Du Mystère de l’Incarnation
Méditation
Le mystère de
l’Incarnation sera maintenant, à partir de cette «
paroisse saint Michel » , l’objet de notre méditation.
Dans la « Somme » de Saint Thomas, ce mystère fait
l’objet de la IIIa pars, de la troisième et ultime partie
de la « Somme ».
Il commence par un « prologue » qui retiendra notre attention.
Le Prologue
Voici le texte de ce prologue : «
Parce que notre Sauveur, le Seigneur Jésus-Christ, au témoignage
de l’Ange, en sauvant son peuple de leurs péchés
(Mt 1 21), nous a montré en Lui-même la voie de la vérité,
par laquelle nous puissions, en ressuscitant, parvenir à la
béatitude de l’immortelle vie, il est nécessaire,
pour l’achèvement de toute l’œuvre théologique,
qu’après la considération de la fin dernière
de la vie humaine et des vertus et des vices, suive notre considération
de Sauveur même de tous et des bienfaits octroyés par
lui au genre humain. Et à ce sujet, nous aurons à considérer
: premièrement, le Sauveur Lui-même ; secondement, la
fin de l’immortelle vie, à laquelle par Lui nous parvenons
en ressuscitant. Sur le premier sujet, une double considération
se présente : la première regarde le mystère
même de l’Incarnation, selon que Dieu pour notre salut
s’est fait homme ; la seconde les choses que notre Sauveur Lui-même,
c’est-à-dire Dieu incarné, a faites ou souffertes
».
Dans ce très court mais substantiel
et savoureux prologue, Saint Thomas nous précise ce qui doit
être l’objet de la troisième partie de la «
Somme Théologique ». Il nous en dit le pourquoi.
L’objet d notre méditation
L’objet de cette Troisième
Partie n’est pas autre que le Sauveur même du genre humain,
NSJC selon qu’en Lui se trouve pour nous la voie de la vérité,
par laquelle il nous soit possible de parvenir, en ressuscitant, à
la béatitude de l’immortelle vie. Cette voie de vérité
ou cette route sûre qui seule peut nous permettre d’atteindre
, en ressuscitant d’une résurrection glorieuse, la béatitude
de l’immortelle, c’est une vie de mise en œuvre de
toutes les vertus, à l’exclusion de tous les vices, où
se trouvera pour nous le remède au mal du péché
que nous portons tous, en nous, du seul fait de notre naissance, et
qui, nous vouant à la mort, ne peut être réparé
pleinement que par la puissance victorieuse de la mort elle-même.
Il s’agit donc d’un pouvoir
de reconstitution qui nous assure la vie éternelle en nous
délivrant du péché et de la mort. Ce pouvoir
de reconstitution est attaché à la personne de Celui
que l’ange définissait lui-même, en apportant son
nom du ciel à la terre : le Sauveur de son peuple : «
Celui qui devait sauver son peuple de leurs péchés ».
De là vient que Saint Thomas au début d la Somme théologique
annonçait la troisième partie en ces termes : «
Du Christ, qui, en tant qu’homme, est, pour nous, la voie pour
tendre vers Dieu ».
Le Christ devait être cette voie,
à un double titre : d’abord, parce qu’il devait
nous donner, dans sa Personne, en tant qu’homme, l’exemple
parfait de toutes les vertus ; et ensuite, parce qu’Il devait,
par ses mérites et sa vertu souveraine, nous faire triompher
de tout mal et nous donner d’arriver, avec Lui, en marchant
sur ces traces, à la béatitude de l’immortelle
vie.
C’est l’étude de cette
voie que nous entreprenons maintenant dans le mystère de l’Incarnation.
La « voie de vérité
» ou de vie
Si nous voulons caractériser d’un
mot cette voie de la vérité, nous conduisant au salut,
qui a sa concrétion dans la Personne même de Sauveur,
nous pourrions et devrions dire qu’elle consiste à mourir.
C’est en mourant sur la Croix, que le sauveur Lui-même
est arrivé, dans son corps réel, à la vie glorieuse
de sa résurrection. C’est en Le suivant dans sa mort,
que l’Eglise, son corps mystique, doit parvenir, elle aussi,
à la même résurrection glorieuse
C’est donc bien la voie de la vérité ou la loi
de la vie, que nous allons étudier maintenant en étudiant
ce qui a trait au Sauveur des hommes et aux biens octroyés
par Lui au genre humain.
Or nous verrons bientôt, et saint
Thomas nous en avertit déjà dans son Prologue, cette
voie de la vérité ou de la vie réalisant dans
toute sa perfection le retour à Dieu de l’homme venu
de Dieu, ne sera pas et ne devait pas être une autre voie que
Dieu Lui-même fait homme pour ramener l’homme à
Lui. Nous allons donc maintenant étudier cette œuvre nouvelle
de Dieu, qui est l’œuvre de notre salut par les mystères
accomplis dans sa Personne
Saint Thomas va étudier le mystère
même de l’Incarnation, selon que Dieu pour notre salut
s’est fait homme. C’est l’étude du Rédempteur,
considéré en Lui-même. Puis il étudie ce
que notre Sauveur, ou le Dieu incarné, a fait et souffert parmi
nous . C’est la Rédemption
Nous allons donc nous occuper du Rédempteur ou de notre Sauveur
dans le mystère de l’Incarnation.
Et sur ce sujet, trois choses se présentent
à l’étude : premièrement la convenance
de l’Incarnation elle-même ; secondement, le mode de cette
union du Verbe incarné ; troisièmement, les choses qui
sont la suite de cette union.
Le fait de l’Incarnation
On remarquera que Saint Thomas ne se
préoccupe pas d’établir le fait de l’Incarnation,
il le suppose. Ce fait appartient par excellence aux données
de la foi. La raison théologique part de ces données
et en cherche le sens. Acceptant le Credo de l’Eglise catholique,
il applique sa puissante raison à nous en faire entendre les
belles harmonies
Nous ne nous attarderons pas à
établir le fait de l’Incarnation. Nous le recevons de
l’Evangile.
Cependant nous allons reproduire ici son très court chapitre
de la « Somme contre les Gentils » où saint Thomas
donne en quelques mots, le résumé le plus serré
et le plus probant des raisons d’ordre positif qui établissent
ce mystère. C’est le chapitre 27 du livre 4.
Le voici dans sa concision.
« Le mystère de l’Incarnation
est celui qui, parmi toutes les œuvres divines, dépasse
le plus la raison ; car il ne peut être rien conçu de
plus merveilleux, accompli par Dieu, que le vrai Dieu, Fils de Dieu,
se fit vrai homme. Et, parce que , parmi tout le reste, ce fait est
le plus merveilleux, il s’ensuit qu’à la foi de
ce fait si merveilleux sont ordonnées toutes les autres merveilles
» ou tous les autres miracles dans l’œuvre de Dieu
; « ce qui est le premier, en tout genre, étant la cause
et la raison de tout ce qui suit.
« Or c’est sur l’autorité divine, nous la
livrant, que nous confessons cette merveilleuse Incantation de Dieu.
Il est dit, en effet : « Et le Verbe s’est fait chair
; et il a habité parmi nous » (Jn 1 15) et l’Apôtre
dit parlant du Fils de Dieu : « Alors qu’Il était
dans la forme de Dieu, Il n’a pas considéré comme
une chose à retenir jalousement d’être l’égal
de Dieu ; mais Il s’est anéanti Lui-même, prenant
la forme de l’esclave, devenu semblable aux hommes, et tenu
extérieurement pour homme » (Ph 2 6-7) La même
chose est aussi montrée manifestement par les paroles du Seigneur
Jésus-Christ Lui-même, alors que parfois Il dit de Lui
des choses humbles et humaines comme est cette parole : « Le
Père est plus grand que moi » (Jn 14 28) ; et, «
Mon âme est triste à mourir » (Mt 26 38) qui lui
conviennent selon la nature humaine qu’Il a prise ; et d’autres
fois, des choses sublimes et divines, comme cette parole : «
Moi et le Père sommes un »(Jn 10 30), et : « Toutes
choses qu’a le Père sont à moi » (Jn 16
15), qu’il est certain qu’elles lui conviennent selon
la nature divine. La même chose est montrée aussi par
les faits du Seigneur Lui-même que nous lisons de Lui. Car le
fait qu’il a éprouvé la crainte, qu’il a
été triste, qu’il a eu faim, qu’il est mort,
tout cela appartient à la nature humaine ; et le fait que par
sa propre puissance, Il a guéri les infirmes, qu’Il a
ressuscité les morts et commandé efficacement aux éléments
du monde, qu’il a chassé les démons, qu’Il
est ressuscité des morts quand Il l’a voulu et qu’enfin
Il est monté aux cieux, tout cela démontre en Lui la
vertu divine ».
Ces faits que vient d’évoquer
Saint Thomas, l’Evangile en est plein ; les textes qu’il
a cités sont tout ce qu’il y a de plus inéluctable
; et soit ces faits soit ces textes , tout cela proclame qu’au
milieu des temps et en plein soleil de l’histoire a paru sur
notre terre un Personnage unique dont il faut dire , sous peine de
nier l’évidence, qu’Il a été ensemble
vrai Dieu et vrai homme.
Cette présentation faite, commençons
sans attendre notre méditation.
Et tout d’abord abordons la problème
de la convenance de l’Incarnation. C’est la Question Ier
Question I :de la convenance
de l’Incarnation
Article 1 : « S’il était
convenable que Dieu s’incarne » ?
Dans le corps de l’article saint
Thomas fixe tout de suite notre attention sur ce mot convenir, qui
est le mot essentiel de cet article.
Il est question de déterminer si c’est une chose qui
convient à Dieu, de s’unir la chair qui est le propre
de la nature humaine.
Saint Thomas formule ce principe inéluctable
-c’est même la définition de mot convenir - que
« cela convient à tout être, quel qu’il soit,
qui appartient à cet être selon la raison de sa propre
nature : c’est ainsi que c’est chose qui convient à
l’homme de raisonner, parce que cela lui revient en tant qu’il
est raisonnable de sa nature ». et qu’en effet, l’être,
dont la nature a pour caractère propre et distinctif d’être
raisonnable ou de pouvoir raisonner, raisonne, quoi de plus convenable
à cet être ou de plus en harmonie avec lui.
Tout cela est évident.
« Or la nature de Dieu est la bonté
»
« Il s’ensuit que tout ce
qui appartient à la raison de bien » ou de bonté
« convient à Dieu » et lui convient au plus haut
point.
« D’autre part il appartient
à la raison de bien qu’il se communique aux autres »
; car le propre de ce qui est bon est de se communiquer. De même
qu’il appartient au soleil d’éclairer, de même
il appartient à ce qui a l’être dans sa pleine
et parfaite mesure, ce qui est le propre de l’être qui
est bon, de communiquer autour de soi ou de faire rayonner cet être
dont il a la plénitude.
« D’où il suit qu’à
la raison du Bien souverain il appartient qu’Il se communique
d’une manière souveraine à la créature
: chose qu’il se fait au plus haut point par cela qu’Il
s’unit une nature créée de telle sorte qu’une
seule Personne soit constituée de trois choses : le Verbe,
l’âme et la chair. Et donc il est manifeste qu’il
a été convenable que Dieu s’incarne ».
Rien n’était plus en harmonie
avec ce qui constitue l’essence même de Dieu, savoir la
raison même de Bonté, que de se communiquer à
sa créature à ce degré souverain qu’Il
prend cette créature en sa propre Personne et que par suite
Lui-même devient elle.
Ainsi si quelque chose fait éclater
l’infinie excellence de la bonté de Dieu, c’est
bien qu’Il ait conçu et réalisé cet excès
d’amour et de miséricorde ou de compassion de s’unir
notre chair pour notre salut. « Conveniens tamen fuit Deo, secundum
infinitam excellentiam bonitatis eius, ut sibi eam uniret pro salute
humana », dit saint Thomas.
Ainsi que Dieu se soit incarné,
c’est un fait que la foi nous révèle.
Ce fait implique évidemment un
rapport nouveau de Dieu à la créature : Dieu s’est
fait chair. Il semblerait, il est vrai, au premier abord, que les
deux termes unis dans cette proposition s’opposent irréductiblement
et que par suite la raison ne saurait l’accepter. Il n’en
est rien.
Outre que ce que la foi nous dit est
de tout point convenable et harmonieux -c’est une raison supérieure
- il y a encore que nous pouvons donner une raison immédiate
et tout à fait propre qui montre en pleine lumière,
la parfaite convenance du rapport inclus dans la proposition que la
foi nous affirme. C’est qu’en effet ce rapport marque
essentiellement une communication de Dieu à la créature
et même sa communication la plus haute et la plus excellente
; puisqu’il nous montre Dieu, prenant, pour se l’unir
personnellement, ce qu’il y a de plus éloigné
de Lui dans son œuvre. Cette communication est évidemment
un acte de bonté, et un acte de bonté infinie. Or Dieu
est essentiellement la Bonté même. Il s’ensuit
que rien ne pouvait être plus en harmonie avec ce qui lui convient
le plus en propre, que de s’unir, comme il l’a fait, à
sa créature, en prenant une chair semblable à la notre
dans le mystère de son Incarnation.
Merveilleuse affirmation de saint Thomas
l’Incarnation est une mystère où éclate
la bonté de Dieu.
Ce que confirme l’Ecriture Sainte
qui, en saint Jean, déclare : « Dieu a tellement aimé
le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque
croit en Lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle
».(Jn 3 16)
Dieu, par le mystère de son Incarnation
a daigné communiquer à sa créature, dans la nature
humaine qu’Il s’est unie, ce degré souverain de
dignité et de gloire, qu’elle est à Lui, qu’elle
est sienne, qu’IL est en elle, qu’Il est elle, qu’en
l’ayant, elle, c’est Lui que nous avons, Il s’est
fait chair ! Il est chair désormais et pour toujours
C’est le témoignage suprême
de sa bonté, de son amour ; alors, surtout qu’Il l’a
fait pour la réparation ou la restauration et le salut du genre
humain perdu par le péché.
J’adore et j’aime contempler
ce mystère.