A- De l’annonciation
de la bienheureuse Vierge Marie
Après avoir médité, depuis plusieurs
semaines, sur le temps de l’Incarnation, sur le temps que Dieu
a choisi pour la réalisation du Mystère de l’Incarnation,
il nous faut méditer maintenant le mystère de l’Annonciation.
Nous le ferons en méditant
d’abord l’Evangile. Nous utiliserons le commentaire de
Dom Delatte « L’Evangile de Notre Seigneur Jésus-Christ,
le Fils de Dieu ». Puis, nous suivrons, comme toujours, ici,
les commentaires de Saint Thomas , dans la Somme Théologique.
1- De l’annonciation
: Luc 1 26-37
Vous connaissez le récit. Veuillez le prendre
pour suivre le commentaire de Dom Delatte.
« Lc 1 26. Or au sixième
mois, l’ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville
de la Galilée, Nazareth, à une vierge, épouse
d’un homme appelé Joseph, de la maison de David ; le
nom de la vierge était Marie. Et ayant pénétré
près d’elle, l’ange dit : « Je vous salue
pleine de grâce ; le Seigneur est avec vous ; vous êtes
bénie entre les femmes. Elle, ayant entendu ces paroles fut
troublée et se demanda ce que pouvait signifier une telle salutation…
»
Commentaire de Dom Delatte
« La scène est à
Nazareth, dans la Galilée. Une humble maison. Un ménage
humble et pauvre : un artisan, son épouse vierge. Regardons.
Là nous pouvons tout apprendre. Nazareth est l’école
par excellence. Nous voyons le milieu et l’atmosphère
où s’accomplissent les œuvres de Dieu : l’humilité,
la pauvreté, la solitude, la pureté, l’obéissance.
Ce même archange Gabriel envoyé, dans l’Ancien
Testament, pour renseigner Daniel sur le mystère des semaines
d’années et la date de l’avènement du Messie,
député à Zacharie pour lui apprendre que l’heure
est proche, est maintenant envoyé de Dieu dans une ville de
la Galilée, Nazareth, à une vierge du nom de Marie,
épouse de Joseph, un rejeton de la famille de David.
Et ayant pénétré près d’elle, il
dit : « Je vous salue, pleine de grâce… »
Ce n’est pas avec des paroles qu’il faut commencer. Aussi
bien, les termes sacrés sont pleins, riches de signification
profonde. C’est vraiment la joie qui est annoncée au
monde , et depuis cette heure-là, il n’y a plus que du
bonheur pour ceux qui acceptent l’Incarnation. Cette créature
surnaturelle qui s’éveille à la parole de l’ange,
suffit à l’allégresse du temps et à celle
de l’éternité. Le terme grec par « gratia
plena », signifie une plénitude de grâce reçue
par Notre Dame. Et comme la grâce est la dot de l’âme
et la condition de son union à Dieu, celle qui est pleine de
grâce est pleinement à Dieu, pleinement avec Dieu ; elle
est sainte non seulement par ses privilèges, mais par ses vertus.
« le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre
les femmes ».
L’ange ne dit rien de plus. La salutations était plus
large que toutes celles adressées dans l’Ancien Testament,
l’attitude de l’ange infiniment respectueuse, la Vierge
infiniment humble. Joignons ensemble tous ces éléments
et nous aurons la raison de la prudente réserve de Notre Dame.
Lorsque l’on remarque qu’elle fut troublée à
ces paroles de l’ange, cela veut dire qu’elle demeure
indécise sur ce qu’elle devait répondre. Et, gardant
le silence, elle recherchait, à part elle, ce que pouvait signifier
une telle salutation. Encore une fois, elle est humble, elle est prudente
: l’ange l’a abordée comme une reine, mais il n’a
encore rien dit de son message divin
En face de ce silence, qui contenait une interrogation muette, Gabriel
reprit la parole. Le « ne timeas » n’a pas pour
dessein de bannir une crainte proprement dite mais seulement d’exclure
même le trouble et l’indécision que nous venons
de décrire. Cette fois Notre-Dame est appelée par son
nom : « Ne craigniez point, Marie, car vous avez trouvé
grâce devant Dieu. » La faveur de Dieu, la tendresse de
Dieu qui est souveraine, qui est gracieuse, qui est active, s’est
reposée sur elle. La même expression a été
employée au sujet de Noé, qui bâtit l’arche
du salut ; Noé trouva grâce devant le Seigneur (Gen 6
8). Mais il s’agit aujourd’hui d’une faveur plus
haute, d’une arche plus sainte, d’un salut plus complet.
La Sainte Vierge connaissait les Ecritures ; elle avait lu et médité,
au chapitre 7 d’Isaïe, les mots mêmes que l’ange
emploie maintenant. « Voici que la Vierge concevra et enfantera
un Fils, et on l’appellera Emmanuel ». Voici, dit l’ange,
que « vous concevrez dans votre sein et que vous enfanterez
un Fils, et vous l’appellerez Jésus ». Le parallélisme
était flagrant. Emmanuel, « Dieu avec nous », c’était
l’équivalent de Jésus, « Dieu sauveur ».
Observons par quels traits l’ange
dessine la mission du Fils de la Vierge. Il sera grand : il sera appelé,
parce qu’il sera réellement, Fils du Très Haut.
L’ange ne dit pas : le Fils du Très Haut. Ses paroles
semblent calculées pour marquer une relation intime avec Dieu,
sans exprimer encore nettement la filiation divine et la seconde personne
de la très Sainte Trinité. Le Seigneur Dieu lui donnera
le trône de David, son père. Il régnera pour les
siècles sur la maison de Jacob, et son règne n’aura
pas de fin. Remarquons les termes et l’étendue de la
prophétie. C’est chose extraordinaire que cet enfant
qui n’est pas né encore, soit promis à sa Mère
comme un roi et comme un roi éternel, en dépit de l’humiliation
à laquelle était réduit, à cet époque,
le peuple juif tout entier. Peut-être avons nous le droit de
remarquer aussi que cette prophétie s’est accomplie,
qu’elle s’accomplit chaque jour encore, qu’elle
est partiellement inachevée, et que le temps ne dure que pour
lui donner le loisir de sa pleine réalisation.
Il semble que Notre-Dame, même
avant la salutation angélique, aurait dû se reconnaître
comme prédestinée à devenir la Mère de
Dieu. Elle connaissait admirablement les Livres Saints ; elle était
pleine de grâce ; elle savait que les temps étaient venus
; elle était de la famille de David ; le Messie devait naître
d’une vierge ; or il lui avait été inspiré
de vouer la première, sa virginité à Dieu. Tous
les indices semblaient donc réunis. Comment ne s’est-elle
pas demandé : « Mais n’est-ce pas de moi qu’il
est question ? » Elle ne se l’est pas demandé.
Les humbles s’ignorent. Peut-être avait-elle souhaité
seulement d’être la servante de la Mère du Messie.
Et la salutation de l’ange, si claire pour nous après
l’événement, ne fit pas sortir la Vierge de cette
divine ignorance d’elle-même. Après tout, il y
avait moyen d’interpréter les paroles angéliques
de manière à demeurer en deçà d’une
grandeur à laquelle elle n’avait jamais songé.
Aussi longtemps qu’il demeurait une imprécision, une
part d’obscurité dans le message divin, ce serait une
retraite, un abri où se réfugierait l’humilité
de la Vierge. Y a-t-il au monde un spectacle plus beau que celui-là
? Dieu qui y était attentif , dut s’y complaire. Nous
aussi, perdons-nous dans cette splendeur. Voici comment on pourrait
traduire cet incomparable malentendu : « Dieu, par l’ange,
me promet un fils. Il sera glorieux. Mais puisque l’ange n’a
pas dit formellement qu’il est le Messie, qu’il est le
Fils de Dieu, ce sera un roi comme les autres, un homme comme les
autres. Il naîtra d’une femme, non d’une Vierge.
Or j’ai voué à Dieu mon corps et mon âme
; mon mariage n’est qu’un voile, et mon époux le
gardien prédestiné de ma virginité. Comment donc
pourra s’accomplir la promesse angélique, puisque j’ai
fait vœu de n’être à aucun homme ? «
Quomodo fiet istud, quoniam virum non cognoxco”?
Dans la réponse de l’ange, nous entendons la réponse
de Dieu. Le Fils qui sera donné à Marie, ne sera pas
le fruit d’un commerce humain : le vœu de virginité
demeurera donc sauf. « C’est l’Esprit de Dieu, l’Esprit
Saint, qui descendra sur vous ; c’est la force du Très-haut
qui vous couvrira de son ombre. » Le texte grec est susceptible
de plusieurs interprétations. La vertu de Dieu, c’est-à-dire
le Fils de Dieu, vous demandera son voile, sa nature humaine, l’ombre
dont il s’enveloppera pour se rendre visible aux regards humains
; la vertu de Dieu, le Fils de Dieu entrera en vous, comme on entre
dans sa demeure ; il se reposera à l’ombre de votre sein
; il sera, par vous, Dieu avec nous, Emmanuel, beaucoup plus vraiment
que dans le Saint des Saints et à l’ombre des grands
chérubins qui étendent leurs ailes sur le propitiatoire
; une troisième interprétation, celle qui est commune
et préférable, semble-t-il, reconnaît qu’il
est question encore du Saint-Esprit, comme dans la première
partie du verset ; nous aurions affaire à un cas de parallélisme
synthétique et d’équivalence entre « Spiritus
Sanctus superveniet in te » et « Virtus Altissimi obumbrabit
tibi ». Par deux fois, l’ange a voulu signifier la pureté
virginale de la conception promise. Ce n’est point l’homme,
c’est Dieu seul, c’est la sainteté et la pureté
de Dieu qui interviendra. « Espri-Saint » et « Vertu
du Très-haut » indiquent tous deux une même réalité
: Dieu dans sa sainteté et son pouvoir infini, en un mot l’élément
actif de cette création surnaturelle. Les paroles qui suivent
et que nous traduisons d’après le grec, marquent le résultat,
le fruit béni de cette action : « C’est pourquoi
l’enfant qui doit naître sera appelé Saint et le
Fils de Dieu ». Le Fils de Dieu prendra, grâce à
Notre Dame, sa place dans la création, sa place, la première
et l’unique dans la famille humaine : « Ut sit ipse primogenitus
in multis fratribus (Rm 8 29)
Il y a une grande différence
entre l’accueil fait par Zacharie au message angélique
: « Comment saurai-je qu’il en sera ainsi ? » et
celui de la sainte Vierge : « Comment cela se fera-t-il ? »
Aucune doute n’effleure l’âme de notre Dame ; elle
demande seulement à l’ange comment, dans sa vie, se pourront
concilier deux devoirs : celui de l’obéissance et celui
de son vœu. Néanmoins, nous remarquerons que Dieu use,
dans l’un et l’autre cas, du même procédé.
Il traite sa créature avec respect ; il lui donne un signe,
c’est-à-dire une preuve de ses dires et une garantie
de la foi qu’il réclame. Ainsi, ses témoignages
sont croyables à l’infini : « Testimonia tua credibili
facta sunt nimis ». Ce signe, la Sainte Vierge ne le sollicitait
pas : il lui fut gracieusement accordé. Pour obtenir son consentement
l’ange en appelle à une autre conception miraculeuse
: Votre parente Elisabeth, elle aussi, a conçu un fils dans
sa vieillesse ; depuis six mois déjà elle le porte en
son sein, elle, la stérile. Car nulle parole prononcée
par Dieu, nulle promesse sortie de ses lèvres ne sera jamais
trahie, ni démentie, ni inexécutée.
Il y avait un intérêt
extrême, pour l’humanité et pour Dieu même,
à ce que la Sainte Vierge donnât son adhésion
au mystère. Lorsqu’il s’agit d’union et de
mariage, il doit y avoir un consentement libre des deux parties. L’union
hypostatique n’échappe pas à cette loi. C’est
une union ; ce n’est pas une conquête, ni une contrainte,
une sorte de mainmise violente d’un des contractants. Dieu,
nous l’avons dit traite sa créature avec égards.
Or, ce consentement indispensable à l’Incarnation, Dieu
ne pouvait le demander ni à la portion de l’humanité
qui avait précédé et qui n’existait plus
; ni à la portion qui existait alors et qu’on ne pouvait
plébisciter pour savoir si elle consentait à l’union
divine ; ni à la portion future de l’humanité.
On ne pouvait non plus consulter la nature humaine individuelle que
devait revêtir le Verbe : elle n’existait pas encore,
et c’était précisément en vue de son existence
que le consentement était sollicité. Voilà donc
les destinées du monde suspendues aux lèvres et au cœur
de Notre-Dame. Entendons l’Eglise, dans sa liturgie, la supplier
de consentir à Dieu : « Suscipe Vervum, Virgo Maria quod
tibi a Domino per angelum transmissum est… ». Monde crée
et monde incréé, tous les deux sont anxieux, attentifs,
épiant la réponse de la Vierge, qui, pour tous deux,
sera décisive. Ce n’est pas un rêve arbitraire,
mais la doctrine de saint Thomas d’Aquin : « L’annonciation,
dit-il, était convenable : ut ostenderetur esse quoddam spirituale
matrimonium inter Filium Dei et humanam naturam ; et ideo per Annuntiationem
exspectabatur consensus Virginis, loco totius humanae naturae »
( III 30 1) (« pour que fût montré qu’il
y avait un certain mariage spirituel entre le Fils de Dieu et la nature
humaine. Et c’est pourquoi par l’Annonciation était
attendu le consentement de la Vierge en lieu et place de toute la
nature humaine »). La Sainte Vierge n’ignorait pas ce
que devait impliquer pour elle la maternité divine. Dieu n’a
pas surpris sa mère. Elle savait, par l’Ecriture, sur
quelles épées nues son cœur serait traîné.
C’est pleinement consciente qu’elle adhère au vouloir
du Seigneur.
La condition faite à Notre Dame par l’Incarnation entraîne
deux conséquences, qu’il nous suffira d’indiquer
ici. La première, c’est que jamais fils n’a été
le bien de sa mère autant que le Seigneur l’a été
de Marie. La virginité de notre Dame attache son Fils à
elle toute seule, à elle exclusivement, comme le fruit de sa
pureté ; il est le Fils de sa chair et de sa volonté
; à lui elle a vraiment tout donné. Mais comment osons-nous
parler de tels mystères ? Il nous faudrait pourtant ajouter
encore que l’heure même de l’Incarnation, Notre-Dame
a concentré et ramassé en elle l’humanité
entière ; que son âme a comme embrassé et enveloppé
tout ce que nous sommes ; et qu’à l’exemple de
son Fils, à raison du même acquiescement qui lui a été
demandé par Dieu, nous sommes à elle comme nous ne sommes
à personne. Elle est la Mère de tous les vivants, la
nouvelle Eve. Comment peut-il demeurer une tristesse sur terre, depuis
que l’éternité elle-même s’est inclinée,
que les cieux se sont abaissés, que l’ange est venu au
nom de Dieu, et que Notre Dame et notre Mère lui a répondu
simplement : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il
me soit fait selon votre parole ».
Et l’ange se retira d’auprès d’elle. Et en
même temps que la Vierge disait à Dieu : « Ecce
ancilla Domini », dans une adoration parfaite, s’élevait
de son sein une adoration plus parfaite encore. La Mère de
Dieu se disait la servante du Seigneur ; le Fils de Dieu se disait
l’esclave et le serviteur de Dieu. L’apôtre saint
Paul nous l’a révélé : « Lorsque
le Christ fit son entrée ici-bas, il dit : « Vous ne
vouliez plus d’hosties et d’oblations, alors vous m’avez
donné un corps ; les holocaustes et les victimes pour le péché
ne vous plaisent point, alors j’ai dit : Me voici, selon qu’en
tête du livre, il est écrit de moi, pour faire ô
Dieu, votre volonté »(Hb 10 5-7) C’est au même
instant que, du cœur de Fils comme de celui de la Mère,
montait vers Dieu le parfum d’un même sacrifice, d’une
même adoration. » ( Dom Delatte l’Evangile de NSJC,
Le Fils de Dieu).
2 - Le commentaire de Saint
Thomas
Dans la III 30 1-4, Saint Thomas médite sur
cette scène merveilleuse de l’Annonciation de la Vierge
Marie. Nous verrons aujourd’hui son premier article.
L’article 1 est ainsi intitulé
:
« S’il était nécessaire que fut annoncé
à la bienheureuse Vierge ce qui devait se faire en elle ?
Au corps de l’article, saint Thomas formule ainsi sa conclusion
: « Il était convenable et à propos, qu’il
fût annoncé à la bienheureuse Vierge qu’elle
allait concevoir le Christ »
D’abord pour garder l’ordre
voulu dans l’union du Fils de Dieu à la Vierge : il fallait,
en effet, que son esprit en fût instruit avant que la conception
s’en fît dans sa chair.
En second lieu pour qu’elle pût être un témoin
plus certain de ce mystère, en étant instruite elle-même
divinement.
Troisièmement, afin quelle pût offrir à Dieu les
dons volontaires de ses services ; à quoi elle se montre prompte,
en disant : Voici la servante du Seigneur(Lc 1 31)
Quatrièmement, pour que fût montré qu’il
y avait un certain mariage spirituel entre le Fils de Dieu et la nature
humaine. Et c’est pourquoi par l’Annonciation était
attendu le consentement de la Vierge en lieu et place de toute la
nature humaine ».
Parmi les raisons que nous donne saint
Thomas pour montrer qu’il était bon et souverainement
convenable que le mystère de l’Incarnation fût
annoncé à Marie avant de s’accomplir en elle,
la raison qui a trait à son consentement est d’une importance
exceptionnelle. Elle nous permet d’entrevoir la dette de reconnaissance
que toute créature, mais surtout la créature humaine,
a contractée envers Marie, puisque, en prononçant le
sublime fiat que nous trouvons marqué dans l’Evangile
de saint Luc, elle a été la cause volontaire immédiate
permettant à Dieu de réaliser, comme il l’avait
ordonné dans les conseils de sa prédestination, le chef-d’œuvre
de son amour, l’Incarnation de son Fils, principe et source
de tous nos biens dans l’ordre du salut
Il était donc souverainement
convenable, pour toutes ces raisons, que Dieu fit annoncer à
Marie le mystère qu’Il avait résolu d’accomplir
en elle.
B- Homélie de Benoît XVI
.
Le Dimanche de Pentecôte, Benoît
XVI prononça, à saint Pierre, l’homélie
suivante lors des ordinations sacerdotales qu’il conféra
à une vingtaine de diacre.
Chers frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
chers ordinands,
chers frères et sœurs,
La première Lecture et l'Evangile
du Dimanche de Pentecôte nous présentent deux grandes
images de la mission de l'Esprit Saint. La lecture des Actes des Apôtres
raconte comment, le jour de la Pentecôte, l'Esprit Saint, sous
les signes d'un vent puissant et du feu, fait irruption dans la communauté
des disciples de Jésus, en prière, et donne ainsi origine
à l'Eglise. Pour Israël, la Pentecôte, de fête
des moissons, était devenue la fête qui faisait mémoire
de l'établissement de l'alliance au Sinaï. Dieu avait
montré sa présence au peuple à travers le vent
et le feu et il lui avait ensuite fait don de sa loi, des dix Commandements.
Ce n'est qu'ainsi que l'œuvre de libération, commencée
avec l'Exode de l'Egypte, s'était pleinement accomplie: la
liberté humaine est toujours une liberté partagée,
un ensemble de libertés.
Une liberté commune ne peut
régner que dans une harmonie ordonnée des libertés,
qui ouvre à chacun son propre domaine. C'est pourquoi le don
de la loi sur le Sinaï ne fut pas une restriction ou une abolition
de la liberté, mais le fondement de la véritable liberté.
Et, étant donné qu'une juste organisation humaine ne
peut exister que si elle provient de Dieu et si elle unit les hommes
dans la perspective de Dieu, les commandements que Dieu lui-même
donne ne peuvent manquer à une organisation ordonnée
des libertés humaines. Ainsi, Israël est pleinement devenu
un peuple précisément à travers l'alliance avec
Dieu au Sinaï. La rencontre avec Dieu au Sinaï pourrait
être considérée comme le fondement et la garantie
de son existence comme peuple. Le vent et le feu, qui frappèrent
la communauté des disciples du Christ rassemblés au
Cénacle, constituèrent un développement supplémentaire
de l'événement du Sinaï et lui donnèrent
une nouvelle envergure. En ce jour, se trouvaient à Jérusalem,
selon ce que rapportent les Actes des Apôtres, «des hommes
dévots de toutes les nations qui sont sous le ciel» (Ac
2, 5). Et voilà que se manifeste le don caractéristique
de l'Esprit Saint: tous comprennent les paroles des Apôtres:
«Chacun les entendait parler en son propre idiome» (Ac
2, 6). L'Esprit Saint leur donne de comprendre. En surmontant la rupture
initiale de Babel — la confusion des cœurs, qui nous élève
les uns contre les autres — l'Esprit ouvre les frontières.
Le peuple de Dieu qui avait trouvé au Sinaï sa première
forme, est alors élargi au point de ne connaître plus
aucune frontière. Le nouveau peuple de Dieu, l'Eglise, est
un peuple qui provient de tous les peuples. L'Eglise est catholique
dès le début, telle est son essence la plus profonde.
Saint Paul explique et souligne cela dans la deuxième lecture,
lorsqu'il dit: «Aussi bien est-ce en un seul Esprit que nous
tous avons été baptisés en un seul corps, Juifs
ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et tous nous avons été
abreuvés d'un seul Esprit» (1 Co 12, 13). L'Eglise doit
toujours redevenir ce qu'elle est déjà: elle doit ouvrir
les frontières entre les peuples et faire tomber les barrières
entre les classes et les races. En son sein, il ne peut y avoir de
personnes oubliées ou méprisées. Dans l'Eglise,
il n'y a que des frères et des sœurs de Jésus Christ,
libres.
Le vent et le feu de l'Esprit Saint
doivent sans relâche ouvrir ces frontières que nous les
hommes continuons à élever entre nous; nous devons toujours
repasser de Babel, de la fermeture sur nous-mêmes, à
la Pentecôte. Nous devons donc prier sans cesse pour que l'Esprit
Saint nous ouvre, nous donne la grâce de la compréhension,
de façon à devenir le peuple de Dieu issu de tous les
peuples — saint Paul nous dit encore davantage: dans le Christ,
qui comme unique pain nous nourrit tous dans l'Eucharistie et nous
attire à lui dans son corps torturé sur la croix, nous
devons devenir un seul corps et un seul esprit.
La deuxième image de l'envoi
de l'Esprit, que nous trouvons dans l'Evangile, est beaucoup plus
discrète. Mais c'est précisément ainsi qu'elle
fait percevoir toute la grandeur de l'événement de la
Pentecôte. Le Seigneur Ressuscité entre dans le lieu
où se trouvent les disciples, en traversant les portes closes
et il les salue deux fois en disant: que la paix soit avec vous! Quant
à nous, nous fermons sans cesse nos portes; nous voulons sans
cesse nous mettre à l’abri et ne pas être dérangés
par les autres et par Dieu. C'est pourquoi nous pouvons sans cesse
supplier le Seigneur, uniquement pour cela, pour qu'il vienne à
nous en franchissant nos fermetures, et qu'il nous apporte son salut.
«Que la paix soit avec vous»: ce salut du Seigneur est
un pont, qu'il jette entre le ciel et la terre. Il descend sur ce
pont jusqu'à nous et nous, nous pouvons monter sur ce pont
de paix, jusqu'à lui. Sur ce pont, toujours avec Lui, nous
devons nous aussi arriver à notre prochain, jusqu'à
celui qui a besoin de nous. C’est précisément
en nous abaissant avec le Christ, que nous nous élevons jusqu'à
Lui et jusqu'à Dieu: Dieu est Amour et la descente, l'abaissement,
que l'amour demande, est donc en même temps la véritable
ascension. C’est justement ainsi, en nous abaissant, en sortant
de nous-mêmes, que nous atteignons la hauteur de Jésus
Christ, la véritable hauteur de l'être humain.
Au salut de paix du Seigneur suivent
deux gestes décisifs pour la Pentecôte: le Seigneur veut
que sa mission se poursuive à travers les disciples: «Comme
le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie»
(Jn 20, 21). Après quoi il souffle sur eux et dit: «Recevez
l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés,
ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils
leur seront retenus» (Jn 20, 23). Le Seigneur souffle sur les
disciples, et il leur donne ainsi l'Esprit Saint, son Esprit. Le souffle
de Jésus est l'Esprit Saint. Nous reconnaissons tout d'abord
ici une allusion au récit de la création de l'homme
dans la Genèse, où il est dit: «Alors Yahvé
Dieu modela l'homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines
une haleine de vie» (Gn 2, 7). L'homme est cette créature
mystérieuse, qui provient entièrement de la terre, mais
dans laquelle a été placé le souffle de Dieu.
Jésus souffle sur les apôtres et leur donne de manière
nouvelle, plus grande, le souffle de Dieu.
Chez les hommes, malgré toutes
leurs limites, se trouve à présent quelque chose d'absolument
nouveau — le souffle de Dieu. La vie de Dieu habite en nous.
Le souffle de son amour, de sa vérité et de sa bonté.
Ainsi, nous pouvons voir ici également une allusion au baptême
et à la confirmation — à cette nouvelle appartenance
à Dieu, que le Seigneur nous donne. Le texte de l'Evangile
nous invite à cela: à vivre toujours dans l'espace du
souffle de Jésus Christ, à recevoir la vie de Lui, de
façon à ce qu'il nous insuffle la vie authentique —
la vie qu'aucune mort ne peut ôter. A son souffle, au don de
l'Esprit Saint, le Seigneur relie le pouvoir de pardonner. Nous avons
précédemment entendu que l'Esprit Saint unit, franchit
les frontières, conduit les uns vers les autres. La force,
qui ouvre et permet de surmonter Babel, est la force du pardon. Jésus
peut donner le pardon et le pouvoir de pardonner, car il a lui-même
souffert des conséquences de la faute et il les a faites disparaître
dans la flamme de son amour. Le pardon vient de la croix; il transforme
le monde avec l'amour qui se donne. Son cœur ouvert sur la croix
est la porte à travers laquelle la grâce du pardon entre
dans le monde. Seule cette grâce peut transformer le monde et
édifier la paix.
Si nous comparons les deux événements
de la Pentecôte, le vent puissant du 50e jour et le souffle
léger de Jésus le soir de Pâques, le contraste
entre deux épisodes, qui eurent lieu au Sinaï et dont
nous parle l'Ancien Testament, peut nous revenir à l'esprit.
D'une part, il y a le récit du feu, du tonnerre et du vent
qui précèdent la promulgation des dix Commandements
et l'établissement de l'Alliance (Ex 19sq.); de l'autre, l'on
trouve le mystérieux récit d'Elie sur l'Horeb. Après
les événements dramatiques du Mont Carmel, Elie avait
fui la colère d'Achab et de Jézabel. Suivant le commandement
de Dieu, il était ensuite parti en pèlerinage jusqu'au
Mont Horeb. Le don de l'alliance divine, de la foi dans le Dieu unique,
semblait avoir disparu en Israël. Elie, d'une certaine façon,
devait rallumer la flamme de la foi sur le Mont de Dieu et la rapporter
à Israël. En ce lieu il fait l'expérience du vent,
d'un tremblement de terre, et du feu. Mais Dieu n'est pas présent
dans tout cela. Alors il perçoit un doux et léger murmure.
Et Dieu lui parle dans ce souffle léger ( 1 R 19, 11-18). N'est-ce
pas ce qui se passe le soir de cette Pâque, lorsque Jésus
apparaît à ses Apôtres pour enseigner ce que l'on
veut dire ici? Ne peut-on pas voir ici une préfiguration du
serviteur de Yahvé, dont Isaïe dit: «Il ne crie
pas, il n'élève pas le ton, il ne fait pas entendre
sa voix dans la rue» (42, 2)? N'est-ce pas ainsi qu'apparaît
l'humble figure de Jésus comme la véritable révélation
à travers laquelle Dieu se manifeste à nous et nous
parle? L'humilité et la bonté de Jésus ne sont-elles
pas la véritable épiphanie de Dieu? Elie, sur le Mont
Carmel, avait cherché à combattre l'éloignement
de Dieu par le feu et par l'épée, tuant les prophètes
de Baal. Mais de cette façon, il n'avait pu rétablir
la foi. Sur le Mont Horeb, il doit apprendre que Dieu n'est pas dans
le vent, dans un tremblement de terre, dans le feu; Elie doit apprendre
à percevoir la voix légère de Dieu et, ainsi,
à reconnaître à l'avance celui qui a vaincu le
péché, non par la force mais par sa Passion; celui qui,
à travers sa souffrance, nous a donné le pouvoir du
pardon. Telle est la façon dont Dieu vainc.
Chers ordinands! De cette façon
le message de Pentecôte s'adresse à présent directement
à vous. La scène de la Pentecôte de l'Evangile
de Jean parle de vous et à vous. A chacun de vous, de façon
très personnelle, le Seigneur dit: paix à vous - paix
à toi! Lorsque le Seigneur dit cela, il ne donne pas quelque
chose mais il se donne lui-même. En effet, il est lui-même
la paix (Ep 2, 14). Dans ce salut du Seigneur, nous pouvons également
entrevoir un rappel du grand mystère de la foi, de la sainte
Eucharistie, dans laquelle il se donne sans cesse lui-même et,
de la sorte, donne la paix véritable. Ce salut se place ainsi
au centre de votre mission sacerdotale: le Seigneur vous confie le
mystère de ce sacrement. En son nom vous pouvez dire: ceci
est mon corps — ceci est mon sang. Laissez-vous toujours attirer
à nouveau dans la Sainte Eucharistie, dans la communion de
vie avec le Christ. Considérez comme le centre de chaque journée
le fait de pouvoir la célébrer de façon digne.
Reconduisez toujours les hommes vers ce mystère. Aidez-les,
à partir de celle-ci, à apporter la paix du Christ dans
le monde.
Dans l'Evangile que nous venons d'entendre,
retentit ensuite une deuxième parole du Ressuscité:
«Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie»
(Jn 20, 21). Le Christ dit cela, de façon très personnelle,
à chacun de vous. A travers l'ordination sacerdotale, vous
vous insérez dans la mission des apôtres. L'Esprit Saint
est vent, mais il n'est pas amorphe. C'est un esprit ordonné.
Et il se manifeste précisément en ordonnant la mission,
dans le sacrement du sacerdoce, avec lequel se poursuit le ministère
des apôtres. A travers ce ministère, vous êtes
insérés dans la grande assemblée de ceux qui,
à partir de la Pentecôte, ont reçu la mission
apostolique. Vous êtes insérés dans la communion
du presbyterium, dans la communion avec l'Evêque et avec le
Successeur de saint Pierre, qui, ici à Rome, est aussi votre
Evêque. Nous sommes tous insérés dans le réseau
de l'obéissance à la parole du Christ, à la parole
de celui qui nous donne la véritable liberté, car il
nous conduit dans les espaces libres et dans les amples horizons de
la vérité. C'est précisément dans ce lien
commun avec le Seigneur que nous pouvons et que nous devons vivre
le dynamisme de l'Esprit. De même que le Seigneur est sorti
du Père et nous a donné la lumière, la vie et
l'amour, la mission doit sans cesse nous remettre en mouvement, nous
rendre soucieux d'apporter la joie du Christ à celui qui souffre,
à celui qui est dans le doute, et également à
celui qui est hésitant.
Enfin, il y a le pouvoir du pardon.
Le sacrement de la pénitence est l'un des trésors précieux
de l'Eglise, car ce n'est que dans le pardon que s'accomplit le véritable
renouveau du monde. Rien ne peut améliorer le monde, si le
mal n'est pas surmonté. Et le mal ne peut être surmonté
qu'avec le pardon. Bien sûr, cela doit être un pardon
efficace. Mais seul le Seigneur peut nous donner ce pardon. Un pardon
qui n'éloigne pas le mal seulement en paroles, mais qui le
détruit réellement. Cela ne peut se produire qu'avec
la souffrance et a réellement eu lieu avec l'amour empreint
de souffrance du Christ, d’où nous puisons le pouvoir
du pardon.
Enfin, chers ordinands, je vous recommande
d'aimer la Mère du Seigneur. Faites comme saint Jean, qui l'accueillit
au plus profond de son cœur. Laissez-vous renouveler sans cesse
par son amour maternel. Apprenez d'Elle à aimer le Christ.
Que le Seigneur bénisse votre chemin sacerdotal. Amen!