A- Les mystères Chrétiens
:
L’Annonciation de la
Vierge Marie.
Méditation IV
La semaine dernière, nous avons
commenté, en suivant l’enseignement de saint Thomas,
les paroles de la salutation angélique. « L’Esprit-Saint
descendra sur vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de
son ombre. C’est pourquoi le fruit saint qui naîtra de
vous sera appelé Fils de Dieu ». (Lc 1 35).
Nous devons maintenant faire quelques considérations sur la
réponse de Notre Dame aux paroles de l’Ange : «
Voici la servante du Seigneur » (Lc 1 38)
La Vierge ayant entendu tout ce que l’ange avait à lui
dire, répondit : « Voici la servante du Seigneur ; qu’il
me soit fait selon votre parole ».
On se souviendra d’abord de la sainte impatience que l’ange
pouvait ressentir à ce moment.
Pour évoquer cette impatience, il est bon de nous rappeler
le très beau texte de Saint Bernard. Il se trouve dans sa quatrième
homélie sur les « louanges de la Vierge Mère ».
C’est certainement un des plus beaux textes de l’Eglise
: « L’ange attend ta réponse : il va être
temps qu’il retourne auprès de Dieu qui l’a envoyé.
Nous aussi, ô Souveraine, nous attendons une parole de compassion.Voici
qu’on t’offre le prix de notre salut : si tu l’acceptes,
nous serons aussitôt délivrés. Nous avons tous
été créés par le Verbe éternel
de Dieu, mais voici que nous mourons ; de ta brève réponse
dépend que nous soyons rappelés à la vie. Telle
est la supplique que t’adresse, Vierge miséricordieuse,
le pitoyable Adam exilé du paradis avec sa malheureuse descendance.
C’est la supplique d’Abraham, de David, de tous les Patriarches,
tes propres ancêtres, qui eux aussi habitent la contrée
ensevelie dans l’ombre de la mort. Le monde entier, prosterné
à tes genoux, se joint à cette prière. Car c’est
à tes lèvres qu’est suspendue la consolation des
misérables, le rachat des captifs, la délivrance des
condamnés, en un mot le salut de tous les fils d’Adam,
de toute ta race. Hâte-toi de donner ta réponse. O Souveraine,
prononce cette parole qu’attendent la terre et les enfers et
les cieux. Le Roi lui-même, le Seigneur, qui a si fort convoité
ta beauté, désire avec la même ardeur ton consentement,
dont il a voulu faire la condition du salut universel. Tu lui as plu
par ton silence, mais maintenant tu lui plairas davantage par ta parole,
et il te crie du haut du ciel : « O toi qui es belle entre les
femme, fais-moi entendre ta voix ». Si tu lui fais entendre
ta voix, il te fera voir notre salut. N’est-ce- pas là
ce que tu cherchais en gémissant, en soupirant, en priant jour
et nuit ? Eh quoi ? Es-tu celle à qui fut adressée la
promesse de notre salut, ou bien devons-nous en attendre une autre
? Non, n’est-ce pas, c’est bien toi, tu es cette femme
promise, attendue, désirée, de qui ton saint ancêtre
Jacob, aux approches de la mort, espérait la vie éternelle,
lorsqu’il disait : « J’attendrai ton salut, Seigneur
». C’est bien en toi et par toi que Dieu, notre roi, a
résolu dès l’origine d’opérer le
salut de la terre. Pourquoi espérerais-tu d’une autre
femme ce qui t’est offert ? Pour quoi attendre que se fasse
par une autre ce qui ne tardera pas à s’accomplir par
toi, pourvu que tu donnes ton consentement et que tu répondes
d’un seul mot ? Réponds bien vite à l’ange,
ou plutôt, par l’ange, au Seigneur. Prononce une parole
et tu recevras la Parole. Profère ta parole et tu concevras
la Parole divine. Emets une parole éphémère et
tu posséderas la Parole éternelle. Pourquoi tarder ?
Pourquoi trembler ? Crois, confie-toi, et accueille. Humble, sache
être audacieuse ; réservée, n’aie pas peur.
Il n’est pas question que ta simplicité virginale renonce
maintenant à son habituelle prudence, mais voici la seule occasion
où tu ne doives pas craindre de te montrer présomptueuse.
La pudeur t’inspirait un louable silence, mais maintenant la
ferveur doit t’inciter à parler. Vierge bienheureuse,
ouvre ton cœur à la foi, tes lèvres au consentement,
ton sein au Créateur. Le désiré de toutes nations
est là qui frappe à ta porte. Oh ! S’il allait
passer son chemin tandis que tu tardes, et s’il te fallait recommencer
à chercher avec angoisse celui que ton cœur aime ! Lève-toi,
cours, ouvre ! Lève-toi par la foi, cours par la dévotion,
ouvre par le consentement. »
Quel beau texte ! Il mérite vraiment quelques instants de recueillement
!
La première vertu qui paraît dans la réponse de
Marie, c’est sa foi. Elle a une haute idée de la toute-puissance
divine ; et elle croit sans hésiter qu’elle peut être
en même temps vierge et mère, selon la parole de l’ange.
La seconde est sa profonde humilité.
On lui propose des grandeurs ineffables, et elle s’appelle la
servante du Seigneur. Elle se regarde par conséquent comme
indigne d’être sa Mère ; et autant qu’elle
le peut, elle se met à la dernière place qui est celle
des servantes.
Sur cette vertu de Notre Dame, l’humilité, Saint Bernard
a encore de bien belles médiations.
Il écrit : « « Voici la servante du Seigneur ».
L’humilité est la compagne habituelle de la grâce
divine, car Dieu résiste aux orgueilleux mais accorde sa faveur
aux humbles. Marie répond donc humblement pour préparer
la demeure de la grâce. Voici la Servante du Seigneur. Elle
est choisie pour mère de Dieu, et elle se nomme sa servante.
C’est la marque d’une bien grande humilité que
de ne pas céder à une telle gloire. Il n’est pas
difficile d’être humble dans l’abjection, mais c’est
une rare vertu que l’humilité parmi les honneurs…Tous
tant que nous sommes, écoutons donc la réponse de celle
qui fut choisie pour être la Mère de Dieu et qui cependant
ne perdit pas son humilité : Voici la servante du Seigneur,
qu’il me soit fait selon votre parole ». Ce fiat est l’expression
d’un désir, et non d’une dernière hésitation.
En disant ces mots, Marie exprime la vivacité de son désir
plutôt qu’elle n’en demande la réalisation,
à la façon de quelqu’un qui garderait des doutes.
Rien n’interdit, toutefois, de voir dans ce fiat une prière.
Car personne ne prie sans être animé par la foi et l’espérance.
Dieu veut que nous lui demandions même les choses qu’il
nous promet. C’est pourquoi, il commence par nous promettre
bien des choses qu’il a résolu de nous donner : la promesse
éveille notre piété, et la prière nous
fait mériter ce que nous allons recevoir gratuitement. C’est
ainsi que le Seigneur, qui veut que tous les hommes soient sauvés,
nous extorque des mérites : en nous prévenant et en
nous donnant ces mérites qu’il récompensera, il
agit gratuitement en nous-mêmes, afin de ne pas nous faire des
dons immérités. La Vierge l’a compris, puisqu’au
présent de la promesse gratuite elle joint le mérite
de la prière : « Qu’il me soit fait selon votre
parole. Que la Parole fasse de moi ce que dit ta parole. Que la Parole
qui dès l’origine était auprès de Dieu
se fasse chair de ma chair selon ta parole. Que s’accomplisse
en moi, je t’en supplie, non pas la parole proférée,
qui est transitoire, mais cette Parole que j’ai conçue
pour qu’elle demeure : celle qui s’est revêtue de
chair et non ce vain souffle. Qu’elle ne soit pas seulement
perceptible à mes oreilles, mais visible à mes yeux,
palpable à mes mains, et que je puisse la porter dans mes bras.
Que ce soit non la parole écrite et muette, mais la Parole
incarnée et vivante : non pas ces signes inertes tracés
sur le parchemin desséché, mais cette Parole à
forme humaine, imprimée, vivante dans mes chastes entrailles
; non pas modelée par une plume sans vie, mais gravée
par l’opération du Saint-Esprit. Que me soit fait ainsi
ce qui jamais n’advint ni n’adviendra à personne.
Dieu jadis, a parlé souvent et de bien des manières
aux patriarches et aux prophètes ; sa parole leur a été
donnée à entendre, à proclamer ou à pratiquer,
par l’oreille, par l’œil, par la main. Quant à
moi je demande qu’elle soit mise dans mes entrailles, selon
ta parole. Je ne souhaite pas la parole proférée de
la prédication ou celle qu’expriment symboles et figures
ou celle qui se communique à l’imagination dans les songes.
J’appelle la Parole insufflée en moi dans le silence,
incarnée dans une personne, corporellement mêlée
à ma chair. Cette Parole n’avait ni la possibilité
ni le besoin d’être faite en elle-même : qu’elle
daigne donc se faire en moi selon ta parole. Quelle se fasse pour
le monde tout entier, mais qu’en particulier, il me soit fait
selon ce que m’a annoncé l’ange ».
C’est aussi très beau ! Que d’action de grâces
doivent monter de nos cœurs e à la lecture de si belles
choses !
La troisième vertu que l’on peut admirer en Notre Dame
est son admirable obéissance. Elle se remet entièrement
entre les mains de Dieu pour l’accomplissement de tout ce que
l’ange lui a dit et de toute autre chose que le Seigneur pourra
lui commander.
Avec le Père Du Pont, concluons notre méditation par
ces mots : « O profondeur de la Sagesse de Dieu ! O miracle
de sa toute-puissance ! Vous seul, Seigneur, êtes l’auteur
de ces merveilles. C’est vous qui nous faites voir avec admiration
dans la même personne une mère et une vierge, une servante
et une reine. C’est vous qui savez allier cette grandeur d’âme
avec cette humilité si profonde. C’est vous enfin qui
rendez l’esprit humain capable de comprendre des choses si au-dessus
de sa portée. »
A la semaine prochaine.
B- Les audiences du Mercredi
de Benoît XVI.
Lors de son audience du mercredi 1 juin
2005, sur la place Saint Pierre, Benoît XVI a donné une
très belle méditation sur l’épître
de Saint Paul aux Philippiens : 2,6-11.
Voici d’abord le texte de Saint Paul : « Quoique qu’il
fût en forme de Dieu, il n’a pas regardé comme
une proie de s’égaler à Dieu ; mais il s’est
anéanti lui-même, en prenant la forme de serviteur, en
devenant semblables aux hommes, et en se montrant sous l’aspect
d’un homme ; il s’est humilié lui-même, se
faisant obéissant jusqu’à la mort, et à
la mort de la croix. C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement
élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus
de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse
dans les cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue
confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire
de Dieu le Père ».
Voici la médiation du pape.
1. Dans chaque célébration dominicale des Vêpres,
la liturgie nous repropose le bref mais intense hymne christologique
de la Lettre aux Philippiens (cf. 2, 6-11). Il s'agit de l'hymne qui
vient de retentir que nous abordons dans sa première partie
(cf. vv. 6-8), dans laquelle se dessine la paradoxale «spoliation»
du Verbe divin, qui dépose sa gloire et assume la condition
humaine.
Le Christ incarné et humilié
par la mort la plus infâme, celle de la crucifixion, est proposé
comme un modèle de vie pour le chrétien. Celui-ci, en
effet, — comme on l'affirme dans ce contexte — doit avoir
«les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus»
(v. 5), des sentiments d'humilité et de dévouement,
de détachement et de générosité.
2. Bien sûr, il possède
la nature divine avec toutes ses prérogatives. Mais cette réalité
transcendante n'est pas interprétée et vécue
à l'enseigne du pouvoir, de la grandeur, de la domination.
Le Christ n'utilise pas le fait d'être égal à
Dieu, sa dignité glorieuse et sa puissance comme un instrument
de triomphe, un signe d'éloignement, une expression d'écrasante
suprématie (cf. v. 6). Au contraire, il «se dépouilla»,
il se vida lui-même, se plongeant sans réserve dans la
misérable et faible condition humaine. La «forme»
(morphè) divine se cache dans le Christ sous la «forme»
(morphè) humaine, c'est-à-dire sous notre réalité
marquée par la souffrance, par la pauvreté, par les
limitations et par la mort (cf. v. 7).
Il ne s'agit donc pas d'un simple revêtement,
d'une apparence changeante, comme on croyait que cela se produisait
pour les divinités de la culture gréco-romaine: la réalité
du Christ est la réalité divine dans une expérience
authentiquement humaine. Dieu n'apparaît pas seulement comme
homme, mais il se fait homme, et devient réellement l'un de
nous. Il devient réellement «Dieu-avec-nous», qui
ne se contente pas de nous regarder d'un œil bienveillant du
trône de sa gloire, mais qui se plonge personnellement dans
l'histoire humaine, devenant «chair»; c'est-à-dire
réalité fragile, conditionnée par le temps et
par l'espace (cf. Jn 1, 14).
3. Ce partage radical et véritable
de la condition humaine, à l'exclusion du péché
(cf. He 4, 15), conduit Jésus jusqu'à la frontière
qui est le signe de notre finitude et de notre caducité, la
mort. Cependant, celle-ci n'est pas le fruit d'un mécanisme
obscur ou d'une fatalité aveugle: elle naît de son libre
choix d'obéissance au dessein de salut du Père (cf.
Ph 2, 8).
L'Apôtre ajoute que la mort vers
laquelle Jésus se dirige est celle sur la croix, c'est-à-dire
la plus dégradante, voulant ainsi être véritablement
le frère de chaque homme et de chaque femme, également
de ceux destinés à une fin atroce et ignominieuse.
Mais, précisément dans
sa passion et dans sa mort, le Christ témoigne de son adhésion
libre et consciente à la volonté du Père, comme
on le lit dans la Lettre aux Hébreux: «Tout fils qu'il
était, il apprit, de ce qu'il souffrit, l'obéissance»
(He 5, 8).
Arrêtons-nous ici dans notre réflexion
sur la première partie de l'hymne christologique, centré
sur l'incarnation et sur la passion rédemptrice. Nous aurons
ensuite l'occasion d'approfondir l'itinéraire successif, l'itinéraire
pascal, qui conduit de la croix à la gloire. L'élément
fondamental de cette première partie de l'hymne me semble être
l'invitation à entrer dans les sentiments de Jésus.
Entrer dans les sentiments de Jésus signifie ne pas considérer
le pouvoir, la richesse, le prestige, comme les valeurs suprêmes
de notre vie, car au fond, elles ne répondent pas à
la soif la plus profonde de notre esprit, mais ouvrir notre cœur
à l'Autre, porter avec l'Autre le poids de notre vie et nous
ouvrir au Père qui est dans les Cieux avec un sentiment d'obéissance
et de confiance, en sachant que précisément dans la
mesure où nous sommes obéissants au Père, nous
serons libres. Entrer dans les sentiments de Jésus: cela devrait
être l'exercice quotidien à vivre en tant que chrétiens.
4. Nous concluons notre réflexion
par un grand témoignage de la tradition orientale, Théodoret
qui fut évêque de Cyr, en Syrie, au Ve siècle:
«L'incarnation de notre Sauveur représente le plus haut
accomplissement de la sollicitude divine pour les hommes. En effet,
ni le ciel ni la terre, ni la mer ni l'air, ni le soleil ni la lune,
ni les astres, ni tout l'univers visible et invisible, créé
par sa seule parole ou plutôt porté à la lumière
par sa parole conformément à sa volonté, n'indiquent
son incommensurable bonté autant que le fait que le Fils unique
de Dieu - celui qui était de condition divine (cf. Ph 2,6),
reflet de sa gloire, empreinte de sa substance (cf. He 1, 3), qui
était au commencement, qui était auprès de Dieu
et était Dieu, à travers qui ont été faites
toutes les choses (cf. Jn 1, 1-3) -, après avoir assumé
la nature de serviteur, apparut sous forme d'homme, en raison de sa
figure humaine fut considéré comme un homme, fut vu
sur la terre, eut des relations avec les hommes, se chargea de nos
infirmités et prit sur lui nos maladies» (Discours sur
la Providence divine, 10: Collection de textes patristiques, LXXV,
Rome 1988, pp. 250-251).
Théodoret de Cyr poursuit sa réflexion
en mettant précisément en lumière le lien subtil
souligné par l'hymne de la Lettre aux Philippiens entre l'incarnation
de Jésus et la rédemption des hommes. «Avec sagesse
et justice, le Créateur travailla pour notre salut. Car il
n'a pas voulu se servir uniquement de sa puissance pour nous offrir
le don de la liberté, ni utiliser uniquement sa miséricorde
contre celui qui a assujetti le genre humain, afin que celui-ci n'accuse
pas la miséricorde d'injustice, mais il a imaginé une
voie riche d'amour pour les hommes et, dans le même temps, empreinte
de justice. En effet, après avoir uni à lui la nature
de l'homme désormais vaincue, il la conduit à la lutte
et la dispose à réparer la défaite, à
battre celui qui autrefois avait injustement remporté la victoire,
à se libérer de la tyrannie de celui qui l'avait cruellement
rendu esclave et à retrouver la liberté originelle»
(ibid; pp. 251-252).
[Texte original : italien – Traduction
réalisée par Zenit]