrement de l’Eucharistie : c’est la grâce de l’union, faisant la conjonction de l’homme à Dieu. Sacramentellement, Dieu est uni à l’homme, au point d’être absorbé par lui : « manducat Deum ». Cette union sacramentelle, si parfaite, si absolue, symbolise et cause l’union spirituelle, que commence la grâce et que consommera la gloire. La communion sacramentelle est vraiment le dernier mot de tout dans l’économie des sacrements en vue de notre vie spirituelle consistant essentiellement dans l’union de l’homme à Dieu.


II- Le temps de la Passion

 

Vous trouverez un très beau sermon de Saint Léon le Grand sur la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ. Vous lirez ce texte avec grand profit pour votre âme. De telles considérations ne peuvent pas ne pas enflammer notre cœur d’amour pour Notre Seigneur, un amour vrai, efficace, vibrant. Là, Saint Léon démontre que notre Seigneur est notre seul Sauveur. Sans Lui, nul salut et donc nulle espérance. Je suis souvent frappé de la physionomie des têtes des gens dans la rue… Je les trouve très souvent sans lumière, sans vie, sans joie, tristes. On sent une tristesse au fond des âmes. Comme si elles étaient sans espérance. La perspective de « l’au-delà », que nous donne le Sauveur, met dans le cœur de la joie qui se reflète sur le visage. Notre Seigneur, est vraiment comme le dit Saint Paul « en nous l’espérance de la gloire ». Grâce à Lui, nous sommes les « héritiers de Dieu ». Cette certitude doit bien avoir quelques incidences sur l’âme ainsi que sur le corps. Nous sommes corps et âme. La tristesse d’un visage montre la tristesse d’une âme. Et la tristesse de l’âme vient d’une absence d’espérance et d’une absence de « quelque chose à admirer » : ici le mystère de notre rédemption. Tout se tient. Certains diront être obligés de « traîner cette chienne de vie ». Ce langage est inconnu du chrétien puis qu’il est régénéré par son baptême pour « une vie en Dieu » par le Christ, grâce au Christ Seigneur, avec le Christ, Sauveur et Rédempteur.

Lisez ! Vous verrez !


1) « Bien-aimés, le Mystère de la Passion que le Seigneur Jésus, Fils de Dieu, a embrassée pour le salut du genre humain et par laquelle, selon sa promesse, il a, une fois élevé, tout attiré à lui, ce mystère a été dévoilé d’une manière si claire et si lumineuse par la parole de l’Evangile que, pour des cœurs religieux et pieux, il n’y a pas de différence entre entendre ce qui vient d’être lu et voir ce qui s’est passé. Aussi, le récit sacré jouissant d’une indubitable autorité, nous devons nous efforcer, avec l’aide du Seigneur, de faire en sorte que l’intelligence ait une vue claire de ce que l’histoire a fait connaître.

Il faut rappeler cette première et universelle ruine causée par l’humaine prévarication, qui fit que « par un seul homme le péché entra dans le monde et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort passa en tous les hommes, du fait que tous ont péché » (Rm 5 12) ; depuis lors, personne ne pouvait échapper à l’effroyable domination du diable, ni personne se libérer des chaînes d’une dure captivité ; nul ne pouvait voir s’ouvrir devant lui soit le pardon pour la réconciliation, soit le retour vers la vie, à moins que le Fils de Dieu, co-éternel et égal à Dieu le Père, ne daignât devenir aussi fils de l’homme et ne vînt « chercher et sauver ce qui était perdu »(Lc 19 10) ; ainsi, comme la mort était venu par Adam, la résurrection des morts viendrait par notre Seigneur Jésus-Christ (1 Cor 15 21). Si en effet, par l’impénétrable jugement de la sagesse de Dieu, le Verbe s’est fait chair (Jn 1 14) dans les derniers jours (1 Jn 2 18 : « Novissima hora est »), il n’en résulte pas que l’enfantement de la Vierge salutaire n’ait profité qu’aux générations de la fin des temps, et ne soit pas propagé aussi aux âges passés. Non, c’est dans cette foi qu’ont vécu et plu à Dieu tous ceux sans exception qui ont autrefois adoré le vrai Dieu, tout l’ensemble des saints des siècles antérieurs, et ni pour les patriarches, ni pour les prophètes, ni pour n’importe quel saint, il n’y a eu de salut et de justification si ce n’est dans la rédemption de notre Seigneur Jésus-Christ : comme celle-ci était attendue parce que promise par de nombreux oracles prophétiques et des signes , ainsi a-t-elle été rendue présente par le don lui-même et par l’accomplissement.


2) Aussi maintenant, bien-aimés, dans tout le déroulement de la Passion du Seigneur, gardons-nous de considérer l’infirmité humaine comme si nous jugions que la puissance divine ait pu y faire défaut : n’imaginons pas davantage cette condition du Fils unique qui le rend co-éternel et égal au Père, comme si nous pensions que ne c’est pas vraiment passé tout ce qui paraît indigne de Dieu. L’une et l’autre nature absolument sont un seul Christ : le Verbe ici n’est pas plus séparé de l’homme que l’homme n’est dissocié du Verbe. L’abaissement ne répugne pas parce que la majesté n’en est pas diminuée. Rien n’a été dommageable à la nature inviolable de ce qu’il fallait que souffrît la nature passible : toute cette action sacrée que consommèrent ensemble et l’humanité et la divinité, fut une dispensation de miséricorde et une œuvre de compassion. Tels étaient, en effet, les liens qui nous tenaient attachés que, sans ce secours, nous ne pouvions être délivrés. L’abaissement de la divinité est donc notre relèvement. C’est à un prix aussi élevé que nous sommes rachetés, c’est à de si grands frais que nous sommes guéris. Quel moyen, en effet, serait donné à l’impiété pour revenir à la justice, à la misère pour retrouver le bonheur, si le juste lui-même ne se penchait vers les impies et le bienheureux vers les misérables ?


3) Ne rougissons donc pas, bien-aimés, de la croix du Christ : elle relève de la force du conseil divin, non de la condition du péché. Car, encore que le Seigneur Jésus ait vraiment souffert et soit vraiment mort en raison de l’infirmité qui est nôtre, il ne se priva pourtant pas de sa gloire au point de ne rien exercer de l’action divine parmi les outrages de la Passion. L’impie Judas, en effet, non plus couvert d’une peau de brebis , mais se dévoilant dans sa fureur de loup (Mt 7 15) inaugura sa violence criminelle sous les apparences de la paix et donna le signal de la trahison par un baiser plus meurtrier que tous les traits ; la multitude furieuse qui, pour se saisir du Seigneur, était accourue se joindre à la cohorte armée des soldats, ne voyait pas, parmi les torches et les lanternes, la vraie lumière, aveuglée qu’elle était par ses propres ténèbres ; le Seigneur, comme l’atteste l’évangéliste Jean, ayant préféré attendre la foule plutôt que la fuir, demande alors à ceux qui ne l’ont pas encore découvert, qui ils cherchent : « c’est moi », dit-il (Jn 185) ; et cette parole, telle la foudre, abattit et renversa cette troupe composée des hommes les plus féroces, en sorte que tous ces gens farouches, menaçants et terribles, reculèrent et tombèrent à la renverse. Où donc était cette conspiration de violence ? Où cette ardeur dans la colère ? Où ce déploiement d’armes ? Le Seigneur dit : « C’est moi » ; et à sa voix la troupe des impies est jetée à terre. Que pourra dès lors sa majesté quand elle viendra juger, si son humilité a pu cela lorsqu’on allait elle-même la juger ?


4) Cependant le Seigneur, sachant ce qui convenait mieux au mystère qu’il avait embrassé, ne persista pas dans cette manifestation de puissance, mais laissa ses persécuteurs retrouver le pouvoir de commettre le crime qu’ils avaient décidé. Car, s’il n’avait pas voulu se laisser prendre, il n’aurait certainement pas été pris. Mais qui d’entre les hommes aurait pu être sauvé, si lui n’avait pas permis qu’on le saisît ? (Mt 26 512) Saint Pierre lui-même, en effet, attaché au Seigneur par une fidélité plus intrépide et brûlant de l’ardeur d’un saint amour pour repousser l’assaut de ceux qui usaient de violence, prit le glaive pour frapper un serviteur du prince des prêtres, et coupa l’oreille de cet homme qui attaquait plus farouchement. Mais le Seigneur ne souffre pas que le bouillant apôtre poursuive son généreux mouvement : il ordonne de rentrer l’épée et ne permet pas qu’on le défende contre les impies par la main et par le fer. Il eût été contraire au mystère de notre rédemption que celui qui était venu mourir pour tous refusât de se laisser prendre : en différant le triomphe de sa glorieuse croix, il eût prolongé la tyrannie du diable et fait durer l’esclavage des hommes. Il donne donc à ceux qui s’acharnent sur lui licence d’exercer leur fureur, sans que pourtant sa divinité dédaigne de se révéler même à eux. La main du Christ remet en place sur la tête défigurée l’oreille du serviteur, déjà morte puisque coupée, et séparée du corps vivant : elle répare ce qu’elle-même avait créé ; et la chair ne tarde pas à suivre le commandement de celui par qui elle avait elle-même été créée.


5) Ces actions ont donc une vertu divine. Mais si le Seigneur a contenu le pouvoir de sa majesté et souffert sur lui la violence du persécuteur, c’est par un effet de cette volonté selon laquelle « Il nous a aimés et s’est livré pour nous » (Eph 5 2) et avec la coopération du Père lui-même, « qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous » (Rm 8 32) Il n’y a, en effet, qu’une volonté du Père et du Fils, comme il n’y a qu’une divinité ; et du résultat d’un tel dessein, nous ne vous devons nul remerciement, ô Juifs, ni non plus à toi, Judas. Votre impiété en vérité a servi à notre salut, sans que vous l’ayez voulu, et par vous s’est réalisé tout ce que « la main de Dieu et son conseil avaient déterminé d’avance ». (Act 4 28). La mort du Christ nous libère donc et vous accuse. A juste titre vous êtes les seuls à ne pas avoir ce qui, par votre volonté, a péri pour tous. Et pourtant si grande est la bonté de notre Rédempteur que vous pourriez vous aussi obtenir le pardon si, en confessant le Christ Fils de Dieu, vous renonciez à cette méchanceté parricide. Car ce n’est pas en vain que, sur la croix, le Seigneur a prié en ces termes : « Père, pardonne-leur, ils ne savent ce qu’ils font ».(Lc 23 34) Un tel remède ne t’aurait pas été refusé même à toi Judas, si tu avais cherché refuge dans une pénitence qui t’aurait ramené au Christ et non poussé au suicide. Car lorsque tu disais : « j’ai péché en livrant un sang innocent » (Mt 27 4), tu persistais dans ta perfidie impie, parce que, au moment du péril suprême de ta mort, tu croyais Jésus non pas Dieu et Fils de Dieu, mais seulement homme de notre condition : de ce Jésus, tu aurais fléchi la clémence, si tu n’avais pas nié la toute-puissance.
Que ces pensées, bien-aimés, suggérées à votre pieuse attention, suffisent pour aujourd’hui, de peur que l’ennui ne s’insinue à la faveur de la prolixité. Ce qui manque encore pour que tout soit complet, nous vous promettons de vous le donner mercredi, le Seigneur aidant : car lui qui nous a donné ce dont nous avons parlé, nous donnera, nous le croyons, de quoi vous parler encore ; par notre Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen. »