Du 15 au 21 février 2004, le dimanche de la Sexagésisme.
A l’honneur de Saint, modèle
des chrétiens en ce temps de Carême qui approche
« Plus nous considérons les mystères de Notre
Seigneur Jésus-Christ, plus nous comprenons que la charité
en est le principe, la raison, la source. Tous les mystères
de notre Foi, de NSJC se résolvent dans la charité,
s’expliquent par la vertu de charité.
C’est en effet la charité
qui a réalisé l’Incarnation : « Et Dieu
a tellement aimé le monde qu’il donna son Fils unique…
» (Jn 3 16).
C’est la charité qui a fait naître le Christ
dans une chair passible et mortelle. C’est la charité
qui lui a inspiré le zèle de sa vie publique. Si Jésus-Christ
se livre à la mort, c’est parce qu’il cède
à l’excès « d’un amour sans mesure
». S’il ressuscite, c’est pour notre justification.
S’il monte au Ciel, c’est pour aller nous y préparer
une place. Et de là, il nous envoie
« le consolateur » afin de ne pas nous laisser orphelin.
S’il institue la Sainte Eucharistie, c’est comme mémorial
de son amour. Et ainsi de tous les mystères. Oui tous les
mystères de NSJC ont leur source dans la charité.
Il est nécessaire que notre
foi en la charité du Christ-Jésus soit vivace et constante.
Et pourquoi ?
Parce qu’elle est un des plus puissants soutiens de la fidélité
et du zèle de la grâce dans nos âmes.
Plus une âme est émerveillée de cette charité
divine, vit de cette charité, plus la parole de Dieu est
vivace en son âme, fertile.
La charité est la bonne terre qui permet à la grâce,
la semence de Dieu, de porter d’excellents fruits. Elle est
cette terre, bien labourée, de l’Evangile de ce jour,
qui donne du fruit au centuple, et qui permet de mener bon Carême,
qui vient.
Voyez Saint Paul.
C’est le bel exemple que donne
l’Eglise à notre méditation de ce dimanche de
la Sexagésime.
Nous nous inspirerons d’une
homélie de Saint Jean Chrysostome pour faire revivre, devant
vos yeux, cette âme exceptionnelle de l’Apôtre.
Jamais homme n’a travaillé,
ne s’est dépensé comme lui pour le Christ.
Un jour où ses ennemis attaquaient
la légitimité de sa mission, il est amené à
se défendre.
Il esquisse de lui-même le tableau de ses œuvres, de
ses labeurs, de ses souffrances.
Ce tableau est sans doute la plus
belle page du Nouveau Testament, la plus belle manifestation du
fruit de la charité dans une âme.
Cette âme animée par la connaissance de la charité
du Christ est pleine de feu, d’amour d’abnégation,
de mansuétude, de confiance, de force.
Ecoutez !
« Souvent, dit le grand Apôtre, j’ai vu la mort
de près, cinq fois, j’ai subi le supplice de la flagellation.
Trois fois j’ai été battu de verges…J’ai
fait naufrage trois fois…Et mes voyages sans nombre, remplis
de périls sur les fleuves, périls de la part des brigands,
des gens de ma nation, périls en mer, dans les déserts,
les tortures de la faim, de la soif, le froid…La sollicitude
de toutes les églises que j’ai fondées…
»
Et pourtant qu’ajoute-t-il aussitôt ?
« Mais en toutes ces rencontres,
nous sommes plus que vainqueur. » « Sed in his omnibus
superamus ».
Et où trouve-t-il le secret
de cette victoire ?
Demandez lui pourquoi il supporte tout, même « l’ennui
de vivre » ?
Pourquoi dans toutes ses épreuves, il demeure uni au Christ
avec une si inébranlable fermeté, que ni la tribulation,
ni l’angoisse, ni la persécution, ni la faim, ni le
glaive ne peuvent le séparer de Notre Seigneur ?
Il vous répondra : «
propter eum qui dilexit me », « par celui qui m’a
aimé ».
Ce qui le soutient, le fortifie,
l’anime, le stimule, c’est la conviction profonde de
l’amour que le Christ lui porte. « Dilexit me et tradidit
semetipsum pro me »
Et c’est cet amour du Christ
contemplé dans la croix qui fait naître en son âme,
cette ardente conviction « qu’il ne veut plus vivre
pour lui-même », lui qui a blasphémé le
nom de Dieu et persécuté les chrétiens, «
mais pour celui qui l’a aimé au point de donner sa
vie pour lui ».
« La charité du Christ
nous presse ». « Caritas Christi urget nos »,
dira-t-il. C’est pourquoi je me livrerai pour lui, je me dépenserai
bien volontiers, sans compter, je m’épuiserai pour
les âmes. « Libentissime impendam et super impendam
». Cette certitude que le Christ l’aime, donne vraiment
la clef de toute l’œuvre du grand Apôtre. Il veut,
en effet, à son tour, « marcher dans la charité
», et il convie tous les siens à faire de même,
et ainsi à être ses imitateurs, les imitateurs de Dieu
: « Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme ses enfants bien
aimés »
Sachant bien que la charité
est la reine des vertus, la vertu divine par excellence, celle qui
nous identifie le mieux à Dieu, Saint Paul s’efforce
d’en donner constamment l’exemple.
Personne n’aima comme lui.
Son amour d’une excellence
et d’une pureté si grande, l’entraînait
même à souffrir et à entreprendre tous les voyages
pour contenter l’affection extrême qu’il avait
pour NSJC. Il porte sans crainte le nom de « Jésus
» aux juifs d’abord, aux Gentils ensuite et sans retard.
Il supporte pour cela toutes les tribulations.
Il parle en effet des tribulations de ce monde et il écrit
: « mais qui donc nous séparera de la charité
du Christ ? La tribulation, l’angoisse, la persécution,
la faim, la nudité, les gangsters, les glaives ». Il
ne lui suffit pas cette énumération empruntée
à la terre. Il monte au Ciel et poursuit : « Non ni
les Anges, ni les principautés ni les puissances, ni les
choses présentes ni les choses avenir, ni ce qu’il
y a de plus haut, ni ce qu’il y a de plus profond, ni aucune
créature ne pourra nous séparer de la charité
de Dieu qui est dans le Christ Jésus » ; (Rm 8 35-39)
Non seulement les hommes seront
impuissants à m’arracher à cet amour, mais même
les Anges et toutes les vertus célestes, si elles y employaient
leurs efforts ne sauraient y réussir..
Il parle ainsi pour expliquer la grandeur de son amour et le faire
connaître à son auditoire. Rien, de tout ce dont il
a parlé, ne pourra le séparer de la charité
divine qui est dans le Christ Jésus.
C’est à cette sublimité que s’est élevée
la charité de l’Apôtre.
Alors il n’est pas étonnant de voir l’Apôtre
porter la charité au plus haut. Il suit, O combien ! le précepte
du maître qui enseignait « priez même pour ceux
qui vous persécutent afin que vous deveniez semblables à
votre Père qui est dans les cieux » (Mt 5 44)
Personne n’aima comme lui
ses ennemis. Personne ne rendit au même degré le bien
pour le mal. Personne n’a jamais autant souffert, sinon le
Christ lui-même, pour et par ses persécuteurs. Il ne
regardait pas à ses propres avantages. Il ne songeait qu’au
bien qu’il faisait par sa prédication enflammée
Il s’attendrit et même s’alarme en proportion
même des injures et des coups qu’il en reçoit.
Il prodigue de plus grandes preuves d’amour à ceux-là
même qui le poursuivent de leur haine.
Ecoutez avec quelle mansuétude,
avec quelle bienveillance, il nous parle de ceux qui l’avaient
5 fois frappé de verges, accablé de coups, chargés
de chaînes et voulaient même mettre son corps au tombeau,
tous Juifs, hommes zélés pour la loi de Moïse
: « Je leur rends ce témoignage. Il sont pleins de
zèle pour Dieu, mais ce zèle n’est pas selon
la science ». (Rm 10 2).
N’ignorant pas cependant la sentence divine déjà
porté contre ce peuple et ne pouvant plus les convaincre
par la force de sa parole « il pleurait souvent sur leur sort,
gémissait et avait sans cesse recours à la prière.
« Mes frères, les vœux et les supplications que
j’offre pour eux au Seigneur, ont uniquement leur salut pour
objet » (Rm 10 1). Il tachait de leur inspirer de meilleures
espérances, en disant « les bienfaits de Dieu et son
appel sont sans repentance » (Rm 11 29) Que veut-il dire ici,
sinon les arracher au désespoir et à la mort ?
De telles paroles ne lui sont inspirées que par un ardent
amour et la plus généreuse bienveillance. Son cœur
était déchiré en les voyant s’endurcir.
Il répétait, sans cesse, comme le prophète
Isaïe : « Il viendra de Sion celui qui doit sauver Jacob
et détourner de lui ses impiétés » (Is
59 20) tout en priant alors « qu’ils obtiennent eux
aussi miséricorde » (Rm11 26)
Il s’est montré bon,
charitable, non seulement pour les gens de sa race, mais aussi pour
les Gentils, les Païens. Il dira à Timothée,
son enfant ; « Le serviteur de Dieu ne doit pas aimer les
querelles, ll faut qu’il soit plein de mansuétude pour
tous…plein de patience, reprenant avec modération ceux
qui lui résistent, dans l’espoir qu’un jour,
Dieu leur inspirera le repentir et leur fera connaître le
repentir » (2 Tm 2 24-26)
Il compatissait à l’angoisse
du pécheur : « C’est sous l’inspiration
de la douleur et de l’angoisse que je vous ai écrit,
non pour que vous soyez plongés dans la tristesse, mais pour
que vous connaissiez la charité dont je suis rempli pour
vous » (2 Cor 2, 4). Il dira aussi : « Je me suis fait
tout à tous afin de les sauver tous ». 1 Cor 9 20)
Ailleurs il dira : « Je travaille à rendre tout homme
parfait dans le Christ-Jésus » Col 1, 28)
Quelle charité ! Il voudrait
amener à Dieu, au bonheur céleste, tous les hommes
et ce n’était pas là seulement un vœu pieux,
mais bien au contraire, une réalité tant il se donna
de mouvement et de peine, tant il fit d’efforts pour conduire
le plus grand nombre au sein du Royaume de Dieu, tant il prodigua
partout remèdes, conseils, prières, supplications,
frappant les démons, mettant les corrupteurs en fuite par
ses discours, ses actions et celles de ses disciples qu’il
ne cessait d’encourager, d’exhorter, ranimant les faibles,
soutenant les forts , donnant du cœur aux lâches. Il
était tout à tous suivant les besoins et les circonstances.
Il était animé d’un zèle vigilant et
infatigable. Non seulement pour le troupeau dans son ensemble, mais
aussi pour chacun. Chaque âme individuellement. Il recommande,
et avec quel empressement l’un, l’autre à la
sollicitude des frères. Et c’est une fois pour Phébée
« notre sœur qui remplit un ministère dans l’Eglise…
afin qu’elle soit reçue au nom du Seigneur comme on
doit recevoir les saints » (Rm 16 )
Et c’est une autre fois la
famille de Stéphana « Soyez bienveillants, dit-il,
pour de telles personnes » (Cor 16 15)
Une telle conduite, concrète et particulière, est
ainsi le propre de l’amour des saints.
Il s’occupe de Zénon, le juriste et d’Apollo.
Il recommande de veiller « à ce que rien ne leur manque
».(Tit 3 13)
Voyez quel zèle affectueux, il déploie pour Onésime.
Voyez son empressement et ses instances auprès de Philémon,
son maître. Afin qu’il reçoive son « ancien
esclave » qui avait fui », toujours comme esclave, mais
qu’il sache qu’il a reçu de ses mains le saint
baptême.
« Peut-être aussi Onésime
n’a-t-il été séparé de toi pour
un temps qu’afin que tu le recouvres à jamais, non
plus comme esclave, mais bien mieux qu’un esclave, comme un
frère bien aimé tout particulièrement aimé
de moi et combien plus de toi aussi bien selon la chair que selon
le Seigneur. Si donc tu me tiens pour étroitement uni à
toi, accueille le comme moi-même. Et s’il t’a
fait tort, s’il te doit quelque chose passe le à mon
compte ».
S’il plaide avec cette ardeur charitable la cause d’un
esclave, d’un esclave fugitif, mais aujourd’hui converti,
s’il lui consacre une si belle lettre - lisez-la - jugez de
ce qu’il devait être pour les autres.
Oui, à ses yeux, une seule
chose était dramatique : omettre une occasion de travailler
au salut du prochain, tant il voulait faire connaître, à
tous, la charité de Dieu qui surpasse toute connaissance.
Aussi n’est-il rien qu’il
ne mette en œuvre dans ce but. Il y consacrait tout, sans hésiter,
ses biens, son argent, son corps même. Il s’expose mille
fois à la mort pour ses frères. « Volontiers,
je donnerai tout et je me donnerai, de plus, moi-même volontiers
pour vos âmes ». ( 2 Cor 12 15)
Oui Saint Paul était devenu
toute charité. Il avait pour tous un cœur de père.
Il en avait les sollicitudes et les tendresses.
Il voyait dans la charité
la plénitude de la loi, le lien de la perfection, la mère
de tous les biens, le principe et la fin de toute vertu. «
La fin du précepte, disait-il , est la charité. Qui
vient d’un cœur pur et d’une bonne conscience ».
(1 Tim 1, 5)
Puis donc la charité est
le commencement et la fin, la réunion de tous les biens possibles,
tachons d’imiter Saint Paul dans la pratique « d’une
vertu qui le fit ce qu’il fut ». C’est à
la charité surtout qu’il doit sa grandeur et sa gloire.
Et ne disons pas que nous en sommes
incapables, pour justifier aisément notre paresse. Ne disons
pas que nous ne pouvons pas nous élever à pareille
vertu.
Est-ce que cet apôtre Saint Paul ne possédait pas la
même nature que nous ? Est-ce qu’il n’est pas
entré dans la vie par la même voie que nous ? Est-ce
qu’il n’a pas été nourri avec les mêmes
aliments ? Est-ce qu’il ne respirait pas le même air
? Est-ce qu’il n’usait pas des mêmes choses ?
N’avait-il pas été lui aussi un persécuteur
de l’Eglise et même réputé pour sa violence
?
Vous me répondrez, peut-être, qu’il eut en abondance
la grâce de Dieu sur le chemin de Damas. Certes. Mais vous
aussi vous avez reçu la grâce par le baptême.
Vous aussi vous a eu l’Esprit-Saint en participation sinon
de manière à opérer des prodiges qu’on
ne vous demande pas, mais de manière à mener une vie
digne de Dieu.
Oui, notre faiblesse dans la charité
n’a qu’une seule cause, notre négligence. Labourons
notre terre, notre cœur, comme nous y invite l’évangile
de ce dimanche, par la charité. Au jour du jugement, ce ne
sera pas à ceux qui auront accompli des miracles que le Christ
distribuera ses récompenses, mais à ceux qui auront
observé ces commandements. « Venez, dira-t-il les bénis
de mon Père. Prenez possession du royaume qui vous a été
préparé dès l’origine du monde »
non point parce que vous aurez fait des miracles, mais parce que
vous aurez pratiqué la charité envers Dieu, envers
le prochain.
« J’avais faim et vous m’avez donné à
manger. J’avais soif et vous m’avez donné à
boire ». Ce qui vaut la gloire de Saint Paul, que l’Eglise
nous donne en modèle à l’approche du Carême
et pour gagner la fin que Dieu nous propose : le Ciel, ce n’est
pas ses miracles, mais sa charité. C’est de fait ce
qu’il invoque dans le panégyrique qu’il fait
de lui-même aujourd’hui. « La charité peut
tout ». « J’étais à la porte de
l’Eglise et vous m’avez salué ».
Traité
de l’amour de Dieu
Chapitre IV : de ceux que console le souvenir
de Dieu ; et de ceux qui sont le plus capables de l’aimer.
11. Cependant, il importe de savoir
quels sont ceux qui trouvent consolation dans le souvenir de Dieu.
Il ne s’agit certainement pas de la race perverse et exaspérante,
à laquelle s’adressent ces paroles : « Malheur
à vous, riches, qui avez votre consolation » (Lc 6
24), mais de celle qui peut dire avec vérité : «
Mon âme a refusé d’être consolée
» (Ps 76 3). Nous pouvons l’en croire lorsque aussitôt
elle ajoute : « je me suis souvenue de Dieu, et j’y
ai pris plaisir ». La pensée des choses futures est
le recours de ceux qui ne s’attachent pas aux choses présentes
; la mémoire des biens éternels ravit ceux qui dédaignent
les consolations offertes par l’abondance des biens éphémères,
et c’est justice. Telle est la générations de
ceux qui cherchent le Seigneur et qui, dédaignant leur propre
intérêt, veulent voir la face du Dieu de Jacob. Car,
aspirant à la présence de Dieu, ils ont à leur
portée, pour le temps de l’attente, la mémoire
de sa douceur ; elle ne saurait les rassasier, mais elle leur donne
le désir de l’aliment qui puisse apaiser leur faim.
Cet aliment lui-même en témoigne, disant : «
celui qui me mange aura encore faim » (Eccl 24 29). Et l’homme
qui s’en est nourri répond : « Je serai rassasié
lorsque apparaîtra ta gloire » (Ps 16 15). Heureux toutefois,
dès maintenant, ceux qui ont faim et soif de justice, puisqu’un
jour ce sont eux, et non d’autres, qui seront rassasiés.(Mt
5 6). Et malheur à toi, race méchante et perverse
! Malheur à toi, peuple stupide et sot, qui à la fois
n’éprouve que dégoût à te souvenir,
et crainte d’affronter la présence ! Tu as raison de
redouter, si tu ne veux pas être tiré maintenant du
piège tendu par les chasseurs, car ceux qui prétendent
s’enrichir en ce monde tombent dans les filets du diable.
( 1 Tim 6 9 ). Un jour viendra où tu n’échapperas
pas mieux à la sévérité de ces terribles
paroles : « Allez maudits, au feu éternelle »
(Mt 25 41). Ce discours est plus dur et plus cruel que celui par
lequel l’Eglise nous rappelle chaque jour le souvenir de la
Passion : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang possède
la vie éternelle » (Jn 6 55). C’est-à-dire
: celui qui se souvient de ma mort et qui à mon exemple mortifie
son corps terrestre, possède dès maintenant la vie
éternelle. Ou encore : si vous partagez mes souffrances,
vous partagerez mon règne. Et pourtant, de nos jours, nombreux
sont ceux qui à ces mots se reculent, s’écartent,
et répondent par leurs actes, sinon par leurs paroles : «
Ce langage est terrible, qui peut supporter de l’entendre
? (Jn 6 61) Ainsi, ceux qui n’ont pas gardé la droiture
du cœur et qui, au lieu de mettre leur espérance en
Dieu, préfèrent la placer dans les richesses incertaines,
ne supportent pas d’entendre parler de la croix et jugent
trop lourde à porter la mémoire de la Passion. Mais
comment endureront-ils, à l’heure de la présence,
le poids de cette parole : « Allez, maudits au feu éternel,
préparé pour le diable et ses anges ? (Mt 25 41) Comme
une pierre, elle écrasera ceux sur qui elle tombera. Mais
les cœurs droits seront bénis, puisque, avec l’apôtre,
ils auront voulu plaire à Dieu dans l’absence comme
dans la présence (2Cor 5 9), et ils entendront dire : «
Venez, vous que mon Père bénit »(Mt 25 34) Alors
ceux qui n’auront pas suivi la droiture sauront trop tard
qu’en comparaison de leur peine le joug du Christ est doux,
et léger son fardeau auquel, comme s’il était
dur et pesant, ils ont refusé de plier leur nuque raide.
Misérables esclaves de l’argent, vous ne pouvez à
la fois vous glorifier dans la croix du seigneur Jésus-Christ
et mettre votre espoir dans les richesses d’ici-bas, courir
après l’or et connaître la douceur du Seigneur.
Et pour n’avoir pas su éprouver cette douceur dans
la mémoire, vous sentirez sa rigueur au jour de la présence.
12 . Quant à l’âme
fidèle, elle désire vivement la présence de
Dieu et elle trouve un doux repos dans son souvenir. En attendant
de pouvoir contempler face à face la gloire du Seigneur,
elle met sa gloire dans l’abjection de la croix. C’est
ainsi que l’Epouse, la colombe du Christ, se repose et dort
au milieu des biens qu’elle a reçus en héritage
: car des maintenant, le souvenir de l’infinie douceur du
Seigneur Jésus lui donne des plumes argentées, c’est-à-dire
la blancheur de l’innocence et de la pureté ; et elle
espère en outre être comblée de joie à
la vue de la Sainte Face, lorsque son dos se couvrira d’un
pennage d’or (Ps 67 14). Introduite alors dans la splendide
lumière des saints, elle sera tout éclairée
par les feux de la divine sagesse. Elle peut donc bien dire dès
maintenant : « son bras gauche est sous ma tête, et
le droit me tient enlacée » ( Cant 2 6). Le bras gauche
désigne ici le souvenir de cette charité sans pareille
par laquelle l’Epoux a donné sa vie pour ses amis ;
le bras droit c’est la vision bienheureuse qu’il leur
a promise et la joie que leur donnera la présence de la majesté
divine. C’est à juste titre que cette vision déifique,
cette inestimable félicité de la présence divine
est figurée par le bras droit, dont il est dit délicieusement
: « la joie est dans ta droite jusqu’à la fin
des temps ». (Ps 15 11) A juste titre aussi, la gauche figure
cette dilection merveilleuse, toujours remémorée et
toujours mémorable, sur laquelle se repose et s’appuie
l’Epouse, en attendant que s’achèvent les temps
de l’iniquité.
13 . Il est donc convenable que
la main gauche de l’Epoux soutienne la nuque de l’Epouse,
qui peut y abandonner sa tête, c’est-à-dire l’attention
de son esprit, afin de l’empêcher de se soumettre aux
désirs de la chair. Car le corps, sujet de la corruption,
appesantit l’âme, et cette demeure terrestre rabaisse
l’esprit qu’elle asservit à de multiples soucis.
Quel peut être l’effet d’une attention tournée
vers une miséricorde si grande et si imméritée,
d’un amour tout gratuit et si souvent attesté, d’une
bonté inespérée, d’une douceur invincible
et inattendue ? Quel est, dis-je, l’effet de cette contemplation
attentive, sinon d’arracher l’âme à tout
amour pervers, de la ravir merveilleusement, de se l’attacher
avec violence et de lui inspirer le mépris de tout ce qui
ne peut être désiré qu’au détriment
de ces biens supérieurs ? Aussi est-ce à l’odeur
de ces parfums que l’Epouse, brûlante d’amour,
accourt alertement ; et à se voir tant aimée, elle
croit aimer bien peu, même si elle s’est toute donnée
à l’amour. Et elle ne se trompe pas : en échange
d’un amour si grand et si précieux, que peut offrir
de valable un pauvre grain de poussière, quand même
il se ramasserait tout entier pour aimer en retour la suprême
Majesté qui a pris les devants et qui apparaît toute
consacrée à opérer son salut ? Car enfin Dieu
a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils
unique. (Jn 3 16) Il n’est pas douteux qu’il s’agisse
ici du Père, comme il est question du Fils dans cet autre
texte : « Il a livré son âme à la mort
» (Is 53 12), et du Saint-Esprit dans ce passage : «
L’esprit consolateur que mon Père vous enverra en mon
nom vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que
je vous aurai dit » (Jn 14 16) Dieu aime donc, et il aime
de tout son être, puisque toute la Trinité aime, -
si toutefois on peut parler de totalité à propos de
Celui qui est infini, incompréhensible, et qui est absolument
simple. »
Quelques mots de commentaire
Nous avons là trois merveilleux paragraphes qui nous éclairent
un peu sur « la spiritualité bernardienne ».
Le paragraphe 11 est classique.
Dans ce paragraphe, Saint Bernard distingue ceux qui cherchent le
Royaume de Dieu de ceux qui ne veulent vivre que de ce monde et
de ces richesses. Je dirais volontiers que Saint Bernard «
sonde les reins et les cœurs » d’un chacun. Et
c’est cette description qui me paraît intéressante,
original. Elle nous permet aussi d’entrer dans la pensée
de Saint Bernard comme maître de spiritualité. C’est
un vrai maître de spiritualité. Il a une pensée
propre et un vocabulaire particulier.
Portez votre attention sur les premières
lignes du paragraphe 11. Il y décrit l’homme spirituel.
L’homme de Dieu, qui veut aimer Dieu.
C’est merveilleux
Les notes qui me semblent dominer dans cette description du «
spirituel », c’est la « consolation », la
« douceur » que connaît l’âme à
se « souvenir de Dieu ». Ce sont les premiers mots du
paragraphe : « il importe de savoir quels sont ceux qui trouvent
consolation dans le souvenir de Dieu ». La vie chrétienne
est donc une « consolation ».
Elle est aussi définie comme « un ravissement ».
Voyez ce passage : « La pensée des choses futures est
le recours de ceux qui ne s’attachent pas aux choses présentes
; la mémoire des biens éternels ravit ceux qui dédaignent
les consolations offertes par l’abondance des biens éphémères
».
On peut noter également l’objet des pensées
du « spirituel ». Il occupe sa pensée des choses
de Dieu. C’est ce qu’on peut déduire des expressions
comme : il trouve consolation dans « le souvenir de Dieu »
ou encore : « la pensées des choses futures est le
recours de ceux qui ne s’attachent pas aux choses présentes
», ou encore l’expression : « la mémoire
des biens éternels » ou encore celle –ci : «
ceux qui cherchent le Seigneur ».
Mais ce qui définit surtout le « spirituel »
selon Saint Bernard, c’est la soif de posséder un jour
la « vision faciale » de Dieu. C’est clairement
exprimé dans cette phrase conclusive : « Telle est
la génération de ceux qui…veulent voir la face
du Dieu de Jacob ». Voilà la caractéristique
du baptisé. Et Saint Bernard a une expression tout a fait
personnelle pour exprimer cette pensée, c’est l’allusion
à la « présence de Dieu ». Vouloir voir
« la face du Dieu de Jacob » est équivalente
à celle-la : « aspirer à la présence
de Dieu ». Saint Bernard, nous l’avons vu dans le chapitre
précédent, fait la distinction entre « le temps
de la présence » et « le temps du souvenir ».
Le « temps de la présence », c’est la vision
béatifique, c’est la temps de la possession de Dieu,
dans la vision de gloire. Le « temps du souvenir »,
c’est le temps de « l’absence de Dieu »,
mais qui peut être plein du souvenir de Dieu. Le baptisé
est celui qui, dans le « temps de l’absence »,
veut se « souvenir de Dieu », veut posséder Dieu.
Mais cette possession finale est réservée au «
temps de la présence ». Et l’on comprendra pourquoi
ce « temps du souvenir » est considéré
par Saint Bernard, comme un temps de « consolation »,
mais aussi comme un temps de souffrance, souffrance de ne pas posséder
encore Celui qui « ravit » mon âme.
Ceci est clairement exprimé dans cette phrase : « Car,
aspirant à la présence de Dieu, ils ont à leur
portée, pour le temps de l’attente, la mémoire
de sa douceur ; elle ne saurait le rassasier, mais elle leur donne
le désir d’un aliment qui puisse apaiser leur faim
».
A ceux qui goûtent « combien doux et suave est le Seigneur
» est réservée la béatitude.
Alors Saint Bernard en vient à
décrire aussi l’homme « du siècle »,
qui ne se complet que dans les richesses terrestres, les biens éphémères
de ce monde. Il est assez terrible. Du moins sa description est
dure. Il parle, au début, de « race perverse et exaspérante
». Il renouvelle cette description assez rapidement : «
Malheur à toi, race méchante et perverse »,
puis encore « Malheur à toi peuple stupide et sot ».
Attention ! Saint Bernard utilise les qualificatifs de Notre Seigneur
à l’endroit des Juifs. Mais ce n’est pas les
juifs qu’il décrit ici, c’est bien le peuple
de ceux qui, dans leur vie, oublient Dieu. C’est clair lorsqu’il
écrit : « Malheur à toi, peuple stupide et sot,
qui, à la fois, n’éprouve que dégoût
à te souvenir (de Dieu), et crainte d’affronter la
présence (de Dieu) ». Vous aurez remarquer que la description
de « l’homme du siècle » est radicalement
opposé à la description du « spirituel ».A
sa différence, l’ « homme du siècle »
n’éprouve que « dégoût à
se souvenir » de Dieu, là où le « spirituel
» trouve « consolation », « ravissement
». Ce sont deux mondes radicalement différents. Il
y a toutefois encore cette crainte de Dieu, « crainte d’affronter
la présence ». Dégoût et crainte : telles
sont les deux sentiments de l’homme de ce monde.
Cette crainte de Dieu était un qualificatif du temps de Saint
Bernard, de ceux qui ne se souciaient pas de Dieu, leur vie durant.
Je me demande si ce sentiment, cette crainte, est aujourd’hui
encore au fond des cœurs. L’oubli de Dieu est tellement
profond.
Quoi qu’il en soit, Saint Bernard utilise le langage classique
pour essayer de tirer de sa torpeur celui qui ne vit que pour ce
monde. « Un jour viendra où tu n’échapperas
pas à la sévérité de ces terribles paroles
: « Allez, maudits, au feu éternel ».
Ou encore cette phrase : « Pour n’avoir pas su éprouver
cette douceur dans la mémoire, vous sentirez sa rigueur au
jour de la présence ».
Le paragraphe 12 : c’est aussi un merveilleux paragraphe où
saint Bernard se laisse aller dans sa description abondante du «
spirituel ». Cette description est très facile à
comprendre. Saint Bernard utilise le langage mystique du «
Cantique des Cantiques ». Il donne lui-même la signification
des expressions qui, d’un premier abord, peuvent surprendre
un lecteur non familier au langage mystique, utilisant les termes
d’un amour conjugal pour exprimer des sentiments intenses.
Ce paragraphe est simple, mais d’une densité remarquable.
Il faut le garder en mémoire. C’est une belle description
du baptisé. Vous y trouvez exprimées ses pensées
habituelles. Retenez et méditez cette belle phrase du début
du paragraphe : « l’âme fidèle, elle désire
vivement la présence de Dieu et elle trouve doux repos dans
son souvenir. En attendant de pouvoir contempler face à face
la gloire du Seigneur, elle met sa gloire dans l’abjection
de la Croix ». Non point que le baptisé cherche confusions
sur confusions. Ce n’est pas le problème ici. Mais
en ce sens qu’il se souvient incessamment « de cette
charité sans pareille par laquelle l’Epoux (Notre Seigneur)
a donné sa vie pour ses amis » ainsi que du souvenir
de la divine promesse de la possession, un jour, de la vie éternelle
: « c’est la vision bienheureuse qu’il leur a
(le Maître) promise et la joie que leur donnera la présence
de la majesté divine ».
Le paragraphe 13 : C’est encore
un merveilleux paragraphe, facile à comprendre. Saint Bernard
analyse les bienfaits de ceux qui s’adonnent « au souvenir
» de la passion du Seigneur. Porter attention à la
Passion du Seigneur aide, dit Saint Bernard, à se garder
pur de ce monde et de ses convoitises. Il s’exprime même
très joliment. Voyez : « Quel peut être l’effet
d’une attention tournée vers une mésiricorde
si grande et si imméritée, d’un amour tout gratuit
et si souvent attesté, d’une bonté inespérée,
d’une douceur invincible et inattendue ? Quel est, dis-je,
l’effet de cette contemplation attentive, sinon d’arracher
l’âme à tout amour pervers, de la ravir merveilleusement,
de se l’attacher avec violence et de lui inspirer le mépris
de tout ce qui ne peut-être désiré qu’au
détriment de ces biens supérieurs ».
Remarquez, également, au
passage la description que Saint Bernard fait de « l’amour
divin », des qualificatifs qu’il donne à cet
amour divin. Cet amour divin est d’abord une miséricorde.
Un cœur qui se penche sur une misère. Cette miséricorde
est dite « grande et imméritée ». Saint
Paul le dit « Alors que nous étions encore pécheurs,
le Christ est mort pour nous ». C’est donc un amour
« tout gratuit », mais également sans cesse «
attesté », « d’une bonté inespérée,
d’une douceur invincible et inattendue ». Vous pouvez
illustrer cela de tous les récits de l’Evangile.
Remarquez également la description
que fait Saint Bernard du baptisé le considérant dans
son « néant », le décrivant « comme
un pauvre grain de poussière ». Cela nous fait penser
au temps du Carême qui vient et du mercredi de Carême
où l’Eglise nous rappelle que nous sommes poussières.
« Memento homo quia pulvis es et in pulverem reverteris ».
Vous apprécierez, je pense, cette belle phrase de Saint Bernard
qui montre que cette « poussière » pour poussière
qu’elle soit, est capable de beaucoup d’amour au seul
titre de la reconnaissance : «Aussi est-ce à l’odeur
de ces parfums que l’Epouse, brûlante d’amour,
accourt alertement ; et à se voir tant aimée, elle
croit aimer bien peu, même si elle s’est toute donnée
à l’amour. Et elle ne se trompe pas : en échange
d’un amour si grand et si précieux (de Dieu), que peut
offrir de valable un pauvre grain de poussière, quand même
il se ramasserait tout entier pour aimer en retour la suprême
Majesté qui a pris les devants et qui apparaît toute
consacrée à opérer son salut ? ».