Paroisse catholique Saint Michel

Dirigée par

 Monsieur l'abbé Paul Aulagnier

 

06 80 71 71 01

 

Dimanche 17 janvier 2005

Deuxième dimanche après l'Epiphanie

 

 N'oubliez pas de vous
escrire sans tarder au pèlerinage jubilaire du Puy, pour m'en faciliter
l'organisation. N'attendez pas le dernier jour, comme on le fait d'habitude.
Des noms me sont déjà parvenus. Je les en remercie.

Les mystères chrétiens :L’Incarnation

de l’Incarnation du Fils de Dieu et du dessein qu’il forma de naître d’une femme :

de la Vierge Marie, Mère de Dieu

 

Nous avons vu ces deux dernières semaines, le mystère de l’Incarnation dans sa cause efficiente : la charité de Dieu : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il envoya son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle » (Jn 3 16). C’est pour moi, le plus beau texte de notre Saint Evangile. Il me fait vivre et espérer tout de la miséricorde de Dieu.
Aujourd’hui nous allons méditer le mystère de l’Incarnation dans sa réalisation, dans son mode : « Je crois …en Jésus-Christ son fils unique, Notre Seigneur
qui a été conçu du Saint Esprit et né de la Vierge Marie ».

Nous allons méditer sur ce dernier point et nous poser la question :

Pourquoi le Fils de Dieu voulut naître d’une femme ?

C’est l’affirmation de notre credo, en son troisième article :
1- « -je crois en Dieu, le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre,
2- « -et en Jésus-Christ son fils unique, Notre Seigneur,
3- « -qui a été conçu du Saint Esprit et né de la Vierge Marie »

C’est même la seconde partie de ce troisième article.

Nous sommes obligés, en effet, de croire, pour s’exprimer comme le catéchisme du Concile de Trente, « non seulement que Notre Seigneur Jésus-Christ a été conçu par l’opération du Saint Esprit, mais encore qu’il est né de la Vierge-Marie, et que c’est elle qui l’a mis au monde ».

De grâce, ne restons pas « muet », « insensible » devant ce mystère. Bien au contraire, soyons « dans une joie profonde » et même dans une « vive allégresse ». Ce sont les mots mêmes du Catéchisme du Concile de Trente . Il nous enseigne précisément que « c’est avec une joie profonde et une vive allégresse que nous devons méditer ce mystère de notre Foi » (Cat. Du Concile de Trente. p.46)

Ce sont les sentiments mêmes que nous commande l’Ange de la Nativité. « Les paroles de l’Ange qui le premier en fit connaître au monde l’heureux accomplissement nous y invite »(Cat. du Concile de Trente p.46) : « Je vous annonce, dit-il, un grand sujet de joie pour tout le peuple (Luc 2 10). Et de plus, c’est la note éminente du cantique des Anges, en cette nuit sainte : le « gloria in excelsis Deo » : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ».

Mais pourquoi donc le Fils de Dieu voulut-il naître d’une femme, de « Marie qui descendait de David »?

Car, de fait, le Fils de Dieu, ayant décidé de se faire homme « propter nostram salutem », pouvait prendre le corps d’un homme « accompli », semblable à celui d’Adam lorsqu’il fut crée. Mais il aima mieux, comme nous le dit Saint Paul, « naître d’une femme » : « Misit Deus Filium suum, factum ex muliere, factum sub lege, ut eos qui sub lege erant redimeret ». « Mais lorsque est venu la plénitude des temps, Dieu a envoyé son Fils, formé d’une femme, né sous la Loi pour affranchir ceux qui étaient sous la Loi afin de nous conférer l’adoption » d’enfants de Dieu. (Gal 4 4-5)

C’est ce qu’Il déclara au serpent dès le commencement du monde, lorsqu’il dit qu’un descendant de la femme lui briserait la tête. « Inimicitias ponam inter te et mulierem et semen tuum et semen illius : ispe conteret caput tuum » (Gen 3 15) « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité ; celle-ci te meurtrira à la tête ».

Pourquoi Dieu voulut-il qu’il en soit ainsi ?

A première vue, cela ne convenait pas particulièrement.

Et pour deux raisons principales

La première part du présupposé que « le sexe masculin est, dit-on, plus noble que le sexe féminin ». Or il convenait souverainement que le Christ prit ce qui est parfait dans la nature humaine. Donc il ne semble pas qu’Il dut prendre sa chaire d’une femme, mais bien plutôt d’un homme, comme c’est de la côte de l’homme que la femme fut formée » (Gen 2 21-23). Saint Thomas expose cette raison dans la III 31 4. C’est sa première objection.

La deuxième raison est fondée sur le principe de la non convenance d’une telle chose : cela ne convenait pas pour le Roi de Gloire, qui remplit le ciel et la terre, « d’être inclus dans le sein d’une femme ». C’est la deuxième objection que se fait Saint Thomas, toujours dans la même question : « quiconque est conçu de la femme est inclus dans le sein de la femme. Or, il ne convient pas que Dieu, qui remplit le ciel et la terre, comme il est dit dans Jérémie 23 24, soit inclus ou renfermé dans le sein si petit d’une femme. Donc il semble qu’il n’aurait pas dû être conçu d’une femme ».

La résolution de ces deux objections va faire éclater, au contraire, la haute convenance de ce mystère, en montrant l’extrême charité qui animait le Fils de Dieu dans la réalisation de ce mystère.

Saint Thomas, tout d’abord, reconnaît que « si le Fils de Dieu pouvait prendre sa chair de n’importe quelle matière qu’Il eut voulu, toutefois, il était souverainement convenable -« convenientissimum tamen » - qu’il la prît d’une femme, comme le dit Saint Paul aux Galates : « Factum ex muliere ».

A- La première raison est merveilleuse : « parce que par là, dit-il, toute la nature humaine se trouve ennoblie » « Primo quidem, quia per hoc tota humana natura nobilitata est ». Ainsi, de la sorte, la nature humaine toute entière, - homme et femme - participe à la splendeur du mystère divin. Nul, ni le sexe masculin, ni le sexe féminin, n’en est exclu. Tous deux participent à cette gloire : le sexe masculin, en étant uni à Dieu hypostatique ment, - Quelle gloire ! -, le sexe féminin, en étant le temple où s’opère l’union hypostatique. Quelle gloire presque égale, presque infinie ! Et de là, naît nécessairement la gloire pour l’un et l’autre des deux sexes de la nature humaine et l’estime qu’on leur doit porter.

Cette estime est certainement un fruit de notre belle civilisation chrétienne. Le respect que l’on porte et à l’homme et la femme dans notre société a sa source dans cette considération sur le mystère de l’Incarnation.

Et l’on comprendra que la raison que nous donne Saint Thomas ait une grande importance surtout aujourd’hui sur notre sol de France où toute une religion, l’islam, contre la révélation même de Dieu, considère la femme comme créature inférieure et la maintient ainsi dans une totale subordination humiliante. Cela n’est pas de Dieu. Dans ce mystère de l’Incarnation où Dieu se fait homme, formé d’un femme, Il voulut nous apprendre par là qu’il ne fait pas acception de personne, qu’il est prêt à faire du bien à tous. Comme le dit l’apôtre saint Paul, « il n’y a plus en Jésus-Christ de différence entre l’homme et la femme, le maître et l’esclave, le grand et le petit. Sa charité est universelle. Il répand ses bienfaits sur toute la nature humaine. « Non est Judaeus, neque Graecus ; non est servus, neque liber ; non est masculum neque femina. Omnes enim vos unum estis in Christo Jésu » (Gal 3 28)

Et pour réhabiliter tout à fait le sexe féminin dans l’estime qui lui est dûe, pour venger, en quelque sorte, son honneur conte l’attitude inepte de l’Islam, il faut prolonger cette raison de Saint Thomas sur ce « factum ex muliere » et faire remarquer que Notre Dame est présentée, à juste titre, dans l’œuvre de la Rédemption, comme étant la « nouvelle Eve » tout comme le Christ, son Fils est le « nouvel Adam ». C’est dire son éminente dignité ! Elle est la gloire du genre humain et tout particulièrement du sexe féminin. Ce parallèle se trouve chez tous les Pères de l’Eglise. Je n’omettrai pas de vous citer le catéchisme du Concile de Trente sur ce sujet . Il résume tout l’enseignement patristique.

On peut y lire, à la page 47, ce beau passage : « L’Apôtre Saint Paul appelle quelquefois Jésus-Christ le « nouvel Adam, et le compare au premier. En effet, de même que tous les hommes sont morts dans celui-ci - 1 Cor 15 21 22 - ainsi tous sont rappelés à la vie dans Celui-là. Et de même encore que le premier a été le père du genre humain selon l’ordre de la nature, de même le second est pour tous les hommes l’Auteur de la grâce et de la gloire. Par analogie, nous pouvons également comparer la Vierge Marie à Eve, et montrer les rapports qui existent entre la première Eve, et Marie qui est la seconde ; comme nous venons de la faire entre le premier Adam et le second qui est Jésus-Christ, Eve en croyant au serpent, - Eccli 25 33 - attira sur le genre humain la malédiction et la mort ; Marie, en ajoutant foi aux paroles de l’Ange, obtint pour les hommes, de la bonté de Dieu, la bénédiction et la vie -Eph 2 3 -. Par Eve, nous naissons enfants de colère ; par Marie, nous recevons Jésus-Christ qui nous fait renaître enfants de la grâce. A Eve il a été dit : « Tu enfanteras dans la douleur » ; Marie donne naissance à Notre Seigneur Jésus-Christ et Elle ne souffre pas, et, Elle conserve le privilège de la Virginité parfaite ».

Pour Marie, la Mère de Dieu, quel rôle magnifique dans l’ordre de la grâce ! En conséquence quelle dignité !

B - Enfin la seconde raison qui a porté le Fils de Dieu à naître d’une femme, c’est le désir qu’il avait de se faire « petit » afin de nous donner l’exemple de l’humilité et des autres vertus. Ici on ne peut pas ne pas citer la pensée de Saint Paul aux Philippiens : « Bien qu’il fut dans la condition de Dieu, il n’a pas retenu avidement son égalité avec Dieu ; mais il s’est anéanti lui-même, en prenant la condition d’esclave, en se rendant semblable aux hommes et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui ; il s’est abaissé lui-même, se faisant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix » (Phi. 2 6-9) Et Saint Paul de conclure : « Ayez en vous les mêmes sentiments dont était animé le Christ Jésus ». « Phi. 2 5)

La semaine prochaine, nous contemplerons Notre Dame et ses privilèges pour qu’elle soit la digne Mère de Dieu.

Le sacrement de l’Eucharistie.

Nous savons par la foi, que dans le sacrement du pain et du vin eucharistique, le corps et le sang du Christ, après la consécration, se trouvent contenue en vérité, réellement et substantiellement. La substance du pain et du vin n’y est plus. Elle a été changée au corps et au sang du Christ ; non pas en ce sens, avons dit, la semaine dernière, qu’elle aurait disparu pour leur céder la place ; mais en ce sens que vraiment elle a été changée, elle-même et en elle même, au corps et au sang du Christ. Sur ce pain et sur ce vin ont été prononcées les paroles de la consécration qui ont fait que maintenant le corps et le sang du Christ sont là. Non pas que ces paroles aient agi sur le corps du Christ qui était au ciel et qu’elles l’aient amené ici par mode de mouvement - ce que Saint Thomas rejette absolument dans ses articles I et 2. Ces paroles n’ont pas eu cet effet que d’ailleurs elles ne signifient pas. Mais elles ont eu pour effet de faire que ce qui était là auparavant, c’est-à-dire le pain et le vin, soit maintenant autre chose, non pas que cela disparaisse ou que cela soit détruit - c’était notre article 2 et 3 ; mais que cela soit le corps et le sang du Christ. Les paroles, en effet, disent et elles ont fait ce qu’elles disent par la toute Puissance de Dieu : « Ceci est mon corps ; ceci est mon sang ». Si donc le corps et le sang du Christ sont maintenant où était auparavant ce pain et ce vin, c’est uniquement parce que ce que nous voyons encore là et que nous désignons toujours par ce pronom démonstratif « Ceci », qui était auparavant du pain et du vin, n’est plus maintenant du pain et du vin, mais le corps et le sang du Christ, c’est parce que – et c’est la conclusion formelle et exclusive de toute autre conclusion de Saint Thyms comme de l’Eglise - la substance du pain et du vin, au sens très réel et véritable, a été changé, convertie, au corps et au sang du Christ.

Nous en étions là la semaine dernière et nous vous avions posé la question : Fort bien, mais est-ce seulement possible ?

C’est précisément la question que se pose Saint Thomas en son article 4


Article IV : si le pain peut être converti au corps du Christ ?

Dans le corps de l’article,
Dans le premier paragraphe de cet article, Saint Thomas ne fait que résumer ce qu’il a expliqué en ses articles 1 et 2 : Nous sommes obligé d’affirmer sans possibilité aucune de l’éviter, la conversion substantielle du pain au corps du Christ et du vin en son sang. C’est, nous l’avons vu, une conséquence inéluctable du mystère de la présence réelle du Christ dans le sacrement eucharistique. Appuyée d’une part, sur l’absolue certitude de la vérité du corps du Christ présent dans le sacrement - c’est l’enseignement formel de la foi -, et d’autre part sur l’absolue nécessité de la conversion substantielle du pain au corps du Christ, l’explication de cette présence du Christ ne pouvant s’expliquer aucunement par le simple mouvement local, ainsi que Saint Thomas l’a prouvé à l’article 2, notre raison est contrainte de répondre positivement à la question de l’article 4 : cette conversion, pour étonnante qu’elle soit, est possible puisque , de fait, elle est. Saint Thomas ne fait qu’ appliquer l’adage qui est ainsi formulé : « ab actu ad posse valet consecutio »: dès lors qu’une chose est, il n’est pas possible de douter qu’elle puisse être, puisque, de fait, elle est. Or c’est parfaitement le cas dans le mystère du sacrement de l’Eucharistie. Ergo.

Voici ses propres paroles : « Comme il a été dit plus haut (art. 2) dès là que dans ce sacrement est le vrai corps du Christ et qu’il ne commence point d’être nouvellement par mouvement local, puisque aussi bien le corps du Christ n’est point là comme dans un lieu, ainsi qu’on le voit par ce qui a été dit (art I ad 3um), (il ne pourrait alors être présent en plusieurs lieux à la fois) il est nécessaire de dire qu’il commence d’être là par la conversion de la substance du pain en lui ». Vous remarquerez le lien affirmé par saint Thomas - et avec quelle force -, entre la vérité du corps du Christ présent dans le sacrement et la conversion dont il s’agit, cette dernière étant nécessaire à la simple vérité de la présence réelle du Christ dans ce sacrement. Pour Saint Thomas, l’une entraîne nécessairement l’autre. Donc cette conversion substantielle est, elle ne peut pas ne pas être. Elle est donc évidemment possible.

Ceci dit, Saint Thomas démontre comment la chose est possible : il démontre la possibilité de cette conversion substantielle.

Saint Thomas nous avertit immédiatement que cette conversion, si elle est absolument véritable et réelle, n’est pourtant pas semblable aux « conversions naturelles », aux changement qui se produisent dans le monde de la nature, dans le monde des corps, dans le monde des transformations physico-chimiques. Elle est entièrement surnaturelle, effectuée par la seule vertu de Dieu : « Haec tamen conversio non est similis conversionibus naturalibus, sed est omnino supernaturalis, sola virtute Dei effectu ». Et puisque cette conversion est produite par la seule puissance divine, elle peut toucher la substance même de la chose, ici le pain et le vin et faire que le pain se change en le corps du Christ et le vin en son sang. Car, Dieu a pouvoir sur tout l’être de cet être qui est, - c’est sa définition même -, il peut donc changer tout cet être en cet autre être. Son action divine s’étend à la nature totale de l’être. « Eius actio se extendit ad totam naturam entis ». Dès lors, Il peut changer toute la substance d’une chose en la substance d’une autre.

Et c’est cela qui est fait par la vertu divine dans ce sacrement : « Et hoc agitur divina virtute in hoc sacramento ». Car toute la substance du pain est changé en toute la substance du corps du Christ et toute la substance du vin en toute la substance du sang du Christ : « Nam tota substantia vini in totam substantiam sanguinis Chrsiti ».

Aussi bien, cette conversion n’est-elle pas formelle - comme pour les conversions naturelles - mais substantielle. Elle est unique. Et elle porte un nom propre : elle peut être dite « transsubstantielle » : « Nec continetur inter species motus naturalis, sed proprio nomini potest dici : transsubstantiatio ».

Voilà ce que confessera l’Eglise dans son Concile de Trente : « Si quelqu’un dit que dans le très saint sacrement de l’Eucharistie demeure la substance du pain et du vin ensemble avec le corps et le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ ; et nie cette admirable et unique conversion de toute la substance du pain au corps et de toute la substance du vin au sang, tandis que demeurent seulement les espèces du pain et du vin, laquelle conversion est appelée très justement par l’Eglise catholique : transsubstantiation, qu’il soir anathème ».

C’est mot pour mot la doctrine de saint Thomas exprimée dans les articles que nous venons d’étudier, que l’Eglise retient dans une de ses plus solennelles définitions dogmatiques : sur le dogme de l’Eucharistie.

Précisons avec le Père Pègues : « L’action consécratoire n’atteint pas le corps du Christ, au sens où une action atteint le sujet sur lequel elle tombe. En ce sens, la consécration n’atteint que le pain et le vin qui sont la matière du sacrement. Toutefois, il faut reconnaître que le corps du Christ est le terme auquel aboutit la consécration. Nous disons, en effet, que la consécration, en agissant sur la matière du sacrement, qui est le pain et le vin, nous donne le corps et le sang du Christ ; et nous avons expliqué qu’elle nous donne le corps et le sang du Christ en agissant sur cette matière qui est le pain et le vin, parce qu’elle change la substance de ce pain et de ce vin au corps et au sang du Christ. Mais, bien que le corps et le sang du Christ soient le terme de la consécration, au sens que nous venons de dire, il ne s’ensuit pas que le corps et le sang du Christ soient atteints, eux aussi, par la vertu des paroles consécratoires. Seule est atteint, par la vertu de ces paroles, la matière du sacrement, c’est-à-dire le pain et le vin ».

Là est le point sommet du mystère de l’Eucharistie.

La transsubstantiation est un changement unique.

La transsubstantiation est, comme dans son sujet, dans l’une et l’autre substance, c’est-à-dire dans la substance du pain et dans le corps du Christ. Et cependant seule la substance du pain est atteinte, le corps du Christ ne l’est pas. Seule la substance du pain subit la transsubstantiation ; le corps du Christ demeure absolument non touché, non atteint, non changé. C’est là, chose tout à fait propre à la Transsubstantiation. Dans la Transsubstantiation, comme c’est une substance toute entière qui est changée en un sujet préexistant, de tout au tout, il en résulte que le sujet préexistant demeure absolument ce qu’il était, n’est modifié en quoi que ce soit ni part rapport à quoique ce soit, si ce n’est par rapport à ce qui pourra rester du sujet changé en lui, et, en raison de cela, par rapport à tout ce à quoi cela pourra, en effet, avoir désormais un rapport quelconque. Donc de la Transsubstantiation, il résulte, pour le corps du Christ, uniquement ceci : un rapport à ce qui reste du pain qui a été changé en lui ; rapport qui, ne supposant aucun changement dans le corps du Christ, ne sera que de raison en lui ; mais qui sera réel dans le pain, dont la substance a été, au sens le plus réel, atteinte en elle-même, jusqu’en son dernier fond, et changé, totalement changée en lui.

Tout le mystère de l’Eucharistie, pour nous, se concentre dans ce rapport. C’est par ce rapport que nous expliquons la présence réelle, substantielle, du corps du Christ sous les espèces sacramentelles. C’est aussi par ce rapport que nous expliquons comment le corps du Christ est dans ce sacrement ; et comment il y demeure ; et comment il cesse d’y être.

Pour Saint Thomas, la Transsubstantiation n’entraîne pour le corps du Christ qu’une relation de raison. Le corps du Christ n’est nullement atteint en lui-même ; il demeure absolument non touché, non changé, « immutatum ». Tout ce qu’il y a pour lui – et c’est par là que nous expliquerons tout dans ce mystère – c’est que du fait que la substance du pain est changée en lui, il naît un certain rapport entre lui et ce qui reste de ce pain dont la substance a été changée en lui. C’est donc en tant qu’il naît un certain rapport entre lui et ce pain dont la substance a été changée en lui que le corps du Christ est terme ou sujet de la transsubstantiation ; ou, inversement, c’est en tant qu’il est terme ou sujet de la transsubstantiation que naît ce rapport . Mais il est terme et sujet de la transsubstantiation selon qu’il est en lui-même et considéré d’une façon absolue ; comme aussi c’est entre le corps du Christ considéré d’une façon absolue, selon qu’il est en lui-même et au ciel, que naît le rapport avec ce pain dont la substance a été changé en lui. C’est, en effet, en lui tel qu’il est en lui-même et que, précisément, il est au ciel, que la substance du pain a été changée.

La notion de transsubstantiation dit seulement ceci : la substance du pain est changée toute entière, et dans son être individuel, en l’être individuel du corps du Christ, lequel n’est pas autre évidemment que celui qui est présentement au ciel, dans son identité la plus absolue.

Pour Saint Thoams et l’Eglise, la transsubstantiation est « une seule action, tombant uniquement sur le pain ou le vin, matière du sacrement, et changeant leur substance, toute leur substance - mais rien que leur substan,ce - au corps du Christ selon qu’il est en lui-même, dans son être substantiel, actuellement au ciel, depuis le jour de l’Ascension ; transsubstantiation qui fait naître une relation très spéciale, d’ordre unique, comme la transsubstantiation elle même, entre ce qui reste du pain qui était là précédemment et dont la substance a été changée au corps du Christ, selon qu’il est en lui-même ou dans sa propre substance et son être propre individuel, présentement au ciel, et ce corps du Christ selon qu’en effet il est en lui-même ou dans sa propre substance et son être propre individuel, présentement au ciel. C’est par cette relation, et uniquement par elle, que nous affirmons que le corps du Christ qui est au ciel est véritablement, réellement et substantiellement présent sous les espèces du pain où était précédemment la substance du pain maintenant changée en lui et qu’il y est en telle manière, et autant de temps et avec toutes les conséquences, que nous détaillerons dans la suite de notre analyse ».

Nous pourrions conclure ces quelques réflexion sur l’Eucharistie en disant que le corps du Christ est ici présent parce que le pain est changé en lui et que en vertu de cette conversion, de ce changement, le corps du Christ a acquis à l’endroit de ces espèces du pain qui demeurent, nous le verrons la semaine prochaine, le rapport qu’avait auparavant à ces espèces la substance du pain, rapport qui n’est que de raison dans le corps du Christ, mais qui est réel dans le pain dont la substance a été changé en lui.

Dans ce mystère de la Transsubstantiation, autrement dit, dans ce mystère eucharistique, tout doit se ramener à ce rapport mystérieux acquis par le corps du Christ, présentement au ciel, à l’endroit des espèces du pain et du vin qui demeurent après le changement de leur substance au corps du Christ présentement au ciel. Et ce rapport est acquis au corps du Christ par la vertu de ce changement de la substance du pain en lui.

Telle est la doctrine eucharistique : « le pain qui était là, sur l’autel, a été changé, converti, quant à sa substance, - à toute sa substance – au corps du Christ qui est au ciel et qui y demeure absolument inchangé, mais qui acquiert, en vertu du changement de la substance du pain en lui, à l’endroit des espèces du pain qui y demeurent, le rapport qu’avait à ces espèces la substance du pain changé en lui ; d’où il résulte que nous disons, en toute vérité, du corps du Christ qui est au ciel, ce que nous disions de la substance du pain à l’endroit de ces espèces, notamment qu’il est contenu en elles, et que par elles, il nous est véritablement donné ».

Le père Pègues termine ce magnifique commentaire du sacrement de l’Eucharistie par cette belle synthèse : « La présence eucharistique ne s’explique et ne peut s’expliquer, pour saint Thomas, que par la transsubstantiation du pain et du vin au corps et au sang du Christ. Cette transsubstantiation, comme le mot lui-même l’indique, n’est point par mode de mouvement local…Alors qu’on n’emploie aucun terme ici, quand il s’agit du corps du Christ et du mystère de sa présence eucharistique qui laisserait entendre que le corps du Christ en lui-même change ou est modifié. Dès lors nous ne dirons pas , ni que le corps du Christ est amené sous les espèces sacramentelles, ni qu’il y est introduit, ni, à plus forte raison qu’il y est fait, ou qu’il y est reproduit. Mais nous dirons simplement de lui qu’il est sous les espèces sacramentelles ; et il n’est sous les espèces sacramentelles que parce que la substance qui était sous les espèces a été changée en lui. Nous disons cela, tout cela. Mais nous ne dirons pas autre chose, parce que dire autre chose serait sortir de la vérité de ce mystère. ». (p. 122-123)

Spiritualité :
« Pratique de la perfection chrétienne ».
par le Père Rodriguez

Chapitre IX

Combien il est important de ne pas négliger les petites choses.


Résumé de ce chapitre :

« Celui qui méprises les petites choses déchoira peu à peu » : voilà en deux mots le thème de ce chapitre. Il me paraît très important. J’ai toujours été surpris de voir l’insistance que le Père Berto donnait à l’examen de conscience, dans la vie spirituelle. La lecture de ce chapitre de Rodriguez me l’a fait mieux comprendre. L’examen de conscience porte sur les petites fautes que l’on peut commettre au cours de la journée et si l’âme n’est pas sur le « qui-vive », ce que permet l’examen de conscience journalier, les petites fautes peuvent s’incruster insensiblement dans l’âme un peu négligente. Et si donc les chutes graves ne peuvent s’expliquer que par ces petites fautes un temps acceptées - c’est le thème de ce chapitre - je comprends que la « veille du cœur » qu’est l’examen de conscience puisse avoir une grande importance dans la vie chrétienne. C’est la raison pour laquelle, je pense, l’examen de conscience est tellement recommandé par les directeurs d’âme.

« Celui qui méprises les petites choses déchoira peu à peu » (Eccl 19 1) Cette sentence renferme une vérité qui intéresse tout le monde, mais surtout les hommes qui aspirent à la perfection. Les choses majeures se recommandent d’elles-mêmes à notre sollicitude, tandis que celles d’un ordre inférieur, nous nous laissons aller facilement à les négliger, à en faire peu de cas, par la raison qu’elles nous paraissent sans importance. C’est là une grande illusion ; ces petites choses produisent au contraire de graves effets : aussi l’Esprit-Saint nous avertit-il dans les termes citées au début de ce chapitre, de nous tenir en garde contre ce danger. Et nous devons croire à cet oracle infaillible ; car, l’expérience le prouve, celui qui méprise les petites choses en viendra bientôt à prévariquer en matière grave. Le conseil nous vient d’assez haut pour s’imposer à notre esprit et nous inspirer une salutaire terreur. Ecoutons cependant les avis que les saints nous donnent sur le même sujet.
« C’est en commençant par les petites fautes, dit Saint Bernard, que l’on arrive à tomber dans les grandes. Ne vous illusionnez pas, ajoute-t-il, le proverbe a raison : « Nemo repente fit summus ». Personne généralement parlant, ne devient tout d’un coup ni très bon ni très mauvais, mais le bien et le mal se développent dans une progression croissante. Les maladies spirituelles, les grands désordres de l’âme, comme les grandes maladies du corps, s’engendrent lentement et n’éclatent dans toute leur gravité qu’au dernier degré de leur développement. Alors donc, continue le saint, que vous serez témoin de quelque grande chute des serviteurs de Dieu, ne croyez pas que ce soit là le premier symptôme du mal : jamais celui qui a persévéré et vécu longtemps dans le bien ne tombe subitement dans une faute mortelle : il se sera attiédi et relâché peu à peu dans l’accomplissement de ses devoirs les moins importants, dans la fuite des fautes légères ; cette première défaillance aura énervé la vertu de son âme, et, de faiblesse en faiblesse, de chute en chute, il aura mérité que Dieu retirât un moment sa main de lui, et quand la grande tentation est venue l’assaillir, il a pu facilement être terrassé.
Cette déchéance progressive de l’âme, Cassien la définit clairement par une comparaison trés juste, empruntée aux livres saints. Les maisons, dit-il, ne s’écroulent pas tout à coup, d’une seule pièce ; leur ruine commence d’abord par de légères infiltrations, qui pourrissent peu à peu la charpente de l’édifice, et, pénétrant dans l’intérieur des murailles, en détrempent le ciment et atteignent jusqu’aux fondations qui ébranlent et renversent ; enfin une belle nuit, tout s’écroule, la maison n’est plus que décombres. « Le plancher s’affaissera là où règne la paresse, dit l’Ecclésiaste et il pleuvra de toutes parts dans la maison habitée par des mains ennemies du travail » (Eccl 10 18) Pour n’avoir pas réparé sa demeure dans le principe, alors que le dommage était peu profond, pour avoir négligé des fissures imperceptibles, et ne les avoir pas fermées, une à une, un matin, la maison a menacé ruine. C’est ainsi, dit Cassien, que les hommes arrivent, par des chutes de plus en plus graves, jusqu’au plus profond de l’abîme. Ce sont d’abord de simples faiblesses, de petites passions qui s’infiltrent dans notre âme, comme la goutte d’eau dans le toit de nos demeures et y causent de légers ravages ; mais, peu à peu, par la continuité des mêmes causes de dissolution, notre cœur s’amollit, notre conscience se trouble et chancelle, tous nos mauvais instincts prennent le dessus, et la maison croule !C’est pour n’avoir pas tenu compte des premiers symptômes du découragement et de la tiédeur que beaucoup d’entre nous tombent en de mortelles défaillances, que celui-ci succombe dans la tentation, que celui-là déserte nos saints asiles. Plût à Dieu que nous n’eussions pas à constater si souvent, par de cruelles expériences, les suites inévitables de cette négligence funeste !
En voyant par quelle pente insensible certaines âmes ont roulé dans le gouffre de la réprobation et combien peu graves furent les fautes qui ont commencé leur perte, on se sent tout rempli de crainte et d’effroi. C’est là, d’ailleurs, en quoi se révèle le grand art du démon. Cet esprit du mal se garde bien d’attaquer d’abord les serviteurs de Dieu dans les grandes choses, il et plus astucieux que cela ; il commence toujours par de légères escarmouches, et, gagnant sans cesse, par un progrès insensible, quelques nouveaux avantages, il remporte de plus nombreuses et de plus faciles victoires qu’en employant une autre tactique. Il n’est pas douteux, en effet, que s’il se présentait dès le début avec une escorte de péchés mortels, il serait découvert et repoussé, tandis que sous le masque de simples imperfections, d’offenses peu importantes, il s’insinue subrepticement dans les âmes et s’y établit en maître.
Le danger des fautes vénielles, a dit saint Grégoire, est, en un sens, plus grand que celui des fautes mortelles, parce que celles-ci, portant avec elles le sentiment de leur gravité, éveillent toutes les sollicitudes de l’âme, qui s’efforce de les éviter, ou, lorsqu’elle y est tombée, de s’en relever promptement, tandis que les premières, moins redoutées de la conscience, la trouvent presque toujours désarmée, s’en emparent facilement, et par une reproduction fréquente s’y enracinent de telle sorte que, lorsqu’on veut les extirper, on n’a palus pour cela ni assez de force ni assez de courage, et c’est ainsi que de légères imperfections dégénèrent en peu de temps en criminelles habitudes.

A l’appui de cette doctrine, nous pouvons invoquer aussi le témoignage de saint Chrysostome : « J’ose, dit ce grand saint, avancer une proposition qui peut paraître inouïe : c’est que parfois il me semble que l’on doit s’appliquer à éviter les fautes légères plus soigneusement encore que les péchés graves. C’est qu’en effet la nature de ceux-ci inspire d’elle-même une horreur salutaire, tandis que les premières, par cela seul qu’elles offrent peu de gravité, laissent la conscience dans une sécurité fatale ; on les compte pour si peu de chose, qu’on ne veut pas faire le moindre effort pour les extirper, et le mal se développe ey ce qui n’était qu’une étincelle devient un vaste incendie ».

Ainsi le démon attache-t-il une grande importance à ce moyen de perdition, et en use-t-il très fréquemment pour faire le siège des consciences et pénétrer dans les âmes des serviteurs de Dieu. Il sait parfaitement que, ce premier avantage obtenu, il lui sera facile de poursuivre sa victoire, et d’entraîner ses victimes dans les plus grandes fautes. « Qu’importe, dit saint Augustin, qu’un vaisseau périsse englouti sous le poids des vagues, ou par suite de la lente infiltration des eaux dans la cale, où la négligence des matelots les a laissées s’amasser ? c’est toujours un naufrage ! » Qu’importe aussi au démon le chemin par lequel il pénètre dans votre âme ? pourvu qu’il arrive à son but, qui est de vous précipiter dans les abîmes de la damnation éternelle, le moyen lui est indifférent. « De la réunion de plusieurs gouttes de pluie, dit saint Bonaventure, il se forme des torrents qui renversent les plus fortes murailles. Une fissure invisible dans les flancs d’un vaisseau a causé bien des naufrages ».
Ainsi donc, ajoute saint Augustin, si nous voulons nous sauver, faisons ce que doivent faire de bons matelots quand une voie d’eau les menace de la perte de leur navire, ils doivent se tenir constamment à la pompe et vider la cale de l’eau qui y pénètre ; nous devons, nous, avoir recours à l’oraison et à l’examen de conscience et travailler sans cesse à purger notre cœur des fautes et des imperfections qui s’y glissent peu à peu, si nous ne voulons pas être submergés et engloutis. Voilà à quoi les religieux doivent s’appliquer sans repos ni trêve : il faut qu’ils aient toujours la main à la pompe, afin de ne pas sombrer. « Vous vous êtes mis en garde contre les plus grands péchés, dit le même saint, mais que faites-vous pour éviter les petits ? est-ce que vous ne les craignez pas ? Vous avez jeté à la mer les grosses pierres qui pouvaient faire couler votre vaisseau, mais prenez garde que le sable qui est au fond ne le fasse submerger ». Vous avez échappé aux tempêtes, aux mille dangers de la mer orageuse du monde , prenez garde d’échouer sur le sable, dans le port de la vie religieuse. »