Les mystères chrétiens
:L’Incarnation
de l’Incarnation du Fils de Dieu et
du dessein qu’il forma de naître d’une femme :
de la Vierge Marie, Mère de Dieu
Nous avons vu ces deux dernières
semaines, le mystère de l’Incarnation dans sa cause efficiente
: la charité de Dieu : « Dieu a tellement aimé
le monde qu’il envoya son Fils unique afin que quiconque croit
en Lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle »
(Jn 3 16). C’est pour moi, le plus beau texte de notre Saint
Evangile. Il me fait vivre et espérer tout de la miséricorde
de Dieu.
Aujourd’hui nous allons méditer le mystère de
l’Incarnation dans sa réalisation, dans son mode : «
Je crois …en Jésus-Christ son fils unique, Notre Seigneur
qui a été conçu du Saint Esprit et né
de la Vierge Marie ».
Nous allons méditer sur ce
dernier point et nous poser la question :
Pourquoi le Fils de Dieu voulut naître
d’une femme ?
C’est l’affirmation de
notre credo, en son troisième article :
1- « -je crois en Dieu, le Père tout puissant, créateur
du ciel et de la terre,
2- « -et en Jésus-Christ son fils unique, Notre Seigneur,
3- « -qui a été conçu du Saint Esprit et
né de la Vierge Marie »
C’est même la seconde
partie de ce troisième article.
Nous sommes obligés, en effet,
de croire, pour s’exprimer comme le catéchisme du Concile
de Trente, « non seulement que Notre Seigneur Jésus-Christ
a été conçu par l’opération du Saint
Esprit, mais encore qu’il est né de la Vierge-Marie,
et que c’est elle qui l’a mis au monde ».
De grâce, ne restons pas «
muet », « insensible » devant ce mystère.
Bien au contraire, soyons « dans une joie profonde » et
même dans une « vive allégresse ». Ce sont
les mots mêmes du Catéchisme du Concile de Trente . Il
nous enseigne précisément que « c’est avec
une joie profonde et une vive allégresse que nous devons méditer
ce mystère de notre Foi » (Cat. Du Concile de Trente.
p.46)
Ce sont les sentiments mêmes
que nous commande l’Ange de la Nativité. « Les
paroles de l’Ange qui le premier en fit connaître au monde
l’heureux accomplissement nous y invite »(Cat. du Concile
de Trente p.46) : « Je vous annonce, dit-il, un grand sujet
de joie pour tout le peuple (Luc 2 10). Et de plus, c’est la
note éminente du cantique des Anges, en cette nuit sainte :
le « gloria in excelsis Deo » : « Gloire à
Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne
volonté ».
Mais pourquoi donc le Fils de Dieu
voulut-il naître d’une femme, de « Marie qui descendait
de David »?
Car, de fait, le Fils de Dieu, ayant
décidé de se faire homme « propter nostram salutem
», pouvait prendre le corps d’un homme « accompli
», semblable à celui d’Adam lorsqu’il fut
crée. Mais il aima mieux, comme nous le dit Saint Paul, «
naître d’une femme » : « Misit Deus Filium
suum, factum ex muliere, factum sub lege, ut eos qui sub lege erant
redimeret ». « Mais lorsque est venu la plénitude
des temps, Dieu a envoyé son Fils, formé d’une
femme, né sous la Loi pour affranchir ceux qui étaient
sous la Loi afin de nous conférer l’adoption »
d’enfants de Dieu. (Gal 4 4-5)
C’est ce qu’Il déclara
au serpent dès le commencement du monde, lorsqu’il dit
qu’un descendant de la femme lui briserait la tête. «
Inimicitias ponam inter te et mulierem et semen tuum et semen illius
: ispe conteret caput tuum » (Gen 3 15) « Je mettrai une
inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité
et sa postérité ; celle-ci te meurtrira à la
tête ».
Pourquoi Dieu voulut-il qu’il
en soit ainsi ?
A première vue, cela ne convenait
pas particulièrement.
Et pour deux raisons principales
La première part du présupposé
que « le sexe masculin est, dit-on, plus noble que le sexe féminin
». Or il convenait souverainement que le Christ prit ce qui
est parfait dans la nature humaine. Donc il ne semble pas qu’Il
dut prendre sa chaire d’une femme, mais bien plutôt d’un
homme, comme c’est de la côte de l’homme que la
femme fut formée » (Gen 2 21-23). Saint Thomas expose
cette raison dans la III 31 4. C’est sa première objection.
La deuxième raison est fondée
sur le principe de la non convenance d’une telle chose : cela
ne convenait pas pour le Roi de Gloire, qui remplit le ciel et la
terre, « d’être inclus dans le sein d’une
femme ». C’est la deuxième objection que se fait
Saint Thomas, toujours dans la même question : « quiconque
est conçu de la femme est inclus dans le sein de la femme.
Or, il ne convient pas que Dieu, qui remplit le ciel et la terre,
comme il est dit dans Jérémie 23 24, soit inclus ou
renfermé dans le sein si petit d’une femme. Donc il semble
qu’il n’aurait pas dû être conçu d’une
femme ».
La résolution de ces deux objections
va faire éclater, au contraire, la haute convenance de ce mystère,
en montrant l’extrême charité qui animait le Fils
de Dieu dans la réalisation de ce mystère.
Saint Thomas, tout d’abord,
reconnaît que « si le Fils de Dieu pouvait prendre sa
chair de n’importe quelle matière qu’Il eut voulu,
toutefois, il était souverainement convenable -« convenientissimum
tamen » - qu’il la prît d’une femme, comme
le dit Saint Paul aux Galates : « Factum ex muliere ».
A- La première raison est merveilleuse
: « parce que par là, dit-il, toute la nature humaine
se trouve ennoblie » « Primo quidem, quia per hoc tota
humana natura nobilitata est ». Ainsi, de la sorte, la nature
humaine toute entière, - homme et femme - participe à
la splendeur du mystère divin. Nul, ni le sexe masculin, ni
le sexe féminin, n’en est exclu. Tous deux participent
à cette gloire : le sexe masculin, en étant uni à
Dieu hypostatique ment, - Quelle gloire ! -, le sexe féminin,
en étant le temple où s’opère l’union
hypostatique. Quelle gloire presque égale, presque infinie
! Et de là, naît nécessairement la gloire pour
l’un et l’autre des deux sexes de la nature humaine et
l’estime qu’on leur doit porter.
Cette estime est certainement un fruit
de notre belle civilisation chrétienne. Le respect que l’on
porte et à l’homme et la femme dans notre société
a sa source dans cette considération sur le mystère
de l’Incarnation.
Et l’on comprendra que la raison
que nous donne Saint Thomas ait une grande importance surtout aujourd’hui
sur notre sol de France où toute une religion, l’islam,
contre la révélation même de Dieu, considère
la femme comme créature inférieure et la maintient ainsi
dans une totale subordination humiliante. Cela n’est pas de
Dieu. Dans ce mystère de l’Incarnation où Dieu
se fait homme, formé d’un femme, Il voulut nous apprendre
par là qu’il ne fait pas acception de personne, qu’il
est prêt à faire du bien à tous. Comme le dit
l’apôtre saint Paul, « il n’y a plus en Jésus-Christ
de différence entre l’homme et la femme, le maître
et l’esclave, le grand et le petit. Sa charité est universelle.
Il répand ses bienfaits sur toute la nature humaine. «
Non est Judaeus, neque Graecus ; non est servus, neque liber ; non
est masculum neque femina. Omnes enim vos unum estis in Christo Jésu
» (Gal 3 28)
Et pour réhabiliter tout à
fait le sexe féminin dans l’estime qui lui est dûe,
pour venger, en quelque sorte, son honneur conte l’attitude
inepte de l’Islam, il faut prolonger cette raison de Saint Thomas
sur ce « factum ex muliere » et faire remarquer que Notre
Dame est présentée, à juste titre, dans l’œuvre
de la Rédemption, comme étant la « nouvelle Eve
» tout comme le Christ, son Fils est le « nouvel Adam
». C’est dire son éminente dignité ! Elle
est la gloire du genre humain et tout particulièrement du sexe
féminin. Ce parallèle se trouve chez tous les Pères
de l’Eglise. Je n’omettrai pas de vous citer le catéchisme
du Concile de Trente sur ce sujet . Il résume tout l’enseignement
patristique.
On peut y lire, à la page 47,
ce beau passage : « L’Apôtre Saint Paul appelle
quelquefois Jésus-Christ le « nouvel Adam, et le compare
au premier. En effet, de même que tous les hommes sont morts
dans celui-ci - 1 Cor 15 21 22 - ainsi tous sont rappelés à
la vie dans Celui-là. Et de même encore que le premier
a été le père du genre humain selon l’ordre
de la nature, de même le second est pour tous les hommes l’Auteur
de la grâce et de la gloire. Par analogie, nous pouvons également
comparer la Vierge Marie à Eve, et montrer les rapports qui
existent entre la première Eve, et Marie qui est la seconde
; comme nous venons de la faire entre le premier Adam et le second
qui est Jésus-Christ, Eve en croyant au serpent, - Eccli 25
33 - attira sur le genre humain la malédiction et la mort ;
Marie, en ajoutant foi aux paroles de l’Ange, obtint pour les
hommes, de la bonté de Dieu, la bénédiction et
la vie -Eph 2 3 -. Par Eve, nous naissons enfants de colère
; par Marie, nous recevons Jésus-Christ qui nous fait renaître
enfants de la grâce. A Eve il a été dit : «
Tu enfanteras dans la douleur » ; Marie donne naissance à
Notre Seigneur Jésus-Christ et Elle ne souffre pas, et, Elle
conserve le privilège de la Virginité parfaite ».
Pour Marie, la Mère de Dieu,
quel rôle magnifique dans l’ordre de la grâce !
En conséquence quelle dignité !
B - Enfin la seconde raison qui a
porté le Fils de Dieu à naître d’une femme,
c’est le désir qu’il avait de se faire «
petit » afin de nous donner l’exemple de l’humilité
et des autres vertus. Ici on ne peut pas ne pas citer la pensée
de Saint Paul aux Philippiens : « Bien qu’il fut dans
la condition de Dieu, il n’a pas retenu avidement son égalité
avec Dieu ; mais il s’est anéanti lui-même, en
prenant la condition d’esclave, en se rendant semblable aux
hommes et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui ; il s’est
abaissé lui-même, se faisant obéissant jusqu’à
la mort, et à la mort de la croix » (Phi. 2 6-9) Et Saint
Paul de conclure : « Ayez en vous les mêmes sentiments
dont était animé le Christ Jésus ». «
Phi. 2 5)
La semaine prochaine, nous contemplerons
Notre Dame et ses privilèges pour qu’elle soit la digne
Mère de Dieu.
Le sacrement de l’Eucharistie.
Nous savons par la foi, que dans le
sacrement du pain et du vin eucharistique, le corps et le sang du
Christ, après la consécration, se trouvent contenue
en vérité, réellement et substantiellement. La
substance du pain et du vin n’y est plus. Elle a été
changée au corps et au sang du Christ ; non pas en ce sens,
avons dit, la semaine dernière, qu’elle aurait disparu
pour leur céder la place ; mais en ce sens que vraiment elle
a été changée, elle-même et en elle même,
au corps et au sang du Christ. Sur ce pain et sur ce vin ont été
prononcées les paroles de la consécration qui ont fait
que maintenant le corps et le sang du Christ sont là. Non pas
que ces paroles aient agi sur le corps du Christ qui était
au ciel et qu’elles l’aient amené ici par mode
de mouvement - ce que Saint Thomas rejette absolument dans ses articles
I et 2. Ces paroles n’ont pas eu cet effet que d’ailleurs
elles ne signifient pas. Mais elles ont eu pour effet de faire que
ce qui était là auparavant, c’est-à-dire
le pain et le vin, soit maintenant autre chose, non pas que cela disparaisse
ou que cela soit détruit - c’était notre article
2 et 3 ; mais que cela soit le corps et le sang du Christ. Les paroles,
en effet, disent et elles ont fait ce qu’elles disent par la
toute Puissance de Dieu : « Ceci est mon corps ; ceci est mon
sang ». Si donc le corps et le sang du Christ sont maintenant
où était auparavant ce pain et ce vin, c’est uniquement
parce que ce que nous voyons encore là et que nous désignons
toujours par ce pronom démonstratif « Ceci », qui
était auparavant du pain et du vin, n’est plus maintenant
du pain et du vin, mais le corps et le sang du Christ, c’est
parce que – et c’est la conclusion formelle et exclusive
de toute autre conclusion de Saint Thyms comme de l’Eglise -
la substance du pain et du vin, au sens très réel et
véritable, a été changé, convertie, au
corps et au sang du Christ.
Nous en étions là la
semaine dernière et nous vous avions posé la question
: Fort bien, mais est-ce seulement possible ?
C’est précisément
la question que se pose Saint Thomas en son article 4
Article IV : si le pain peut être converti au corps du Christ
?
Dans le corps de l’article,
Dans le premier paragraphe de cet article, Saint Thomas ne fait que
résumer ce qu’il a expliqué en ses articles 1
et 2 : Nous sommes obligé d’affirmer sans possibilité
aucune de l’éviter, la conversion substantielle du pain
au corps du Christ et du vin en son sang. C’est, nous l’avons
vu, une conséquence inéluctable du mystère de
la présence réelle du Christ dans le sacrement eucharistique.
Appuyée d’une part, sur l’absolue certitude de
la vérité du corps du Christ présent dans le
sacrement - c’est l’enseignement formel de la foi -, et
d’autre part sur l’absolue nécessité de
la conversion substantielle du pain au corps du Christ, l’explication
de cette présence du Christ ne pouvant s’expliquer aucunement
par le simple mouvement local, ainsi que Saint Thomas l’a prouvé
à l’article 2, notre raison est contrainte de répondre
positivement à la question de l’article 4 : cette conversion,
pour étonnante qu’elle soit, est possible puisque , de
fait, elle est. Saint Thomas ne fait qu’ appliquer l’adage
qui est ainsi formulé : « ab actu ad posse valet consecutio
»: dès lors qu’une chose est, il n’est pas
possible de douter qu’elle puisse être, puisque, de fait,
elle est. Or c’est parfaitement le cas dans le mystère
du sacrement de l’Eucharistie. Ergo.
Voici ses propres paroles : «
Comme il a été dit plus haut (art. 2) dès là
que dans ce sacrement est le vrai corps du Christ et qu’il ne
commence point d’être nouvellement par mouvement local,
puisque aussi bien le corps du Christ n’est point là
comme dans un lieu, ainsi qu’on le voit par ce qui a été
dit (art I ad 3um), (il ne pourrait alors être présent
en plusieurs lieux à la fois) il est nécessaire de dire
qu’il commence d’être là par la conversion
de la substance du pain en lui ». Vous remarquerez le lien affirmé
par saint Thomas - et avec quelle force -, entre la vérité
du corps du Christ présent dans le sacrement et la conversion
dont il s’agit, cette dernière étant nécessaire
à la simple vérité de la présence réelle
du Christ dans ce sacrement. Pour Saint Thomas, l’une entraîne
nécessairement l’autre. Donc cette conversion substantielle
est, elle ne peut pas ne pas être. Elle est donc évidemment
possible.
Ceci dit, Saint Thomas démontre
comment la chose est possible : il démontre la possibilité
de cette conversion substantielle.
Saint Thomas nous avertit immédiatement
que cette conversion, si elle est absolument véritable et réelle,
n’est pourtant pas semblable aux « conversions naturelles
», aux changement qui se produisent dans le monde de la nature,
dans le monde des corps, dans le monde des transformations physico-chimiques.
Elle est entièrement surnaturelle, effectuée par la
seule vertu de Dieu : « Haec tamen conversio non est similis
conversionibus naturalibus, sed est omnino supernaturalis, sola virtute
Dei effectu ». Et puisque cette conversion est produite par
la seule puissance divine, elle peut toucher la substance même
de la chose, ici le pain et le vin et faire que le pain se change
en le corps du Christ et le vin en son sang. Car, Dieu a pouvoir sur
tout l’être de cet être qui est, - c’est sa
définition même -, il peut donc changer tout cet être
en cet autre être. Son action divine s’étend à
la nature totale de l’être. « Eius actio se extendit
ad totam naturam entis ». Dès lors, Il peut changer toute
la substance d’une chose en la substance d’une autre.
Et c’est cela qui est fait par
la vertu divine dans ce sacrement : « Et hoc agitur divina virtute
in hoc sacramento ». Car toute la substance du pain est changé
en toute la substance du corps du Christ et toute la substance du
vin en toute la substance du sang du Christ : « Nam tota substantia
vini in totam substantiam sanguinis Chrsiti ».
Aussi bien, cette conversion n’est-elle
pas formelle - comme pour les conversions naturelles - mais substantielle.
Elle est unique. Et elle porte un nom propre : elle peut être
dite « transsubstantielle » : « Nec continetur inter
species motus naturalis, sed proprio nomini potest dici : transsubstantiatio
».
Voilà ce que confessera l’Eglise
dans son Concile de Trente : « Si quelqu’un dit que dans
le très saint sacrement de l’Eucharistie demeure la substance
du pain et du vin ensemble avec le corps et le sang de Notre Seigneur
Jésus-Christ ; et nie cette admirable et unique conversion
de toute la substance du pain au corps et de toute la substance du
vin au sang, tandis que demeurent seulement les espèces du
pain et du vin, laquelle conversion est appelée très
justement par l’Eglise catholique : transsubstantiation, qu’il
soir anathème ».
C’est mot pour mot la doctrine
de saint Thomas exprimée dans les articles que nous venons
d’étudier, que l’Eglise retient dans une de ses
plus solennelles définitions dogmatiques : sur le dogme de
l’Eucharistie.
Précisons avec le Père
Pègues : « L’action consécratoire n’atteint
pas le corps du Christ, au sens où une action atteint le sujet
sur lequel elle tombe. En ce sens, la consécration n’atteint
que le pain et le vin qui sont la matière du sacrement. Toutefois,
il faut reconnaître que le corps du Christ est le terme auquel
aboutit la consécration. Nous disons, en effet, que la consécration,
en agissant sur la matière du sacrement, qui est le pain et
le vin, nous donne le corps et le sang du Christ ; et nous avons expliqué
qu’elle nous donne le corps et le sang du Christ en agissant
sur cette matière qui est le pain et le vin, parce qu’elle
change la substance de ce pain et de ce vin au corps et au sang du
Christ. Mais, bien que le corps et le sang du Christ soient le terme
de la consécration, au sens que nous venons de dire, il ne
s’ensuit pas que le corps et le sang du Christ soient atteints,
eux aussi, par la vertu des paroles consécratoires. Seule est
atteint, par la vertu de ces paroles, la matière du sacrement,
c’est-à-dire le pain et le vin ».
Là est le point sommet du mystère
de l’Eucharistie.
La transsubstantiation est un changement
unique.
La transsubstantiation est, comme
dans son sujet, dans l’une et l’autre substance, c’est-à-dire
dans la substance du pain et dans le corps du Christ. Et cependant
seule la substance du pain est atteinte, le corps du Christ ne l’est
pas. Seule la substance du pain subit la transsubstantiation ; le
corps du Christ demeure absolument non touché, non atteint,
non changé. C’est là, chose tout à fait
propre à la Transsubstantiation. Dans la Transsubstantiation,
comme c’est une substance toute entière qui est changée
en un sujet préexistant, de tout au tout, il en résulte
que le sujet préexistant demeure absolument ce qu’il
était, n’est modifié en quoi que ce soit ni part
rapport à quoique ce soit, si ce n’est par rapport à
ce qui pourra rester du sujet changé en lui, et, en raison
de cela, par rapport à tout ce à quoi cela pourra, en
effet, avoir désormais un rapport quelconque. Donc de la Transsubstantiation,
il résulte, pour le corps du Christ, uniquement ceci : un rapport
à ce qui reste du pain qui a été changé
en lui ; rapport qui, ne supposant aucun changement dans le corps
du Christ, ne sera que de raison en lui ; mais qui sera réel
dans le pain, dont la substance a été, au sens le plus
réel, atteinte en elle-même, jusqu’en son dernier
fond, et changé, totalement changée en lui.
Tout le mystère de l’Eucharistie,
pour nous, se concentre dans ce rapport. C’est par ce rapport
que nous expliquons la présence réelle, substantielle,
du corps du Christ sous les espèces sacramentelles. C’est
aussi par ce rapport que nous expliquons comment le corps du Christ
est dans ce sacrement ; et comment il y demeure ; et comment il cesse
d’y être.
Pour Saint Thomas, la Transsubstantiation
n’entraîne pour le corps du Christ qu’une relation
de raison. Le corps du Christ n’est nullement atteint en lui-même
; il demeure absolument non touché, non changé, «
immutatum ». Tout ce qu’il y a pour lui – et c’est
par là que nous expliquerons tout dans ce mystère –
c’est que du fait que la substance du pain est changée
en lui, il naît un certain rapport entre lui et ce qui reste
de ce pain dont la substance a été changée en
lui. C’est donc en tant qu’il naît un certain rapport
entre lui et ce pain dont la substance a été changée
en lui que le corps du Christ est terme ou sujet de la transsubstantiation
; ou, inversement, c’est en tant qu’il est terme ou sujet
de la transsubstantiation que naît ce rapport . Mais il est
terme et sujet de la transsubstantiation selon qu’il est en
lui-même et considéré d’une façon
absolue ; comme aussi c’est entre le corps du Christ considéré
d’une façon absolue, selon qu’il est en lui-même
et au ciel, que naît le rapport avec ce pain dont la substance
a été changé en lui. C’est, en effet, en
lui tel qu’il est en lui-même et que, précisément,
il est au ciel, que la substance du pain a été changée.
La notion de transsubstantiation dit
seulement ceci : la substance du pain est changée toute entière,
et dans son être individuel, en l’être individuel
du corps du Christ, lequel n’est pas autre évidemment
que celui qui est présentement au ciel, dans son identité
la plus absolue.
Pour Saint Thoams et l’Eglise,
la transsubstantiation est « une seule action, tombant uniquement
sur le pain ou le vin, matière du sacrement, et changeant leur
substance, toute leur substance - mais rien que leur substan,ce -
au corps du Christ selon qu’il est en lui-même, dans son
être substantiel, actuellement au ciel, depuis le jour de l’Ascension
; transsubstantiation qui fait naître une relation très
spéciale, d’ordre unique, comme la transsubstantiation
elle même, entre ce qui reste du pain qui était là
précédemment et dont la substance a été
changée au corps du Christ, selon qu’il est en lui-même
ou dans sa propre substance et son être propre individuel, présentement
au ciel, et ce corps du Christ selon qu’en effet il est en lui-même
ou dans sa propre substance et son être propre individuel, présentement
au ciel. C’est par cette relation, et uniquement par elle, que
nous affirmons que le corps du Christ qui est au ciel est véritablement,
réellement et substantiellement présent sous les espèces
du pain où était précédemment la substance
du pain maintenant changée en lui et qu’il y est en telle
manière, et autant de temps et avec toutes les conséquences,
que nous détaillerons dans la suite de notre analyse ».
Nous pourrions conclure ces quelques
réflexion sur l’Eucharistie en disant que le corps du
Christ est ici présent parce que le pain est changé
en lui et que en vertu de cette conversion, de ce changement, le corps
du Christ a acquis à l’endroit de ces espèces
du pain qui demeurent, nous le verrons la semaine prochaine, le rapport
qu’avait auparavant à ces espèces la substance
du pain, rapport qui n’est que de raison dans le corps du Christ,
mais qui est réel dans le pain dont la substance a été
changé en lui.
Dans ce mystère de la Transsubstantiation,
autrement dit, dans ce mystère eucharistique, tout doit se
ramener à ce rapport mystérieux acquis par le corps
du Christ, présentement au ciel, à l’endroit des
espèces du pain et du vin qui demeurent après le changement
de leur substance au corps du Christ présentement au ciel.
Et ce rapport est acquis au corps du Christ par la vertu de ce changement
de la substance du pain en lui.
Telle est la doctrine eucharistique
: « le pain qui était là, sur l’autel, a
été changé, converti, quant à sa substance,
- à toute sa substance – au corps du Christ qui est au
ciel et qui y demeure absolument inchangé, mais qui acquiert,
en vertu du changement de la substance du pain en lui, à l’endroit
des espèces du pain qui y demeurent, le rapport qu’avait
à ces espèces la substance du pain changé en
lui ; d’où il résulte que nous disons, en toute
vérité, du corps du Christ qui est au ciel, ce que nous
disions de la substance du pain à l’endroit de ces espèces,
notamment qu’il est contenu en elles, et que par elles, il nous
est véritablement donné ».
Le père Pègues termine
ce magnifique commentaire du sacrement de l’Eucharistie par
cette belle synthèse : « La présence eucharistique
ne s’explique et ne peut s’expliquer, pour saint Thomas,
que par la transsubstantiation du pain et du vin au corps et au sang
du Christ. Cette transsubstantiation, comme le mot lui-même
l’indique, n’est point par mode de mouvement local…Alors
qu’on n’emploie aucun terme ici, quand il s’agit
du corps du Christ et du mystère de sa présence eucharistique
qui laisserait entendre que le corps du Christ en lui-même change
ou est modifié. Dès lors nous ne dirons pas , ni que
le corps du Christ est amené sous les espèces sacramentelles,
ni qu’il y est introduit, ni, à plus forte raison qu’il
y est fait, ou qu’il y est reproduit. Mais nous dirons simplement
de lui qu’il est sous les espèces sacramentelles ; et
il n’est sous les espèces sacramentelles que parce que
la substance qui était sous les espèces a été
changée en lui. Nous disons cela, tout cela. Mais nous ne dirons
pas autre chose, parce que dire autre chose serait sortir de la vérité
de ce mystère. ». (p. 122-123)
Spiritualité :
« Pratique de la perfection chrétienne ».
par le Père Rodriguez
Chapitre IX
Combien il est important de ne pas négliger
les petites choses.
Résumé de ce chapitre :
« Celui qui méprises
les petites choses déchoira peu à peu » : voilà
en deux mots le thème de ce chapitre. Il me paraît très
important. J’ai toujours été surpris de voir l’insistance
que le Père Berto donnait à l’examen de conscience,
dans la vie spirituelle. La lecture de ce chapitre de Rodriguez me
l’a fait mieux comprendre. L’examen de conscience porte
sur les petites fautes que l’on peut commettre au cours de la
journée et si l’âme n’est pas sur le «
qui-vive », ce que permet l’examen de conscience journalier,
les petites fautes peuvent s’incruster insensiblement dans l’âme
un peu négligente. Et si donc les chutes graves ne peuvent
s’expliquer que par ces petites fautes un temps acceptées
- c’est le thème de ce chapitre - je comprends que la
« veille du cœur » qu’est l’examen de
conscience puisse avoir une grande importance dans la vie chrétienne.
C’est la raison pour laquelle, je pense, l’examen de conscience
est tellement recommandé par les directeurs d’âme.
« Celui qui méprises
les petites choses déchoira peu à peu » (Eccl
19 1) Cette sentence renferme une vérité qui intéresse
tout le monde, mais surtout les hommes qui aspirent à la perfection.
Les choses majeures se recommandent d’elles-mêmes à
notre sollicitude, tandis que celles d’un ordre inférieur,
nous nous laissons aller facilement à les négliger,
à en faire peu de cas, par la raison qu’elles nous paraissent
sans importance. C’est là une grande illusion ; ces petites
choses produisent au contraire de graves effets : aussi l’Esprit-Saint
nous avertit-il dans les termes citées au début de ce
chapitre, de nous tenir en garde contre ce danger. Et nous devons
croire à cet oracle infaillible ; car, l’expérience
le prouve, celui qui méprise les petites choses en viendra
bientôt à prévariquer en matière grave.
Le conseil nous vient d’assez haut pour s’imposer à
notre esprit et nous inspirer une salutaire terreur. Ecoutons cependant
les avis que les saints nous donnent sur le même sujet.
« C’est en commençant par les petites fautes, dit
Saint Bernard, que l’on arrive à tomber dans les grandes.
Ne vous illusionnez pas, ajoute-t-il, le proverbe a raison : «
Nemo repente fit summus ». Personne généralement
parlant, ne devient tout d’un coup ni très bon ni très
mauvais, mais le bien et le mal se développent dans une progression
croissante. Les maladies spirituelles, les grands désordres
de l’âme, comme les grandes maladies du corps, s’engendrent
lentement et n’éclatent dans toute leur gravité
qu’au dernier degré de leur développement. Alors
donc, continue le saint, que vous serez témoin de quelque grande
chute des serviteurs de Dieu, ne croyez pas que ce soit là
le premier symptôme du mal : jamais celui qui a persévéré
et vécu longtemps dans le bien ne tombe subitement dans une
faute mortelle : il se sera attiédi et relâché
peu à peu dans l’accomplissement de ses devoirs les moins
importants, dans la fuite des fautes légères ; cette
première défaillance aura énervé la vertu
de son âme, et, de faiblesse en faiblesse, de chute en chute,
il aura mérité que Dieu retirât un moment sa main
de lui, et quand la grande tentation est venue l’assaillir,
il a pu facilement être terrassé.
Cette déchéance progressive de l’âme, Cassien
la définit clairement par une comparaison trés juste,
empruntée aux livres saints. Les maisons, dit-il, ne s’écroulent
pas tout à coup, d’une seule pièce ; leur ruine
commence d’abord par de légères infiltrations,
qui pourrissent peu à peu la charpente de l’édifice,
et, pénétrant dans l’intérieur des murailles,
en détrempent le ciment et atteignent jusqu’aux fondations
qui ébranlent et renversent ; enfin une belle nuit, tout s’écroule,
la maison n’est plus que décombres. « Le plancher
s’affaissera là où règne la paresse, dit
l’Ecclésiaste et il pleuvra de toutes parts dans la maison
habitée par des mains ennemies du travail » (Eccl 10
18) Pour n’avoir pas réparé sa demeure dans le
principe, alors que le dommage était peu profond, pour avoir
négligé des fissures imperceptibles, et ne les avoir
pas fermées, une à une, un matin, la maison a menacé
ruine. C’est ainsi, dit Cassien, que les hommes arrivent, par
des chutes de plus en plus graves, jusqu’au plus profond de
l’abîme. Ce sont d’abord de simples faiblesses,
de petites passions qui s’infiltrent dans notre âme, comme
la goutte d’eau dans le toit de nos demeures et y causent de
légers ravages ; mais, peu à peu, par la continuité
des mêmes causes de dissolution, notre cœur s’amollit,
notre conscience se trouble et chancelle, tous nos mauvais instincts
prennent le dessus, et la maison croule !C’est pour n’avoir
pas tenu compte des premiers symptômes du découragement
et de la tiédeur que beaucoup d’entre nous tombent en
de mortelles défaillances, que celui-ci succombe dans la tentation,
que celui-là déserte nos saints asiles. Plût à
Dieu que nous n’eussions pas à constater si souvent,
par de cruelles expériences, les suites inévitables
de cette négligence funeste !
En voyant par quelle pente insensible certaines âmes ont roulé
dans le gouffre de la réprobation et combien peu graves furent
les fautes qui ont commencé leur perte, on se sent tout rempli
de crainte et d’effroi. C’est là, d’ailleurs,
en quoi se révèle le grand art du démon. Cet
esprit du mal se garde bien d’attaquer d’abord les serviteurs
de Dieu dans les grandes choses, il et plus astucieux que cela ; il
commence toujours par de légères escarmouches, et, gagnant
sans cesse, par un progrès insensible, quelques nouveaux avantages,
il remporte de plus nombreuses et de plus faciles victoires qu’en
employant une autre tactique. Il n’est pas douteux, en effet,
que s’il se présentait dès le début avec
une escorte de péchés mortels, il serait découvert
et repoussé, tandis que sous le masque de simples imperfections,
d’offenses peu importantes, il s’insinue subrepticement
dans les âmes et s’y établit en maître.
Le danger des fautes vénielles, a dit saint Grégoire,
est, en un sens, plus grand que celui des fautes mortelles, parce
que celles-ci, portant avec elles le sentiment de leur gravité,
éveillent toutes les sollicitudes de l’âme, qui
s’efforce de les éviter, ou, lorsqu’elle y est
tombée, de s’en relever promptement, tandis que les premières,
moins redoutées de la conscience, la trouvent presque toujours
désarmée, s’en emparent facilement, et par une
reproduction fréquente s’y enracinent de telle sorte
que, lorsqu’on veut les extirper, on n’a palus pour cela
ni assez de force ni assez de courage, et c’est ainsi que de
légères imperfections dégénèrent
en peu de temps en criminelles habitudes.
A l’appui de cette doctrine,
nous pouvons invoquer aussi le témoignage de saint Chrysostome
: « J’ose, dit ce grand saint, avancer une proposition
qui peut paraître inouïe : c’est que parfois il me
semble que l’on doit s’appliquer à éviter
les fautes légères plus soigneusement encore que les
péchés graves. C’est qu’en effet la nature
de ceux-ci inspire d’elle-même une horreur salutaire,
tandis que les premières, par cela seul qu’elles offrent
peu de gravité, laissent la conscience dans une sécurité
fatale ; on les compte pour si peu de chose, qu’on ne veut pas
faire le moindre effort pour les extirper, et le mal se développe
ey ce qui n’était qu’une étincelle devient
un vaste incendie ».
Ainsi le démon attache-t-il
une grande importance à ce moyen de perdition, et en use-t-il
très fréquemment pour faire le siège des consciences
et pénétrer dans les âmes des serviteurs de Dieu.
Il sait parfaitement que, ce premier avantage obtenu, il lui sera
facile de poursuivre sa victoire, et d’entraîner ses victimes
dans les plus grandes fautes. « Qu’importe, dit saint
Augustin, qu’un vaisseau périsse englouti sous le poids
des vagues, ou par suite de la lente infiltration des eaux dans la
cale, où la négligence des matelots les a laissées
s’amasser ? c’est toujours un naufrage ! » Qu’importe
aussi au démon le chemin par lequel il pénètre
dans votre âme ? pourvu qu’il arrive à son but,
qui est de vous précipiter dans les abîmes de la damnation
éternelle, le moyen lui est indifférent. « De
la réunion de plusieurs gouttes de pluie, dit saint Bonaventure,
il se forme des torrents qui renversent les plus fortes murailles.
Une fissure invisible dans les flancs d’un vaisseau a causé
bien des naufrages ».
Ainsi donc, ajoute saint Augustin, si nous voulons nous sauver, faisons
ce que doivent faire de bons matelots quand une voie d’eau les
menace de la perte de leur navire, ils doivent se tenir constamment
à la pompe et vider la cale de l’eau qui y pénètre
; nous devons, nous, avoir recours à l’oraison et à
l’examen de conscience et travailler sans cesse à purger
notre cœur des fautes et des imperfections qui s’y glissent
peu à peu, si nous ne voulons pas être submergés
et engloutis. Voilà à quoi les religieux doivent s’appliquer
sans repos ni trêve : il faut qu’ils aient toujours la
main à la pompe, afin de ne pas sombrer. « Vous vous
êtes mis en garde contre les plus grands péchés,
dit le même saint, mais que faites-vous pour éviter les
petits ? est-ce que vous ne les craignez pas ? Vous avez jeté
à la mer les grosses pierres qui pouvaient faire couler votre
vaisseau, mais prenez garde que le sable qui est au fond ne le fasse
submerger ». Vous avez échappé aux tempêtes,
aux mille dangers de la mer orageuse du monde , prenez garde d’échouer
sur le sable, dans le port de la vie religieuse. »