Paroisse catholique Saint Michel

Dirigée par

 Monsieur l'abbé Paul Aulagnier

 

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Du 24 au 30 avril 2005

Quatriéme dimanche après Pâques

 

Sommaire

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Méditation (III)


Nous avons terminé, la semaine dernière, notre méditation sur le mystère de l’Incarnation par ces mots du Père Pègues : « que Dieu se soit revêtu de notre nature dans la Personne du Fils et qu’Il soit venu sur notre terre pour opérer notre salut est l’acte suprême de sa miséricorde et de son infinie bonté. Il n’y était aucunement tenu, même à supposer qu’Il voulût relever le genre humain après sa chute ; car Il pouvait de bien d’autres manières pourvoir à notre salut. Toutefois, il n’était rien qui fût plus en harmonie avec une telle fin. Par là, en effet, Il se donnait à Lui-même une satisfaction proportionnée à la grandeur de l’offense, et Il rouvrait à l’homme, de la manière la plus avantageuse pour lui, soit dans l’ordre du bien à promouvoir, soit dans l’ordre du mal à écarter, le chemin de la béatitude. On doit même dire qu’à supposer que Dieu voulût réparer le genre humain avec toute la perfection que nous venons de préciser, son Incarnation devenait une nécessité, aucun autre moyen, en dehors d’elle, ne pouvant réaliser une telle fin » ( T. 15. p, 30)

C’est là, une magnifique synthèse de l’article 2 de la Question 1 de la IIIème partie de la Somme de Saint Thomas que nous venons d’étudier.

Mais, avec saint Thomas, il faut aller plus avant et se poser la question du « motif » de l’Incarnation.

En effet si la réparation du genre humain pouvait motiver ainsi l’Incarnation, et si elle l’a motivée en effet, devons-nous entendre cela d’une façon absolue et exclusive en ce sens que l’Incarnation n’a été résolue par Dieu que pour la réparation du genre humain, de telle sorte que si l’homme n’avait point péché, Dieu ne se serait pas incarné. C’est la question qu’aborde saint Thomas et qu’il va résoudre à l’article suivant :

Article III : « Si, dans le cas où l’homme n’aurait point péché, Dieu se serait néanmoins incarné ? »

Cette question fut beaucoup « débattue ».

Saint Thomas nous en avertit dès le début de son article : « D’aucuns, sur la question actuelle, ont pensé diversement » - « Aliqui, circa hoc diversimode opinantur ».

« Il en est, en effet, qui disent que même si l’homme n’avait point péché, le Fils de Dieu se serait incarné » -« Quidam enim dicunt quod, etiam si homo non peccasset, Dei Filius fuisset incarnatus »

C’est de fait plutôt l’avis des franciscains avec Saint Bonaventure. Et ils y tiennent !

« D’autres, ajoute saint Thomas, affirment le contraire ». Et il précise qu’il lui semble qu’il faut plutôt se ranger de leur avis ». –« Alii vero contrarium asserunt. Quorum assertioni magis assentiendum videtur ».

Voilà son argument : « C’est qu’en effet, les choses qui proviennent de la seule volonté de Dieu, au dessus de tout droit de la créature, ne peuvent nous être connues si ce n’est dans la mesure où nous les livre l’Ecriture-Sainte, par laquelle nous est connue la volonté divine.

Puis donc que dans l’Ecriture-Sainte, partout, la raison de l’Incarnation est assignée du côté du péché du premier homme, il est plus à propos de dire que l’œuvre de l’Incarnation a été ordonnée par Dieu comme remède du péché, de telle sorte que le péché n’existant pas, l’Incarnation n’aurait pas eu lieu. Et toutefois, la puissance ne se limite pas à cela ; car Dieu aurait pu s’incarner alors même que le péché n’eut pas existé ».

Ces derniers mots ont leur importance. Ils nous montrent la portée exacte de l’affirmation de saint Thomas.

Pour lui, il ne s’agit nullement de limiter la puissance de Dieu et de dire que seul le péché pouvait motiver l’Incarnation. Dieu aurait pu s’incarner, même si l’homme était resté dans l’état d’innocence et qu’il n’eût pas eu besoin de rédemption... mais en réalité, Dieu avait-il résolu de le faire ? ou bien n’est-ce qu’en raison de la chute de l’homme et pour réparer cette chute qu’Il a résolu l’Incarnation dans la Personne de son Fils ?

Toute la question est là.

Or la question ainsi posée, il ne nous appartient pas de la résoudre par des considérations « a priori » ou des raisons de convenance. Nous ne pouvons la résoudre que par la considération du fait lui-même et de ses circonstances telles que Dieu nous les a révélées dans son Ecriture.

Et précisément, tout, dans le fait lui-même, nous montre qu’il est en dépendance du péché du premier homme.

Il n’en est question, dans l’Ecriture, qu’après le péché du premier homme ; et toutes les fois qu’il en est question, après ce péché, c’est-à-dire dans toute la suite de l’Ecriture-Sainte, il n’en est question qu’à titre de témoignage suprême de l’amour de Dieu à l’endroit de l’homme ou aussi de divin stratagème pour ruiner l’œuvre du péché et confondre Satan qui avait pensé ruiner lui-même à tout jamais l’œuvre de Dieu. Voilà, tel qu’il apparaît, dans toute l’Ecriture, le secret de l’Incarnation ; voilà son économie divine. Ce qui nous reste à dire, dans cette méditation de l’Incarnation touchant le moment de l’Incarnation, ne fera que confirmer cette conclusion. Et tout ce que nous verrons au sujet de la réalisation de ce mystère, à commencer par le mode même dont le Fils de Dieu est venu parmi nous, en naissant tout petit enfant, d’une mère pauvre, puis, par le développement de sa vie au milieu de nous, dans des conditions si humbles, si effacées, jusqu’au jour de sa manifestation, tout proclame que dans la pensée de Dieu l’Incarnation est commandée par le dessein et la volonté de réparer divinement les ruines du péché. Il n’est pas jusqu’au nom de Jésus (Sauveur), qui ne témoigne de la même vérité. Et toute la liturgie de l’Eglise en fait foi. Qu’il suffise de rappeler l’ « O felix culpa » ou encore le mot de la préface pour le temps de la passion : « ut qui in ligno vincebat, in ligno quoque vinceratur » : il fallait que celui qui avait triomphé sur l’arbre du paradis terrestre fût vaincu sur l’arbre de la Croix. C’est pour avoir cette victoire et couvrir ainsi de confusion son ennemi que Dieu s’est résolu à l’Incarnation de son Fils ; ou encore, nous l’avons dit aussi, pour donner à l’homme perdu la marque par excellence de son amour : « Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suum unigénitum daret, ut omnis qui credit in eum non pereat sed habeat vitam aeternam » (Jn 3 16)

La conclusion de saint Thomas est donc que l’opinion qu’il vient d’exposer doit être préférée à l’autre. Tout en réservant tous les droits de la puissance de Dieu, il laisse entendre que l’opinion adverse demeure sans fondement, rien dans l’Ecriture ne nous permettant d’affirmer qu’en fait Dieu eût incarné son Fils, si l’homme n’avait pas eu besoin de rédemption. C’est à cette conclusion que nous devons nous arrêter. Nous devons dire purement et simplement comme l’Eglise le chante dans son Credo, que c’est « pour nous les hommes, et pour notre salut, que le Fils unique de Dieu est descendu du ciel, a pris chair, par l’action de l’Esprit-Saint, de la Vierge Marie et s’est fait homme : « qui propter nos homines et propter nostram salutem descendit de coelis et incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria Virgine et homo factus est ».

L’Incarnation ainsi comprise apparaît d’ailleurs bien plus belle. L’amour de Dieu y éclate plus magnifique ; puisque c’est en raison de notre misère et à l’effet d’y remédier qu’il s’est porté à cet excès de se faire l’un de nous, s’anéantissant Lui-même, comme parle Saint Paul, prenant la forme ou la nature de l’esclave, devenu semblable aux hommes et tenu extérieurement pour un homme, sans cesser d’être Dieu et d’avoir droit à tous les honneurs divins (Ph 2 6-7). Dans son premier plan, Dieu avait conçu son œuvre et l’avait réalisée avec une perfection qui dépassait déjà à l’infini les exigences de la nature, puisque l’ange et l’homme y étaient élevés à l’état surnaturel. Mais cette perfection, quelque grande qu’elle fût, devait être dépassée dans des proportions sans limites par l’œuvre de la restauration où prendrait place le Dieu-Homme, qui concentrerait en Lui, désormais, pour les porter à la plus haute puissance, toutes les splendeurs et toutes les merveilles de la création.

Retenons pour notre méditation cette « opinion » thomiste, - oh combien justifiée - : c’est en raison du péché et pour réparer les ruines causées par ce péché que Dieu s’est incarné.

Là aussi, je ne peux, en contemplant ce mystère, qu’adorer et chanter la gloire de Dieu. Et si les hommes n’adorent pas ce Dieu d’amour, c’est plus par ignorance et légèreté, se laissant passionner par les choses qui fuient, que par méchanceté.